La Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et des disciplines associées (SFPEADA) est la plus ancienne société savante de pédopsychiatrie. C'est une société pluridisciplinaire qui s'engage dans l'évolution de notre discipline. Je suis par ailleurs pédopsychiatre, praticien hospitalier à temps plein au CESA (Centre d'évaluation et de soins pour adolescents) qui est un partenariat entre le GHEF (Grand hôpital de l'Est francilien) en Seine-et-Marne, et la Fondation Santé des Étudiants de France. À ce titre, je reçois des adolescents, collégiens et lycéens, au sein d'une équipe pluridisciplinaire : nous sommes notamment repérés dans le département sur les enjeux de la phobie scolaire, sujet intéressant dans la lecture de la crise sanitaire actuelle.
La SFPEADA, dans ce contexte inédit et particulièrement difficile, a organisé une journée spécifique en ligne le 18 septembre dernier sur le thème : « Comment la pédopsychiatrie s'adapte en ces temps d'adversité ? Échanges sur l'impact du covid 19 sur nos pratiques ». Je vous en ai transmis un petit résumé de ces travaux. Nous avons essayé de faire intervenir le plus d'équipes possible, et cela donne un certain reflet de ce qui s'est passé dans les différentes structures pédopsychiatriques, ainsi que de la créativité immédiate et très importante des professionnels afin de fournir des documents à la fois aux professionnels et aux parents, pour aménager ce temps inédit.
De fait, cette crise du covid et ce confinement ont vraiment valeur de trauma psychique. Cela a été soudain, brutal, non prédictible. On ne peut pas parler de cette crise sans parler d'une angoisse de mort qui a traversé toutes les couches de la société : pas seulement les enfants et les adolescents, mais également les parents, les adultes, les professionnels. Il a fallu composer avec cela.
Qu'est-ce qu'un adolescent ? Un adolescent n'existe pas sans sa famille, sans l'école et sans ses amis. La famille, c'est une sécurité de base, fonction de chaque composition familiale. L'école, ce sont les apprentissages : il faut que les élèves soient « apprenants », qu'ils parviennent à se projeter, et cela a posé problème dans cette situation spécifique. Et les amis, c'est la relation. Avec le confinement, c'est un peu comme si l'on avait prescrit à tous nos adolescents le symptôme phobique.
Ceux qui étaient phobiques, ceux qui étaient déjà repliés à la maison, qui ne pouvaient plus sortir, y compris ceux qui avaient des troubles du spectre autistique, se sont sentis très bien. On a même dit trop bien. En clair, on leur prescrivait leurs symptômes, on leur disait que le monde était dangereux, qu'ils ne devaient plus approcher les autres, qu'ils devaient rester avec leurs parents, à leur domicile, où ils étaient en sécurité. Ils ont vécu cela très bien. Pour les autres adolescents, il y a eu un bref moment d'euphorie : ils étaient avec leurs parents, n'avaient plus l'obligation d'aller en classe, et ils pouvaient rester sur leurs écrans. Mais après ce premier temps merveilleux, la situation a pu être conflictuelle, et heureusement. Ils en avaient assez d'être avec leurs parents et de ne plus pouvoir avoir les liens normaux et habituels avec les autres. La relation est vraiment essentielle pour le développement psychique d'un enfant et d'un adolescent.
Pour avoir été aux urgences pendant le confinement, je peux témoigner d'effets un peu étranges de la crise sanitaire. On a constaté une diminution des tentatives de suicide et des scarifications. On s'est demandé ce que cela signifiait, si les enfants et les adolescents ne ressentaient pas finalement que les parents n'étaient pas en capacité de contenir leurs propres mouvements dépressifs. et qu'ils se tenaient donc tranquilles : ce n'était pas le moment de montrer leur détresse psychique parce qu'un certain nombre de parents avaient déjà à composer avec la leur. En revanche, les premières ré-hospitalisations nécessaires ont concerné les troubles du comportement alimentaire. Chez les anorexiques ou boulimiques cloîtrés à la maison, tous les symptômes ont flambé : il a fallu intervenir très vite.
Nous avons rencontré quelques troubles du comportement, et surtout, une flambée de l'addiction aux écrans. Dans un premier temps, nous avons beaucoup été interpellés par les parents sur des enjeux de guidance parentale. Ils nous disaient en substance : « Comment dois-je faire avec le sommeil ? Mon enfant est complètement décalé, toujours sur un écran. Mais que puis-je y opposer, je n'ai rien d'autre à lui proposer ? ». Pour les parents comme les professionnels, il a fallu repartir des compétences de chacun. Leur rappeler qu'ils étaient parents, qu'ils avaient des compétences, le droit d'émettre des règles à la maison, de fixer des règles de base sur les heures de sommeil, les heures de repas, les heures d'écran… Et leur faire imaginer des activités qu'ils pourraient faire avec leurs enfants, en ayant recours à leur propre créativité.
Pendant le confinement, il y a eu certes des enjeux de maltraitance, mais très peu. Je dirais que la covid n'a pas inventé, fait émerger de nouveaux symptômes psychopathologiques, mais qu'elle a mis en lumière, avec un « effet loupe », tous ceux que l'on connaissait déjà. Des familles déjà fragilisées ont explosé. Nous avons tous lu cette terrible histoire d'un père qui a frappé son fils de six ans au point qu'il meure, pour une banale histoire d'école. Certains parents se sont pensés incompétents par rapport aux enjeux scolaires : celui-ci pensait que son enfant ne faisait pas assez bien. C'est souvent en toile de fond ce sentiment d'insécurité et d'incompétence parentales qui a abouti à ces maltraitances. Dans les conjugopathies, c'est aujourd'hui connu, la violence conjugale est aussi une violence pour les enfants : ils absorbent cela comme des éponges. Nous avons dû faire deux signalements dans notre service et il y a eu des placements en urgence.
Un enfant, c'est aussi des parents, et il faut bien constater que certains étaient en complet burn-out à la fin de ce confinement. Le télétravail, plus la responsabilité de parents et les enjeux scolaires… Ils pensaient – et c'était souvent le cas – qu'ils étaient en charge de ce suivi scolaire à domicile. Cela a été très dur pour eux et a pu parfois aller jusqu'à provoquer des hospitalisations pour des enfants, lorsque les parents étaient débordés et plus du tout en situation de compétence avec son enfant.
Au déconfinement, nous avons vu réémerger les troubles suicidaires, les troubles anxio-dépressifs, et ces phobies qui avaient été « guéries » pendant le confinement… Une de mes patientes avait même réussi à reprendre une scolarité en classe virtuelle, par visioconférence, alors qu'elle était totalement déscolarisée depuis deux ans. Puisque toutes les relations étaient virtuelles, elle était redevenue comme les autres. Mais lors du déconfinement, évidemment, impossible d'aller en cours, de retrouver la classe… S'agissant du décrochage scolaire, un gros travail épidémiologique doit être fait. L'épidémiologie n'est pas réservée à la virologie. À nous de lancer des études pour savoir quelles sont les conséquences psychologiques de ce confinement/déconfinement pour les enfants et les adolescents. On dit qu'il y aurait quatre mille décrocheurs scolaires en Seine-Saint-Denis : il serait intéressant de mener une évaluation dans tous les départements. Sur les troubles relationnels, il faudrait savoir comment a réagi un bébé, un enfant, confiné chez lui, qui ne voyait pas les visages des adultes.
Les équipes en pédopsychiatrie en général ont témoigné d'une très grande créativité dans cette situation, et je salue leurs compétences professionnelles. Toutes les équipes ont été formidables, malgré des enjeux contradictoires, des directives multiples, elles ont gardé le cap, gardé le lien avec les adolescents, composé avec les moyens du bord. Nous sommes en sous-effectifs, sous-équipés, et il n'y a pas de reconnaissance de la réelle compétence des professionnels de santé mentale.
Le covid n'a rien changé. On a demandé cette semaine à mes infirmiers quelles étaient leur compétence, et ils ont répondu « aucune ». Cela m'a chagriné. Ils sont compétents dans notre champ, celui de la pédopsychiatrie, et c'est important ! La semaine passée, les représentants des étudiants vous ont déclaré que la moitié des étudiants pensaient avoir une souffrance psychique et étaient préoccupés par leur santé mentale. Cette dimension psychique est fondamentale et il faut reconnaître le travail des professionnels, leur donner les moyens, les équipements, les soutenir. Cette crise est un enjeu de long terme, et il faut vraiment valoriser nos personnels plutôt que de les mettre au standard téléphonique des équipes infectieuses…
Je terminerai par un aspect extrêmement positif face à cette angoisse de mort : c'est la pulsion de vie. Nous avons donné un formidable message à nos enfants et adolescents : la vie peut être un critère d'importance absolue, supérieur à tous les autres enjeux qu'ils soient économiques ou autres. Ils ont vraiment pris à leur compte cette dimension éthique : la vie des personnes âgées, des personnes vulnérables, a de l'importance. On leur a transmis qu'il y a une responsabilité sociétale, et qu'ils sont eux-mêmes responsables.
Au début de l'épidémie, ils ont eu le sentiment que l'on mettait l'accent sur eux, lorsqu'on a dit qu'ils étaient les plus transmetteurs, qu'ils étaient des « bombes humaines », qu'il ne fallait pas qu'ils s'approchent des parents et des grands-parents. On les a énormément culpabilisés, avant que la société pédiatrique revienne sur cette idée, jusqu'à considérer que ce sont plutôt les adultes qui transmettent aux enfants.
Enfin, je ne suis pas non plus favorable aux cours à distance. Je pense qu'il est essentiel de revenir à une présence. À l'école, ce ne sont pas que des apprentissages, ce sont aussi les relations avec les autres, le fait de sortir de chez soi. C'est essentiel.