Les personnes autistes que je représente ont payé un très lourd tribut au Covid, comme tout le monde le sait. Les difficultés ont été très grandes. Les enfants et les adultes ont massivement perdu les repères spatio-temporels patiemment construits et dont ils ont vraiment besoin. Les référents professionnels, lorsqu'ils existaient dans les établissements et services médico-sociaux ou en libéral, les activités structurées, le sport – pour ceux en ayant impérativement besoin – ont tous brutalement disparu. Les établissements, à de rares exceptions près, ont fermé massivement en laissant les enfants sans solution. Les internats pour adultes se sont organisés pour maintenir l'accueil, ce qui est – je tiens à le souligner – tout à fait exceptionnel. Ils ont « tenu » en faisant parfois appel à des professionnels d'autres établissements et services, ce qui explique qu'il ne restait plus grand monde. Le personnel restant a été orienté vers le travail de priorité, c'est-à-dire le maintien de la vie la plus ordinaire possible dans les internats.
Les cabinets privés ont fermé massivement, dont, entre autres, les orthophonistes et les psychologues du développement, qui accompagnent avec efficacité les enfants et adultes. Cela a été catastrophique. L'autisme est un trouble de communication sociale ; aussi, l'abandon des rééducations pendant plusieurs mois a été délétère. Les équipes de diagnostic ont elles aussi disparu. De précieux mois ont donc été perdus, en particulier pour les plus jeunes. Le diagnostic d'autisme est fiable à partir de 18 mois et les interventions doivent être mises en œuvre de la façon la plus précoce possible. Les retards pris se sont accumulés avec un effet « boule de neige » au détriment des enfants qui auraient pu entrer dans les circuits de diagnostic plus tôt.
La situation a été surtout difficile pour les enfants en IME, qui sont atteints des troubles les plus sévères. Ils se sont retrouvés brutalement à la maison, sans aide et sans soutien, sauf rares exceptions. En effet, des professionnels ont essayé d'organiser le soutien à domicile, en se faisant parfois critiquer par les syndicats au motif qu'ils mettaient en danger les personnels. Il est vrai que l'absence de masques n'a pas aidé à trouver des solutions. Des services à domicile ont parfois aidé, mais l'absence de masques a pu faire peur, au point que des familles ont pu refuser ce soutien par crainte de la contamination.
À ce propos, nous avons remarqué l'absence de coordination entre les différents services disponibles. Les structures des services à domicile ne connaissent rien à l'autisme, mais si leurs intervenants avaient été formés, ces structures auraient pu prendre leur place dans une chaîne cohérente. C'est une leçon pour la suite.
Les relais proposés en visioconférence n'ont pas été adaptés au profil des enfants et adultes avec les troubles les plus sévères. Les aides proposées ont mis crûment en évidence les niveaux très hétérogènes de compétences des professionnels dans les IME et les services d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD). Beaucoup n'ont malheureusement aucune connaissance ni compétence en autisme et n'ont pas su s'adapter aux visioconférences, car même le « b-a.ba » leur était étranger : structurer l'espace et le temps, apprendre un outil de communication, s'interroger sur les problèmes somatiques, les difficultés sensorielles ou les difficultés d'apprentissage. D'autres, en revanche, ont été absolument exceptionnels. La pandémie a fait ressortir de manière flagrante le décalage de niveau entre ceux qui ont été hors normes et ceux qui ont été au-dessous de tout.
Dans un certain nombre de cas, la pandémie a modifié positivement les relations entre les familles et les professionnels. Il s'agit d'un acquis de la crise, d'après moi. Chacun a pu mieux comprendre sa part de travail et l'intérêt de mutualiser les compétences. Nous avons également bénéficié de nombreux documents rédigés par le centre d'excellence des troubles du spectre autistique et neuro-développementaux porté par l'hôpital Robert Debré et le groupement national des centres ressources autisme (GNCRA), qui ont fourni des pistes d'intervention pour s'adapter au confinement puis au déconfinement. Ces documents ont pu être partagés à la fois par les parents et les professionnels, ce qui a constitué une grande innovation. En effet, très souvent, les professionnels travaillent « dans leur coin », sans et parfois contre les familles ; mais pour une fois, tout le monde a travaillé ensemble. Le groupement national des CRA a également ouvert une ligne dédiée aux adultes autistes isolés avec des compétences cognitives, mais en très grande souffrance psychologique, qui pouvaient être particulièrement mal à l'aise dans cette situation. En temps ordinaire, le soutien éducatif dans les services financés sur fonds publics s'apparente à une « loterie » peu acceptable. Dans le contexte, il s'apparentait à une « super loterie », sans solution alternative.
Même pour les enfants scolarisés, ce n'était pas évident. 70 % des enfants autistes disposent d'un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) individuel, et en ont besoin. C'est dire à quel point les AESH sont absolument essentiels. Ces derniers étant désormais des personnels de l'Éducation nationale, ils n'ont pas le droit de venir à domicile, ce qui est regrettable. Le fait de ne pas pouvoir utiliser, dans de telles périodes, toutes les ressources disponibles, en particulier celles connaissant le mieux les enfants, constitue une faille. Ce sont tous les efforts pour structurer les scolarisations, avec le soutien éducatif nécessaire, qui ont volé en éclats. Je pense en particulier à tous les enfants qui se trouvent dans les unités en maternelle, présentant des profils très sévères et qui, du jour au lendemain, n'ont plus rien eu. Il s'agissait d'une avancée énorme pour les familles que les enfants soient scolarisés 24 heures par semaine, comme tout le monde, avec le soutien éducatif nécessaire.
Les conséquences psychologiques ont été souvent sévères et les troubles anxieux massifs, quel que soit le profil de la personne. Des comportements problématiques sont apparus, alors qu'ils avaient réussi à être stabilisés : de l'agitation, de la régression dans les acquis – c'est ce qui fait le plus mal, quand on s'est battu pour faire avancer un enfant, que l'on soit parent ou professionnel. C'est la continuité et la prévisibilité qui garantissent la stabilité et les progrès des personnes autistes.
Les enfants et les adultes autistes de bon niveau n'ont pas été à l'abri. Certains ont pu trouver positif de ne plus être contraints aux interactions sociales, qui leur coûtent. Ils se sont parfois repliés chez eux, avec leurs jeux vidéo ou autres, avec des effets parfois tout à fait catastrophiques. Cette parenthèse a été délétère, car il faut leur apprendre à profiter d'un minimum d'interactions sociales avec les autres, même si elles leur coûtent.
Le déconfinement ne s'est pas très bien passé. La reprise a été très tardive et à des doses homéopathiques. Deux heures d'IME par jour étaient par exemple proposées à des familles qui, pendant deux mois, n'avaient rien eu et étaient « au bout du rouleau ». La désorganisation a régné, même si toutes sortes de raisons le justifiaient. Il ne s'agit pas d'une critique, en soi, mais d'un constat. Des enfants et adultes en difficulté ont parfois été obligés de passer des tests alors que la doctrine nationale ne le recommandait pas. Beaucoup d'établissements ont soumis le retour à la passation de tests, parfois dans de très mauvaises conditions. Certains les ont passés en ayant dû être attachés, car ils ne supportaient pas ce test intrusif.
Pour les parents, cela a aussi été très compliqué. Certains ont financé la prise en charge d'aides parce qu'ils n'ont pas « tenu » tous seuls à la maison. Ils ont essayé de trouver des éducateurs qui acceptaient de venir chez eux, mais ils n'ont jamais été remboursés. Les parents se sont retrouvés à assurer le rôle de parents, enseignants et éducateurs, souvent dans des circonstances difficiles, avec de petits appartements et aucune aide à domicile. Les AESH n'étaient pas mobilisables et les professionnels libéraux avaient tous fermé leur cabinet.
Autisme France a lancé l'opération jardins, qui a extrêmement bien fonctionné, à notre grande surprise. La solidarité a été très importante. Nous avons demandé aux familles disposant de grands jardins, équipés de préférence, avec un trampoline, des prés ou autres, de les mettre à la disposition des enfants et adultes, compte tenu du fait qu'ils ont obtenu, à partir du 2 avril, un droit de sortie élargi, comme d'autres personnes en situation de handicap. Cette opération a constitué une bonne expérience solidaire. Beaucoup d'aide a été apportée par ce biais, même s'il paraissait un peu étrange de devoir lancer une telle opération.
La formation des aidants, financée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) depuis plusieurs années, s'est arrêtée, alors que ce soutien pédagogique et éducatif est essentiel pour les familles afin de mieux comprendre leur enfant et savoir un peu mieux comment gérer les difficultés.
Parmi les éléments positifs, je soulignerai la prise de conscience de la nécessité de disposer de connaissances techniques précises dans l'autisme, au risque, dans le cas contraire, d'être complètement perdu. Des professionnels remarquables, qui ne savaient pas faire, ont fini par apprendre « sur le tas ». Des relais entre associations se sont également développés. Mon fils est dans un établissement et service d'aide par le travail (ESAT) à Saint-Étienne, qui ne pouvait pas s'occuper de lui, car l'éducateur était ailleurs, en foyer. Le service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), projet de logement accompagné, a pris le relais spontanément. J'en ai été marquée, car cette coopération est rare sur un territoire et est devenue naturelle.