Intervention de Bertrand Coly

Réunion du jeudi 17 septembre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Bertrand Coly, conseiller du groupe des organisations étudiantes et mouvements de jeunesse du CESE :

Ces dernières années, notamment sous l'impulsion du groupe que je représente, le CESE a largement documenté la situation des jeunes dans notre pays en ce qui concerne l'accès aux droits et au logement, la place des jeunes dans les territoires ruraux, l'orientation scolaire, l'installation agricole ou l'enseignement supérieur. La société civile a, dans ce cadre, fait des propositions de politiques publiques.

Ces derniers mois, la crise sanitaire, économique et écologique que nous traversons et plus spécifiquement le confinement ont affecté fortement les enfants et les jeunes comme le mentionne la proposition de résolution qui a conduit à la création de cette commission d'enquête. Cette crise renforce souvent les constats du passé, mais elle invite aussi à repenser à court terme le sort d'un grand nombre de jeunes.

Depuis mars, le CESE et le groupe que je représente ont largement contribué à alerter régulièrement le Président de la République, à sa demande, des remontées de terrain dont nous étions informés. Ce sont ces éléments et quelques pistes que je tenterai de partager avec vous.

Nous constatons que la crise produit des effets à la fois sur les questions de formation, d'éducation, de précarité, d'insertion professionnelle et sur un certain nombre de publics fragiles.

En ce qui concerne la formation et l'éducation, la crise révèle des inégalités dans l'accès à l'outil Internet : on ne peut pas suivre sa formation tout à fait de la même manière selon que l'on dispose d'un ordinateur ou seulement d'un smartphone. La crise révèle des inégalités concernant la qualité de la connexion, cela a été dit, mais aussi dans l'usage qui en est fait : l'illectronisme existe également chez un certain nombre de jeunes. Les conditions de logement sont également importantes, en particulier dans le cas des logements exigus ou insalubres, avec des familles nombreuses. Ces facteurs ont affecté de façon significative l'apprentissage et la formation. Il en résulte des disparités très fortes entre les enfants ou les jeunes.

Dans le cas des élèves de maternelle et primaire, l'importance de l'école pour l'apprentissage du langage et du développement du lien social est connue. Le confinement a affecté fortement les apprentissages. Il est important d'évaluer les inégalités qui se sont creusées à la suite de ce confinement et de se doter d'outils pour essayer de les réduire.

Pour les jeunes en décrochage scolaire, il faut également réfléchir à des outils adaptés, sur tous les territoires. Un certain nombre de jeunes risquent de décrocher et il est nécessaire de les accompagner aussi psychologiquement dans cette période d'instabilité, d'anxiété, d'enfermement. Il faut donner la parole aux enfants et aux jeunes.

Pour les formations universitaires, le cadre physique a son importance et le semi-présentiel ou le distanciel tels que pratiqués aujourd'hui ont des conséquences fortes, notamment sur la capacité d'adaptation et l'autonomisation des jeunes qui rentrent dans le système universitaire. D'après les retours que nous en avons, les étudiants ne sont pas suffisamment accompagnés.

L'absence de contact social régulier avec les autres étudiants a également des conséquences sur la socialisation et sur l'entraide. Comme ce sont des outils de sécurisation des parcours, il est nécessaire de se pencher sur la question. Cette situation renforce le sentiment de solitude, parfois d'anxiété, et cet aspect psychologique est une question importante chez les étudiants.

La vie de campus, grâce aux organisations et associations présentes sur les campus, est un vecteur d'émancipation, de lien social et de confiance en soi. Il faut faire en sorte que cette vie puisse continuer malgré la situation actuelle.

La filière professionnelle a été très fortement impactée, d'une part par le décrochage qui, déjà important habituellement, est sûrement renforcé dans cette période et, d'autre part, par un déroulement anormal des formations puisque les mises en pratique n'ont pas toujours été possibles ces derniers mois. Le plan de relance a prévu un certain nombre de mesures pour la filière professionnelle. Il faut rapidement, au fur et à mesure, en mesurer l'efficacité et les adapter.

En ce qui concerne la précarité, la fermeture des structures à tarification sociale pendant le confinement a entraîné des restrictions alimentaires, des privations durant cette période pour les étudiants. Nous constatons plus globalement la perte d'un certain nombre de « petits boulots », dans l'économie informelle parfois, ce qui rend l'économie « de la débrouille » compliquée. Cela impacte fortement certains jeunes. L'accroissement du nombre de jeunes qui se présentent aux banques alimentaires est le signe malheureusement très fort d'une précarité qui s'installe et se renforce dans cette tranche d'âge.

Quant au renoncement aux soins, en 2018 déjà, un étudiant sur trois avouait avoir renoncé à certains soins faute de moyens financiers. Il est à craindre que ce phénomène soit renforcé.

Toujours en lien avec la santé, les clubs sportifs et de loisirs ont suspendu leurs activités. Ils peinent à redémarrer et un certain nombre de structures sportives de petite taille risquent même de disparaître, ce qui peut entraîner une sédentarité accrue des jeunes et des impacts sur leur santé à court et à long terme.

S'agissant de l'insertion professionnelle, les contrats d'intérim et les CDD ont été les premiers impactés par la crise. Ce sont souvent des contrats occupés par des jeunes. Ils sont privés de rémunération et, comme ils sont exclus du RSA, ils se retrouvent sans aucun moyen de subsistance.

La crise a aussi des impacts sur la situation des nouveaux diplômés, ce qui interroge d'autant plus que l'on perd en quittant le monde étudiant un certain nombre de soutiens tels que les bourses, des aides au logement, etc.

Le changement des règles de l'assurance chômage a été décalé, de même que la réforme de l'aide personnalisée au logement (APL) – mais elle risque de redevenir d'actualité prochainement ; en tout état de cause, il faut vraiment s'interroger sur l'impact que ces mesures produiront sur les jeunes, et les moins jeunes aussi d'ailleurs.

Concernant ces publics fragiles que sont les enfants et les jeunes en situation de handicap, notons la fermeture des établissements lors du confinement. Les prises en charge sont encore parfois compliquées ou réduites à cause des règles sanitaires. Il faut réfléchir aux conséquences de la crise, sur ces jeunes spécifiquement, pour leur développement et leur bien-être.

Le FFJ a évoqué la question des jeunes de l'ASE. Les sorties « sèches » à 18 ans de l'ASE ont été suspendues, ce qui a été salué par l'ensemble des acteurs. Il faudrait pérenniser cette mesure. Rappelons qu'un quart des personnes sans abri sont issues de l'aide sociale à l'enfance, ce qui doit nous interroger.

La problématique est assez proche pour les mineurs non accompagnés. Il faut d'abord s'assurer en cette rentrée de leur retour effectif dans les structures scolaires. Nous savons également que les dossiers de demande ont parfois été reportés. Les préfectures ont de vraies difficultés à prendre en compte les dossiers ; les files d'attente se sont allongées. Il faut donc s'assurer que ces mineurs sont bien accompagnés par des structures et qu'ils trouvent des solutions de logement, ce qui est tout de même le minimum.

Les deux grands enjeux sont donc la question financière et économique d'une part, le soutien et l'accompagnement de l'autre. La crise oblige à sortir de la question des dispositifs pour aller vers une logique de droits. Ce n'est pas nouveau. Le Commissariat général au plan disait dès 2001 dans le rapport Charvet qu'il fallait changer de logique en arrêtant de considérer le jeune entre 18 et 25 ans comme un enfant devant être pris en charge par sa famille, et en le traitant comme un citoyen à part entière. Un certain nombre de familles n'ont plus la capacité d'accompagner ces jeunes du fait de la crise, il faut donc absolument reconsidérer la situation, proposer un droit à la formation et à l'éducation et, plus globalement, aller vers une logique de droits pour faire entrer les jeunes dans la solidarité nationale.

Sur la question du soutien et de l'accompagnement des jeunes dans leurs difficultés, mais aussi dans leurs aspirations et leurs capacités à être des acteurs de la société, nous avons besoin de personnes pour accompagner les jeunes et les enfants en difficulté, pour les entendre, les prendre en compte de manière systémique dans l'ensemble des problématiques qu'ils rencontrent. Il faut permettre à tous les jeunes d'être acteurs de notre société. Les organisations de jeunes ou d'éducation populaire ont été délaissées ces dernières années. Elles rencontrent pour certaines de véritables difficultés économiques et ne sont plus présentes sur certains territoires. Il faut en faire un levier, car elles peuvent être très efficaces pour recréer du lien entre les jeunes et notre République.

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