Intervention de Marie Touati-Pellegrin

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 10h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Marie Touati-Pellegrin, pédopsychiatre :

Mon témoignage est celui d'un médecin hospitalier, à temps partiel dans le service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker pendant le confinement, puis, celui d'un médecin exerçant en libéral. Le confinement et le déconfinement ont été sources de décompensation et d'aggravation des troubles psychiatriques des enfants, des adolescents et de leurs parents. En effet, les parents désemparés face aux multiples responsabilités qui, brutalement, leur ont incombé – parents, mais aussi cuisiniers, animateurs, télétravailleurs – ont été confrontés à une situation sans précédent. Pour les parents fragiles, pour les enfants en difficulté présentant des troubles des apprentissages, de l'attention, ou pour les autistes, le confinement a créé une situation d'huis-clos explosif. Or, la totalité ou la quasi-totalité des réseaux d'aide ont été brutalement fermés pour les bébés, enfants et adolescents en souffrance psychique. Bon nombre de CMP (centres médico-psychologiques), de CMPP (centres médico-psycho-pédagogiques) et de cabinets d'orthophonie, de psychomotricité, psychologiques ont tout simplement fermé le 17 mars 2020, sans pouvoir donner de date de reprise.

Le plan blanc hospitalier n'avait pas pensé la place de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie dans un contexte épidémique. Les services hospitaliers ont eu un temps de latence très important pour s'organiser. À l'hôpital Necker pour les enfants malades, nous recevions des consignes parfois contradictoires d'un jour à l'autre. Un jour, il nous était annoncé que nous devions jouer le rôle d'infirmière en réanimation ; le lendemain, que nous devions accompagner des mourants et leurs familles par téléphone ; le surlendemain que nous devions reprendre toute notre activité usuelle, mais en « visio », sans avoir les moyens de la « visio ». Nos ordinateurs par exemple étaient tellement vieux que nous ne pouvions pas installer et utiliser de webcam…

C'est donc avec un désir d'aider de manière positive que nous avons pensé avec l'équipe de la Maison de Solenn, la Maison des adolescents de Cochin (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris), le dispositif de la bulle qui est un lieu dédié aux soignants, à Cochin. Et c'est aussi dans ce mouvement que j'ai créé en libéral – parce que cela n'a pas été possible à Necker – « Ma Cabane » : une hotline à laquelle une quinzaine de pédopsychiatres, psychologues, orthophonistes, psychomotriciens ont participé afin de soutenir les enfants et les adolescents brutalement laissés sans soins et leurs familles. Nous avons ainsi reçu, entre le 1er avril et le 11 mai, une centaine de demandes, émanant de toute la France, y compris d'outre-mer. Dans deux tiers des cas, une seule consultation en « visio » ou par téléphone a suffi à apaiser ou traiter la demande. Et deux tiers de nos interlocuteurs n'avaient jamais consulté de psychologue auparavant. Il ne s'agit pas forcément des mêmes deux tiers. Lors du déconfinement, la secrétaire qui avait reçu leurs appels initiaux les a tous recontactés pour prendre de leurs nouvelles.

Les thèmes abordés ont été très variés, de la simple demande de conseil autour de la gestion des écrans, du télétravail, des rythmes de sommeil, du manque de copains, à la tentative de suicide par défenestration en direct par un enfant de huit ans… Nous avons eu beaucoup d'appels de soignants en souffrance dans la relation avec leurs enfants, qui avaient le sentiment de devoir les abandonner seuls avec leurs angoisses, et craignaient de les contaminer ; qui se sentaient coupables de ne pas pouvoir s'occuper d'eux et de les confier à l'école même le week-end, même durant les vacances scolaires ; qui étaient en difficulté pour assumer la continuité pédagogique en plus de leur rôle de soignants ; qui avaient contracté le covid et dont les enfants étaient terrifiés à l'idée que leurs parents meurent… Ainsi, nous avons reçu l'appel d'une grand-mère dont la petite-fille avait assisté au départ avec le SAMU de sa maman et qui était prostrée depuis.

Un point positif nous a étonnés. Nous avions anticipé des appels de jeunes parents, démunis et isolés avec leurs bébés, mais nous n'en avons eu aucun de ce type. J'ai eu, au sein de la consultation, une famille que la naissance du bébé a déstabilisée dans ses rythmes : là où l'école aurait servi de régulateur pour les grands frères et grandes sœurs, le confinement a été un moment où tous les membres de la famille ont perdu leurs repères temporels et vécu au rythme très anarchique du bébé. Le fait que nous n'ayons pas reçu d'appels autour de la question des naissances sur notre hotline est à rapprocher, je pense, de la diminution du nombre de naissances prématurées pendant le confinement. Lors de la proximité de la naissance, en période périnatale, un repli des parents sur eux-mêmes permet une immense disponibilité pour le bébé qui en a tout à fait besoin.

Après le confinement est intervenu le déconfinement. Les angoisses massives sont alors apparues. Comment sortir alors que le virus si dangereux – pour lequel nous avons dû nous enfermer chez nous pendant deux mois – circule encore ? Les enfants, les adolescents et probablement certains adultes n'ont pas tous trouvé cela très logique, ni très rassurant. Les parents ont été extrêmement angoissés de cette décision qu'ils devaient prendre de remettre ou non leurs enfants à l'école. L'école non-obligatoire, c'était une première depuis Jules Ferry, me semble-t-il. En assumant seuls la décision d'amener ou non leurs enfants à l'école, les parents ont perçu un glissement de responsabilité de l'État vers eux-mêmes. Comment pouvait-il leur incomber de savoir ce qu'il convenait de faire pour leurs enfants alors que les données scientifiques étaient encore peu claires et alors que, soixante-douze voire quarante-huit heures avant le déconfinement, les pédiatres alertaient sur l'augmentation du nombre de cas de maladies de Kawasaki chez l'enfant ?

Aujourd'hui, alors que la deuxième vague s'annonce, je ne note pas de remontée d'angoisse chez mes patients et leurs parents. Cette maladie ne leur fait plus peur pour eux, mais ils conservent une grande inquiétude pour leurs grands-parents et se rassurent en se disant qu'ils font attention à eux. Seuls les enfants qui ont connu des catastrophes dans leurs familles – ceux dont les parents ou grands-parents sont morts ou ont été très infectés par le covid – ont éprouvé beaucoup de difficultés à se déconfiner. À titre d'illustration, l'un de mes patients est ressorti pour la première fois de chez lui le jour de la rentrée des classes.

Un dernier point me semble essentiel ; je veux parler des bébés et du port du masque systématique, toute la journée, par le personnel des crèches ou les assistantes maternelles. Nous savons tous que les bébés se construisent dans la relation à autrui. Et le visage est le lieu de partage des émotions. Or, les masques empêchent ce partage essentiel à la compréhension de l'autre, de son vécu. Le masque atténue les signaux permettant au bébé de décoder l'adulte qui s'occupe de lui. Pour un bébé qui va bien, qui est bien stimulé à la maison, il n'y aura probablement pas de conséquences néfastes de cette hypostimulation en crèche. Mais pour un bébé à risque d'autisme, un bébé présentant un déficit sensoriel, le port constant du masque va le fragiliser dans ses capacités interactives. Il faudra probablement faire particulièrement attention à ce type d'enfants.

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