Les auditions que nous avons réalisées ont été souvent passionnantes et ont permis des rencontres de haut niveau.
Nous sommes confrontés à un problème culturel, ce qui a de quoi inquiéter. En effet, nous sommes censés vivre dans une économie de la connaissance – car, même si nous ne devons pas perdre de vue l'économie de la production, les coûts chez nous sont élevés et la compétition, difficile. C'est donc de « matière grise » qu'il est question. Or, les deux métiers les moins valorisés du pays, et depuis bien longtemps, sont ceux de la transmission des savoirs – l'enseignement – et de la création de savoirs – la recherche notamment. Sans doute conviendra-t-il de réfléchir à ce problème si nous tenons à attirer vers ces métiers créateurs de valeurs et de richesses les meilleurs d'une génération, ce qui, en l'état, n'est pas le cas.
Nous sommes confrontés à un problème dans le domaine de l'éducation. Dans le primaire, 95 % des enseignants sont issus des sciences humaines et sociales. Comment pourraient-ils parler des technologies, des sciences et de l'industrie ? Nous devons réorganiser une véritable force de frappe afin que la culture scientifique et technologique entre dès le plus jeune âge dans les consciences. La plupart de nos interlocuteurs industriels nous ont expliqué qu'ils ne trouvent personne à embaucher ! En tant qu'universitaire, mes efforts restent vains : les amphithéâtres de droit et de psychologie sont bondés, un peu ceux de biologie, pas ceux de chimie et de mathématiques. Une reconquête culturelle s'impose.
Co-président d'une mission préparatoire de la loi de programmation de la recherche, je puis vous dire que, de 2011 à 2018, les investissements ont baissé de 30 %. Mes collègues avaient huit chances sur cent de décrocher un contrat de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ! Je peux vous assurer qu'ils en ont à peu près tous été découragés. Certes, la loi de programmation a prévu un investissement de 25 milliards sur dix ans mais je vous rappelle que, si M. Louis Gallois s'en est félicité, il a également déclaré que cette somme serait bienvenue… tous les ans !
En outre, il conviendrait de s'interroger sur les structures : qui fait quoi ? Ainsi, la politique du médicament relève du ministère de la santé, qui la pilote à travers l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Les médicaments représentent 10 à 12 % de l'ensemble des dépenses de la santé. Or, l'essentiel des économies à réaliser porte sur l'ONDAM. Sortons donc la politique du médicament du ministère de la santé ! Qu'il gère les hôpitaux – le travail ne manque pas ! Le médicament ne se réduit pas à la santé : c'est aussi un objet de recherche – mes collègues ont besoin d'avoir des perspectives et de valoriser leurs travaux – ainsi qu'un outil industriel majeur dans notre PIB. Avec la médecine personnalisée et les biothérapies, le modèle économique du médicament devra être réformé en profondeur et relever à la fois du ministère de l'économie et de l'industrie, du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, et du ministère de la santé. Souvenons-nous que Jean-Pierre Chevènement fut ministre de l'industrie et de la recherche ! Depuis, la politique de l'innovation s'est baladée entre plusieurs ministères… Je propose que la politique du médicament relève d'un ministère de la recherche et de l'innovation plus indépendant.
Vous avez évoqué la création d'une agence de l'innovation en santé. Sans doute serait-il opportun de créer une agence chargée de tout ce qui relève des financements, et de regrouper l'ANR et les programmes hospitaliers de recherche clinique.
Vous êtes-vous demandé combien nous comptons, en France, d'institutions publiques de recherche en virologie, pour rester dans l'actualité ? Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Institut de recherche pour le développement (IRD), Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), direction des sciences du vivant (DSV) du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Institut Curie, Institut Pasteur de Paris, Institut Pasteur de Lille, équipes d'accueil des universités, équipes de centres hospitaliers universitaires (CHU)… Et chacun travaille en silo ! Au début de la pandémie, personne n'est arrivé à savoir si quelqu'un travaillait sur les coronavirus ; il a fallu attendre plusieurs mois pour trouver Bruno Canard et une petite équipe du CNRS au fin fond du chemin Joseph-Aiguier, à Marseille. Cela ne peut pas fonctionner, sans compter que cela représente une dépense budgétaire colossale pour des résultats qui ne sont pas à la hauteur.
Il faut faire des efforts de valorisation. Je quitte à l'instant des collègues de l'Institut Curie. Quand ils veulent créer des start-ups, ils sont confrontés à tellement d'interfaces – CHU, INSERM, universités, sociétés d'accélération du transfert de technologies… – que cela décourage tout projet de valorisation. Nous attendons toujours un guichet unique.
Enfin, s'agissant des relations public-privé, il faudra bien que nous distinguions ce qui relève de l'État et ce qui relève du secteur privé. Il y a quelques années, nous avons voulu bâtir un grand programme France génomique 2025 : sur douze plateformes prévues, deux fonctionnent. Les services attendus ne sont pas au rendez-vous et les patients en paient le prix fort. Si nous avions laissé l'industrie s'occuper de la partie infrastructures sur la base d'une contractualisation intelligente, la partie analyse et protection des données relevant quant à elle du domaine hospitalier, nous n'en serions certainement pas là.