Intervention de Pierre Suesser

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Pierre Suesser, co-président du Syndicat national des médecins de Protection maternelle et infantile :

Je suis pédiatre et j'exerce en Seine-Saint-Denis. J'appuierai ma présentation sur une étude que le SNMPMI a lancée en avril auprès des professionnels de la PMI afin d'évaluer, de façon plutôt sociologique qu'épidémique, quelles observations pouvaient être faites auprès des familles et des enfants. Nous avons pu recueillir 80 réponses émanant de 28 départements, assez bien répartis sur l'ensemble des régions et se trouvant dans des situations démographiques variées. Cette étude ne prétend pas à la représentativité et nous restons très prudents sur ces résultats préliminaires.

Sur les 28 départements, 19 ont maintenu dès le départ des consultations auprès des enfants, avec des modes plus ou moins dégradés, mais dans l'objectif principal de réaliser les vaccinations et de recevoir les nouveau-nés en sortie de maternité ainsi que les familles confrontées à un certain nombre de difficultés, et pour lesquelles nous avions davantage d'inquiétudes.

14 départements ont déclaré maintenir les consultations auprès des femmes enceintes et les consultations de planification familiale. Dans les 14 autres, les situations sont très variées.

Les consultations des puéricultrices ont été majoritairement maintenues, soit en présentiel soit par téléphone. Les éducatrices de jeunes enfants, les psychologues et les psychomotriciens et psychomotriciennes ont également beaucoup travaillé par téléphone.

Le vécu des enfants s'est traduit par un temps d'arrêt avec des effets assez divers et surprenants. Le confinement a mis en lumière que le rythme de vie des adultes ne respectait pas toujours celui des jeunes enfants. Il a aussi pointé les effets bénéfiques du ralentissement de l'activité, quand le contexte de vie n'était pas défavorable. Bien entendu, les conditions économiques, les conditions de logement, la présence ou l'absence d'espace extérieur, la condition de la famille, l'isolement, le type de travail des parents, le niveau d'anxiété, l'atteinte de proches par le covid-19, ont eu des répercussions diverses.

Nous avons noté quelques effets positifs. En effet, certains bébés ont bénéficié grâce au confinement d'une période de calme et de respect de leur rythme, lorsque le climat familial était propice. Des mères ont pu se reposer avec leur bébé et ont pu vraiment l'allaiter à leur rythme. Cette situation évoque la période de réclusion qui existe dans certaines sociétés traditionnelles, comme l'ont mentionné les collègues anthropologues qui ont réalisé cette enquête. L'absence de contraintes horaires, et donc du stress qu'elles génèrent, a pu avoir un effet bénéfique sur certaines familles.

Des effets déstabilisants se sont en revanche manifestés. Certains enfants qui connaissaient des difficultés scolaires et qui ont pu être suivis à distance par des centres médico-psychologiques (CMP) ou des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) ont plutôt bien vécu le confinement, car ils étaient moins confrontés à leurs difficultés. Ces enfants ont pu être rassurés par le cocon familial. Pour certains enfants présentant des troubles du spectre autistique, les parents ont noté qu'ils étaient plus sereins, car moins confrontés à ce qu'ils vivent comme des agressions extérieures. Toutefois, cette amélioration ne concerne pas tous les enfants souffrant de troubles du neurodéveloppement.

Parmi les difficultés observées, comme la presse l'a documenté, certaines familles ont exercé une pression éducative importante sur leurs enfants, pensant bien faire. Par exemple, une maman qui décide de supprimer la tétine chez son enfant puis s'étonne qu'il entre dans des colères ingérables, ou l'apprentissage de la propreté qui commence au moment où les repères de l'enfant ne le permettent pas vraiment. De nombreuses observations portaient aussi sur les longues heures passées avec les enfants sur les devoirs, qui étaient parfois sources de tensions.

A-t-on parlé aux enfants de l'épidémie et du confinement ? Parfois, les assistantes maternelles leur en ont parlé. Les enfants ont souvent subi le confinement sans pouvoir y attribuer de sens, et le lien possible n'a pas toujours été établi par les parents entre la situation exceptionnelle et les problèmes de comportement que présentaient leurs enfants. Une puéricultrice témoigne ainsi avoir expliqué aux parents qu'ils devaient donner des explications aux enfants, que les parents avaient besoin de comprendre que certains comportements pouvaient être en lien avec du stress et que même les bébés pouvaient être rassurés par le fait qu'on leur explique ce qui était en train de se passer.

Certaines collègues ont été frappées par le fait que beaucoup d'enfants acceptaient assez bien la situation du confinement. Elles l'ont expliqué par un climat de peur qui pouvait être entretenu par les informations télévisuelles. Des manifestations accrues d'anxiété et de troubles du sommeil ont été observées. Les enfants étaient davantage inquiets lorsque les familles étaient elles-mêmes inquiètes et que les plus grands, qui s'informaient sur la situation, pouvaient traverser des angoisses assez difficiles à gérer avec l'accentuation des troubles.

Certains parents sont parvenus à maintenir un rythme de vie calqué sur la scolarité en matière d'horaires de repas et de coucher, indépendamment des questions de pression scolaire. Des pertes de rythme ont été signalées dans de nombreuses familles où « les enfants se sont calés sur le rythme des parents, qui n'en ont plus », selon les propos rapportés. De nombreux parents et professionnels se sont questionnés sur les effets de la perte des repères spatio-temporels sur les enfants.

Il a été rapporté que les sorties étaient plus faciles à la campagne. Certains parents ont « trop bien respecté » le confinement, c'est-à-dire que les enfants n'ont bénéficié d'aucune sortie. Les professionnels en lien avec ces familles leur ont délivré des conseils.

Les problèmes de sommeil ont été signalés dans 25 % des réponses, en rapport avec le manque d'activité, l'excès d'écrans, la perte de rythme de vie et le sentiment d'insécurité.

Sur l'alimentation, peu de réponses ont été fournies. Certaines familles se sont retrouvées sans ressources du jour au lendemain, voire en grande difficulté financière pour celles dont les parents travaillent « au noir » ou qui s'approvisionnement dans des centres de distribution d'aide alimentaire, qui étaient fermés durant le confinement. Les équipes de PMI se sont efforcées d'obtenir des aides financières pour ces familles, néanmoins des cas de malnutrition ont été signalés.

Sur les problèmes de comportement, beaucoup d'enfants étaient plus agités, moins concentrés et moins tolérants à la frustration, même si une grande variabilité apparaît dans les réponses. Comme nous l'avons vu, certains enfants avec des troubles du neurodéveloppement semblaient bien s'accommoder de la situation, tandis que d'autres se trouvaient davantage en difficulté.

Les écrans constituent un des thèmes qui reviennent le plus dans l'enquête : 18 départements ont répondu. De grandes différences apparaissent en fonction du niveau social : plus les parents sont en difficulté et plus les écrans sont utilisés. Les tout-petits utilisent souvent les téléphones portables des parents, comme c'est le cas en situation normale. « Le monde entier s'est retrouvé derrière les écrans », nous a dit une collègue : cela a permis de garder un contact avec l'extérieur, les effets ne sont donc pas univoques.

La télévision était massivement utilisée et a permis parfois de tenir le coup dans des espaces restreints et suroccupés. Cet outil s'est révélé dans certains cas indispensable, ce qui a provoqué des injonctions très contradictoires entre les obligations professionnelles et scolaires et les conseils de limitation d'utilisation que prodiguent les professionnels de santé.

Bien qu'il soit difficile de mettre directement en lien ces phénomènes avec les difficultés rencontrées, il est très probable qu'ils y aient contribué. Les professionnels qui avaient fait de la prévention sur la consommation des écrans leur combat se disent que tout est à recommencer.

Une de mes collègues éducatrice de jeunes enfants notait que des décrochages scolaires se manifestaient chez les préadolescents, alors que les jeunes enfants qu'elle suivait étaient contents de retrouver le chemin de l'école et que certains ont beaucoup progressé pendant cette période. Les effets sont donc complexes.

Sur la protection de l'enfance, dans la majorité des départements, les informations préoccupantes ont été beaucoup moins nombreuses mais souvent très lourdes, avec des familles en grande précarité et des maltraitances importantes, avec des cas de brûlures, de malnutrition, d'insuffisance de soins. Les personnels de PMI ont été surpris dans certains départements du nombre réduit d'informations préoccupantes à traiter, et ont manifesté de l'inquiétude sur le fait que toutes les informations préoccupantes ne pouvaient pas être prises en compte.

Pendant le confinement, les services de PMI ont tenté de rester disponibles pour les enfants confiés de moins de six ans, que ce soit pour évaluer une situation urgente, pour assurer le suivi médico-social ou chercher un accueil en crèche en cas de besoin. La PMI a néanmoins été sollicitée pour l'évaluation de certaines informations préoccupantes relatives à des situations déjà connues, surtout lorsque des relations de confiance étaient déjà instaurées. Des suivis à domicile ou des contacts téléphoniques ont pu être maintenus pour les situations les plus préoccupantes.

Enfin, le suivi des nourrissons en famille d'accueil a été globalement maintenu quand des consultations étaient ouvertes dans les centres médico-sociaux (CMS), ou à domicile si les visites y étaient autorisées. Dans les autres cas, le lien a pu être établi par vidéo ou téléphone et ces moyens se sont avérés utiles pour conseiller les familles d'accueil face aux différents symptômes des enfants.

Un certain nombre d'établissements ont fermé et des enfants sont revenus dans leur famille parfois sans que les services en soient informés, notamment les collègues de PMI. Nous avons également observé des effets divers dans un contexte de confinement, lorsque les logements ne permettaient pas aux membres de la famille de s'extraire d'une trop grande promiscuité. Des déséquilibres ont pu se produire, entraînant des passages à l'acte. Certains enfants souffrant en silence et d'autres, placés en urgence, se sont sentis très abandonnés. Pour certains enfants, toutefois, le confinement en famille s'est bien passé et a permis un resserrement des liens.

Nous disposons d'assez peu d'éléments sur le ressenti des familles et des enfants concernés par la protection de l'enfance. Nous avons néanmoins le sentiment que la privation des visites des parents pouvait être difficile à supporter pour certains enfants, surtout les plus jeunes. Certains enfants qui présentaient des symptômes ont subi la quatorzaine et cette épreuve a été assez difficile à vivre pour eux.

Je rappelle que tous ces éléments ne constituent que des résultats provisoires.

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