Je répète qu'il n'y a pas eu de nouvelles pathologies mentales. On les connaissait toutes ces pathologies, il y a simplement eu un effet loupe. En ce qui concerne la schizophrénie, effectivement, il y a eu des décompensations psychotiques, délirantes. Nous prenons toujours la précaution de dire que la schizophrénie est plutôt un diagnostic a posteriori, lorsque le délire s'installe dans le temps. Mais j'ai vu par exemple aux urgences un très jeune adolescent qui entendait des voix qui lui demandaient de tuer sa mère qui voulait le priver de l'ordinateur. Il l'avait poussée dans l'escalier, elle était tombée, ce qui nous a amenés à hospitaliser le jeune. On aurait pu traiter en ambulatoire cette question des hallucinations auditives, mais il se faisait du mal dans l'interaction avec la mère.
Sur les enjeux des addictions, on a vu différentes situations ; on a constaté des augmentations de la consommation de cannabis, pour ceux qui en avaient ; si les réseaux ont continué de fonctionner, l'isolement à la maison a aussi privé certains adolescents de leurs substances. On a donc vu des syndromes de sevrage aussi, avec l'émergence de ce que pouvait masquer la consommation de cannabis : des troubles anxieux très importants, notamment.
Il est vrai que le discours positif sur l'école est important. Les enseignants, comme la population en général, ont eux aussi appris à l'écran que leur école fermait, qu'ils devaient s'adapter. Cela n'a pas été facile. Certains professeurs ont disparu des radars, mais très peu. Au contraire, d'autres se sont sentis tellement surinvestis qu'ils ont donné des devoirs y compris pendant les week-ends et les vacances scolaires. Nous avons eu des enfants et des parents qui ne dormaient plus pour pouvoir faire les devoirs. Je pense que pour chacun, cela devait combattre une angoisse de mort. C'est vrai que si l'on pouvait anticiper cela un peu mieux, avec des réponses homogènes, en cas de nouveau confinement, ce serait une bonne chose.
J'ai entendu des termes martiaux pour savoir si on est sortis de la guerre ou pas. Nous ne sommes pas des héros, des combattants, mais des soignants. Cette posture de soignant est fondamentale pour nous. Nous faisons notre métier, c'est tout, mais c'est déjà très important. C'est important de le faire, qu'on en ait les moyens, qu'on soit serein. En pédopsychiatrie, il s'agit souvent d'équipes : psychiatres, psychologues, psychomotriciens, orthophonistes, infirmiers. Le Grenelle de la santé a eu lieu, mais il subsiste un manque de reconnaissance de la discipline, même sur la question de la revalorisation financière de ces métiers. La vie psychique de nos enfants, de nos adolescents est aussi importante que la vie physique.
Vous avez parlé de l'action délétère des médias : il est vrai qu'on a égrené les morts et l'un des premiers conseils que nous avons donné aux parents a été de couper les informations, d'arrêter de regarder les écrans ensemble. Nous sommes dans une société marquée par une certaine fascination de l'image. Cela peut aussi avoir un effet délétère, donc il ne faut pas hésiter à couper ces sources d'informations anxiogènes. Trouver des moments de joie en famille est tout aussi important.
La solitude a bien sûr été ressentie par les jeunes, mais peut-être pas autant que par leurs aînés. Les jeunes restaient connectés avec leurs réseaux. Un jeune qui va bien restait en contact, et même en hypercontact, avec les amis sur tous les réseaux. Ces contacts virtuels ont continué d'exister. Ce qui leur a manqué, ce sont les autres sens : voir les visages pour de vrai, les émotions, toucher… Chez les jeunes, il y a tout de même les enjeux d'expérience amoureuse, et le confinement a été un moment où la question de la rencontre amoureuse physique a été suspendue. On a besoin d'une jeunesse qui se projette, qui pense que c'est bien d'être amoureux, et qui soit responsabilisée. Je trouve d'ailleurs qu'ils ont été extrêmement responsables, créatifs, vraiment attentifs à l'égard de leurs aînés. Ils sont très solidaires, et c'est vrai que cela a pu les mettre en conflit. Par exemple, ils ont beaucoup souffert de ne pas aller voir leurs grands-parents, avec qui ils ont des liens très forts. Ils ont imaginé des groupes WhatsApp ou autres, pour garder les liens, et je crois que les grands-parents ont fait un bond technologique pendant ce confinement. Et ce sens de la responsabilité continue : certains adolescents vont se faire tester avant de rendre visite à leurs grands-parents. Les faire culpabiliser était vraiment délétère.
Nos jeunes ont des projets de société, il faut leur laisser rencontrer d'autres jeunes, prendre leurs risques en toute conscience s'ils le peuvent. Bien sûr, on a un devoir de protection, mais il faut leur laisser aussi un peu de liberté : c'est fondamental pour les adultes qu'ils deviendront et pour notre société.