Le manifeste franco-allemand a été repris par la conférence ministérielle des amis de l'industrie, qui réunit treize pays. La communication de Thierry Breton autour de la politique industrielle, le 5 mai dernier, témoigne d'une vision beaucoup plus ambitieuse que celle qui était traditionnellement celle de la Commission européenne. Néanmoins, beaucoup de chemin reste à parcourir pour que soit acceptée une forme d'interventionnisme gouvernemental en matière de politique industrielle. Nous n'avons pas la même culture politique et ce qui peut sembler très naturel pour des Français l'est beaucoup moins pour d'autres, en particulier les ordolibéraux des pays nordiques, voire les Allemands. Vous avez sans doute pris connaissance des déclarations du parti libéral-démocrate allemand – Freie Demokratische Partei (FDP), sur l'interventionnisme gouvernemental dans certaines politiques. Dégageons d'abord une vision commune du rôle de l'État avant de réformer les règles de la concurrence.
Je m'engage, lorsque je serai à la tête du Conseil « Compétitivité » de l'Union européenne, à tenir une ligne de concurrence loyale qui permette de se prémunir contre un protectionnisme qui tairait son nom ou un repli sur soi, tout en sortant d'une posture naïve selon laquelle le marché européen serait ouvert à tous les prétendants à des parts de marché, ce qui nous mettrait à la merci d'acteurs non respectueux des règles du jeu.
Parmi les mécanismes que nous espérons voir adoptés durant la présidence française de l'Union européenne figure le projet de règlement relatif aux subventions étrangères. Nous prévoyons d'instaurer un contrôle de la Commission européenne sur les marchés publics et sur les opérations de consolidation ou de rachat par une entreprise étrangère d'un actif européen, afin de lutter contre les subventions de pays tiers qui provoquent des distorsions et nuisent à l'égalité des conditions de concurrence au sein du marché unique.
D'autre part, M. Franck Riester, ministre délégué chargé du Commerce extérieur et de l'attractivité, qui pilotera le Conseil « Commerce », aura pour mission de faire évoluer les règles de réciprocité dans les marchés publics.
Sous la direction de Mme Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, s'engagera une réflexion autour du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pour appliquer, en particulier aux importations d'acier, de ciment, d'engrais, d'aluminium, un prix du carbone équivalent à celui pratiqué sur le marché carbone européen.
Nous avons fait des propositions pour faire évoluer les règles de concurrence en matière de fusions-acquisitions. Tout d'abord, les opérations menées par des plateformes en situation de monopole doivent être contrôlées de manière particulière, au-delà du simple chiffre d'affaires de l'entreprise rachetée car il ne reflète pas la réalité technologique. Prenons le cas d'une plateforme numérique américaine comme Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA) ou chinoise comme Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (BATX), qui rachèterait une jeune pousse (start-up) européenne : si la technologie de cette start-up est très différenciante, l'opération doit être contrôlée au regard des règles de la concurrence, quand bien même le chiffre d'affaires ne dépasserait pas 15 millions d'euros.
Ensuite, nous souhaitons rendre plus dynamique l'approche des opérations de consolidation européennes. Il ne s'agirait, non plus de s'appuyer sur la répartition des parts de marché, telle qu'elle s'est faite dans le passé, pour s'inquiéter de l'existence d'un oligopole dont le consommateur serait prisonnier, mais d'analyser la manière dont ces parts de marché évoluent. Des acteurs étrangers ont pu prendre des parts de marché très importantes en quelques années. On a tous en tête le secteur ferroviaire et la possibilité, pour un acteur chinois, d'y entrer – ce qu'il a fait, d'ailleurs. C'est la contestabilité des marchés qu'il faut observer : combien de personnes répondent-elles à un appel d'offres ? Les prix sont-ils compétitifs ? Si c'est le cas, le consommateur n'est pas perdant, et la concurrence reste une réalité sur le marché.
C'est cette position que j'ai déjà eu l'occasion de défendre avec M. Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des finances et de la relance, soit au cours d'opérations particulières, soit pour faire évoluer le droit de la concurrence.
Aux États-Unis, la personne chargée de s'occuper des questions soulevées par le droit de la concurrence au sein de l'administration Biden partage cette vision de la contestabilité des marchés ou de la situation de monopole de certaines plateformes numériques. Nous pouvons espérer aboutir à un meilleur équilibre au niveau international. Le monde a évolué depuis les années 1990 et le droit de la concurrence doit s'y adapter.