Intervention de Sylvie Hubinois

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Sylvie Hubinois, membre du Syndicat national des pédiatres français :

Je suis pédiatre libérale en Ile-de-France et je représente le Syndicat national des pédiatres français puisque sa présidente, qui vous envoie toutes ses excuses, n'a pas pu se libérer. Je suis également vice-présidente du CNPP et ancienne présidente de l'Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA). A ce titre, je travaille avec le bureau du SNPF.

J'ai continué à travailler, comme quasiment tous les pédiatres, pendant le confinement. Nous n'avons pas constaté d'interruption d'activité. En revanche, nous avons connu une importante modification de notre activité, puisque selon les recommandations des sociétés savantes (AFPA et SFP), nous avons recentré notre activité sur les plus jeunes enfants afin d'éviter une rupture des calendriers vaccinaux. Chez les pédiatres, cette stratégie a plutôt bien fonctionné. Les messages sont bien passés et les calendriers vaccinaux ont été bien respectés, comme en temps normal.

Nous avons également été particulièrement attentifs aux bébés en sortie de maternité, puisque ces sorties ont eu lieu de façon plus précoce qu'en temps normal. Les pédiatres ont donc examiné des enfants dans leurs premiers jours de vie, y compris avant la visite classiquement recommandée dans les six à dix jours. Notre activité chaque matin consistait donc à examiner les plus petits enfants bien portants.

Pour les plus grands, nous avons assuré le suivi des enfants qui en avaient vraiment besoin. Nous avons plutôt reporté les vaccinations des 6 à 11 ans, puisque ces vaccinations peuvent attendre quelques mois, mais toujours en s'efforçant de fixer un rendez-vous à la fin du printemps et à la sortie du confinement, afin de limiter les retards de vaccination. Pour les pathologies chroniques, nous avons continué à suivre les enfants qui en avaient vraiment besoin, sans toutefois les recevoir en même temps que les bébés.

Les urgences, comme l'a indiqué M. Delacourt, ont très vite diminué. Au début du confinement, elles représentaient comme en hiver une importante partie de notre activité, puis en dix à quinze jours, les urgences ont quasiment disparu du fait de l'arrêt des activités en collectivité. Nous avons rencontré très peu d'enfants suspectés de covid-19 dans les cabinets.

Cette crise nous a permis de mettre en œuvre la téléconsultation, que peu de pédiatres pratiquaient auparavant. La téléconsultation nous a bien aidés pour la prise en charge d'un certain nombre de pathologies chroniques. Nous avons pu réaliser des téléconsultations pour obésité ou pour suivre des troubles de l'apprentissage. La téléconsultation a permis d'aider les parents des jeunes enfants, qui sont souvent perdus face à des situations qui ne nécessitent pas un déplacement chez le pédiatre. L'on a constaté une recrudescence du nombre de jeunes enfants, mais aussi de plus grands, qui ont manifesté des troubles du sommeil, du fait du changement de leur rythme de vie et parfois en raison d'un confinement hors du domicile, puisque beaucoup de Franciliens se sont éparpillés sur le territoire national. La téléconsultation a permis de garder le contact avec ces familles et de donner des conseils d'alimentation, par exemple.

La situation sanitaire a nécessité un important travail pour réorganiser nos cabinets et espacer les rendez-vous afin de limiter la fréquentation des salles d'attente. En effet, les pédiatres travaillent en temps normal souvent avec plusieurs bureaux pour gagner du temps. Nous avons installé des sens de circulation pour éviter que les patients ne se croisent, mis à disposition du soluté hydroalcoolique, du savon liquide, et vérifié que tous les patients se présentent masqués, ce qui n'était pas toujours facile au début.

Nous avons connu des problèmes d'organisation au niveau de l'approvisionnement, notamment en masques au début du confinement, avant que la situation ne s'améliore grâce aux efforts du gouvernement. En revanche, pour les solutés hydroalcooliques, le savon liquide, le désinfectant, nous sommes encore à ce jour confrontés à des difficultés d'approvisionnement auprès des fournisseurs, avec des délais fortement allongés. Pour les cabinets, cette situation constitue un véritable problème et nous consacrons beaucoup de temps à rechercher ces produits.

Un important effort a été accompli, tant au syndicat qu'à l'AFPA, pour former les pédiatres. Nous avons très régulièrement organisé des classes virtuelles sur le covid-19 animées par des spécialistes. Le syndicat a également réalisé des flash d'informations par mail plusieurs fois par semaine, à chaque évolution des modalités d'accueil et de prise en charge dans les cabinets. L'AFPA a tenu son site internet à jour quotidiennement.

Au cours du confinement, nous avons pu reprendre nos consultations toujours en espaçant les rendez-vous et en respectant les mesures de distanciation, ce qui imposait de diminuer quelque peu le volume de consultations.

Un élément qui se distingue à mes yeux est la recrudescence des difficultés rencontrées par les nourrissons qui sont restés enfermés avec leurs parents pendant plusieurs mois. Les consultations étaient beaucoup plus compliquées, car ces enfants qui avaient été choyés par leurs parents avaient du mal à se réadapter à la vie collective, bien qu'apparemment, les retours en crèche se soient plutôt bien passés.

L'usage des écrans a constitué un véritable problème pendant le confinement. Les parents étaient souvent tous les deux en télétravail. Il leur était difficile de s'occuper de leurs enfants, quel que soit le milieu social et peut-être davantage dans les milieux défavorisés. Lorsque les parents suivaient des conférences téléphoniques pendant les trois quarts de la journée, parfois tous les deux en même temps, la seule « nounou » qui était à leur disposition était l'écran. Les parents ont encore du mal à rétablir les règles qui existaient avant le confinement, pour ceux qui établissent des règles correctes.

En matière de prise de poids, les adultes ont pris en moyenne trois kilos. Les enfants ont également subi une prise de poids. Les adolescents en particulier ont connu une prise de poids excessive liée à l'inactivité et à l'usage augmenté des écrans. Certains ont été confrontés à des problèmes d'anxiété ou de phobie de sortir du domicile, comme les parents. Les troubles du sommeil se sont également multipliés parmi les enfants. Il n'existe pas d'études sur ces aspects.

Le décrochage scolaire s'est accentué surtout dans les milieux défavorisés. Je m'occupe en particulier des enfants qui connaissent des difficultés scolaires. Un certain nombre d'enfants a été bien pris en charge par les parents. Les maitresses étaient étonnées de revoir au mois de juin ces enfants qui avaient beaucoup progressé, car leurs parents avaient pu s'investir auprès d'eux. Le contraste est fort avec les enfants dont les parents n'ont pas pu se libérer et une forte inégalité sociétale est apparue pendant le confinement. A cette rentrée, les statistiques montrent que certains enfants sont encore éloignés du milieu scolaire.

Voici mon point de vue depuis un cabinet libéral et après discussions avec mes collègues.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.