Intervention de Naïm Shili

Réunion du jeudi 17 septembre 2020 à 11h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Naïm Shili, co-secrétaire général de L'Alternative – Union syndicale et associative :

En premier lieu, je tiens à vous remercier d'avoir organisé cette commission d'enquête et ces auditions, car la façon dont les jeunes ont vécu et vivent encore cette crise constitue un sujet essentiel. Cette crise a représenté un révélateur des deux problèmes majeurs que connaissent les étudiants et les étudiantes ces dernières années, à savoir la précarité étudiante et le déficit de moyens dans l'enseignement supérieur. On peut considérer que les difficultés financières des étudiants, l'augmentation continue de la pauvreté étudiante, les amphithéâtres bondés, etc. constituent des sujets récurrents, évoqués chaque année, et que le discours est connu. L'augmentation de la pauvreté et de la précarité étudiante ces dernières années est une réalité qui perdure sans que l'on agisse pour faire évoluer cette situation.

Ce constat est consécutif à l'effet de mesures telles que l'arrêt de l'indexation des bourses sur l'inflation, disposition d'ailleurs revue dans le cadre de la crise sanitaire. Néanmoins, préalablement, la volonté du Gouvernement visait à faire en sorte que les bourses augmentent à un niveau inférieur à celui de l'inflation. Des conséquences identiques sont observées à la suite de la diminution des aides personnalisées au logement (APL), de l'indexation sur l'inflation des frais d'inscription, etc. Peu à peu, ces mesures successives érodent le budget des étudiants. Certaines de ces dispositions ont été annulées dans le cadre de la crise. Néanmoins, la précarité des étudiants était déjà prégnante avant la crise et il n'était pas nécessaire d'attendre la crise pour poser ce constat.

Je tiens à rappeler qu'au mois de novembre de l'année dernière, de nombreuses manifestations avaient mobilisé les étudiants des universités à la suite de l'immolation d'un étudiant devant un CROUS. Ce drame avait permis de focaliser l'attention sur la situation des étudiants, mais pas ou peu de mesures s'en étaient suivies.

Le confinement a donc agi, en effet, comme un révélateur, mais de situations préexistantes. Il en est de même du constat du manque de moyens des universités et, par là même, de la surcharge des amphithéâtres, qui ne constituent pas des faits nouveaux, mais que la nécessité de maintenir une distanciation sociale a rendu plus visibles, posant encore plus de problèmes que dans le passé. Au cœur de cette crise, nous « payons les pots cassés » de politiques qui n'ont pas été en mesure de régler dans le passé ni la précarité étudiante ni le déficit de moyens dans l'enseignement supérieur, ce qui n'a pas permis un fonctionnement optimum, notamment auprès des étudiants de première année. Ce constat s'est confirmé au cours de la crise. En effet, de nombreux étudiants ont perdu leur travail et ne disposaient d'aucun filet de sécurité pour leur survie.

La situation a été amplifiée en premier lieu par cette anomalie française qui prive les jeunes du bénéfice du RSA. Avec le Luxembourg, la France est le seul pays européen dans lequel les jeunes ne sont pas éligibles au minimum social garanti dans le pays.

En second lieu, force est de constater que le système d'attribution des bourses est déficient en France. Les résolutions font état de 38 % de la population étudiante bénéficiant de bourses. En réalité, ce pourcentage s'élève à 31 %, les 7 % restants sont constitués de bourses au mérite ou de bourses régionales dont les montants sont généralement inférieurs aux bourses attribuées par le CROUS. Le système de bourses est déficient notamment parce que le montant des bourses est calculé en fonction des revenus des parents et que l'échelon le plus élevé est inférieur de 500 euros au seuil de pauvreté. Il ne peut donc pas répondre efficacement à la problématique de la précarité étudiante, ce que la crise du coronavirus a nettement mis en exergue.

La déficience du système social est démontrée et, selon nous, la réponse du Gouvernement n'a pas été à la hauteur de ce constat. D'une part, la décision d'attribuer une aide de 200 euros aux étudiants qui avaient perdu leur emploi a été prise très tardivement. D'autre part, cette dotation avait un caractère exceptionnel et n'était donc pas reconductible alors que les situations de précarité ont perduré. En outre, le montant de cette aide s'est avéré très insuffisant, car il était souvent bien inférieur à ce que gagne un étudiant, soit en travaillant, soit en suivant un stage en entreprise. Enfin, les critères permettant de bénéficier de cette aide étaient extrêmement stricts. On sait que de nombreux étudiants travaillent sans être déclaré – baby-sitting et autres travaux – et ne disposent d'aucun contrat de travail, ce qui les a exclus de la dotation. Il n'est pas nécessaire de lister l'ensemble des critères auxquels il fallait répondre pour bénéficier de cette aide pour se rendre compte qu'elle ne répondait pas à la situation.

Les dispositions prises pour cette rentrée universitaire demeurent floues. Pendant la période des examens, le ministère avait établi un cadrage. Toutefois, celui-ci ne variait pas d'un établissement, d'un département, d'une composante ou d'une filière à l'autre ; les modalités d'examen applicables différaient en fonction de chaque matière. Les consignes du ministère n'étant pas suffisamment précises, les universités refusaient de s'y plier et, ainsi, se déchargeaient sur leurs composantes, qui à leur tour se déchargeaient sur la filière, qui se déchargeait enfin sur les enseignants. En conséquence, au sein d'une même filière, en fonction des matières, les étudiants étaient notés selon des modalités différentes, ce qui ne serait pas arrivé dans le cadre d'une évaluation normale.

Comme l'a indiqué l'UNEF, la situation n'a pas été clarifiée pour cette rentrée universitaire. La préparation de la rentrée est à géométrie variable en fonction des universités, tandis que la problématique des masques est récurrente, quel que soit l'établissement. Aucune distribution gratuite et massive de masques n'a été prévue pour les étudiants alors que nul n'ignore que cela constitue un budget assez élevé. La plupart du temps, les étudiants portent un masque, en effet, mais un seul, alors qu'il serait nécessaire de le remplacer toutes les trois ou quatre heures. Lorsque les étudiants ont cours toute la journée, le masque pose un problème très concret. D'ailleurs, certains utilisent le même masque jour après jour.

Certaines universités ont finalement décidé de distribuer des masques, mais pas sur leurs fonds propres, parce qu'elles n'en ont pas les moyens. Elles les financent avec les fonds de la contribution de vie étudiante et de campus (la CVEC) qui est en fait une taxe d'un montant de 93 euros dont chaque étudiant s'acquitte pour s'inscrire à l'université et qui est censée financer la vie étudiante (sport, culture, santé, etc.). L'Alternative est très critique sur cette taxe dont elle estime qu'elle devrait être supprimée, mais ce n'est pas le sujet. Quoi qu'il en soit, puisqu'elle existe, elle devrait être utilisée dans le cadre de la vie étudiante et non pas pour fournir gratuitement des masques aux étudiants. Si tel doit en être l'usage, nous pensons que les étudiants préféreraient garder leurs 93 euros pour financer leur rentrée plutôt que de voir cet argent utilisé à l'achat de masques qu'ils auraient pu s'acheter eux-mêmes.

En conclusion, nous avons identifié trois axes majeurs sur lesquels il est nécessaire d'agir.

Il convient tout d'abord de traiter la problématique de la précarité étudiante notamment via l'ouverture du RSA aux jeunes de moins de 25 ans. Cette revendication est largement partagée par l'ensemble des organisations de jeunesse. Dans ce cadre, il importe également de revoir le système d'attribution des bourses, notamment en cessant de calculer leur montant en fonction du revenu des parents. Les statistiques révèlent que 20 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté. Je tiens à relativiser ce chiffre qui supposerait que 80 % des étudiants dépasseraient le niveau de pauvreté qui s'élève à 1 000 euros par mois. Actuellement, c'est faux. 80 % des étudiants ne disposent pas d'un minimum de 1 000 euros par mois pour vivre. Ce pourcentage est souvent calculé sur la base des revenus des parents alors que le constat de la pauvreté étudiante est bien plus vaste et que même les statistiques n'en mesurent pas l'étendue.

Nous croyons ensuite nécessaire d'augmenter les moyens attribués à l'enseignement supérieur avec, notamment, bien sûr, l'attribution de places supplémentaires. Par ailleurs, l'ouverture de nouvelles classes de travaux dirigés constitue une mesure qui pourrait être mise en œuvre immédiatement par le biais de la titularisation de l'ensemble des enseignants et enseignantes qui exercent actuellement dans l'enseignement supérieur sans disposer d'un contrat fixe, mais sous forme de vacations ou dans le cadre de contrats courts. Leur titularisation permettrait d'ouvrir de nouvelles classes de travaux dirigés et de répondre à la problématique de surcharge des classes.

Nous préconisons enfin de rétablir l'aide à la recherche du premier emploi, mais en la modifiant. En effet, il est nécessaire d'élargir les critères de son attribution de sorte à augmenter le nombre de bénéficiaires. Il convient également d'en revoir les montants à la hausse de sorte qu'elle atteigne le niveau du RSA. En outre, cette aide financière devra être complétée de mesures d'accompagnement à la recherche d'emploi, comme pour certains dispositifs tels que la « Garantie Jeunes ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.