Intervention de Marie Touati-Pellegrin

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 10h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Marie Touati-Pellegrin, pédopsychiatre :

Je voudrais revenir sur le fait que les enfants, au début du mois de mars, ont été désignés comme étant vecteurs du covid et se sont sentis très responsables, très coupables. D'ailleurs, les écoles ont été fermées un vendredi, avant le confinement, le mardi. Les enfants ont compris la circulation du virus comme étant de leur responsabilité et se sont sentis très dangereux pour leurs parents et surtout pour leurs grands-parents, dont ils avaient compris qu'ils étaient à risque. Cela a suscité une très forte anxiété chez eux, une angoisse.

Certains enfants de soignants qui ont attrapé le covid parce que leurs parents leur ont transmis se sont mis à avoir extrêmement peur de cette maladie qui était à l'origine du confinement, et qui était en conséquence perçue comme très dangereuse. Ils étaient pétris d'angoisse pour leurs parents, mais aussi pour eux-mêmes, à l'idée d'avoir attrapé cette maladie mortelle. Cela a été très difficile pour les enfants d'âge scolaire.

En ce qui concerne l'aide à la parentalité, je pense qu'il faut faire confiance aux professionnels de la petite enfance, aux personnels des crèches, aux enseignants qui relaient un discours assez clair sur les rythmes, sur ce qu'il convient de faire. Au moment du confinement, les familles se sont retrouvées sans tiers, sans personnes extérieures, pour les aider, les conseiller. De surcroît, cette situation était tout à fait nouvelle, personne n'avait anticipé la manière de l'appréhender. De même que la campagne « Mangez, bougez » sur l'obésité des enfants fonctionne très bien, une campagne sur les rythmes qu'il est bon d'avoir dans la vie, sur la gestion de ses émotions, pourrait être utile.

Une anecdote concernant l'absence des rites de passage : j'ai vu des enfants, assez jeunes, qui étaient persuadés qu'ils allaient redoubler puisqu'ils n'avaient pas terminé leur année correctement dans la classe où ils étaient. Changer de classe n'est pas un énorme rite de passage, mais ces enfants pensaient avoir raté quelque chose de l'année scolaire. Quant à mes patients – bon nombre sont phobiques scolaires, décrocheurs ou en grande difficulté – qui ont eu leur baccalauréat, parce qu'ils avaient rendu un devoir d'anglais, un devoir d'histoire-géographie dans l'année et qu'en 2020 cela a suffi, ils sentent qu'ils l'ont obtenu de manière totalement injustifiée ; ils savent qu'ils n'ont pas travaillé suffisamment dans l'année. Ce qui est catastrophique c'est que, n'ayant pas anticipé l'obtention du diplôme, ils se retrouvent sans aucun projet pour cette année : ils ne savent pas quoi faire. Ils ne s'étaient pas inscrits sur Parcoursup, et sont en train de chercher un emploi chez McDonald's, alors que leur profil de phobique ne leur permet pas d'exercer ce genre de travail. Ces jeunes adultes sont en grande souffrance.

Je ne suis pas anti-CNED – cet organisme est bien utile quand on en a besoin – mais je pousse tous mes patients à retourner à l'école, car c'est le lieu de la scolarisation mais aussi de la socialisation des enfants et adolescents. C'est aussi le lieu de la République, un symbole important de l'égalité, où tous les enfants ont les mêmes chances. Je ne suis pas enseignante, mais j'ai la sensation que les disparités entre les enfants, notamment en termes d'enseignements, ont été accentuées pendant cette crise. Ceux qui travaillaient bien ont d'autant mieux travaillé pendant le confinement, surtout si leurs parents pouvaient les aider et les accompagner ; en revanche, ceux qui avaient des difficultés scolaires et dont les parents ne pouvaient pas les aider sont aujourd'hui en grande difficulté. Les enseignants sont confrontés à d'importantes disparités de niveaux au sein des mêmes classes, qui rendent les choses encore plus difficiles.

Je serai plus nuancée que mes collègues sur la « visio ». Avec « Ma cabane », après avoir rappelé les cent patients que nous avions eus en consultation, leur jugement est plutôt positif : tous ont donné à la visio une note entre 4 et 5, le maximum, tous ont apprécié ce mode de communication. Peut-être était-ce lié à la période, peut-être qu'ils n'auraient pas souhaité venir à cause du covid, mais, pour certains patients, notamment certains profils de patients adolescents qui ont un peu de mal à exprimer certaines émotions en face-à-face, et qui se sentent plus protégés chez eux derrière un écran, la visio a eu quelque chose de positif. Les visios ont également permis de pallier les déserts médicaux : certains patients qui n'auraient jamais eu accès à un pédopsychiatre en moins de deux heures de chez eux, ont pu parler à un soignant.

En revanche, je l'ai constaté à Necker : les consultations en « visio » d'enfants autistes sont impossibles. On peut parler à ses parents mais jamais il ne restera devant un écran et on ne pourra pas l'évaluer en visio de façon satisfaisante. Elle peut donc être utilisée comme un moyen supplémentaire dans les consultations, mais en la réservant à certains secteurs.

Qui plus est, en visio, on peut enlever son masque, ce qui n'est pas le cas en consultation, alors que le visage permet de partager les émotions d'autrui. Evaluer un adolescent venu consulter avec un masque est une gageure : il m'arrive de ne pas même comprendre l'enjeu de la consultation et l'évaluation devient très difficile.

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