Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT
Mardi 30 novembre 2021
La séance est ouverte à quinze heures cinq.
(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président)
La commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament procède à l'audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'Économie, des finances et de la relance, chargée de l'Industrie.
Mes chers collègues, nous achevons aujourd'hui les auditions de cette commission d'enquête. Après avoir entendu différentes catégories d'experts et d'acteurs du monde de l'industrie et avoir fait un déplacement, hier, pour échanger avec le commissaire européen chargé du marché intérieur, M. Thierry Breton, et avec plusieurs responsables du développement industriel en Belgique, nous allons entendre le Gouvernement, représenté par Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'Économie, des finances et de la relance, chargée de l'Industrie.
Après une carrière dans le privé, qui vous a notamment permis de connaître la réalité de l'industrie, vous êtes chargée depuis octobre 2018, Madame la ministre déléguée, de la reconquête industrielle au sein du Gouvernement. Alors que nous nous approchons de la fin du quinquennat, il faut rappeler la détermination qui a été la vôtre, et celle de la majorité, pour remettre l'industrie au cœur de la politique économique de la France, par des réformes de structure, notamment celle du code du travail et de l'apprentissage ou encore l'adoption de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) et de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), mais aussi par l'amélioration de la compétitivité, grâce à une baisse historique de la fiscalité, en particulier des impôts de production, qui pénalisaient l'industrie. On pourrait également citer les investissements massifs de l'État dans le cadre de France relance puis de France 2030.
Cette politique permet d'afficher de beaux résultats, puisque la France est redevenue la première destination des investissements industriels étrangers en Europe. Notre pays a recréé de l'emploi industriel en 2017, 2018 et 2019, ce qui n'était pas arrivé depuis des décennies. Cette année, la France connaît une croissance record, supérieure à 6 %, et un taux de chômage historiquement bas, de moins de 8 %.
Deux secteurs ont fait l'objet d'un intérêt particulier de la part de notre commission d'enquête.
Le premier est l'industrie de santé. Le 29 juin dernier, le Président de la République a dévoilé un programme ambitieux visant à faire de la France la première nation européenne en matière d'innovation et de souveraineté dans le domaine de la santé. J'imagine que vous reviendrez dans votre intervention liminaire sur la mise en œuvre de ce plan, qu'il s'agisse de ses succès ou des éventuelles marges de progression pour atteindre l'objectif fixé. Vendredi dernier, vous avez apporté de nouveau votre soutien aux industries de santé et au renforcement des capacités de production françaises à travers vingt-cinq nouveaux projets lauréats de l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) Capacity Building. Vous pourrez peut-être nous en dire plus sur l'augmentation des capacités de production françaises.
Le second secteur qui a retenu notre attention est l'industrie automobile. Plusieurs acteurs nous ont alertés sur la situation dramatique de certains sous-traitants et fournisseurs, du fait de volumes en baisse, de stocks déportés, du refus des constructeurs d'accepter des hausses de prix et même de gains de productivité demandés comme si de rien n'était. Une partie de la pression vient de la transition écologique, du passage du moteur thermique au moteur électrique, mais une autre partie est liée à l'action des constructeurs, qui ne semblent pas toujours placer la sécurité de leur approvisionnement et la fabrication en France au cœur de leur politique d'achat. Vous nous direz peut-être comment y remédier.
Au-delà des aspects sectoriels, vous avez engagé une politique ambitieuse concernant les relocalisations. Il y a un an, vous débloquiez ainsi un milliard d'euros d'aides directes dans le cadre du plan de relance pour les relocalisations. Depuis, vous avez soutenu, me semble-t-il, 624 projets. Vous nous direz quels sont les résultats de cette politique volontariste et comment vous souhaitez la poursuivre dans les mois à venir.
La dixième édition de la Semaine de l'industrie vient de s'achever. Je connais votre engagement personnel à faire connaître les métiers de l'industrie, notamment auprès des jeunes. Vous nous parlerez certainement des moyens à mettre en œuvre pour susciter des vocations dans l'industrie alors que 70 000 postes sont à pourvoir et que le recrutement est un des défis les plus importants pour les employeurs en ce moment.
Merci d'avoir pris le temps de répondre à notre invitation. Avant de vous donner la parole, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Mme Agnès Pannier-Runacher prête serment.
Je vous remercie d'avoir organisé cette audition dans le cadre de la commission d'enquête sur la désindustrialisation que vous menez. Cela me donne l'occasion de faire état de l'action du ministère depuis le début du quinquennat, et plus particulièrement depuis le mois de mars 2020.
Pour mesurer le chemin accompli, il faut être conscient de notre point de départ. Le Président de la République a fait de la reconquête industrielle une des priorités économiques de son quinquennat. Nous posons des jalons et nous remportons des victoires mais nous ne rattraperons pas en cinq ans trente ans de capitulation industrielle. La crise sanitaire a révélé au grand jour de nombreuses carences. Je ne suis pas défaitiste, en l'affirmant, mais lucide et cela n'enlève rien à notre volonté déterminée et ambitieuse de réindustrialiser notre pays dans le temps long.
Nous avons trouvé en 2017 une situation dégradée en raison du délitement de notre outil productif. Un de mes prédécesseurs, que vous avez auditionné la semaine dernière, a parlé d'une « hémorragie » à propos du nombre d'usines qui avaient fermé pendant son mandat. Je rappellerai quelques chiffres pour quantifier cette hémorragie. En vingt ans, plus d'un million d'emplois industriels nets ont été détruits : des pans entiers de notre industrie ont été délocalisés et des territoires se sont retrouvés abandonnés. Au début des années 2000, près de 70 000 emplois nets disparaissaient chaque année. La crise de 2008 a accentué ce phénomène : les pertes ont pu aller jusqu'à 130 000 emplois nets par an. La forte baisse des emplois industriels a continué jusqu'en 2016, inclus. Entre 2010 et 2017, la France a perdu en moyenne, chaque année, 28 000 emplois industriels nets.
Notre industrie a ainsi décroché lentement par rapport à nos voisins européens. Le poids de l'industrie dans le PIB est passé entre 2000 et 2018 de 16,7 % à 11,9 % en France, alors qu'il s'est maintenu à près de 23 % en Allemagne et qu'il est actuellement de plus de 14 % en Espagne et de près de 18 % en Italie. Notre industrie représente 10 % de l'industrie européenne, soit trois fois moins que l'Allemagne, qui n'a que 20 % d'habitants de plus que nous.
La désindustrialisation s'est en partie traduite par la délocalisation de nombreux sites de production, et elle a représenté entre 10 et 20 % des diminutions d'emploi industriel. Ces délocalisations concernaient des entreprises étrangères, lesquelles correspondent à un emploi sur sept en France – je le dis pour ceux qui imaginent qu'on peut se priver des investisseurs étrangers –, mais aussi des entreprises françaises. Le secteur automobile montre bien l'ampleur des délocalisations : en 2019, moins de 40 % des véhicules produits par les constructeurs français pour le marché européen l'étaient sur le territoire national, contre 60 % pour les véhicules produits par les constructeurs allemands.
Cette hémorragie industrielle a entraîné des séquelles pour notre économie et notre outil industriel. La crise en a révélé la profondeur, mais elles étaient déjà présentes.
La première séquelle est l'impact négatif sur la production de services. L'industrie manufacturière génère des services – financement, après-vente, maintenance – et elle fait vivre des entreprises de services.
La deuxième séquelle est le retard technologique. Je rappelle que près de 70 % des dépenses privées de recherche et développement viennent de l'industrie manufacturière, qui ne représente pourtant qu'environ 10 % du PIB. Je rappelle aussi que c'est dans l'industrie que nous inventerons les solutions pour lutter contre le changement climatique ou pour améliorer les conditions de travail de chacun. Ce n'est pas exactement secondaire ou anecdotique.
Troisièmement, il en résulte une fragilisation de notre marché du travail, polarisé autour des emplois très qualifiés ou au contraire peu qualifiés alors que les emplois industriels sont en général intermédiaires, mieux rémunérés que dans les services et offrant des perspectives d'évolution de carrière positives. Dans l'industrie, 5 % des salariés sont rémunérés au SMIC, contre 13 % dans le secteur privé en moyenne.
Une autre séquelle est la fragilisation de la cohésion de notre nation. Les territoires périurbains et ruraux sont les principales victimes de la désindustrialisation : ils ont subi des baisses d'emplois industriels de plus de 30 % dans les dernières années, ce qui a entraîné la suppression d'emplois induits et de services, voire de services publics – c'est la classe en moins dans l'école du village. Certains territoires connaissent une décroissance démographique en raison de la désindustrialisation, qui est une des causes de leur sentiment d'abandon. On observe d'ailleurs une coïncidence entre la carte de la désindustrialisation et celle de l'abstention et de la montée du vote extrême.
La crise sanitaire a confirmé que notre intuition – et celle du Président de la République – était la bonne. Depuis le début du quinquennat, nous avons bâti une stratégie pour la réindustrialisation de la France qui porte ses fruits. Elle nous a permis de relativement bien résister à la crise.
En matière de fiscalité, tout d'abord, nous nous sommes attachés à donner de la prévisibilité aux acteurs économiques en fixant une trajectoire de baisse pour notre fiscalité sur les entreprises. Nous nous situerons plutôt dans la moyenne haute au sein de l'Union européenne à la fin du quinquennat – ce n'est donc pas du dumping fiscal. Nous avons dit ce que nous allons faire et nous avons fait ce que nous avions dit. Cela se traduit par une baisse de la fiscalité du capital, par une baisse de l'impôt sur les sociétés, par la transformation du CICE, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, en baisse de charges pérennes, qui est moins une économie pour les entreprises que de la visibilité et de la pérennité dans ce domaine, et plus récemment par la suppression de 10 milliards d'euros d'impôts de production de manière récurrente, grâce au plan France relance.
Nous avons, en parallèle, engagé un profond mouvement de simplification de nos procédures, devenues trop longues et trop complexes : c'est un des éléments qui nous sont reprochés, notamment par les investisseurs étrangers, pour qui il s'agit d'un facteur discriminant. Je pense en particulier à la loi d'accélération et de simplification de l'action publique, dont vous étiez un des rapporteurs, Monsieur le président, et qui vise notamment à accélérer l'implantation de lignes de production industrielle sans toucher à nos standards élevés de protection de l'environnement. Il y a aussi la loi PACTE, qui est une des grandes lois économiques du quinquennat, et la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance dite « loi ESSOC », qui a créé le droit à l'erreur pour les entreprises.
Par ailleurs, nous avons fortement investi dans la fluidification du marché du travail, dans le cadre d'ordonnances, afin de donner de la prévisibilité aux salariés et aux employeurs et de faciliter la formation aux métiers de demain. Il n'aura échappé à personne que se déroulent dans certains secteurs, comme l'automobile, des transitions à marche forcée qui requièrent de hauts niveaux d'investissement pour former aux métiers de demain et être au rendez-vous des tournants technologiques.
L'ensemble de cette stratégie donne de premiers résultats. L'emploi salarié a augmenté d'une façon presque linéaire dans l'industrie entre 2017 et 2019, inclus – et même au premier trimestre 2020. La France est désormais le pays le plus attractif d'Europe pour les investissements industriels. C'est arrivé trois années de suite, en 2018, 2019 et 2020. Au cours de cette dernière année, le nombre de projets industriels soutenus par des investisseurs étrangers était supérieur à celui du Royaume-Uni, de l'Allemagne et de l'Espagne réunis. C'est une statistique qui me paraît intéressante ! Les investissements dans l'industrie manufacturière ont augmenté au début du quinquennat, en dépassant même systématiquement les anticipations formulées par les industriels lors des trimestres précédents. L'investissement a augmenté d'environ 17 % chaque trimestre entre le premier semestre 2017 et le premier semestre 2019. Les créations d'entreprises dans l'industrie manufacturière ont également connu une augmentation entre mai 2017 – 1 800 créations – et février 2020 – 3 200 créations. Enfin, la France a gagné quatre places dans l'indice mondial de l'innovation, et atteint le douzième rang.
Nous poursuivons nos efforts en investissant massivement pour augmenter la production industrielle sur le territoire. Nous avons d'abord bâti un cadre pour rendre le site France plus compétitif, par des mesures d'ordre général, qui peuvent continuer à être mises en place dans les années à venir – cela peut être un thème du débat politique –, et par un travail spécifique pour accompagner certaines filières, soit dans leur transition soit pour répondre à un objectif plus général, lié au défi climatique ou à la construction de nouvelles filières industrielles, qui n'existaient pas.
Notre approche stratégique des relocalisations n'est pas naïve, mais fondée sur une analyse du marché, des produits ou des sous-produits pour lesquels nous sommes compétitifs, et elle a été construite avec des économistes, en premier lieu, et des entreprises des filières concernées, ainsi que grâce à des conseils de nature diverse, par exemple en matière de stratégie, venant du secteur privé. Le croisement des données et des analyses nous a conduits à soutenir certaines filières.
Notre vision des relocalisations a deux objectifs : la maîtrise de la chaîne de production des produits critiques, afin d'éviter d'avoir un maillon faible, et la capacité à retrouver de la compétitivité grâce à l'innovation – la compétitivité hors coût passe notamment par là. Investir dans l'innovation et la compétitivité hors coût a un sens dans un pays dont l'ingénierie est perçue comme l'une des meilleures au monde.
Nous avons identifié, s'agissant des relocalisations, six secteurs critiques dans le cadre du plan de relance : l'électronique, la santé, la 5G, l'agroalimentaire, les entrants critiques et le nucléaire. À cela s'ajoutent des projets émanant des territoires, développés par des industriels et validés par les élus locaux à travers le dispositif Territoires d'industrie, dans tous les secteurs. Ces projets, qui n'ont pas l'ambition d'être stratégiques mais d'être compétitifs et de développer l'emploi industriel dans les territoires, représentent une partie non négligeable des relocalisations que nous accompagnons. Au total, 624 projets de relocalisation ont été rendus possibles depuis septembre 2020 grâce au plan de relance et près de 77 000 emplois ont été créés ou confortés partout en France. À titre de comparaison, c'est six fois plus que durant le quinquennat du président Sarkozy, au cours duquel une politique de relocalisation avait été tentée.
Tous dispositifs confondus, une entreprise industrielle sur trois qui emploie plus de 5 équivalents temps plein bénéficie d'une mesure du plan de relance, ce qui représente plus de 10 000 entreprises accompagnées à hauteur de 2,3 milliards d'euros, pour 9,6 milliards d'euros d'investissement. Ce sont bien les PME et les entreprises de taille intermédiaire qui sont accompagnées : nous n'avons pas 10 000 grandes entreprises sur notre territoire.
En ce qui concerne le secteur de la santé, auquel votre commission porte une attention particulière, vous connaissez le diagnostic. La France a vu sa part mondiale de production de produits de santé être divisée par deux entre 2005 et 2015. C'est notamment la résultante de trois éléments : la compétitivité générale du site industriel France, dont j'ai parlé, l'évolution des brevets, dont beaucoup sont tombés dans le domaine public, ce qui a permis l'émergence de grands groupes internationaux, en particulier en Asie, qui fabriquent des génériques, et enfin la progression des exigences en matière de pharmacovigilance et de bonnes pratiques en médecine, qui concerne aussi toute l'Europe.
S'agissant des facteurs propres à la France, il y a la manière dont nous finançons les produits de santé, en particulier le fait que l'enveloppe prévue en la matière dans la loi de financement de la sécurité sociale a longtemps servi de variable d'ajustement – c'est l'ancienne directrice de cabinet de la directrice générale de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris qui vous parle – car il est difficile de faire des économies sur la médecine de ville et hospitalière. Pendant des années, la progression des dépenses liées aux produits de santé a ainsi été inférieure à celle de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Nous sommes ainsi devenus un marché très peu attractif, dans lequel on n'investit pas. Cela se traduit par 3 500 essais cliniques en France, contre 10 000 en Allemagne, dont le marché est le double du marché français, en chiffre d'affaires, pour certains laboratoires, alors que les Français ne sont pas deux fois moins malades que les Allemands et que la population allemande n'est supérieure que de 20 %, je le répète.
Nous avons réalisé en 2018, avec le conseil stratégique des industries de santé, un diagnostic qui a débouché sur un premier train de mesures visant à accélérer l'arrivée sur le marché des molécules innovantes, à mieux prendre en compte l'innovation dans le prix des médicaments, à desserrer la contrainte budgétaire sur l'enveloppe des produits de santé et à simplifier – la situation étant considérée comme plus complexe en France – la conduite des essais cliniques et de la recherche clinique.
Nous avons décidé un deuxième train de mesures en juillet dernier, là encore avec le conseil stratégique des industries de santé. Cinq experts ont travaillé pendant six mois pour réaliser un benchmarking international, notamment par rapport aux pratiques des États-Unis, d'Israël et de nos voisins européens, qui a notamment conduit au dispositif de mise sur le marché accélérée de molécules innovantes figurant dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Je rappelle qu'il faut à peu près 500 jours en moyenne pour qu'une molécule innovante arrive sur le marché, contre 120 ou 130 jours dans certains pays européens. Cette année de différence compte dans le plan de financement d'une start-up ou plus généralement d'une entreprise, de même qu'en matière d'oncologie, par exemple.
Afin d'accélérer les investissements, nous nous sommes pleinement saisis du cadre des aides d'État liées à la crise de la Covid-19. Entre l'appel à manifestation d'intérêt Capacity Building et le plan France relance, nous avons pu soutenir 166 projets de relocalisation développés par les industries de santé, tous secteurs confondus – les médicaments, les vaccins, les dispositifs médicaux et les dispositifs de diagnostic. De tels projets permettent notamment de relocaliser des principes actifs sur la plateforme de Roussillon et de contribuer à la fabrication de vaccins sur le plan européen avec des unités de conditionnement et finition (fill and finish). Grâce à un soutien public de 680 millions, 1,4 milliard d'euros d'investissements industriels ont été enclenchés, et 6 000 emplois doivent être créés ou confortés.
Nous allons poursuivre ces investissements. Le plan de relance visait à stabiliser et à consolider des filières, tandis que France 2030 tend à créer et à financer des filières d'avenir ou des produits qui n'existent pas actuellement. Je pense notamment à l'hydrogène bas-carbone et au moteur décarboné.
L'enjeu est d'accompagner les innovations technologiques et de passer le cap de leur industrialisation. En millions d'euros, la phase du prototype représente un ticket à deux chiffres et une usine un ticket à trois chiffres. Pour certains acteurs, notamment ceux qui sont issus de la recherche publique et deviennent des start-up, la marche est très haute. Savoir la financer est un enjeu. Les écosystèmes allemands, israéliens et américains y arrivent, et nous devons aussi savoir le faire en accompagnant les entreprises, de toutes tailles, si elles ont un projet d'innovation de rupture.
Le plan France 2030 est doté de 30 milliards d'euros de subventions, qui seront déployés sur cinq ans. Cela représente un soutien absolument massif. Dans les programmes d'investissements d'avenir, il y a toujours une part de fonds propres, une part de prêts et une part d'avances remboursables. Là, ce sont de véritables allocations budgétaires. Il faut probablement revenir au plan Messmer de mars 1974 pour retrouver une approche aussi ambitieuse pour l'industrie.
Au-delà des investissements, France 2030 traduit deux convictions majeures résultant de la crise.
D'abord, l'industrie doit être renforcée, car elle est la colonne vertébrale de notre économie. C'est là qu'on fait les exportations et la recherche et développement. La crise a mis fin, pour beaucoup de décideurs et de leaders d'opinion, à certains mythes : celui du Fabless, celui d'une recherche et développement se déployant sans usines – cela ne marche pas : les entreprises qui ont servi d'ateliers du monde ont remonté la chaîne de valeur et font désormais de la recherche et développement – et le mythe d'une France qui serait définitivement déclassée. Le nombre de projets qui nous sont remontés et dans lesquels les industriels prennent des risques importants témoigne du fait qu'on peut produire dans notre pays et qu'on peut être compétitif, à condition d'investir massivement dans la digitalisation des chaînes de production, d'être positionné sur un certain niveau de valeur ajoutée et d'avoir de l'innovation.
Par ailleurs, nous devons assumer d'être la grande nation industrielle que nous n'avons jamais cessé d'être. Cela implique notamment des choix en matière d'implantation et d'acceptation de sites industriels dans les territoires. Il faut être cohérent : si on veut réussir la transition écologique, ce sera en réindustrialisant notre pays. Il est inconséquent et irresponsable de renvoyer des productions polluantes à l'extérieur de la France, dans des pays qui n'ont pas du tout les mêmes contraintes environnementales et sociales que nous, au lieu d'assumer de produire en France en prenant toutes les précautions. C'est probablement cela la véritable écologie responsable.
S'agissant des compétences, il y aurait beaucoup à dire. La première question qui se pose est celle de l'attractivité des métiers, comme vous l'avez souligné, Monsieur le président.
J'ai fait réaliser par mes équipes une analyse de la perception de l'industrie par les Français. Un véritable hiatus existe : l'industrie est considérée comme polluante, comme mal payée et comme offrant des environnements de travail absolument pas désirables. Par ailleurs, il y a un mélange entre les activités, le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) étant considéré comme industriel, par exemple. On trouvera toujours des usines où les conditions de travail ne sont pas formidables, mais cette image ne correspond pas à l'essentiel de l'industrie et à la modernisation des conditions de travail.
Par ailleurs, certaines études ont montré l'existence d'un écart entre les besoins de compétences et la réalité. C'est tout l'enjeu du plan d'investissement dans les compétences qui a été lancé au début du quinquennat. C'est un travail de longue haleine, et il faut probablement se poser aussi la question plus générale de la formation aux sciences dures dans notre pays, depuis le plus jeune âge.
Vous avez raison, Madame la ministre déléguée, il n'est pas raisonnable d'envisager le renvoi, ailleurs, de productions polluantes. Cela vaut aussi pour le papier usagé.
Dans ce domaine, vos services ont travaillé sur un projet concernant l'ancienne papeterie Chapelle-Darblay, située dans mon département d'élection, qui était historiquement le premier site industriel de recyclage de papier. Le papetier finlandais United Paper Mills (UPM) a finalement décidé, en septembre 2019, d'abandonner cette usine. Après des discussions pour permettre le maintien en l'état de l'outil industriel, deux propositions de rachat ont vu le jour.
Veolia, avec l'industriel canadien Fibre Excellence, a proposé de produire 400 000 tonnes de carton ondulé, issu de papier pour ondulé, ce qui correspond à peu près à la vocation première du site – il était spécialisé dans le papier journal. Le projet de Samfi Invest et Paprec, qui a été privilégié par UPM, n'envisage pas du tout du recyclage sur place, mais une activité de tri de papier et de carton usagé, en vue d'un recyclage ou peut-être d'un brûlage ailleurs.
Votre ministère a été saisi de cette question. Où en sont les efforts pour permettre une solution industrielle française assurant un recyclage sur place, sachant que quatre-vingts collectivités locales sont prêtes à se mobiliser dans ce cadre ?
Je tiens à vous rassurer. Il existe à vingt kilomètres, à Alizay, une usine qui fait du recyclage de papier carton et qui vient d'être reprise par le groupe VPK. Cet acteur s'est longtemps intéressé au site d'UPM, mais a fait le choix de privilégier celui d'Alizay.
Veolia a finalement déposé une offre sans Fibre Excellence, qui a traversé quelques difficultés. Nous avons réussi, après dix mois de travail intense, à ce que le site de Tarascon, qui était très fragilisé, ne ferme pas. Nous avons accompagné, avec la Caisse des dépôts et consignations, l'installation d'une chaudière biomasse. Au moment de la présentation d'une offre ferme, Fibre Excellence n'était pas dans une situation lui permettant de confirmer son soutien au projet de Veolia, qui a assumé le risque de présenter une offre de son côté.
Le projet de Paprec, qui comprend aussi une chaudière biomasse – sur ce plan, il existe une certaine proximité entre deux grands acteurs qui ont un savoir-faire en matière de biomasse et qui vont pratiquer du tri – est accompagné par Samfi Invest. Ce projet ne concerne pas le papier carton, en effet, mais se positionnerait sur de l'hydrogène bas-carbone. Le projet est porté par une entreprise dont Air Liquide vient de prendre le contrôle, ce qui lui donne peut-être une dimension industrielle plus affirmée qu'au moment de sa présentation. Nous travaillons à faire en sorte que tant Veolia que Paprec confirment la dimension industrielle de leur projet. La partie concernant la biomasse étant assez similaire, ce qui est intéressant, c'est de voir ce qui est fait en plus, d'un côté dans le domaine de l'hydrogène bas-carbone et de l'autre en matière de recyclage de papier, étant entendu que l'usine d'Alizay va probablement prendre une partie des volumes de papier à recycler et qu'il faut une répartition raisonnable sur le territoire.
Voilà où nous en sommes. Je rappelle que c'est l'État qui a fait en sorte qu'il y ait des projets de reprise et qui a maintenu le site d'UPM pendant deux ans dans une situation d'attente, afin de trouver des solutions de réindustrialisation. Nous avons été constamment en contact avec les organisations syndicales, en particulier les représentants syndicaux qui restent, une partie des salariés ayant été reclassés depuis deux ans, et avec le président de la métropole, notamment au sujet de l'analyse juridique de ce qui peut être fait. C'est lui qui peut exercer ou non un droit de préemption. Un travail a lieu sur ce point, mais je ne peux pas en dire plus à ce stade. Notre objectif, pour ce site comme pour tous les autres, est de le densifier industriellement et de trouver des solutions alternatives à une activité qui s'est arrêtée il y a deux ans.
Merci pour votre réponse. J'aimerais croire que le projet retenu permettra de traiter l'ensemble du papier recyclé, car il serait absurde de l'envoyer ailleurs. Tel que je l'ai compris, le projet actuel ne semble pas la bonne voie à emprunter dans cette perspective.
Nous avons auditionné les filières du recyclage. Il faut absolument privilégier, d'une manière générale, le produit du tri et du recyclage en tant que matière première pour diminuer notre dépendance à l'égard de certains approvisionnements.
Je comprends que la capacité installée à Alizay est de 450 000 tonnes de papier recyclé. C'est à vingt kilomètres.
Merci, Madame la ministre déléguée. Je connais la géographie régionale.
Vous avez dit que la crise a été un accélérateur pour la réflexion. Dans quelle mesure le Gouvernement a-t-il repensé les objectifs de notre politique industrielle ? Avons-nous un objectif en matière de souveraineté industrielle en France ?
Je crois que le ministre de l'économie est parfaitement clair en ce qui concerne les fondements de la politique que nous menons. Nous avons un objectif de souveraineté économique et industrielle dans des secteurs tels que l'agroalimentaire, l'énergie et la santé, qui sont indispensables pour la vie des Français.
Lorsque nous investissons près de 9 milliards d'euros, compte tenu du plan France 2030, dans l'hydrogène bas-carbone, c'est précisément pour construire une souveraineté énergétique permettant de nous désensibiliser à l'égard des énergies fossiles dont nous dépendons pour certains procédés industriels ou pour des usages courants en matière de mobilité lourde.
De même, lorsque nous investissons 7,5 milliards d'euros dans la santé, à travers le plan Innovation santé 2030, annoncé par le Président de la République au mois de juillet, c'est pour retrouver une souveraineté perdue en matière de produits de santé. Nous avons fait un diagnostic et nous reconstruisons sur cette base. Parmi les maillons de la chaîne, il y a les principes actifs, qui sont matures et pour lesquels l'innovation n'a plus lieu d'être. Douze principes actifs seront ainsi relocalisés sur la plateforme de Roussillon. Il y a aussi les bioproductions et les thérapies cellulaires de demain. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités en 2017, la France avait développé, de mémoire, cinq thérapies de ce type, contre vingt pour nos concurrents allemands ou italiens.
Nous avons besoin de reconstruire des maillons critiques pour notre autonomie en cas de fermeture des frontières, ce que nous avons vécu dans certaines circonstances, et de nous projeter dans le futur en nous positionnant sur des maillons qui seront critiques demain. Nous avons ainsi considéré que le secteur de la 5G, de la connectivité et des semi-conducteurs était essentiel pour notre économie et nous avons appelé de nos vœux le lancement d'un équivalent de l'Airbus de la batterie en matière de cloud souverain ou de semi-conducteurs pour l'ensemble de l'Europe.
Enfin, cette souveraineté se veut française au sein de l'Europe. Nous avons tout intérêt à avoir une vision européenne des maillons critiques de la chaîne et à nous répartir le travail. La France n'a pas vocation à être présente partout, elle n'en a peut-être pas non plus la capacité. Nous avons besoin d'une vision qui soit à la fois européenne et nationale.
Je suis d'accord avec vous. Le Gouvernement a assigné plusieurs objectifs à la politique industrielle française, qu'il s'agisse de la production de produits vitaux, la localisation des productions stratégiques ou la promotion des filières d'avenir. Que pensez-vous de la proposition de certaines des personnes auditionnées de créer un grand ministère de l'industrie, de la recherche et de l'innovation ?
Qui définit les priorités industrielles de notre pays et détermine les secteurs vitaux ?
Le travail interministériel est indispensable pour coordonner avec cohérence ce qui est en amont de l'industrie, à savoir la recherche publique, la recherche appliquée, la recherche privée, les transferts vers l'industrie et l'énergie, essentielle à la compétitivité de nos entreprises.
Nous travaillons par conséquent en étroite collaboration avec le ministère de la transition écologique et le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. D'autres organisations sont possibles mais cette approche transversale est particulièrement importante. Nous devons également prendre en considération les politiques de formation et de développement des compétences. Ce sont les clés de la réussite de la réindustrialisation.
Les filières critiques sont définies en concertation avec le conseil national de l'industrie, qui est structuré en dix-neuf comités stratégiques de filière. Ces comités rassemblent des représentants des entreprises, en particulier un représentant des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et un autre des petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que des organisations syndicales, ce qui permet de mieux comprendre les dynamiques de chaque filière. Le terme de filière peut également désigner un ensemble d'activités puisque toutes les industries ne fonctionnent pas en filières, avec des donneurs d'ordres et des sous-traitants. C'est ainsi le cas des infrastructures numériques ou de la cybersécurité ?
Le conseil de l'innovation, qui réunit des experts académiques, des économistes, des patrons d'entreprise, les administrations concernées, notamment la direction générale des entreprises, réalise des études et formule des recommandations pour les politiques.
Au travers du secrétariat général pour l'investissement (SGPI), dont nous souhaitons faire évoluer la gouvernance, nous voulons disposer d'une équipe dont l'expertise permette de faire émerger les innovations de rupture, ce qui suppose d'accepter que de nombreux projets échouent pour qu'un réussisse. Le taux de réussite ne dépasse pas 15 %, ce qui ne répond pas forcément à nos critères habituels de bonne politique publique et de bon emploi des fonds. L'enjeu est culturel et collectif. Par ailleurs, si les politiques tracent la voie, les dossiers doivent être choisis par des experts qui ont la compétence nécessaire pour les instruire.
Le Parlement joue son rôle de contrôle, en multipliant les auditions autour du sujet de l'industrie pour réfléchir à la meilleure gouvernance possible. Ce travail nous permet d'améliorer nos politiques. Ainsi, dans le cadre du pacte productif, M. Guillaume Kasbarian s'est vu confier une mission relative à l'accélération des procédures obligatoires préalables à une implantation industrielle. Ses propositions ont permis d'enrichir les textes.
Pour conjurer la capitulation industrielle et rendre plus lisibles les différents dispositifs de décision, d'orientation ou de conseil, une grande loi d'orientation industrielle ne s'impose-t-elle pas ?
Si l'on s'en réfère aux grandes lois de programmation pluriannuelle de la recherche ou de programmation militaire, on comprend bien l'intérêt à fixer à moyen terme des lignes directrices en matière industrielle. Cependant, le dispositif doit rester souple pour permettre certains financements. Ainsi, nous voulons, par l'intermédiaire notamment de Business France, favoriser les investissements internationaux dans notre pays. On ne peut prévoir cinq ans à l'avance les occasions qui se présenteront. Le cas échéant, il faut être capable de les saisir et de transférer des crédits d'une filière à l'autre.
Cela étant dit, le contrôle que vous exercez et le travail d'évaluation accompli par le SGPI permettent de se projeter à long terme. Surtout, je m'y suis engagée, des parlementaires devront participer à la nouvelle gouvernance de France 2030, sur le modèle du comité de surveillance des investissements d'avenir du SGPI. L'évaluation est une donnée essentielle. Je pense à certains travaux de sénateurs qui ont permis de prévoir des étapes dans la construction d'une politique industrielle.
Le Parlement contrôle mais il peut aussi orienter et fixer le cap, par exemple dans le cadre d'une grande loi d'orientation industrielle.
Nous avons rencontré, hier, le commissaire européen M. Thierry Breton. La stratégie française doit être cohérente avec la stratégie européenne.
Pensez-vous que le manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne, signé en 2019, puisse se concrétiser alors que les règles de concurrence européennes ne semblent pas adaptées à cet objectif ? Est-il envisagé de faire évoluer ces règles sous la présidence française du Conseil de l'Union européenne ?
Le manifeste franco-allemand a été repris par la conférence ministérielle des amis de l'industrie, qui réunit treize pays. La communication de Thierry Breton autour de la politique industrielle, le 5 mai dernier, témoigne d'une vision beaucoup plus ambitieuse que celle qui était traditionnellement celle de la Commission européenne. Néanmoins, beaucoup de chemin reste à parcourir pour que soit acceptée une forme d'interventionnisme gouvernemental en matière de politique industrielle. Nous n'avons pas la même culture politique et ce qui peut sembler très naturel pour des Français l'est beaucoup moins pour d'autres, en particulier les ordolibéraux des pays nordiques, voire les Allemands. Vous avez sans doute pris connaissance des déclarations du parti libéral-démocrate allemand – Freie Demokratische Partei (FDP), sur l'interventionnisme gouvernemental dans certaines politiques. Dégageons d'abord une vision commune du rôle de l'État avant de réformer les règles de la concurrence.
Je m'engage, lorsque je serai à la tête du Conseil « Compétitivité » de l'Union européenne, à tenir une ligne de concurrence loyale qui permette de se prémunir contre un protectionnisme qui tairait son nom ou un repli sur soi, tout en sortant d'une posture naïve selon laquelle le marché européen serait ouvert à tous les prétendants à des parts de marché, ce qui nous mettrait à la merci d'acteurs non respectueux des règles du jeu.
Parmi les mécanismes que nous espérons voir adoptés durant la présidence française de l'Union européenne figure le projet de règlement relatif aux subventions étrangères. Nous prévoyons d'instaurer un contrôle de la Commission européenne sur les marchés publics et sur les opérations de consolidation ou de rachat par une entreprise étrangère d'un actif européen, afin de lutter contre les subventions de pays tiers qui provoquent des distorsions et nuisent à l'égalité des conditions de concurrence au sein du marché unique.
D'autre part, M. Franck Riester, ministre délégué chargé du Commerce extérieur et de l'attractivité, qui pilotera le Conseil « Commerce », aura pour mission de faire évoluer les règles de réciprocité dans les marchés publics.
Sous la direction de Mme Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, s'engagera une réflexion autour du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pour appliquer, en particulier aux importations d'acier, de ciment, d'engrais, d'aluminium, un prix du carbone équivalent à celui pratiqué sur le marché carbone européen.
Nous avons fait des propositions pour faire évoluer les règles de concurrence en matière de fusions-acquisitions. Tout d'abord, les opérations menées par des plateformes en situation de monopole doivent être contrôlées de manière particulière, au-delà du simple chiffre d'affaires de l'entreprise rachetée car il ne reflète pas la réalité technologique. Prenons le cas d'une plateforme numérique américaine comme Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA) ou chinoise comme Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (BATX), qui rachèterait une jeune pousse (start-up) européenne : si la technologie de cette start-up est très différenciante, l'opération doit être contrôlée au regard des règles de la concurrence, quand bien même le chiffre d'affaires ne dépasserait pas 15 millions d'euros.
Ensuite, nous souhaitons rendre plus dynamique l'approche des opérations de consolidation européennes. Il ne s'agirait, non plus de s'appuyer sur la répartition des parts de marché, telle qu'elle s'est faite dans le passé, pour s'inquiéter de l'existence d'un oligopole dont le consommateur serait prisonnier, mais d'analyser la manière dont ces parts de marché évoluent. Des acteurs étrangers ont pu prendre des parts de marché très importantes en quelques années. On a tous en tête le secteur ferroviaire et la possibilité, pour un acteur chinois, d'y entrer – ce qu'il a fait, d'ailleurs. C'est la contestabilité des marchés qu'il faut observer : combien de personnes répondent-elles à un appel d'offres ? Les prix sont-ils compétitifs ? Si c'est le cas, le consommateur n'est pas perdant, et la concurrence reste une réalité sur le marché.
C'est cette position que j'ai déjà eu l'occasion de défendre avec M. Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des finances et de la relance, soit au cours d'opérations particulières, soit pour faire évoluer le droit de la concurrence.
Aux États-Unis, la personne chargée de s'occuper des questions soulevées par le droit de la concurrence au sein de l'administration Biden partage cette vision de la contestabilité des marchés ou de la situation de monopole de certaines plateformes numériques. Nous pouvons espérer aboutir à un meilleur équilibre au niveau international. Le monde a évolué depuis les années 1990 et le droit de la concurrence doit s'y adapter.
Vous avez évoqué les nombreuses simplifications adoptées en faveur des entreprises. Je salue, à mon tour, les mesures prises pour soutenir et faciliter l'action des investisseurs et des chefs d'entreprise. Vous avez également rappelé les multiples dispositifs d'aide, notamment dans l'innovation et le développement. Les PME sont les grandes gagnantes du plan de relance, qui allie développement industriel et stratégie bas-carbone.
Je suis l'élue d'un ancien bassin houiller de Moselle dans lequel l'une des dernières centrales thermiques au charbon fermera dans quelques mois. Dans le cadre du projet de territoire, largement soutenu par les ministères, de nouvelles industries souhaitent s'implanter, notamment dans le domaine de l'hydrogène, de la biomasse ou de la chimie verte. Quelques obstacles administratifs demeurent mais les habitants sont très demandeurs.
Néanmoins, de nombreux chefs d'entreprise, surtout de PME, ont encore du mal à s'y retrouver entre les différents appels à projets, les multiples interlocuteurs, la complexité des dossiers à remplir. Souvent, ils renoncent à demander un soutien, ce qui peut freiner leur développement.
Que pouvez-vous dire à ces chefs d'entreprise qui renoncent ? Comment les orienter ? Qui pourrait être leur interlocuteur idéal ? Comment ce dispositif pourrait-il être amélioré ?
La question de l'accès des PME aux dispositifs étatiques est essentielle. Nous sommes loin d'être parfaits ! Nous avons eu à cœur, dans le cadre du plan de relance, de simplifier les dispositifs et de les faire connaître. Nous avons systématiquement appelé les entreprises, ce qui est nouveau. Les chambres de commerce et d'industrie ont passé 30 000 coups de téléphone pour contacter individuellement chaque entreprise industrielle de leur fichier. L'État en a passé 1 000 pour contacter les entreprises de taille intermédiaire de son côté. C'est sans doute ce qui explique qu'aujourd'hui, une entreprise sur trois soit accompagnée.
Et pourtant, la situation reste compliquée pour certaines entreprises. Elles ont beau être lauréates, elles doivent présenter, pour être payées, des pièces justificatives dont la liste ne leur semble pas claire. Quand elles les appellent, les services administratifs ne répondent pas toujours. La raison en est simple : surchargés de travail pour tenir les délais d'instruction des dossiers, ils n'ont pas le temps de décrocher. Nous devons améliorer ce fonctionnement.
Il conviendrait ainsi de s'appuyer sur les territoires pour relayer les informations : les chambres de commerce et d'industrie, les structures locales de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), voire celles du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) même si le secteur d'activité des services est plus représenté localement que celui de l'industrie.
Les régions peuvent également jouer un rôle important. Certaines se sont associées avec les services de l'État et la chambre de commerce et d'industrie pour proposer à leurs entreprises une plateforme téléphonique. Le bilan en est plutôt positif.
Enfin, la discipline est collective. Le souci d'être toujours plus précis et de toujours mieux cibler nous conduit parfois à proposer des dispositifs et un contrôle d'une extrême complexité. Peut-être serait-il préférable de faire confiance aux entreprises et de privilégier un contrôle a posteriori.
Quand cette stratégie portera-t-elle ses premiers fruits, pour l'emploi, la production industrielle et le commerce extérieur ? Selon vous, on ne rattrapera pas, en cinq ans, vingt ans de passivité. Faudra-t-il attendre encore vingt ans ?
Lorsque j'étais en école d'ingénieur, au siècle dernier, on disait déjà que l'on manquait d'ingénieurs et de techniciens. Pour beaucoup, c'est l'une des raisons du manque d'innovation en France. Avez-vous les moyens d'anticiper, en renforçant la formation des ingénieurs et des techniciens ?
S'agissant de l'emploi, les résultats sont déjà là puisque le nombre de postes a augmenté entre 2017 et 2019. À ce jour, 70 000 sont à pourvoir dans le secteur de l'industrie contre 40 000 avant la crise et le ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion dénombre 225 000 projets de recrutement.
Concernant le commerce extérieur, on peut penser que l'application du plan de relance explique en partie sa dégradation. Celle-ci, difficile à mesurer, n'est pas spécifique à une filière ou à une taille d'entreprise. Elle est au contraire générale et disséminée. Sachant qu'il faut deux à trois ans pour que les chaînes de production que nous soutenons s'installent et produisent, il faudra attendre autant pour obtenir les premiers résultats. Pour être parfaitement rigoureux, il faudrait une approche comparative des dynamiques des autres pays. Nous nous y employons rarement car nous pensons, à tort, que personne ne bouge pendant que nous agissons alors que tout le monde est en mouvement et en concurrence. Le benchmark est une technique importante pour évaluer les politiques publiques et comparer les nôtres à celles des autres pays, et pas seulement à celles de l'Allemagne, car nos principaux concurrents dans le mouvement de relocalisation, ce sont l'Espagne, le Portugal, l'Italie, éventuellement la Belgique.
Enfin, nous devons augmenter le nombre d'ingénieurs. Des enveloppes sont prévues dans le cadre du plan de relance et du plan France 2030 pour répondre aux besoins de formation dans les filières que nous développons. Nous devons aussi réfléchir aux manières de former. Certaines méthodes, qui recourent aux nouvelles technologies, sont plus compactes. Les Écoles 42 ou les écoles Simplon en témoignent.
Du fait de l'avancée de l'intelligence artificielle, des cols blancs pourraient être amenés à se reconvertir. Nous devons l'anticiper en simplifiant leurs démarches. Je préfère investir dans les compétences plutôt que dans un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).
Vous évoquez une approche ambitieuse de l'industrie. Pendant longtemps, il s'est dit que l'industrie appartenait au passé et qu'elle devait céder la place au tertiaire. Cela fait du bien d'entendre un autre discours. Il y a dix ans, lorsque j'étais de l'autre côté de la barrière, tout le monde me demandait de délocaliser. Je me suis au contraire battu pour numériser et robotiser l'usine.
Cela étant, les mots ne suffisent pas, l'action doit suivre. Vous avez évoqué le programme Territoires d'industrie. Ma circonscription compte de nombreuses entreprises puisque le secteur industriel rassemble 40 % de l'emploi. Une entreprise de limonade artisanale, L'Abeille, créée au XIXe siècle, a décidé de se diversifier dans la mise en bouteille de produits laitiers pour éviter, dans un souci écologique, que le lait ne soit transporté ailleurs avant de revenir. Le nombre de salariés passera d'environ 130 à 250. La construction des bâtiments est en cours.
Quels sont, d'une manière globale, les effets de Territoires d'industrie ?
J'ai souhaité, avec Jacqueline Gourault, que le dispositif des Territoires d'industrie soit le plus souple possible, pour répondre à la critique, qui est fondée, de complexité. Les élus territoriaux et les services de l'État travaillent en étroite collaboration pour faciliter le déploiement de nouveaux projets industriels. C'est, en quelque sorte, une nouvelle modalité de fonctionnement de la déconcentration et de la décentralisation.
Le fonds d'accélération des investissements industriels dans les territoires a permis d'accompagner 1 400 entreprises et de créer 27 000 emplois net. Nous avons sécurisé pour les régions 250 millions d'euros de crédit dans une logique à parité. Ce n'était pas la proposition initiale mais nous y sommes venus du fait du succès du dispositif auprès des régions.
Les taux de sélection des dossiers varient de 20 % à 50 % selon les régions. Certaines ont démarré très vite, d'autres ont pris un peu plus de temps et peuvent encore progresser.
L'encadrement temporaire des aides d'État aux entreprises, décidé suite à la crise sanitaire, prendra fin le 30 juin prochain et il sera alors plus difficile d'accompagner de nouveaux projets, dans le sens où l'assouplissement du dispositif pour des aides qui ne dépassent pas le seuil fixé par la règle européenne de minimis, soit 1,8 million, n'aura plus lieu d'être et qu'il faudra à nouveau se plier à une procédure complexe. Autant vous dire qu'en matière d'ingénierie, cela va changer la vie ! Ne devrions-nous pas tirer les leçons de cette crise et faire évoluer le cadre européen des aides d'État ?
Les entreprises de taille intermédiaire sont les grandes oubliées des politiques économiques car, à la différence des PME, elles ne sont pas considérées comme dignes d'être accompagnées sans avoir pour autant la puissance de feu des grands groupes qui disposent de structures de relations publiques et sont capables d'interagir avec l'État pour monter des projets, voire proposer des amendements. Pourtant, ce sont elles qui créent le plus d'emplois, qui ont la plus grande dynamique, qui exportent et qui sont les plus fidèles au territoire. On doit réfléchir à la manière de les prendre en considération dans nos politiques publiques.
J'ai eu le plaisir de vous accueillir à Compiègne pour la visite de l'école de production Sud Oise O'Tech, au cours de laquelle vous avez présenté la liste des trente-quatre lauréats de l'appel à manifestation d'intérêt, lancé pour doubler le nombre d'écoles de production d'ici à 2023. Ce fut l'occasion de demander à ces jeunes, dont les plus jeunes avaient 14 ans, comment ils avaient entendu parler de cette formation. Certains avaient reçu dans leur établissement la visite du directeur de l'école, d'autres connaissaient des amis qui l'avaient intégrée. Comment améliorer l'information ?
Notre objectif est de doubler le nombre d'écoles de production d'ici à 2023. Elles font partie de la palette des types de formation auxquelles les jeunes doivent pouvoir accéder. Seuls 1 000 élèves sont inscrits dans ces écoles. Elles sont, pour le moment, de petits contributeurs à la formation mais les résultats en matière d'insertion sont très bons, notamment pour les mineurs non accompagnés ou sortis du système scolaire, qui y retrouvent le goût de l'apprentissage et du travail. Un sur deux souhaite poursuivre ses études. L'encadrement et l'enseignement y sont pour beaucoup. Je tiens à préciser, car je lis des horreurs sur les réseaux sociaux, que ce dispositif entre dans le cadre de l'éducation nationale. Ces écoles préparent à l'obtention de diplômes d'État. Le droit du travail est respecté et il n'est pas question de contraindre les élèves à travailler sans rémunération.
Nous venons de mettre à jour une convention entre l'UIMM, l'éducation nationale et le ministère de l'industrie pour améliorer l'accompagnement, la sensibilisation, les stages de troisième, l'orientation. Nous n'avons pas traité cette dernière au niveau national parce qu'elle relève de la compétence des régions, mais nous devons renforcer la visibilité des formations et des débouchés. Il faut améliorer l'information sur la plateforme Affelnet (affectation des elèves par le net), faire des 54 heures dédiées à l'orientation une obligation et non plus seulement une recommandation, développer le mentorat dès le plus jeune âge car l'orientation se décide au collège. Pour intégrer des filières professionnelles d'alternance ou d'apprentissage, tout se joue avant le bac. Il faut y penser dès la quatrième ou la troisième. Nous réfléchissons à une plateforme qui réunirait toutes les offres adressées aux jeunes, en laissant éventuellement la possibilité aux territoires de la personnaliser. Il faut permettre aux jeunes d'obtenir le maximum d'informations en un seul lieu alors qu'elles sont aujourd'hui éparpillées dans un foisonnement de dispositifs proposés par l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP), l'éducation nationale, les régions, les agglomérations.
Ma question porte sur la production de médicaments – que l'on peut scinder en deux.
D'un côté, il y a les médicaments innovants, qui engendrent une forte valeur ajoutée et représentent la moitié, en volume, de la vente de médicaments en France. Vous l'avez dit dans votre propos introductif : l'objectif est que leur production progresse. Cela implique plusieurs ministères, notamment ceux chargés de la santé, de la recherche et développement et de la formation. Le point crucial est le prix, et diverses actions ont été engagées pour faire revenir en France la recherche et développement et la production dans ce secteur.
L'autre moitié de la vente de médicaments concerne les génériques. La baisse des prix incite leurs laboratoires fabricants, les génériqueurs, à les fabriquer hors de France, alors que, du point de vue industriel, produire un médicament innovant ou un générique revient à peu près au même. Prenons donc garde à ne pas trop baisser les prix, et élargissons plutôt le répertoire des médicaments génériques. L'Assemblée avait décidé, dans le cadre du projet de loi de financement de la société sociale pour 2019, l'extension de la possibilité de substitution aux hybrides, mais cette mesure n'est toujours pas appliquée. Pensez-vous qu'une action interministérielle permettrait d'être plus efficace en matière de production de médicaments ?
S'agissant du prix, la question peut être traitée au moyen du Comité économique des produits de santé (CEPS), en intégrant dans le prix l'empreinte industrielle de la production du médicament, déconnectée du contenu de l'innovation. Cela permettrait de valoriser une production en France ou en Europe. C'est ainsi que nous travaillons à la relocalisation de la production du paracétamol en France : Seqens va fabriquer le principe actif pour UPSA et Sanofi, qui prendront en charge la galénique et la distribution des boîtes.
D'autre part, vient d'être créé l'un des leaders mondiaux des principes actifs pharmaceutiques : EUROAPI, qui est une filiale de Sanofi. L'objectif est de faire de ce groupe le pivot de la production des principes actifs en Europe.
La question des génériques se pose à l'échelon européen, puisque nous soutenons le lancement d'un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) en matière de santé, sur le modèle de l'Airbus de la batterie. D'aucuns estiment que l'innovation est le seul enjeu, mais 80 % des principes actifs sont produits hors de l'Union européenne et il faut aussi apporter une réponse à ce problème. Cette réponse doit-elle prendre la forme d'un PIIEC ? La semaine dernière, mon homologue grec a défendu cette position lors du Conseil « Compétitivité » ; nous l'avons soutenu sur le principe.
La question est de savoir comment l'on finance le surplus de prix. Doit-on le considérer comme le coût nécessaire d'une assurance contre un défaut d'approvisionnement ? Je rappelle que le principe actif ne constitue qu'une partie de la galénique, et que sa production ne représente pas l'essentiel du coût de revient ; pour le paracétamol, par exemple, le principe actif ne constitue que 20 % du produit. Est-on prêt à payer pour cette assurance, et si oui pour quels types de production et pour quelle part du marché mondial ? C'est tout l'enjeu.
Je connais mieux la question des biosimilaires que celle des hybrides. Là encore l'enjeu est de savoir si l'on doit privilégier une molécule certes immature mais qui est fabriquée sur le sol national, ce qui peut avoir un intérêt budgétaire, du fait de l'impôt sur les sociétés et des cotisations sociales.
Je voudrais au préalable vous remercier, Madame la ministre déléguée, pour l'aide que vous avez apportée aux dossiers de ma circonscription.
Ma question porte sur les relations entre l'État et les collectivités territoriales. Vous avez évoqué les acteurs étrangers qui voulaient investir en France. Un spécialiste du blindage et de la sécurité souhaite s'installer sur un ancien site de Peugeot Stellantis. Les tractations durent depuis dix-huit mois, et la région et l'agglomération ne se sont toujours pas saisies du dossier. C'est l'État qui, de fait, le soutient.
Vous avez réussi à inverser la courbe du chômage, ce que nous attendions depuis longtemps – j'étais député dans la précédente législature. Vous dites qu'un emploi sur sept se trouve dans une entreprise étrangère installée sur notre sol. Comment faire pour mieux articuler l'action des collectivités territoriales, afin que les entreprises étrangères se sentent mieux accueillies et que l'on facilite leur installation sur notre territoire ? Elles peuvent aussi venir parce qu'elles ont un marché en France. Peut-on envisager des partenariats avec les entreprises françaises en matière de recherche et développement sur les produits du futur ?
La vision de l'administration centrale est que chaque investisseur étranger envisageant de s'implanter en France doit avoir une équipe de Business France comme interlocuteur. Dans un premier temps, il s'agit d'expliquer pourquoi choisir la France – pour des raisons de compétence, de coûts, d'incitation à l'installation, de logistique, de marché… Cela est fait en relation avec les collectivités locales, mais elles interviennent souvent en seconde ligne. Une fois que le choix de la France est acquis, il convient de le concrétiser en facilitant la conduite du projet et en accompagnant la demande de permis de construire, les procédures environnementales, etc.
S'il faut choisir entre différents sites français, nous nous efforçons de rester neutres tout en essayant de faire passer le message qu'il faut être dans l'émulation, non dans la compétition. Ce sont souvent les régions qui se trouvent à la manœuvre, et il y a un risque de surenchère – or il s'agit d'argent public.
Il faut en outre que les task forces fonctionnent. Nous privilégions les territoires qui ont du répondant, parce qu'on ne peut pas se permettre de perdre des dossiers. Or certaines agglomérations ne souhaitent de toute évidence pas accueillir ce type d'entreprises alors que d'autres, à proximité, font des pieds et des mains pour réintroduire de l'emploi industriel dans leur territoire et disposent des compétences nécessaires. Nous considérons qu'il est notre devoir que les projets d'investissement se concrétisent le plus rapidement possible.
Enfin, l'aide que l'on apporte aux entreprises étrangères, il faut aussi l'apporter aux entreprises françaises, qui sont parfois tout aussi perdues dans la jungle des dispositifs que les entreprises étrangères.
Tout d'abord, je vous remercie, Madame la ministre déléguée, pour l'aide apportée par le plan de relance dans le Bessin et la Côte-de-Nacre et, plus largement, dans le Calvados.
Comment percevez-vous l'évolution du rôle des régions en matière économique ? Quelle articulation entre l'État et les régions pour la mise en œuvre du plan de relance ?
Depuis mon entrée au Gouvernement, j'ai perçu une évolution dans la manière dont les régions pilotent le développement économique. Probablement s'agit-il des conséquences de l'avènement des grandes régions. Les équipes sont désormais constituées, et il y a aujourd'hui plus de répondant qu'il y a trois ans.
Néanmoins, le réflexe pavlovien de se tourner vers l'État central et vers Paris en cas de problème subsiste. Par exemple, au moment de la crise sanitaire, les fédérations du commerce et de l'artisanat ont fait appel à nous, et non aux régions. Quand nous leur avons répondu que cela ne relevait plus de la compétence de la direction générale des entreprises et que les équipes correspondantes n'existaient plus, il nous a été répliqué que ce n'était pas leur problème, que nous étions le ministère chargé de l'économie et que nous devions leur apporter une réponse. Bref, les acteurs territoriaux attendent une action de la part de l'État central.
Si l'on veut être efficace, il faut aussi travailler au niveau de la granularité, c'est-à-dire à l'échelle des communes et des agglomérations : pour tout ce qui est permis de construire, problème de voirie, connaissance du terrain, c'est là que ça se passe. Les régions sont très grandes, certaines ont la taille d'un pays européen, et leur action ne se situe pas au même niveau ; leur valeur ajoutée est de pouvoir composer des équipes compétentes et expérimentées, susceptibles d'accompagner les entreprises et de prêter un appui aux collectivités territoriales, par exemple en matière d'ingénierie, pour l'instruction d'un dossier de fonds propres, sur des questions d'urbanisme ou pour la passation d'un marché public. Une organisation efficace serait de partir de l'échelon de l'agglomération en s'appuyant sur la région, qui jouerait un rôle d'animation du développement économique, avec une articulation avec l'État, à travers par exemple la Team France Export et Business France. On a en effet besoin d'une connaissance nationale des projets et de privilégier les plus compétitifs : on ne va pas implanter des installations de production d'hydrogène bas-carbone de taille mondiale dans toutes les régions ! Certaines possèdent des atouts qui leur sont spécifiques ; une vallée européenne de la batterie électrique dans les Hauts-de-France, des pôles hydrogène bas-carbone en Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est et Occitanie, une implantation aéronautique en Occitanie et dans les Pays-de-la-Loire, l'agroalimentaire en Bretagne, la pharmacie dans la vallée de la Seine, tout cela a du sens. Tirons profit des atouts de chaque région et donnons-leur les moyens d'aller encore plus loin.
L'industrie automobile subit une crise de grande ampleur. Elle est confrontée à la fois à une pénurie de matières premières et au défi de la transition vers un véhicule moins polluant. Cela se traduit par une désindustrialisation de la filière variable suivant les territoires. En 2017, un grand nombre d'employés de l'équipementier GM&S à La Souterraine ont été licenciés ; l'entreprise MBF Aluminium, à Saint-Claude, a été placée en liquidation judiciaire, le projet de reprise par une société coopérative et participative (SCOP) présenté par les salariés ayant été jugé insuffisant ; la liquidation judiciaire de la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM), fonderie implantée à Viviez, a été prononcée par le tribunal de commerce de Toulouse après l'annonce par Renault de son refus de soutenir un projet de reprise. Qui est en train d'abîmer la filière équipementière en France ? Sont-ce les constructeurs ? La transition accélérée vers l'électrique ? Que fait le Gouvernement pour venir en aide à la filière ?
La question de la transformation de la filière automobile n'est pas spécifique à la France ; elle se pose à l'échelle européenne. À quel rythme cette transformation doit-elle se faire ? Tout dépend de la situation de départ. Certaines entreprises n'ont pas fait l'objet d'investissements depuis quinze ans. Ainsi, à l'usine de Bridgestone, qui ferme parce qu'elle n'est pas assez compétitive, on n'avait plus vraiment investi dans l'outil de production depuis 2006, lequel est de ce fait devenu obsolète : qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ! Cela n'a pas empêché Bridgestone d'utiliser les compétences de l'usine pour aller former des équipes polonaises… Cela soulève des interrogations sur la manière dont on conçoit le pacte social qui lie les salariés et l'entreprise qui les emploie.
Autre cas de figure, celui des sous-traitants de moteur thermique. On est là confronté à un double problème : d'une part, l'évolution de la consommation, d'autre part, le fait qu'un moteur électrique est, du point de vue industriel, beaucoup moins compliqué à construire qu'un moteur diesel, qui suppose l'assemblage d'un nombre plus grand de pièces à forte valeur ajoutée. Comment ces entreprises vont-elles se repositionner ? Quel sera le coût de la transformation des compétences ?
La réponse du Gouvernement est d'essayer de trouver par tous les moyens des repreneurs et d'examiner les possibilités d'investissement. Mais lorsqu'on ne trouve aucune solution susceptible de garantir durablement le maintien de l'emploi dans l'entreprise, il vaut mieux s'engager vers la reconversion du site industriel et des salariés, ou orienter ceux-ci vers des employeurs qui ont de l'avenir. C'est ce qui s'est passé avec Bridgestone : après le refus par l'entreprise du scénario proposé, qui s'assortissait d'un investissement très important qui aurait permis de réorienter le site vers une production durable, nous avons dit à ses dirigeants que dans ces conditions, il faudrait assurer la reconversion du site et que cela coûterait très cher.
Pour ce qui concerne la transformation environnementale, le plan de relance automobile a permis d'accompagner 349 sous-traitants vers la modernisation et la diversification, dont une vingtaine de fonderies. Nous avons créé un fonds spécifique pour celles-ci, afin de soutenir les salariés dans leur rebond professionnel et d'anticiper les besoins en compétences, étant entendu qu'il y a, à l'échelle nationale, 70 000 postes à pourvoir dans l'industrie et 225 000 projets de recrutement. À Béthune, le taux de chômage est ainsi passé de 16 % à la fin 2016 à 12 % au premier semestre 2021.
On note enfin une corrélation entre la robotisation et l'emploi. La robotisation assure des gains de production qui permettent d'obtenir de nouveaux contrats et de pérenniser les productions. De surcroît, elle améliore considérablement les conditions de travail. C'est pourquoi nous soutenons la modernisation des chaînes de production. Il ne faut pas avoir peur des robots.
Le taux de robotisation en France est en effet inférieur à celui des autres pays européens. Toutefois, il nous a été expliqué à plusieurs reprises que c'était en grande partie lié à la robotisation de l'industrie automobile, notamment en Allemagne. Les chiffres doivent toujours être pris avec prudence.
Le constructeur ArianeGroup s'apprête à supprimer 600 postes en France et en Allemagne d'ici à la fin 2022. Or l'accord franco-allemand signé en juillet 2021, qui prévoit un financement supplémentaire de 140 millions d'euros par an pour assurer la viabilité économique d'Ariane 6, prévoit le transfert outre-Rhin de la production du moteur réallumable de l'étage supérieur du lanceur, localisée depuis de nombreuses années à Vernon. Je ne comprends pas la logique industrielle qui a présidé à cette décision. Qui a négocié cet accord ? Pourquoi renoncer à un savoir-faire aussi stratégique ? Cela signifie-t-il que notre industrie spatiale, érigée en priorité du plan France 2030, devra se passer de lanceurs ?
Cet accord a été négocié par M. Bruno Le Maire, à qui le secteur spatial est directement rattaché, en liaison avec le ministère de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. L'objectif, essentiel, est d'assurer la compétitivité des lancements d'Ariane 6 ; aux termes de l'accord, chaque État contribuera pour partie à ce financement supplémentaire. Je rappelle que le concurrent d'ArianeGroup, SpaceX, dispose, lui, d'une fusée réutilisable et qu'il a été beaucoup « accompagné » – c'est une litote – par le gouvernement américain. ArianeGroup doit faire face à ce type de concurrent, ce qui n'est pas évident.
S'agissant des emplois supprimés, qui concernent essentiellement les fonctions support, le groupe s'est engagé à ce qu'il n'y ait aucun départ contraint. L'idée est de réorganiser la production en en transférant une partie en Allemagne de manière à pouvoir investir dans la fabrication des nouveaux moteurs destinés aux lanceurs spatiaux de grande taille, laquelle sera réalisée à Vernon. Ce sont, je crois, 50 millions d'euros d'investissement qui sont prévus. Il s'agit donc, non pas d'un arrêt total de l'activité de l'usine de Vernon, mais d'une réorganisation du portefeuille produits, qui ne porte pas sur les fonctions critiques et qui s'accompagne d'investissements et d'un ajustement des emplois qui sera conduit de manière exemplaire.
Nous avons compris, notamment à l'issue de l'audition du commissaire Thierry Breton, que l'Europe avait été un peu naïve dans la construction de son marché. Ne faudrait-il pas un Buy European Act afin de privilégier les productions européennes ? Ne devrait-on pas instaurer des clauses sociales et environnementales, notamment un mécanisme d'ajustement carbone, au sein du marché européen ?
Aujourd'hui, rien n'empêche d'introduire systématiquement des clauses sociales et environnementales dans les achats et commandes publics européens. C'est d'ailleurs ce que j'ai fait dans les nouveaux cahiers des clauses administratives générales : tout marché public français devra être soumis à une clause environnementale ; la clause sociale est optionnelle mais a été prérédigée de manière à sécuriser juridiquement l'achat. La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi climat et résilience », donne cinq ans aux acteurs publics pour intégrer de telles clauses dans chaque cahier des charges. Une autre clause permet de privilégier l'achat européen à partir d'un certain niveau de valeur ajoutée. Il faut s'en servir, même si elle est juridiquement complexe à mettre en œuvre – la Régie autonome des transports parisiens (RATP), qui souhaitait l'utiliser, a par exemple été confrontée au problème de la définition et de la mesure de la valeur ajoutée. Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, Franck Riester proposera en outre des clauses de réciprocité et je défendrai l'achat vert pour les marchés publics.
Il s'agit pour le coup d'un sujet sur lequel les régions pourraient être à la pointe, en aidant les collectivités locales à s'y retrouver en matière de commande publique et à faire des choix stratégiques, et non dictés uniquement par le moindre coût. La direction des affaires juridiques a diffusé des éléments visant à inciter les acteurs publics à utiliser l'ensemble des clauses disponibles afin que leurs achats soient plus responsables, plus verts, plus sociaux. Aujourd'hui, seulement 20 % à 25 % des marchés publics sont assortis d'une clause environnementale ou sociale : c'est nettement insuffisant. Si une clause sociale ne peut pas être systématiquement appliquée – tout dépend du marché et des capacités d'organisation locales –, la clause environnementale devrait être largement utilisée, ne serait-ce que pour prendre en considération le bilan carbone et l'empreinte écologique de la logistique.
Vous avez évoqué tout à l'heure un « pacte social » qui aurait été rompu par certaines entreprises. Comment réconcilier la France avec son industrie, et avec ces entreprises-là en particulier ? Que comptez-vous faire pour renforcer le dialogue social en interne, ce qui nous semble indispensable pour relancer une dynamique collective ?
Les mesures permettant de conclure des accords de performance collective (APC) et de s'écarter des accords de branche permettent selon moi de rendre leurs lettres de noblesse au dialogue social au plus près du terrain. L'enjeu est en définitive d'obtenir une meilleure protection pour les salariés, en faisant en sorte que l'organisation du travail soit adaptée à la situation de l'entreprise, et non issue de l'application d'une règle nationale indifférente à la forme de l'entreprise, à la nature et à la saisonnalité de son activité, à ses moyens et son expérience spécifique. Il s'agit d'une réforme extrêmement osée et courageuse. L'ancienne ministre du Travail, Mme Muriel Pénicaud, a engagé une transformation profonde, qui doit désormais être poursuivie et approfondie. Les APC sont encore trop peu nombreux et utilisés uniquement en cas de difficulté, alors qu'on pourrait tout aussi bien y recourir dans un contexte de croissance de l'entreprise.
La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE », a en outre renforcé le dialogue social, notamment en prévoyant des administrateurs salariés supplémentaires dans les conseils d'administration et en facilitant les accords d'intéressement. Pour l'avoir utilisé dans une vie antérieure, je trouve ce dernier outil particulièrement utile : on fixe les objectifs à atteindre collectivement pour que l'accord d'intéressement se déclenche ; se pose ainsi la question de la performance de l'entreprise, qui ne doit pas se mesurer uniquement en termes financiers – cela peut aussi passer, par exemple, par la satisfaction client, notion compréhensible par tous et susceptible de mobiliser l'ensemble des salariés. Dans le cadre du plan de relance, avant de prendre toute décision concernant l'attribution d'un financement, je demande aux entreprises d'en faire état devant leur comité social et économique (CSE) et qu'il soit un élément du dialogue social. C'est écrit noir sur blanc dans les 2 000 décisions que nous avons rendues. Nous ne sommes pas un simple guichet.
Merci, Madame la ministre déléguée, pour la qualité de vos réponses et la densité de nos échanges. Si vous avez des compléments à apporter, n'hésitez pas à les transmettre au secrétariat de la commission d'enquête ; nous les intégrerons à nos travaux.
Chers collègues, nous avons achevé notre cycle d'auditions. Je vous donne rendez-vous en janvier pour l'examen du projet de rapport.
La réunion s'achève à dix-sept heures.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament
Réunion du mardi 30 novembre 2021 à 15 heures
Présents. – M. Frédéric Barbier, M. Bertrand Bouyx, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Guillaume Kasbarian, M. Luc Lamirault, M. Gérard Leseul, M. Jacques Marilossian, M. Denis Masséglia, Mme Hélène Zannier
Excusée. – Mme Véronique Louwagie