Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 8h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • apprentis d'auteuil
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  • confinement
  • enfance

La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 1er octobre 2020

La séance est ouverte à huit heures quarante-cinq.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

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Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui des adultes qui misent sur la jeunesse et croient en elle depuis 1929. Cet état d'esprit caractérise les Apprentis d'Auteuil. Depuis cent cinquante ans, cette association de terrain s'est rôdée aux conflits divers, à de vrais conflits comme les guerres, à l'adversité et aujourd'hui au virus.

Je pense que votre éclairage va nous aider, dans notre enquête, à relativiser, à mettre en exergue les carences et les ressorts de cette jeunesse en grande difficulté, sans panique ni déni, en prenant toujours le parti des jeunes qui ont, eux aussi, des ressources, des idées et du courage.

Mesdames, Monsieur, vous vous consacrez à l'accueil, à la formation et à l'aide à l'insertion des jeunes en difficulté. Vous intervenez auprès des familles avec un réseau de 240 établissements, notamment des maisons d'enfants à caractère social, des internats, des maisons de familles et des établissements scolaires.

De quelle façon votre fondation a-t-elle pu fonctionner pendant le confinement et jusqu'à aujourd'hui ? De quelle façon l'épidémie et le confinement ont-ils affecté les enfants et les adolescents ? Comment cela a-t-il affecté leur parcours scolaire, leur santé psychique, leur situation sociale ? Avez-vous eu de bonnes surprises ? Si oui, lesquelles ? Nous avons besoin de rebonds, de prises en main.

Comment les enfants accueillis dans vos établissements dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance ou de la justice ont-ils vécu cette crise ? Nous souhaitons être au plus proche de la parole des jeunes. C'est presque ce qui nous manque le plus dans cette assemblée et dans notre société tout entière. Comme aller de l'avant ? Que préconisez-vous pour nos jeunes dans cette période presque aussi troublée qu'il y a cinq ou six mois ?

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « je le jure » avant votre première intervention.

(M. André Altmeyer prête serment.)

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André Altmeyer, directeur général adjoint

Je vous remercie de nous avoir invités à porter devant vous la parole des jeunes et des familles. C'est pour nous une joie et un honneur. Nous aurions aimé que les jeunes puissent venir témoigner eux-mêmes, mais ils sont en période scolaire ou en formation et le contexte est suffisamment compliqué pour que nous les encouragions à l'assiduité.

J'ai néanmoins eu le plaisir hier d'échanger avec quelques-uns d'entre eux sur le site historique situé au 40, rue Jean de La Fontaine à Paris. Les jeunes m'ont demandé de vous transmettre une invitation pour que vous puissiez venir à leur rencontre. Sachez donc que vous seriez les bienvenus si vous trouviez quelques minutes de votre précieux temps pour aller à leur rencontre sur l'un ou l'autre de nos sites.

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Notre réponse est évidemment positive, avec beaucoup de plaisir. Nous prendrons rendez-vous.

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André Altmeyer, directeur général adjoint

Les jeunes seront ravis, merci.

Nous sommes très heureux que les enfants et les jeunes soient inscrits de manière aussi forte à son agenda par la représentation nationale. Nous formulons des vœux pour que vos travaux permettent de développer, de renforcer des politiques publiques ambitieuses, à la hauteur des enjeux auxquels ces jeunes et ces familles sont confrontés, ainsi que nous-mêmes à leur service.

Je rappelle dans quel contexte nous agissons aujourd'hui. Apprentis d'Auteuil a effectivement une expérience inscrite dans l'histoire puisque nous avons été créés en 1866 et nous sommes devenus fondation reconnue d'utilité publique en 1929. Apprentis d'Auteuil accompagne actuellement 30 000 jeunes et 6 000 familles sur tout le territoire français, aussi bien en métropole que dans les Outre-mer. Nous avons 6 000 collaborateurs et 4 000 bénévoles qui se dédient à cet accompagnement.

Il est important de rappeler que nous agissons dans quatre grands champs d'activité. La protection de l'enfance réunit à peu près 30 % des jeunes que nous accompagnons. Nous intervenons dans la lutte contre le décrochage scolaire via nos établissements scolaires et nos internats éducatifs et scolaires. Ils sont proposés lorsque cela peut permettre aux jeunes de prendre du recul et à la famille de souffler. Nous intervenons également dans le champ du soutien à la parentalité avec des dispositifs tels que des crèches à vocation d'insertion professionnelle et des maisons des familles. Nous sommes évidemment très attentifs à honorer la responsabilité éducative première des parents, y compris dans le champ de la protection de l'enfance. Enfin, nous intervenons, de manière renforcée depuis quelques années, dans le champ de l'insertion sociale et professionnelle des jeunes à travers la voie de l'apprentissage, de la formation continue et des dispositifs favorisés notamment par le Plan d'investissement dans les compétences.

Nous sommes fortement présents dans les Outre-mer, à Mayotte, à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et, de manière plus modeste, mais avec des perspectives de présence renforcée, en Guyane.

Si nous parlons des enfants et des jeunes, il nous paraît essentiel d'évoquer la situation de leurs familles. Puisque vous nous en offrez l'occasion, vous voudrions aussi leur donner la parole à travers nous. Nous capitaliserons pour notre part sur ce que nous avons vécu depuis début février puisque nous avons, par notre présence sur l'ensemble du territoire national, vécu les débuts de cette crise dans le Grand-Est en particulier. L'expérience compliquée de ces moments de début de confinement nous a beaucoup servi pour le reste de nos établissements.

Nous sommes engagés dans une démarche de relecture avec les jeunes, avec les familles, avec les collaborateurs et nous poursuivrons cette démarche jusqu'au mois de janvier. Nous souhaitons approfondir vraiment cette réflexion puisque nous considérons que l'impact est réel et durable. C'est le fil rouge du travail que nous menons actuellement avec les jeunes et cela nourrira notre réflexion stratégique. Il se trouve qu'Apprentis d'Auteuil entre dans la phase d'élaboration de son prochain projet stratégique. Cet élément sera très important.

Nous avons la chance que deux mamans accompagnées par Apprentis d'Auteuil soient présentes au Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) pour porter la voix des familles. L'expérience que nous avons vécue, notamment à travers nos maisons des familles, nourrira donc les réflexions.

Je vous remets également ce travail : Le livre du Corona de A à Z, réalisé par les mamans et les accompagnants des maisons des familles, plus particulièrement celle de Grenoble.

Pour résumer, le soutien aux plus vulnérables nous paraît être une priorité. Tout ce qui peut aider ces publics les plus fragiles est, de notre point de vue, à développer. Je pense aux minima sociaux, au revenu de solidarité active (RSA) jeune pour lequel nous nous sommes engagés. Il nous semble que, dans le contexte actuel, abaisser l'âge du RSA jeune actif à 18 ans sous condition de ressources serait vraiment nécessaire pour éviter que des jeunes ne s'enfoncent dans la précarité. L'aide au logement, l'accès aux soins, l'accélération des procédures de régularisation et d'accueil en préfecture des mineurs non accompagnés (MNA) sont aussi pour nous des sujets extrêmement importants.

Le deuxième point est le besoin de reconnaissance des travailleurs sociaux. Apprentis d'Auteuil a pris l'initiative assez tôt de reconnaître de manière monétaire le travail qui avait été fait et a décidé de verser une prime, au début de la crise, à ses collaborateurs. Nous constatons que cette reconnaissance n'est pas présente sur l'ensemble du territoire. Elle est plus ou moins présente selon les départements, plus ou moins marquée, voire pas marquée du tout et les équipes le vivent de manière assez négative.

La complémentarité et le travail en synergie pour tous les sujets liés à l'enfance et à la jeunesse sont importants. Nous avons pu mesurer qu'une absence de concertation suffisante entre les ministères, entre les équipes qui travaillent dans le champ scolaire, dans le champ de la protection de l'enfance, dans le soutien à la parentalité… a pu être réellement préjudiciable.

Il faut également porter attention au numérique dans le cadre de la scolarité et du soutien à l'enseignement à distance. Nous avons vérifié, y compris chez nous, qu'un équipement insuffisant a pu être préjudiciable, mais c'est encore plus vrai dans les familles et pour les jeunes, en particulier dans les milieux ruraux, mais pas uniquement.

( Mme Pauline Spinas-Beydon prête serment. )

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Maison d'Enfants à Caractère Social (MECS) Saint-Jean de Sannois (Val-d'Oise)

Vous avez évoqué, madame la présidente, les heureuses surprises et j'ai envie de commencer par une heureuse surprise pour nous donner un peu de baume au cœur et des forces. La première excellente surprise que nous avons eue a été le respect par nos jeunes du confinement de façon quasiment immédiate et facile.

Mon établissement est une maison de protection de l'enfance à Sannois dans le Val-d'Oise, située sur un site comptant plusieurs établissements. Ce sont les anciennes grandes maisons d'Auteuil qui ont été divisées en plusieurs établissements. Je partage le terrain avec des établissements scolaires et des internats de prévention. Nous avons au titre de la protection de l'enfance la charge de 60 garçons et filles de 13 à 21 ans, provenant de toute l'Ile-de-France avec une majorité de Valdoisiens. Ces jeunes, notamment les 15-18 ans, ont parfois une petite tendance aux sorties non autorisées et il était légitime de s'interroger sur leur capacité à respecter le confinement. Ils auraient pu le rompre pour aller voir leurs amis, pour poursuivre leur vie sociale qui se déroule forcément en dehors de la MECS, pour aller voir les parents, aller acheter des cigarettes voire des substances illicites pour certains. La surprise a été que, alors qu'ils n'étaient pas inquiets pour eux, le discours sur la mise en danger possible des autres a été extrêmement efficace. Nous avons pu constater l'empathie, la citoyenneté de nos jeunes dès les premiers jours. Quelques entorses, quelques sorties non autorisées ont bien sûr eu lieu. Nous avons mis en place des protocoles durs, rigoureux lorsqu'ils revenaient de sortie non autorisée ou de petite fugue, avec des confinements en chambre qui ont été respectés par les jeunes. Cette preuve de leur attention aux autres est une première bonne nouvelle que nous pouvons saluer.

La deuxième bonne nouvelle se trouve du côté des professionnels. Ils ont pris la mesure, d'un seul coup, du fait qu'ils étaient des acteurs du service public. Au-delà du contrat de travail, nous avons constaté leur engagement. Il faut savoir que nous avons des professionnels dont la moyenne d'âge est assez jeune, dans des professions globalement peu rémunérées. Certains habitent encore chez leurs parents voire avec des personnes plus âgées. Ils savaient qu'ils seraient avec les jeunes au quotidien et craignaient pour la santé de ceux avec qui ils habitaient. Plus d'un quart des salariés ont fait le choix de l'engagement auprès des jeunes et sont venus habiter sur site, pour ne pas mettre en danger leur famille et continuer à être au service des jeunes. Le mot « service public » a vraiment pris son sens et j'ai particulièrement salué le fait que, pendant la crise, l'enfance en danger continuait. Les ordonnances de placement ont continué même s'il n'y avait pas d'audience. Même si, dans le projet d'établissement, nous ne sommes pas service d'accueil d'urgence, il a toutefois fallu trouver des solutions pour des jeunes qui, pendant le confinement, devaient trouver une place. Ils ont été accueillis à bras ouverts, avec toutes les précautions nécessaires. Nous nous sommes engagés au-delà des jeunes que nous accueillions.

Une autre bonne nouvelle concernant les professionnels est la redécouverte du panel des talents d'un éducateur. Ces dernières années, les directeurs d'établissement étaient parfois un peu critiques sur la tournure que semblaient prendre les formations d'éducateur spécialisé, de chef de projet, de coordinateur de parcours. Les directeurs se plaignaient souvent que le quotidien qui faisait la sève de la prise en charge des jeunes et les capacités d'animation semblaient dans ces formations passer au second plan. Nous avons redécouvert à l'occasion de la prise en charge en journée – qui n'a pas lieu habituellement – les capacités d'animation, de quotidien, de vie de groupe de nos professionnels. Cela a remis une vie et une dynamique qui perdurent aujourd'hui. Nous avons racheté du matériel pour faire du macramé, des bracelets de perles et des scoubidous. Redécouvrir la simplicité de ces activités tous ensemble a fait énormément de bien.

Les enfants que nous accueillons ont de telles problématiques que nous pouvons très vite dévier, ne voir que cela et oublier que ce sont en même temps des enfants en pleine croissance qui ont les mêmes besoins que les autres : jouer, s'amuser… et les talents ont été remis au goût du jour.

Les professionnels ont aussi montré leurs talents pour l'accompagnement à la scolarité puisqu'il a bien fallu le faire, avec encore une fois des effets très positifs. Nous voyons parfois un clivage entre les professionnels et le corps enseignant, chacun se renvoyant la balle des difficultés rencontrées lors de la prise en charge des jeunes. Nos éducateurs se sont retrouvés à faire les professeurs, et en tout cas à travailler de façon très concertée avec eux. Cela a provoqué de belles rencontres qui perdurent dans le temps, puisqu'il fallait bien se parler. De plus, les uns et les autres ont pris conscience des difficultés de leur métier respectif et, finalement, ils arrêtent de se demander qui est responsable en cas de problème, pour au contraire unir leurs forces. Tout ceci a été vécu de façon très intense pendant le confinement et, depuis la rentrée, a facilité les liens.

Sur le site, se trouvent des établissements scolaires dans lesquels sont scolarisés environ les deux tiers de nos jeunes de la protection de l'enfance. Depuis la rentrée, je dirais que les éducateurs vont spontanément dans les établissements scolaires à la rencontre des enseignants environ deux fois plus souvent qu'avant. Cela ne peut être que fructueux pour les jeunes.

Nous avons rencontré des limites avec le numérique, mais le sujet n'est pas si simple. Nous pourrions déplorer que nous manquons d'ordinateurs dans les établissements de protection de l'enfance, mais, en même temps, je n'en veux pas. Je ne veux pas de wifi, j'aimerais parfois couper même les réseaux téléphoniques. Il faut fonctionner de façon très fine sur ces questions. Pour la continuité pédagogique pendant le confinement, j'aurais bien entendu aimé avoir des ordinateurs pour tous les jeunes, mais je suis prudente car je vois aussi tous leurs impacts négatifs au quotidien. Chacun connaît ces impacts négatifs de l'usage du numérique et donc l'urgence d'éduquer au numérique. Nous avons donc dès le mois de septembre engagé une formation auprès des professionnels et des jeunes sur le bon usage du numérique et sur ses risques lorsqu'il est déployé de façon très ouverte auprès de publics vulnérables.

Je souhaite porter à votre connaissance un point qui a été difficile : la suspension des droits d'hébergement des jeunes durant le confinement. Je vous avoue que cela a suscité chez moi une forme d'incompréhension. Nous avons tous eu entre les mains la feuille portant les motifs autorisés de déplacement. Parmi ces motifs se trouvait bien, pour les enfants de parents divorcés, la possibilité de sortir pour emmener l'enfant chez l'autre parent. Pour les enfants de la protection de l'enfance, il s'agit d'une forme de garde alternée entre l'établissement et la famille, mais, pourtant, tous les droits ont été suspendus. J'ai en tête un petit bonhomme de 12 ans arrivé en premier placement un mois avant le confinement. J'ai pris sur moi, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, d'organiser un système lui permettant, dans un endroit adéquat, de voir sa mère. Cela a été du cas par cas, ce n'était pas évident, en tout cas peu organisé puisque la ligne directrice était la suspension des droits d'hébergement.

Au contraire, pour certains jeunes sous ordonnance de placement, les droits ont été élargis pour qu'ils puissent être confinés au domicile. C'était complexe. Nous avons eu d'heureuses surprises qui ont accéléré le retour à domicile, mais aussi, parfois, nous avons été contraints d'organiser au bout de dix ou quinze jours le rapatriement en établissement de certains jeunes. Cela a été compliqué à gérer et demande une analyse car certains de mes collègues pourraient dire que, pour des jeunes ayant des relations familiales extrêmement compliquées, le confinement et la suspension des droits d'hébergement ont été vécus comme un moment d'apaisement. C'est peut-être aussi parce que le temps de travail des éducateurs et des équipes ainsi que le fonctionnement de l'établissement ont été revus. Nous étions comme dans les camps de vacances, avec des organisations compliquées permettant que les mêmes adultes restent en continu autour des mêmes jeunes. Ils se sont peut-être trouvés dans un cocon sécurisant. Il faut étudier finement cette question du lien avec les familles et de cette suspension brutale des hébergements. Malgré tout, ces jeunes ont de mon point de vue été victimes d'une sorte d'inégalité devant le droit.

Enfin, j'ai bien conscience que la réalité de l'établissement telle que je vous la décris est liée intimement à la configuration de l'établissement. Ce n'est pas la même chose d'être confiné dans un établissement à Paris avec une toute petite cour ou dans un établissement de 18 hectares avec sur site des terrains par exemple. Ce n'est pas la même chose non plus de vivre le confinement dans le Val-d'Oise, en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne.

J'ai pu échanger avec mes collègues. Les relations avec les départements qui sont nos autorités de tutelle ont été d'une diversité immense, même dans les réactions post-confinement. Dans le Val-d'Oise, les dispositifs 21+ permettant de poursuivre les prises en charge au-delà de l'anniversaire des 21 ans ont été activés immédiatement, sans même une demande de ma part tandis que dans d'autres départements, il a fallu batailler et les choses ne sont parfois pas gagnées.

Hors confinement, nous constatons déjà d'habitude une grande disparité dans l'accès aux droits selon les départements et les politiques de protection de l'enfance, mais cela a presque été accru, ou encore plus mis en lumière durant cette période de confinement.

Dans le Val-d'Oise, nous avons été extrêmement favorisés avec, immédiatement, une réunion hebdomadaire en visioconférence de l'ensemble des responsables d'établissements avec les responsables du Val-d'Oise qui donnaient des informations et faisaient preuve d'une très forte réactivité sur les dépenses nécessaires pour la bonne prise en charge des jeunes.

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J'ai bien entendu, monsieur, ce que vous disiez sur la question du RSA à partir de 18 ans. Cette question a également été portée par les associations de jeunesse que nous avons reçues lors de la première audition. J'entends aussi ce que vous dites sur la reconnaissance des travailleurs sociaux et la nécessité d'un traitement égalitaire sur tout le territoire de toutes les professions. Les travailleurs sociaux ont été remarquables durant toute cette période et je tiens à les saluer.

Vous n'êtes pas les premiers à nous parler du manque de concertation. C'est un sujet récurrent, abordé également par les pédopsychiatres et les pédiatres. Nous devons réfléchir à la façon de mettre en place, en cas de nouvelle crise, quelle qu'elle soit, des réseaux de concertation qui soient opérants pour tous les domaines de l'État et de l'action publique. Vous avez donné l'exemple de la suspension des droits d'hébergement qu'une concertation aurait peut-être permis de gérer de façon plus souple et intelligente.

Vous avez dit que vous travailleriez sur l'impact réel et durable de cette crise et que vous réfléchissiez à votre projet stratégique pour les années à venir. Quels sont les enseignements de cette période de crise qui rentrent dans ce projet stratégique ? Que modifiez-vous dans ce projet stratégique en tenant compte du vécu de cette période de crise ? Vous êtes les premiers à nous dire avoir réfléchi à la manière d'adapter votre projet compte tenu de cette situation et nous serions très intéressés d'en connaître plus les détails.

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André Altmeyer, directeur général adjoint

J'aimerais pouvoir vous répondre dès maintenant, mais nous sommes dans une phase d'écoute et, de manière tout à fait exceptionnelle, nous avons souhaité que cette phase d'écoute, sur la partie relecture de la crise du covid-19, se poursuive jusqu'au mois de janvier.

Nous prolongerons de plus notre phase d'écoute, en ne la menant pas uniquement en interne, mais en lançant une très vaste concertation au niveau national pour aller écouter la parole des jeunes, des familles et des différentes parties prenantes mobilisées par les questions de jeunesse et d'éducation. Nous voulons ainsi être capables d'identifier ce que sont les enjeux. Nous nous méfions de nous-mêmes au sens où nous saurions déjà, après seulement trois ou quatre mois, de quoi demain sera fait et, surtout, quelle est la réalité du besoin et de l'attente des jeunes et des familles.

Nous avons organisé la convention des cadres dirigeants d'Apprentis d'Auteuil au mois d'août dernier. Nous étions 120, dont 25 jeunes et parents. Nous avons réellement travaillé dans des logiques de ce que nous appelons à Apprentis d'Auteuil le « penser et agir ensemble ». Ce sont des logiques d'autonomisation. Nous avons été très marqués par la capacité réelle des jeunes et des parents à participer à parité avec les professionnels à des sujets de fond, à l'expression de ce qu'ils observent, de ce qu'ils vivent, de ce qu'ils attendent.

Le besoin de lien social est le premier point que jeunes et parents mettent en avant. Ils ont exprimé des besoins immédiats, des besoins de survie pour les familles qui ont été encore davantage précarisées par la crise. En particulier, nos maisons des familles se sont transformées pendant cette période pour s'adapter aux besoins alimentaires. Il a fallu aller faire les courses, apporter de la nourriture aux familles. Toutefois, ce qui est exprimé plus fondamentalement est un besoin de lien social.

J'ai présent à l'esprit le témoignage de Fadila, une maman d'une des maisons des familles qui participait à la convention cet été. Elle disait dans l'atelier auquel je participais, en parlant de la maison des familles : « Vous êtes les seuls qui, pendant toute la période de confinement, êtes venus prendre de mes nouvelles. Sinon, j'étais absolument isolée. » Il s'agit d'une maman de trois enfants. Le besoin de lien social est vraiment important, ainsi que le besoin d'être reconnu, et d'être reconnu dans ses capacités.

Le désir de contribution, de participation est réel. Le sentiment d'être insuffisamment écouté par celles et ceux qui, à tous les niveaux de notre société, doivent présider aux décisions impactant les jeunes et les familles, est assez fortement exprimé. C'est tellement vrai que les jeunes, à la fin de la convention, nous ont remerciés publiquement de les avoir inclus. Ils ont dit s'être vraiment sentis bien et nous ont demandé de leur donner la possibilité d'organiser une convention des jeunes à laquelle eux-mêmes nous inviteraient. Nous avons bien sûr répondu favorablement. C'est dire à quel point, si nous les prenons au sérieux, ils sont tout à fait capables d'apporter des réponses extrêmement profondes, pertinentes et concrètes.

Voilà l'essentiel de ce que nous avons pu recueillir jusqu'ici. Nous ferons le travail de façon très sérieuse et nous ne déciderons pas avant d'avoir écouté.

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Maison d'Enfants à Caractère Social (MECS) Saint-Jean de Sannois (Val-d'Oise)

Pour compléter et donner une illustration très concrète de ce qu'André Altmeyer a dit, nous avons particulièrement ressenti ce besoin de lien social chez nos anciens de la protection de l'enfance. Apprentis d'Auteuil a développé de façon expérimentale puis pérennisé un dispositif de suivi et d'accompagnement des sortants de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Ce dispositif nommé La Touline s'adresse à ceux qui ne bénéficient plus de la prise en charge et fait écho à notre article 1er qui, depuis 150 ans, affirme que la fondation des Apprentis d'Auteuil s'efforce de garder un lien de confiante amitié. Ce lien a été professionnalisé suite aux statistiques portant sur l'isolement et la précarité des jeunes sortant de la protection de l'enfance. Nous avons donc, sur différents territoires en France, développé des équipes dédiées à ce suivi. Elles ont débordé de travail à distance, parfois en présentiel lorsque c'était nécessaire, pour intervenir auprès de jeunes récemment sortis. Nous pensions quant à nous avoir « coché toutes les cases » pour ces jeunes : contrat à durée indéterminée ou déterminée (CDI ou CDD), foyer de jeunes travailleurs… Pourtant, pendant le confinement, ces jeunes avaient besoin d'appels quasiment quotidiens du fait de l'isolement. Leur retour a été de dire : « J'ai tenu grâce à vous, parce que vous étiez mon lien social. »

Nous savons que continuer à se tisser une vie sociale et un réseau en dehors de l'établissement dans lequel ils ont grandi est un enjeu important pour beaucoup de nos anciens jeunes. Les équipes de La Touline n'ont jamais autant travaillé sur ces questions purement affectives et de lien, par téléphone et par visioconférence, que pendant la période de confinement.

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Les ressources des Apprentis d'Auteuil proviennent essentiellement de la générosité publique, de subventions, dons, donations, legs, mécénat, de la taxe d'apprentissage. Craignez-vous, du fait de la situation économique actuelle et à venir, un désengagement de certains de vos donateurs ou une baisse significative de ces financements ?

Avez-vous par ailleurs constaté une baisse de l'offre des contrats d'apprentissage, ou le craignez-vous ?

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Vous avez parlé du RSA jeune. Lorsque nous abordons la question à l'Assemblée, la réponse est qu'il existe des accompagnements par les missions locales ou d'autres dispositifs. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Les missions locales ont-elles joué leur rôle pendant le confinement ? Cela peut-il être un point de sortie ?

S'agissant des impacts, nous savons que les enfants n'ont pas pu suivre un certain nombre de traitements qui leur étaient prescrits auprès de psychologues, psychothérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes. Quel en est l'impact à votre avis ?

Vous avez indiqué que vous aviez de nombreux services. Tous ces services ont-ils pu continuer à fonctionner ? Si certains n'ont pas pu continuer, comment retrouvez-vous tout ce petit monde à l'issue du confinement ?

Enfin, comment avez-vous suivi les enfants à domicile que vous veniez de renvoyer ou ceux que vous suiviez en temps normal en action éducative en milieu ouvert (AEMO) ou en action éducative à domicile (AED) ?

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Je veux d'abord vous dire merci, à vous, à tout le personnel encadrant et toutes les équipes. Un très beau centre Apprentis d'Auteuil se trouve à Meudon dans ma circonscription. Je suis allée les rencontrer au lendemain du déconfinement, notamment dans les deux foyers d'urgence et j'ai mesuré à quel point leur implication était déterminante. Dans les deux foyers que j'ai visités, les enfants et les jeunes étaient sereins. Ce temps qui leur a été donné pour se poser une fois dans leur vie a même permis à certains de reprendre des forces.

Leur inquiétude sur la poursuite de leurs études m'a frappée lorsque je suis allée à leur rencontre. Ils s'inquiétaient pour le déroulement du baccalauréat, pour leur contrat d'apprentissage de l'année suivante.

J'ai aussi constaté dans mon département des Hauts-de-Seine une multiplication des sorties sèches à l'âge de 18 ans. Il ne s'agit donc même pas de la poursuite d'un contrat jeune majeur. Cela n'a pas été systématique, mais beaucoup de jeunes qui atteignaient l'âge de 18 ans pendant le confinement ont été mis dehors à la fin du confinement. Je voudrais savoir si vous avez constaté ce phénomène dans de nombreux d'endroits.

Vous avez souligné cette forme d'injustice entre les enfants en garde alternée dans des familles, mais non confiés à l'ASE qui pouvaient voir leurs deux parents, et les enfants confiés à l'ASE qui étaient « retenus prisonniers » ou ont pu, pour certains, le vivre comme tel. Avez-vous constaté une augmentation du nombre de fugues ?

Enfin, j'ai constaté un point positif : la coordination ne se fait pas qu'en passant par l'État et j'ai vu le Secours catholique être très heureux de dépanner les foyers avec des jeux et des livres. Je tenais à saluer ce fait.

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André Altmeyer, directeur général adjoint

Apprentis d'Auteuil vit grâce à la générosité de ses donateurs, mais aussi grâce aux ressources que la puissance publique lui alloue, notamment dans le cadre des prix de journée définis établissement par établissement pour les presque 60 établissements de protection de l'enfance. Les financements publics assurent donc 60 % du financement global d'Apprentis d'Auteuil et la générosité des donateurs 40 %.

Aucun des deux ne nous a fait défaut. Nous craignions énormément une rupture ou une diminution du lien avec nos donateurs, mais, en réalité, nous avons été extrêmement surpris du surcroît de générosité, provenant de donateurs très modestes, mais très fidèles ainsi que de mécènes et de philanthropes qui sont spontanément venus vers Apprentis d'Auteuil. Ils ont permis d'accompagner les établissements en équipements informatiques, en équipements de sport, en équipements pour des activités artistiques… y compris en masques et gel. Nous avons donc été très encouragés et c'est évidemment un signal très positif pour les jeunes comme pour les équipes. Nous avons senti que nous n'étions pas seuls.

Je dois dire que, si la relation avec le secrétariat d'État était au rendez-vous dès le départ, les mesures et les aides ont quand même beaucoup tardé. Les atermoiements nous ont causé de véritables difficultés, notamment sur les sites où se trouvaient à la fois des activités de protection de l'enfance, des activités scolaires, de la formation professionnelle et des dispositifs de remobilisation. Les directives étaient parfois contradictoires, par exemple entre les internats éducatifs et scolaires qui, au départ, n'avaient pas besoin de travailler avec masque tandis que le port du masque était obligatoire en protection de l'enfance et, finalement, c'est l'inverse qui a été décidé. Cela n'a pas été simple. Dans ce contexte, le soutien sans faille de nos donateurs et le financement des collectivités départementales ont été importants.

Sur la question des contrats d'apprentissage, nous sommes face à un vrai défi, à la fois pour les contrats d'apprentissage et pour les stages des jeunes en dispositif de remobilisation. Apprentis d'Auteuil était lauréat de deux plans d'investissement dans les compétences (PIC), Prépa Apprentissage et 100 % inclusion. Un certain nombre de petites et moyennes entreprises (PME) nous ont malheureusement dit qu'elles n'y arriveraient pas, qu'elles ne pourront plus accueillir les jeunes. C'est une vraie difficulté. La qualité du lien que les équipes d'Apprentis d'Auteuil tissent sur le terrain avec nos parties prenantes, en particulier avec les entreprises locales, fait que nous arrivons néanmoins, stage après stage, contrat après contrat, à grappiller des contrats et à éviter qu'un nombre trop important de jeunes ne se retrouvent sans solution.

Toutefois, nous constatons effectivement une vraie perte en ligne. Ces jeunes que la période de confinement a déjà démobilisés recommencent finalement à zéro, en particulier les jeunes les plus éloignés de l'emploi, les Not in education, employment or training (NEET). Il faut aller chercher ces jeunes un à un, là où ils sont, dans leur immeuble, quasiment dans l'appartement dans lequel ils vivent. Malgré les liens qui se sont créés par les groupes WhatsApp ou par les échanges téléphoniques, cette période a été vraiment préjudiciable.

Le soutien de l'État et les décisions qui seront prises pour renforcer de manière significative le soutien à l'apprentissage bénéficient prioritairement, comme c'est toujours le cas, à ceux qui sont déjà qualifiés, qui ont déjà un diplôme. Pour ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi, cela reste un combat de tous les jours.

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Maison d'Enfants à Caractère Social (MECS) Saint-Jean de Sannois (Val-d'Oise)

La difficulté apparaît dès les stages de troisième. Le développement du télétravail se traduit par une réduction des capacités d'accueil. Les entreprises qui, d'habitude, prenaient des stagiaires trouvent que c'est trop compliqué maintenant, elles limitent les effectifs à cause des risques sanitaires et ne veulent pas de stagiaires. Certains corps de métier qui attirent beaucoup les jeunes en remobilisation ne prennent plus de stagiaires, par exemple les pompiers, alors que nous avions des partenariats extraordinaires avec les casernes de pompiers qui étaient de véritables nouveaux départs pour les jeunes.

Je n'ai pas de vision générale des missions locales, mais, au niveau local, je constate une mobilisation très forte et la mise en place de nombreuses garanties jeune qui permettent de remobiliser nos jeunes de 16, 18, 19 ans. Cela fonctionne plutôt bien localement.

Par contre, nous estimons que 30 % des jeunes de la protection de l'enfance relèvent ou relèveraient de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et nous avons des difficultés avec les délais de mise en place de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). En fait, les délais d'instruction déjà longs des dossiers MDPH des jeunes de la protection de l'enfance ont été encore allongés par le confinement. C'est un vrai sujet car les durées de placement sont parfois courtes, nous avons peu de temps. Au moment des 18 ans, lorsque le jeune peut faire la demande, il faut faire tout le travail d'acceptation par le jeune et monter le dossier. Nous avons trois à six mois de contrat jeune majeur alors que les délais d'instruction sont longs. Le jeune bénéficiera rétroactivement d'un certain nombre de droits, notamment de l'AAH, de l'accès à tous les dispositifs de vie accompagnée. Dans la plupart des départements, les jeunes que nous gardons au sein des établissements au-delà de 18 ans sont ceux qualifiés de vulnérables, donc avec une surreprésentation de jeunes qui relèvent d'une prise en charge par la MDPH. Nous leur préparons une vie protégée et, pour cela, nous avons besoin de délais et nous sommes confrontés à des engorgements qui nous mettent en difficulté.

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Nous avons conscience que dans le contexte actuel de triple crise sociale, économique et sanitaire, la formation et l'insertion des jeunes sont de plus en plus difficiles, que ce soit pour trouver un contrat d'apprentissage ou pour aller tout simplement vers l'emploi. Je voulais avoir votre avis sur la situation dans les Outre-mer. Ces territoires ont été particulièrement impactés par la crise sanitaire, et le sont encore puisque nous continuons de vivre la crise sanitaire. Quels outils avez-vous à disposition pour suivre tous ces jeunes ?

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Je suis très engagée sur les jeunes dits NEET, parmi les 16-18 ans, puisque l'obligation de formation est effective depuis septembre. Les mesures d'accompagnement arrivent incessamment. Le problème de la mise en situation des jeunes dans les entreprises est un sujet important qui ne date pas d'hier, mais qui sera décuplé par le covid-19. Nous connaissons la relative frilosité de nos entreprises pour accueillir des jeunes parce que cela demande du temps, de l'engagement. Avec la crise sanitaire, c'est compliqué. J'aimerais tout de même trouver des pistes avec vous, notamment pour l'alternance.

Vous avez développé des Prépas Apprentissage avec les financements du PIC ; pendant six mois, le jeune est ainsi in situ dans le centre de formation des apprentis (CFA). Ne serait-il pas envisageable de supprimer l'alternance pendant cette période complexe, et que les jeunes soient à temps plein dans les CFA ? Les CFA disposent de plateaux techniques qui permettent aux jeunes d'avancer aussi dans les compétences professionnelles. Il ne faut pas stabiliser un tel dispositif dans le temps, car nous avons évidemment besoin des entreprises, mais ne pourrions-nous pas imaginer de procéder ainsi de façon temporaire, même si cela peut être compliqué en pratique pour les emplois du temps et l'occupation des salles ?

Vous avez mentionné le fait que le lien avec les établissements scolaires ne va pas de soi et s'est amélioré avec la crise dans certains territoires. Je suis très engagée sur le sujet des cités éducatives. Pourrions-nous réfléchir à la façon de sanctuariser les relations entre les établissements scolaires d'une part, et tous les autres acteurs, en dehors de ces établissements ? Pourrions-nous étudier si ce sont des facteurs humains qui permettent de faciliter l'établissement de liens, ou si certains leviers administratifs, législatifs ou liés à l'organisation peuvent faciliter ces échanges ?

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Maison d'Enfants à Caractère Social (MECS) Saint-Jean de Sannois (Val-d'Oise)

Un certain nombre de soins ont effectivement été différés, mais nous pouvons saluer la mise en place et les progrès de la téléconsultation. D'ailleurs, les effets positifs perdurent. La téléconsultation n'était pas un réflexe, les médecins n'étaient pas forcément équipés et ils se sont équipés. En Ile-de-France, les temps de trajet peuvent freiner ou mettre à mal des suivis, voire provoquer des discontinuités lorsqu'un jeune change d'établissement de protection de l'enfance. Finalement, l'utilisation des outils de télémédecine aura des conséquences favorables sur un certain nombre de suivis. Les médecins psychiatres, en tout cas les pédopsychiatres d'Ile-de-France que nous avons sollicités durant le confinement, ont globalement vraiment joué le jeu.

Les jeunes ont continué à se tordre les chevilles, à se casser la jambe. Pour une fois, nous passions très vite aux urgences. Toutefois, il faut un fort engagement des professionnels qui se retrouvaient, pendant le confinement, à devoir aller aux urgences. Vous imaginez leur stress ; cela mettait en exergue leur mission de service public. Malgré tout, l'accès aux soins était finalement plus rapide que d'habitude.

Pour les suivis au long cours de rééducation, d'orthophonie, les professionnels du soin se sont mobilisés pour nous transmettre un certain nombre d'exercices à faire, mais avec une grande hétérogénéité, qui se constate d'ailleurs dans énormément de corps de métiers. J'ai conscience que nous avons été bien lotis. Les équipes de psychologues des établissements ont joué un rôle majeur. Ils ont été capables de changer leurs pratiques et d'accentuer certaines activités, en particulier celles consistant à nous relayer dans la communication avec les professionnels du soin : cela fonctionne mieux de professionnel à professionnel.

Il a fallu aussi réorganiser les services de suivi au domicile des jeunes. Dans la plupart des établissements que je connais et dans le mien en particulier, où nous avons à la fois des jeunes de la protection de l'enfance qui ont bénéficié d'une autorisation exceptionnelle pour être confinés chez eux et des jeunes sous ordonnance de placement modulable pour lesquels les droits sont suffisamment élargis pour que la mesure puisse avoir lieu au domicile, le suivi a été fait majoritairement par téléphone avec des contacts quotidiens. Il a bien sûr parfois été nécessaire d'intervenir et nous avons dû gérer des hospitalisations par exemple. Dans ce cas, les professionnels se sont déplacés. Dès que cela a été possible, nous sommes retournés in situ vérifier le bien-être des enfants et les conditions matérielles.

Nous n'avons pas eu beaucoup plus de fugues que d'habitude, au plan national. Comme je vous le disais, les jeunes ont été responsables et ont globalement bien respecté le confinement.

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André Altmeyer, directeur général adjoint

Nous n'avons pas de statistiques sur les sorties sèches, mais nous avons également l'écho de nos directions d'établissement que les sorties sèches se multiplieraient. C'est pour nous un vrai motif d'inquiétude puisque cela réduit à néant tout le travail qui a été fait. Il est essentiel que, avant la sortie, le jeune ait pu se construire un réseau de relations pour ne pas se retrouver isolé.

Apprentis d'Auteuil publiera début octobre un baromètre de l'éducation. Nous avons confié l'étude à OpinionWay. Elle montre que l'inquiétude pour leurs études est repartie de manière extrêmement forte à la hausse chez les jeunes. Pour les jeunes les moins entourés familialement, les moins diplômés, cette inquiétude se justifie. Le parcours du combattant est terrible. L'ensemble des équipes d'Apprentis d'Auteuil travaille pour permettre à ces jeunes de ne pas rester avec ce sentiment que l'espoir n'est pas possible. C'est essentiel.

Il ne faut pas parler de l'outre-mer, mais des Outre-mer. Les réalités sont singulières et différentes. Nous sommes très actifs à Mayotte par exemple et la situation y est extrêmement compliquée, en raison de la promiscuité dans laquelle vivent 95 % des jeunes que nous accueillons et accompagnons, ainsi que du sous-équipement. Les cours à distance, le lien avec la famille sont très difficiles. Nos équipes se sont démenées jour et nuit, en lien avec la Croix-Rouge, pour distribuer des bons alimentaires. Elles sont également allées dans les familles, dans les bangas, pour donner des devoirs, des activités éducatives et ludiques. Toutefois, il n'a pas toujours été possible d'accéder aux familles et le niveau de formation des parents rend parfois l'accompagnement très difficile. Vous imaginez la satisfaction des jeunes lorsqu'ils ont su qu'ils pouvaient revenir dans nos établissements.

À la Martinique, des jeunes sont privés de scolarité depuis le mois de janvier dernier, du fait d'une grève locale dans l'Éducation nationale. La situation est extrêmement grave et le décrochage des jeunes est terrible.

En Guyane, nous avons eu à répondre à des situations d'urgence extrême par l'intermédiaire d'une maison des familles située sur place. Il a fallu se mobiliser pour des personnes qui souffraient de la faim, pour subvenir à des besoins immédiats. Il est compréhensible que les familles ne se soient pas préoccupées en priorité de la scolarité de leurs enfants, mais plutôt de leur donner de quoi survivre.

À l'île de La Réunion, les équipes ont été admirables. Elles se sont mobilisées et ont assuré des roulements pour vivre durant deux ou trois semaines avec les jeunes. Elles ont assuré un vrai suivi pédagogique à distance. Par contre, les équipes de protection de l'enfance se sont senties très seules par rapport à la collectivité départementale.

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Maison d'Enfants à Caractère Social (MECS) Saint-Jean de Sannois (Val-d'Oise)

J'insiste sur un sujet très simple. Les enfants de soignants ont accédé tout de suite aux écoles, alors que cela a été très long pour ceux des professionnels de la protection de l'enfance. Il a fallu batailler mairie par mairie pour que nos professionnels y aient droit, que ce soit à La Réunion ou en métropole. La profession d'éducateur spécialisé est très féminisée. Comment faisaient les mères de famille ? Cela a contribué aux discours du type : « Nous avons été oubliés et, en plus, nous n'avons pas de prime, nous ne pouvons pas mettre nos enfants à l'école. »

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André Altmeyer, directeur général adjoint

Pour l'apprentissage, notre expérience montre qu'il ne faut pas attendre de l'entreprise qu'elle agisse d'une certaine manière contre nature. Le but de l'entreprise est le développement économique. Elle a une responsabilité éducative et Apprentis d'Auteuil milite pour cela. Toutefois, les acteurs comme Apprentis d'Auteuil doivent garantir à l'entreprise que, si elle accepte de prendre un jeune en compte, l'accompagnement sera présent à travers du tutorat, du fait qu'en cas de crise, de confrontation à l'autorité, de difficulté à supporter la frustration, nous pourrons avoir une réaction immédiate, nous rendre sur place et apaiser la situation. Cela permet que l'entreprise soit suffisamment en confiance pour accueillir le jeune et ne craigne pas de se retrouver toute seule à se débrouiller avec ce jeune.

Le travail que nous développons depuis des années avec les entreprises nous montre que, si nous sommes capables de faire cette démonstration, les entreprises sont capables d'aller aux limites de ce qu'elles peuvent faire et d'accueillir des jeunes. L'accueil à temps plein dans les CFA est peut-être une piste, mais c'est une rustine.

Le lien entre les établissements scolaires et les autres structures spécialisées est une question essentielle. Quelle est la capacité de l'Éducation nationale, des établissements scolaires, à travailler en lien avec les autres acteurs et les autres partenaires ? Nous constatons de vrais progrès. Les choses vont dans le bon sens, il faut les encourager, les accompagner. Que pouvons-nous mettre en place pour apprendre à nous connaître dans nos spécificités et nos complémentarités ? Les idées reçues et les projections sont tellement fréquentes. Chacun cherche le bouc émissaire alors que, de notre point de vue, la seule manière de faire est de travailler ensemble. Il faut créer les conditions pour que, sur des petits projets, nous découvrions que nous sommes capables de faire ensemble.

Je ne crois pas beaucoup aux directives qui descendent d'en haut ; elles ne produisent en général rien. Je crois à tout ce qui favorise les conditions d'une expérimentation permettant de montrer que de fait, nous sommes capables sur de petits projets d'avancer ensemble. Cela se développe ensuite par capillarité. C'est notre expérience.

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De nombreux jeunes se sont engagés de façon solidaire, ont fait des masques, ont envoyé des dessins dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). La crise a-t-elle changé leur rapport à l'engagement, à la vie associative ? Ont-ils pu mieux comprendre l'organisation de la société, le rôle des associations et des institutions ? Souhaitent-ils, dès lors, continuer à s'engager ?

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Pendant la période de confinement, nous avons malheureusement vu de nombreuses demandes de mise à l'abri pour violences conjugales. De nombreuses femmes se sont retrouvées confinées avec un conjoint violent. Vous avez été à l'écoute de ces femmes et en avez accueilli certaines dans vos centres. Que sont-elles devenues à la sortie du confinement ?

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Comment avez-vous pris en charge les violences entre les enfants durant le confinement ? Constatez-vous des séquelles liées au fait de ne pas voir sa famille, de ne pas pouvoir sortir ? Comment avez-vous géré ces difficultés ? Quelles sont les solutions au cas où cela se reproduirait à l'avenir ?

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Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Maison d'Enfants à Caractère Social (MECS) Saint-Jean de Sannois (Val-d'Oise)

Les jeunes ont accepté tout de suite de s'engager, mais c'était déjà le cas sur les actions que nous faisions auparavant. Le fait de se mobiliser ainsi fait partie de nos leviers éducatifs, pour se découvrir des talents à soi-même. Cela peut être dans des actions de proximité avec des acteurs locaux. Nous voyons dans les formations que nous développons que nos jeunes sont très enclins à s'inscrire à tout ce qui a trait aux services aux personnes. L'aide aux autres est réparatrice. De nombreux établissements Apprentis d'Auteuil ont un partenariat avec des associations dans des pays étrangers pour des chantiers de solidarité internationale soutenus par des dispositifs d'État de volontariat et de solidarité internationale.

Dans mon établissement, certains jeunes devaient partir cet été dans un orphelinat au Sénégal, en Casamance. Cela n'a pas pu avoir lieu, mais ils se sont mobilisés pour faire à la place un chantier de solidarité en France. Ils sont allés dans les Hautes-Alpes, dans un coin complètement perdu, à presque ne pas manger à leur faim - alors que ce sont de grands gaillards. Ils se sont donnés à fond alors que nous sortions du confinement et personne ne m'a réclamé des « vacances ». Ils étaient dans cette dynamique de solidarité.

Il faut apprécier les choses dans la durée. Je mène depuis dix ans des chantiers de solidarité. Nous espérons avoir tout de suite, dès le mois de septembre, des effets de transformation, et nous avons parfois des déceptions. Ce sont plutôt des graines semées qui arriveront plus tard.

Nous avons un observatoire de la violence entre enfants. Chaque directeur doit remonter les incidents significatifs. A priori, nous n'avons pas constaté d'augmentation significative et dans mon établissement, au contraire, j'ai vu le renforcement d'une vie fraternelle. Des incidents se sont néanmoins produits, avec des difficultés pour les gérer puisque le confinement empêchait la séparation. Nous avons fait des accueils en urgence, mais c'était du bricolage et de l'initiative personnelle. Il était moins facile de trouver des endroits de respiration, le réseau de familles d'accueil ou d'accueils en province étant fermé.

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André Altmeyer, directeur général adjoint

Je confirme que notre observatoire national des incidents et accidents mis en place au début des années 2000 n'a pas enregistré de hausse statistique. Par contre, la nature des violences a évolué et nous avons observé des dégradations de biens durant le confinement. Les gamins ont passé leurs nerfs sur la porte, la paroi… Nous répondons de façon durable aux violences entre jeunes à travers des outils que nous avons développés, dont la médiation. Nous avons formé des jeunes qui deviennent co-médiateurs avec un adulte. Nous utilisons aussi l'éducation positive à la paix.

Nous ne sommes pas des experts des violences conjugales. Nous avons un établissement qui accueille des jeunes femmes victimes de maltraitances. Les autorités nous ont demandé si nous pouvions augmenter d'un tiers nos capacités d'accueil. Nous avons répondu favorablement et de fait, hélas, l'établissement est plein aujourd'hui. Ces femmes restent chez nous le temps qu'une solution soit trouvée. Elles ne retournent pas dans leur foyer tant que le conjoint y est.

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Nous avons entendu des points essentiels que nous devons garder en mémoire : le respect des consignes par les jeunes, la responsabilité des jeunes, des familles et des professionnels de l'enfance acteurs du service public, les talents sur lesquels nous devons nous appuyer, cette nécessité d'unir nos forces entre l'Éducation nationale et éducateurs, l'importance fondamentale du lien social.

Il faut s'appuyer sur les bonnes pratiques puisque cela a très bien marché à certains endroits et moins bien à d'autres. Halte à la pudeur, mettons en exergue les bonnes pratiques, y compris pour les départements.

Nous rendrons nos préconisations avant que nous n'ayez fini votre relecture de la crise du covid-19. Aidez-nous très concrètement à devenir une nation qui prend le parti des jeunes, pour reprendre vos termes.

L'audition s'achève à dix heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 8 heures 45

Présents. – Mme Sandra Boëlle, Mme Marie-George Buffet, Mme Danièle Cazarian, Mme Sylvie Charrière, Mme Fabienne Colboc, Mme Marianne Dubois, Mme Perrine Goulet, M. Régis Juanico, Mme Sandrine Mörch, Mme Florence Provendier, Mme Souad Zitouni

Excusés. – Mme Anissa Khedher, M. Michel Larive, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Frédéric Reiss