Après le concours national classant les jeunes médecins, les externes ne choisissent plus la psychiatrie comme spécialité. La réforme de l'internat de psychiatrie, il y a deux ans, a conduit à diminuer encore le nombre de pédopsychiatres formés. Les internes doivent, très tôt dans leur cursus, choisir d'être psychiatres d'adultes ou d'enfants, et moins d'internes encore sont intéressés par notre spécialité. Nombre de raisons induisent ce désert pédopsychiatrique. La première est liée à l'histoire de la pédopsychiatrie : le secteur a été construit dans les années 1970 sans moyens propres mais sur ceux de la psychiatrie adulte. Les pédopsychiatres récupéraient donc ce que les psychiatres voulaient bien leur donner. Depuis, trop peu de pédopsychiatres ont été formés. La moyenne d'âge de notre profession en témoigne, puisqu'elle s'établit à 64 ans ! Effectivement, il y a un problème aujourd'hui, mais il y en aura aussi un dans les années à venir.
Pour faire face aux difficultés des enfants qui ne peuvent pas voir de pédopsychiatres puisqu'il y a deux ans d'attente dans tous les CHU pour une consultation – que l'enfant soit autiste, TDAH, qu'il ait des troubles d'apprentissage ou un retard de langage, alors qu'on sait aujourd'hui qu'un enfant autiste diagnostiqué à 6 ans a très clairement une perte de chances par rapport à un autre diagnostiqué à 2 ans –, il faut effectivement développer une première ligne en s'appuyant sur les psychologues, en permettant que les psychologues soient remboursés par la sécurité sociale. De même, les enfants que j'évoquais ont très souvent besoin de psychomotricité, alors que la discipline n'est pas remboursée par la sécurité sociale. Ce sont deux mesures qu'il serait très facile de décider – même si je suis consciente que cela coûterait cher –, pour permettre un accès aux soins, et surtout un accès aux rééducations des enfants souffrant de troubles très sévères dès le plus jeune âge.
Dans la liste des manques, j'ajouterais les lits. À Paris, lorsqu'un enfant de 10 ans fait une tentative de suicide, on n'a pas de place pour lui. Et on a beaucoup, beaucoup de mal à l'hospitaliser. Un enfant de 10 ans qui a envie de mourir, c'est tout de même une catastrophe pour lui, pour sa famille et pour la société. Il serait urgent qu'on intervienne aussi sur cette question.
Enfin, l'impact du confinement et de l'arrêt des soins chez les enfants très malades a été effectivement très négatif et a marqué une perte de chances pour des enfants qui avaient deux séances d'orthophonie par semaine, deux séances de psychomotricité, une séance de psychothérapie, par exemple, et qui brutalement n'ont plus rien eu. Certaines séances ont pu reprendre en visio, mais un enfant autiste ne reste pas derrière l'écran, une orthophoniste ne peut pas faire son travail, pas plus qu'une psychomotricienne pour qui la discipline passe par le corps et par la relation physique. Seules quelques psychologues ont pu continuer.
Autre discrimination à l'égard de ces enfants : au moment du déconfinement, les enseignants avaient très peur que les enfants se contaminent entre eux, et ont refusé que les enfants malades psychiatriques retournent à l'école. Des enfants autistes ont essuyé des refus de retour à l'école. J'ai fait personnellement des certificats attestant qu'il était urgent qu'ils soient rescolarisés mais le protocole sanitaire était tellement complexe qu'il ne pouvait pas être expliqué à ces enfants trop malades.
Le seul point positif de ce confinement et de l'arrêt des soins, c'est que les parents qui se sont retrouvés en tête-à-tête avec leur enfant ont bien perçu l'immensité de ses difficultés. Les parents qui étaient jusque-là un peu dans le déni en pensant par exemple que c'était l'école qui ne faisait pas son travail, ont bien perçu la réalité et n'ont plus ressenti le moindre doute.