Intervention de Jacques Smith

Réunion du jeudi 17 septembre 2020 à 11h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jacques Smith, délégué national de l'Union nationale-interuniversitaire (UNI) :

Je tiens à vous remercier sincèrement de nous auditionner sur le sujet de la crise sanitaire et, de manière plus générale, sur les conditions dans lesquelles la jeunesse effectuera sa rentrée en cette année 2020. Cette rentrée est en effet importante et très stratégique, non seulement en raison de la crise sanitaire que nous traversons, mais également parce que les établissements d'enseignement supérieur, et notamment les facultés, ont été fermés depuis le début du mois de mars, soit plus de six mois, fait avéré qui est trop peu souvent évoqué.

Dès le début du confinement, les membres de l'UNI avaient tenté d'alerter le ministère et les pouvoirs publics quant à la nécessité de préparer cette rentrée. Nous avons d'ailleurs regretté que les rencontres prévues avec le ministère – en visioconférence, bien évidemment, en raison du confinement – se raréfient à mesure que le confinement avançait, que la crise avançait, alors même que la rentrée se rapprochait.

Mes trois collègues ont évoqué les images des amphithéâtres bondés qui tournent sur les réseaux sociaux. Bien évidemment, le respect des distances de sécurité et des mesures de distanciations sociales s'est avéré impossible. Nous fustigeons ce défaut de préparation, cet amateurisme du ministère et des pouvoirs publics et cette incompétence du ministre à préparer une rentrée qui se révèle une catastrophe. Nous l'avions anticipé et c'est la raison pour laquelle nous avions souhaité préparer cette rentrée en amont.

Les organisations étudiantes sont en mesure de vous faire des propositions. Au cœur de cette crise sanitaire, il leur incombe de responsabiliser les étudiants, de leur faire prendre conscience de la réalité de la crise sanitaire que nous traversons et de leur responsabilité individuelle dans le respect des gestes barrières et des distanciations sociales. Les organisations étudiantes assument également une charge de communication et un rôle de « courroie de transmission » entre le ministère, les pouvoirs publics et les étudiants. Elles sont bien sûr très enclines à assumer ces fonctions, notamment parce que, malheureusement, les décisions du ministère et des établissements sont prises « à la va-vite ». À titre d'exemple, les prérentrées de l'université de Paris I, notamment en droit, étaient prévues en présentiel. Or décision a été prise le lundi de leur déroulement à distance, ce qui signifiait que les étudiants n'auraient pas cette réunion de prérentrée qui leur permet de préparer leur année universitaire. Face à de tels évènements, nous essayons de communiquer le mieux possible, mais ce n'est pas toujours facile. Néanmoins, nous poursuivrons nos actions de communication le plus efficacement possible, et ce tout au long de l'année universitaire.

Lors des échanges que nous avons eus avec le ministère au cours du confinement, nous avons essayé de lui fournir des éléments les plus précis possible. Malheureusement, nous constatons que les cours à distance, les formations à distance, les examens à distance ont bradé la valeur des diplômes et du niveau de formation des étudiants. C'est la raison pour laquelle il est essentiel de revenir à un enseignement dispensé totalement en présentiel.

Certes, nous pourrions revenir sur le « Plan Jeunes » et sur le plan proposé par le Premier ministre, Jean Castex, ou encore sur le prix fixé à un euro pour le repas universitaire des boursiers, mesure qui va bien évidemment dans le bon sens, mais qui exclut les étudiants non boursiers issus de classes moyennes. Nous le regrettons et nous souhaitons que les pouvoirs publics aillent plus loin et prennent des mesures qui touchent l'ensemble des étudiants parce que la classe moyenne sera très impactée par la crise économique et sociale à venir.

Nos propositions se déclinent en trois grandes priorités. Au risque de peut-être passer pour un intrus par rapport à mes trois collègues, je vais essayer d'être pragmatique et réaliste, d'éviter de demander davantage de dépenses publiques et davantage d'argent dans les universités, bien que des investissements du ministère soient indispensables.

Tout d'abord, il convient de s'attacher à la qualité de la formation et à la valeur des diplômes. L'enseignement dispensé à distance a porté préjudice aux étudiants et à leur niveau de formation. Certaines associations de professeurs et d'étudiants de la Sorbonne ont demandé que l'année soit validée pour l'ensemble des étudiants. Dès lors, un étudiant qui avait obtenu une note de 7 réussissait son année. L'UNI a été la seule association étudiante à s'opposer à cette disposition, appelée « le 10 pour tous », parce qu'elle pénalise la valeur du diplôme et va bien sûr à l'encontre de toute notion de mérite et de justice sociale. Il est donc indispensable de préserver la qualité de la formation. Lorsqu'on entre à l'université, on espère obtenir un diplôme qui ouvre sur un métier. Les jeunes revendiquent la valeur de leur diplôme, et nous y serons très attentifs cette année. C'est la raison pour laquelle il est essentiel de dispenser des cours en présentiel et je pense que nous partageons tous ce point de vue.

La lutte contre la précarité étudiante constitue une deuxième priorité. La crise économique induira une crise sociale qui aura un impact sur les étudiants. Je partage l'avis de mes collègues relativement à la nécessité d'engager une véritable réforme structurelle du système de bourses, notamment en le linéarisant afin de limiter l'effet de seuil qui touche les classes moyennes sur la situation desquelles je me permets d'insister. Il conviendrait également d'intégrer la notion de mérite dans l'attribution des bourses afin qu'elles ne soient pas limitées à des critères sociaux. Les étudiants bénéficiaires des bourses qui obtiennent de bons résultats pourraient faire l'objet d'une récompense, selon un système établi de bonus. Cette notion existe déjà, mais il importe de l'intensifier. A l'inverse, il n'est pas acceptable qu'un étudiant qui remplit les critères sociaux ne se rende jamais en cours et assiste uniquement à la dixième séance de travaux dirigés, au mois de décembre, afin de faire cacheter le document qui validera sa bourse. Il est donc essentiel de mettre également en œuvre un dispositif de lutte contre la fraude aux bourses qui permettrait, en outre, de dégager des fonds.

Il importe également de rétablir l'APL, unique dispositif dont bénéficie l'ensemble de la communauté estudiantine. Les organisations d'étudiants s'accordent toutes sur ce point, car le logement constitue une priorité pour les étudiants. Plutôt que de réclamer encore davantage de dépenses, nous suggérons d'alléger les charges des propriétaires qui louent des logements à des étudiants. Cela constituerait une mesure d'allègement et non de contrainte.

Au regard de la décision du Premier ministre d'établir à un euro le montant du ticket restaurant pour les étudiants boursiers uniquement, nous suggérons la mise en œuvre d'un ticket restaurant étudiant unique qui permettrait aux étudiants délocalisés dans des zones qui ne disposent pas d'un restaurant universitaire de se nourrir dans d'autres établissements au même prix. Cette disposition n'exclurait aucun étudiant et ne serait pas réservée aux boursiers.

S'agissant de l'accompagnement des étudiants dans la crise, je souhaiterais revenir sur la problématique de la CVEC. Il s'agit véritablement d'une taxe imposée à des étudiants alors qu'ils ne sont pas encore entrés dans la vie active. Chaque étudiant doit s'acquitter chaque année d'une taxe de 92 euros pour avoir accès à l'enseignement supérieur français. Nous ne sommes pas d'accord avec cette disposition. Pour autant, nous ne partageons pas l'avis de nos collègues et nous considérons que puisque cette taxe existe, il est essentiel qu'elle fasse l'objet d'une redistribution et, pourquoi pas, serve à l'achat de masques. Il s'agirait d'une réelle redistribution aux étudiants alors qu'actuellement, il n'existe aucune transparence quant à l'utilisation des fonds constitués par cette taxe étudiante. Vous nous dites qu'ils sont destinés à la vie universitaire, mais nous pensons qu'ils sont redistribués à des associations. Or lorsqu'on lève des taxes auprès d'une communauté, la transparence quant à l'utilisation des fonds générés relève d'une responsabilité élémentaire. L'achat de masques avec ce budget clarifierait la situation et ces fonds seraient utilisés à l'accompagnement des étudiants dans la crise sanitaire.

Une autre de nos propositions consisterait à créer des centres de dépistage du Covid-19 à proximité des campus afin d'éviter aux étudiants de faire la queue pendant des heures.

Enfin, notre troisième axe prioritaire, peut-être le plus important, réside dans un rapprochement entre le monde universitaire et le monde de l'entreprise. Les étudiants étudient pour obtenir un diplôme qui leur permettra ensuite de s'insérer dans le monde du travail. La crise sanitaire a mis en exergue des difficultés que nous évoquons depuis longtemps. Notre proposition majeure consisterait à mettre en œuvre un allègement des charges fiscales et patronales pour les employeurs à l'embauche d'un nouveau diplômé de moins de 30 ans, et ce, pendant deux ans. Une telle disposition permettrait, notamment au cœur de cette crise, d'accompagner l'insertion professionnelle de milliers de jeunes qui arrivent sur le marché du travail dans cette période complexe, malheureusement pour eux. Le député des Républicains M. Guillaume Pelletier avait fait une proposition dans ce sens qui a été massivement rejetée par la majorité présidentielle. Nous suggérons de réitérer cette proposition.

S'agissant de l'insertion professionnelle et de l'accompagnement des étudiants, il est clair que des investissements s'imposent et cette nécessité est encore plus prégnante cette année. Ces investissements devraient porter sur des cellules de professionnalisation des études qui mettraient en place des banques de stages, etc. Il en existe quelques-unes, mais il est indispensable de développer ce dispositif, cette année plus encore que par le passé, en raison de la crise sanitaire qui complexifie la situation des nouveaux diplômés.

En résumé, selon nous, les trois axes prioritaires résident d'abord dans la préservation, au cœur de la crise sanitaire, de la qualité de la formation de nos 2 700 000 étudiants de l'enseignement supérieur. En second lieu, il importe de les accompagner dans la crise économique et sociale et enfin, de leur faciliter une insertion professionnelle qui constitue l'objectif de tout étudiant.

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