Intervention de Pauline Spinas-Beydon

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 8h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Maison d'Enfants à Caractère Social (MECS) Saint-Jean de Sannois (Val-d'Oise) :

Vous avez évoqué, madame la présidente, les heureuses surprises et j'ai envie de commencer par une heureuse surprise pour nous donner un peu de baume au cœur et des forces. La première excellente surprise que nous avons eue a été le respect par nos jeunes du confinement de façon quasiment immédiate et facile.

Mon établissement est une maison de protection de l'enfance à Sannois dans le Val-d'Oise, située sur un site comptant plusieurs établissements. Ce sont les anciennes grandes maisons d'Auteuil qui ont été divisées en plusieurs établissements. Je partage le terrain avec des établissements scolaires et des internats de prévention. Nous avons au titre de la protection de l'enfance la charge de 60 garçons et filles de 13 à 21 ans, provenant de toute l'Ile-de-France avec une majorité de Valdoisiens. Ces jeunes, notamment les 15-18 ans, ont parfois une petite tendance aux sorties non autorisées et il était légitime de s'interroger sur leur capacité à respecter le confinement. Ils auraient pu le rompre pour aller voir leurs amis, pour poursuivre leur vie sociale qui se déroule forcément en dehors de la MECS, pour aller voir les parents, aller acheter des cigarettes voire des substances illicites pour certains. La surprise a été que, alors qu'ils n'étaient pas inquiets pour eux, le discours sur la mise en danger possible des autres a été extrêmement efficace. Nous avons pu constater l'empathie, la citoyenneté de nos jeunes dès les premiers jours. Quelques entorses, quelques sorties non autorisées ont bien sûr eu lieu. Nous avons mis en place des protocoles durs, rigoureux lorsqu'ils revenaient de sortie non autorisée ou de petite fugue, avec des confinements en chambre qui ont été respectés par les jeunes. Cette preuve de leur attention aux autres est une première bonne nouvelle que nous pouvons saluer.

La deuxième bonne nouvelle se trouve du côté des professionnels. Ils ont pris la mesure, d'un seul coup, du fait qu'ils étaient des acteurs du service public. Au-delà du contrat de travail, nous avons constaté leur engagement. Il faut savoir que nous avons des professionnels dont la moyenne d'âge est assez jeune, dans des professions globalement peu rémunérées. Certains habitent encore chez leurs parents voire avec des personnes plus âgées. Ils savaient qu'ils seraient avec les jeunes au quotidien et craignaient pour la santé de ceux avec qui ils habitaient. Plus d'un quart des salariés ont fait le choix de l'engagement auprès des jeunes et sont venus habiter sur site, pour ne pas mettre en danger leur famille et continuer à être au service des jeunes. Le mot « service public » a vraiment pris son sens et j'ai particulièrement salué le fait que, pendant la crise, l'enfance en danger continuait. Les ordonnances de placement ont continué même s'il n'y avait pas d'audience. Même si, dans le projet d'établissement, nous ne sommes pas service d'accueil d'urgence, il a toutefois fallu trouver des solutions pour des jeunes qui, pendant le confinement, devaient trouver une place. Ils ont été accueillis à bras ouverts, avec toutes les précautions nécessaires. Nous nous sommes engagés au-delà des jeunes que nous accueillions.

Une autre bonne nouvelle concernant les professionnels est la redécouverte du panel des talents d'un éducateur. Ces dernières années, les directeurs d'établissement étaient parfois un peu critiques sur la tournure que semblaient prendre les formations d'éducateur spécialisé, de chef de projet, de coordinateur de parcours. Les directeurs se plaignaient souvent que le quotidien qui faisait la sève de la prise en charge des jeunes et les capacités d'animation semblaient dans ces formations passer au second plan. Nous avons redécouvert à l'occasion de la prise en charge en journée – qui n'a pas lieu habituellement – les capacités d'animation, de quotidien, de vie de groupe de nos professionnels. Cela a remis une vie et une dynamique qui perdurent aujourd'hui. Nous avons racheté du matériel pour faire du macramé, des bracelets de perles et des scoubidous. Redécouvrir la simplicité de ces activités tous ensemble a fait énormément de bien.

Les enfants que nous accueillons ont de telles problématiques que nous pouvons très vite dévier, ne voir que cela et oublier que ce sont en même temps des enfants en pleine croissance qui ont les mêmes besoins que les autres : jouer, s'amuser… et les talents ont été remis au goût du jour.

Les professionnels ont aussi montré leurs talents pour l'accompagnement à la scolarité puisqu'il a bien fallu le faire, avec encore une fois des effets très positifs. Nous voyons parfois un clivage entre les professionnels et le corps enseignant, chacun se renvoyant la balle des difficultés rencontrées lors de la prise en charge des jeunes. Nos éducateurs se sont retrouvés à faire les professeurs, et en tout cas à travailler de façon très concertée avec eux. Cela a provoqué de belles rencontres qui perdurent dans le temps, puisqu'il fallait bien se parler. De plus, les uns et les autres ont pris conscience des difficultés de leur métier respectif et, finalement, ils arrêtent de se demander qui est responsable en cas de problème, pour au contraire unir leurs forces. Tout ceci a été vécu de façon très intense pendant le confinement et, depuis la rentrée, a facilité les liens.

Sur le site, se trouvent des établissements scolaires dans lesquels sont scolarisés environ les deux tiers de nos jeunes de la protection de l'enfance. Depuis la rentrée, je dirais que les éducateurs vont spontanément dans les établissements scolaires à la rencontre des enseignants environ deux fois plus souvent qu'avant. Cela ne peut être que fructueux pour les jeunes.

Nous avons rencontré des limites avec le numérique, mais le sujet n'est pas si simple. Nous pourrions déplorer que nous manquons d'ordinateurs dans les établissements de protection de l'enfance, mais, en même temps, je n'en veux pas. Je ne veux pas de wifi, j'aimerais parfois couper même les réseaux téléphoniques. Il faut fonctionner de façon très fine sur ces questions. Pour la continuité pédagogique pendant le confinement, j'aurais bien entendu aimé avoir des ordinateurs pour tous les jeunes, mais je suis prudente car je vois aussi tous leurs impacts négatifs au quotidien. Chacun connaît ces impacts négatifs de l'usage du numérique et donc l'urgence d'éduquer au numérique. Nous avons donc dès le mois de septembre engagé une formation auprès des professionnels et des jeunes sur le bon usage du numérique et sur ses risques lorsqu'il est déployé de façon très ouverte auprès de publics vulnérables.

Je souhaite porter à votre connaissance un point qui a été difficile : la suspension des droits d'hébergement des jeunes durant le confinement. Je vous avoue que cela a suscité chez moi une forme d'incompréhension. Nous avons tous eu entre les mains la feuille portant les motifs autorisés de déplacement. Parmi ces motifs se trouvait bien, pour les enfants de parents divorcés, la possibilité de sortir pour emmener l'enfant chez l'autre parent. Pour les enfants de la protection de l'enfance, il s'agit d'une forme de garde alternée entre l'établissement et la famille, mais, pourtant, tous les droits ont été suspendus. J'ai en tête un petit bonhomme de 12 ans arrivé en premier placement un mois avant le confinement. J'ai pris sur moi, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, d'organiser un système lui permettant, dans un endroit adéquat, de voir sa mère. Cela a été du cas par cas, ce n'était pas évident, en tout cas peu organisé puisque la ligne directrice était la suspension des droits d'hébergement.

Au contraire, pour certains jeunes sous ordonnance de placement, les droits ont été élargis pour qu'ils puissent être confinés au domicile. C'était complexe. Nous avons eu d'heureuses surprises qui ont accéléré le retour à domicile, mais aussi, parfois, nous avons été contraints d'organiser au bout de dix ou quinze jours le rapatriement en établissement de certains jeunes. Cela a été compliqué à gérer et demande une analyse car certains de mes collègues pourraient dire que, pour des jeunes ayant des relations familiales extrêmement compliquées, le confinement et la suspension des droits d'hébergement ont été vécus comme un moment d'apaisement. C'est peut-être aussi parce que le temps de travail des éducateurs et des équipes ainsi que le fonctionnement de l'établissement ont été revus. Nous étions comme dans les camps de vacances, avec des organisations compliquées permettant que les mêmes adultes restent en continu autour des mêmes jeunes. Ils se sont peut-être trouvés dans un cocon sécurisant. Il faut étudier finement cette question du lien avec les familles et de cette suspension brutale des hébergements. Malgré tout, ces jeunes ont de mon point de vue été victimes d'une sorte d'inégalité devant le droit.

Enfin, j'ai bien conscience que la réalité de l'établissement telle que je vous la décris est liée intimement à la configuration de l'établissement. Ce n'est pas la même chose d'être confiné dans un établissement à Paris avec une toute petite cour ou dans un établissement de 18 hectares avec sur site des terrains par exemple. Ce n'est pas la même chose non plus de vivre le confinement dans le Val-d'Oise, en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne.

J'ai pu échanger avec mes collègues. Les relations avec les départements qui sont nos autorités de tutelle ont été d'une diversité immense, même dans les réactions post-confinement. Dans le Val-d'Oise, les dispositifs 21+ permettant de poursuivre les prises en charge au-delà de l'anniversaire des 21 ans ont été activés immédiatement, sans même une demande de ma part tandis que dans d'autres départements, il a fallu batailler et les choses ne sont parfois pas gagnées.

Hors confinement, nous constatons déjà d'habitude une grande disparité dans l'accès aux droits selon les départements et les politiques de protection de l'enfance, mais cela a presque été accru, ou encore plus mis en lumière durant cette période de confinement.

Dans le Val-d'Oise, nous avons été extrêmement favorisés avec, immédiatement, une réunion hebdomadaire en visioconférence de l'ensemble des responsables d'établissements avec les responsables du Val-d'Oise qui donnaient des informations et faisaient preuve d'une très forte réactivité sur les dépenses nécessaires pour la bonne prise en charge des jeunes.

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