Merci pour votre invitation à cette table ronde. Je suis pédopsychiatre, spécialiste du sommeil, et puisque vous évoquiez les conséquences positives du confinement, l'une d'elles concerne justement le sommeil. En entrant dans l'adolescence, on devient un sujet du soir, c'est-à-dire qu'on a tendance, physiologiquement, à s'endormir plus tard et à se réveiller plus tard. Et l'un des points positifs du confinement a résidé dans le fait que les adolescents pouvaient vivre un peu plus à leur rythme. D'un point de vue physiologique, demander à un adolescent – à partir de 13-14 ans – de se lever à 6 heures 30 du matin et d'être en cours de 8 heures à 10 heures est en quelque sorte une aberration : son organisme n'est pas adapté pour se concentrer si tôt dans la journée. Le confinement a souvent permis aux adolescents d'adopter des horaires et un rythme physiologiquement plus adaptés.
De manière un peu parallèle, quand les enfants se trouvaient dans un environnement un peu structuré, le confinement leur a permis d'avoir un rythme scolaire correspondant mieux à leur rythme. Je suis spécialiste du déficit de l'attention avec hyperactivité : il s'agit d'enfants qui ont besoin d'être au calme, confrontés à peu d'éléments distracteurs. Ils sont des temps d'attention assez brefs. Et lorsqu'ils étaient à la maison et dans un environnement structuré, le confinement a permis de faciliter les apprentissages : les parents pouvaient leur faire des sessions de classe de 40 minutes, les laisser se lever, courir un peu, avant de revenir au travail, dans un environnement peu ou pas distracteur, alors qu'il y a beaucoup d'éléments distracteurs dans une classe.
Au-delà de ces quelques points positifs, le grand effet négatif du confinement a été la déscolarisation des enfants et adolescents. Cette période a de surcroît été suivie des vacances d'été, si bien que les enfants ne sont pas allés à l'école pendant plusieurs mois d'affilée. Il existe des pathologies anxieuses – notamment ce que l'on nomme la phobie scolaire ou le refus scolaire anxieux –, pour lesquelles, plus la durée de déscolarisation a été longue, plus il est difficile de retourner à l'école. Évidemment, cette situation clinique a été aggravée par la crise sanitaire : l'anxiété, les troubles anxieux se sont manifestés de façon importante. Il en va de même de la place des parents dans l'accompagnement, notamment en maternelle ou en primaire. Lorsqu'on va déposer son enfant à l'école, il faut avoir confiance dans les enseignants ou la structure scolaire. Or, pour un parent, il est un peu compliqué d'être rassuré à ce moment, à cause de la crise sanitaire. Ces facteurs de stress aggravent une psychopathologie sous-jacente. Il me semble très important de l'expliquer aux parents et aux enseignants.
De même, il est important de mettre l'accent une fois de plus sur le sommeil, sur l'importance des rythmes physiologiques, même s'il y a pu avoir – je viens de l'expliquer – des effets bénéfiques du confinement. Dans le discours, autant on a bien su faire passer l'importance d'une alimentation équilibrée, du sport ou de l'activité physique, autant on a peu insisté sur le fait que le sommeil est une fonction nécessaire notamment à l'apprentissage : il existe des liens très étroits entre durée de sommeil et capacités d'apprentissage. Environ les trois quarts des enfants et adolescents sont en dette de sommeil. Les 6-12 ans doivent dormir entre 9 et 11 heures par jour, les 14-17 ans entre 8 et 10 heures. Il ne sert à rien de travailler toute la nuit : il faut avoir un rythme veille/sommeil pour pouvoir solliciter correctement ses capacités cognitives. Cela n'est certes pas un problème spécifique à l'épidémie de covid-19 et à ses conséquences, mais il serait bénéfique de pouvoir se saisir de ce qui se passe actuellement pour l'évoquer.