Intervention de Jean-Michel Pourteau

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 17h30
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Jean-Michel Pourteau, représentant CFE-CGC au sein du comité stratégique de filière mines et métallurgie :

La CFE-CGC réfléchit aux problèmes spécifiques de l'industrie depuis longtemps. Nous nous réjouissons que cette question soit au centre des discussions pour l'avenir économique de notre pays. Nous avons distingué trois causes principales des pertes d'emploi dans l'industrie. Nous avons tout d'abord noté un phénomène d'externalisation des activités industrielles vers le secteur des services. Il ne s'agit pas que d'un transfert d'emplois, mais bien de suppressions, car cette externalisation s'accompagne de dégradations des conditions de travail et de pressions du donneur d'ordre conduisant à une baisse du nombre de salariés. La deuxième cause est une baisse naturelle liée à la hausse de la productivité. Enfin, la concurrence internationale des pays à bas coût de main-d'œuvre a conduit à une guerre des prix. Les délocalisations ne concernent pas que le produit final, mais tous les produits intermédiaires de la chaîne d'approvisionnement.

Nous pensons qu'il existe d'autres causes à la désindustrialisation. Les gains de productivité que les entreprises industrielles ont réalisés ces dernières années n'ont pas été également réinvestis dans les outils de production et dans la part des salaires des entreprises. L'écosystème industriel en France est particulier, car il regroupe de grands groupes mondialisés et un tissu de PME et de très petites entreprises (TPE) qui concentrent la majorité des emplois, notamment 90 % des emplois dans la métallurgie. Pourtant, ce sont les grands groupes qui imposent leurs vues. Il manque également beaucoup d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans cet écosystème. Les PME, TPE et ETI ont la caractéristique de manquer de fonds propres. Elles ne disposent pas des moyens de progresser en innovation et en R&D et souffrent de difficultés à exporter, à transmettre les entreprises lors du départ du fondateur et à capter les bonnes compétences qui sont absorbées par les autres groupes. La relation entre les donneurs d'ordre et les sous-traitants est déséquilibrée. Une autre cause de la désindustrialisation réside dans le manque d'attractivité des territoires vis-à-vis des entreprises. Ce problème est aussi lié au manque d'attractivité de la filière scientifique en général. La plupart de jeunes étudiants se dirigent vers d'autres filières, et de moins en moins d'ingénieurs sont disponibles pour travailler dans l'industrie.

Les employeurs soutiennent que la désindustrialisation s'explique par la baisse de compétitivité, par la fiscalité particulièrement élevée et par des taux de prélèvements obligatoires importants en France. On peut admettre certains chiffres en comparaison avec d'autres pays. Mentionnons également le positionnement de la filière industrielle en France sur des produits moyens de gamme. Or Le haut de gamme seul permet d'absorber les coûts de production. Les industriels ont choisi de comprimer les marges et de minimiser les investissements pour conserver des parts de marché. Un positionnement vers le haut de gamme est une solution pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises. Il doit aussi s'accompagner de davantage d'investissements en R&D. Le taux de 3 % précédemment évoqué correspond à l'objectif de part de la recherche dans le PIB. La France se situe à 2 %, soit en dessous de la moyenne des pays préconisée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous devrions également nous interroger sur l'efficacité du crédit d'impôt recherche. Il ne s'agit pour nous que d'une exonération fiscale. On peut se demander s'il a fait l'objet d'une juste évaluation et s'il a permis le dépôt de davantage de brevets.

Pour infléchir les politiques industrielles des entreprises, une solution serait de permettre aux salariés, par l'intermédiaire de leurs représentants, de faire entendre leur voix lors des réunions de présentation des orientations stratégiques sur le long terme. Cela peut passer par plus de représentants des salariés dans les conseils d'administration. En Allemagne, la répartition est telle que ces représentants ont quasiment un droit de veto lorsque les décisions menacent la pérennisation de l'emploi sur les sites. Lorsque les grandes orientations stratégiques sont présentées dans les comités sociaux et économiques (CSE), les salariés pourraient obtenir davantage de précisions sur les investissements à venir et leurs conséquences sur leur emploi.

Le CNI et les CSF sont des lieux d'échange tripartite entre l'État, les employeurs et les organisations syndicales. Ils permettent d'échanger et de mettre à jour les projets portés par chacun. Cependant, de très grandes différences subsistent d'un secteur à l'autre. Les CSF en chimie, dans l'automobile, dans les mines, la métallurgie et nucléaire fonctionnent bien. Les CSF de l'agroalimentaire, de la santé et de l'électronique sont moins efficaces. Dans certains CSF, les syndicats sont associés et donnent leur avis sur l'élaboration du contrat de filière. Dans d'autres CSF, les syndicats ne sont pas invités aux réunions et les employeurs imposent leurs vues lors du contrat de filière. Ces instances jouent néanmoins un rôle utile. Depuis leur mise en place, ils ont permis de dresser un état des lieux par filière. Des améliorations demeurent nécessaires en matière de transversalité. Le sujet du recyclage ou de l'évolution des compétences doit par exemple concerner plusieurs filières. Ils toucheront en effet tous les secteurs d'activités liés à la transition énergétique, écologique et à la numérisation des entreprises.

Concernant les aides publiques, nous partageons l'idée d'un plus fort contrôle des aides versées par l'État par les salariés par l'intermédiaire de leurs représentants syndicaux.

Les solutions devront intégrer l'Europe, qui a permis des évolutions ces dernières années. Cependant, la politique commerciale européenne est orientée vers le consommateur et oublie le producteur. Elle entraîne une concurrence intraeuropéenne, et lorsque l'Europe négocie des accords de libre-échange avec d'autres pays, continents ou associations mondiales, elle ne prend pas suffisamment en compte les disparités qui existent entre l'Europe du Nord et l'Europe du Sud. Des améliorations doivent être menées sur ce plan. Pour ralentir ces désindustrialisations, il faut enfin travailler sur les nouveaux projets liés à la transition écologique et au mix énergétique et aux métiers qui vont évoluer.

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