Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Jeudi 1er octobre 2020
La séance est ouverte à quatorze heures.
Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente
Je vous souhaite la bienvenue pour cette audition qui nous aidera à mieux comprendre comment les jeunes de notre pays ont vécu la crise du Covid, les ressorts qu'ils ont utilisés, les difficultés auxquelles ils se sont heurtés ; mais également à identifier des propositions pour devancer les problématiques et solutions à venir.
Toutes les auditions sont filmées et rendues publiques, ce qui constitue une fenêtre inespérée sur le monde des jeunes, pour entendre leur parole et celle des adultes responsables qui les entourent. Nous disposerons ainsi d'une vision objective et pragmatique de la jeunesse de notre pays. Heureusement que les jeunes, la plupart du temps innovants, vaillants, courageux et ambitieux, existent, et que nous ne sommes pas réduits à la misère intellectuelle et médiatique de ces adultes qui résument notre République en invectives et autres « pompes à audimat » à l'aide de chaînes de télévision complaisantes. Je vous invite donc à entendre la vraie parole des jeunes et à suivre nos travaux, pour vous forger une opinion réaliste et sortir des fantasmes en tout genre.
Nous abordons cet après-midi les conséquences de la crise sanitaire pour les jeunes en situation de handicap et leur famille. Nous recevons Danièle Langloys, présidente d'Autisme France ; Steven Beurel, directeur général de l'association Enfance et Pluriel et Sonia Pareux, éducatrice spécialisée et référente handicap en Indre-et-Loire, qui est à l'initiative d'une structure éphémère d'accueil au cœur de la crise, baptisé « Un truc en plus ».
Selon les informations fournies par le Gouvernement, les portes des externats et accueils de jour se sont fermées à près de 150 000 personnes en situation de handicap : instituts médico-éducatifs (IME), instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (ITEP), instituts d'éducation motrice (IEM), etc. Les 350 000 personnes handicapées vivant dans des structures d'hébergement ont dû s'adapter aux consignes sanitaires, avec interdiction de visites et de sorties. Le lien social a pu être rompu. Les parents se sont épuisés avec leurs enfants 24 heures sur 24, sans possibilité de « s'évader » ou de se « défouler » jusqu'à l'aménagement des consignes. Et surtout, comment faire comprendre aux enfants les causes de ce nouveau régime draconien ?
Ces difficultés majeures ont également poussé à la créativité : masques inclusifs, création de lieux d'accueil, nouvelles formes de solidarité, nouveaux rapports humains et capacités d'adaptation infinies.
Nous souhaitons savoir comment ces jeunes en situation de handicap et leur famille ont traversé cette crise, quelles ont été les incidences que l'interruption de soins a pu avoir sur la santé de ces enfants et adolescents, comment a été assurée la continuité pédagogique pendant la crise et au-delà, quelles solutions inédites se sont profilées, ce qu'il faudrait faire différemment en cas de reconfinement partiel, et quelles magnifiques expériences ont également été vécues.
Je vous passerai tour à tour la parole pour une intervention liminaire, avant nos échanges avec les députés.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Danièle Langloys, Mme Sonia Pareux et M. Steve Beurel prêtent serment.)
Les personnes autistes que je représente ont payé un très lourd tribut au Covid, comme tout le monde le sait. Les difficultés ont été très grandes. Les enfants et les adultes ont massivement perdu les repères spatio-temporels patiemment construits et dont ils ont vraiment besoin. Les référents professionnels, lorsqu'ils existaient dans les établissements et services médico-sociaux ou en libéral, les activités structurées, le sport – pour ceux en ayant impérativement besoin – ont tous brutalement disparu. Les établissements, à de rares exceptions près, ont fermé massivement en laissant les enfants sans solution. Les internats pour adultes se sont organisés pour maintenir l'accueil, ce qui est – je tiens à le souligner – tout à fait exceptionnel. Ils ont « tenu » en faisant parfois appel à des professionnels d'autres établissements et services, ce qui explique qu'il ne restait plus grand monde. Le personnel restant a été orienté vers le travail de priorité, c'est-à-dire le maintien de la vie la plus ordinaire possible dans les internats.
Les cabinets privés ont fermé massivement, dont, entre autres, les orthophonistes et les psychologues du développement, qui accompagnent avec efficacité les enfants et adultes. Cela a été catastrophique. L'autisme est un trouble de communication sociale ; aussi, l'abandon des rééducations pendant plusieurs mois a été délétère. Les équipes de diagnostic ont elles aussi disparu. De précieux mois ont donc été perdus, en particulier pour les plus jeunes. Le diagnostic d'autisme est fiable à partir de 18 mois et les interventions doivent être mises en œuvre de la façon la plus précoce possible. Les retards pris se sont accumulés avec un effet « boule de neige » au détriment des enfants qui auraient pu entrer dans les circuits de diagnostic plus tôt.
La situation a été surtout difficile pour les enfants en IME, qui sont atteints des troubles les plus sévères. Ils se sont retrouvés brutalement à la maison, sans aide et sans soutien, sauf rares exceptions. En effet, des professionnels ont essayé d'organiser le soutien à domicile, en se faisant parfois critiquer par les syndicats au motif qu'ils mettaient en danger les personnels. Il est vrai que l'absence de masques n'a pas aidé à trouver des solutions. Des services à domicile ont parfois aidé, mais l'absence de masques a pu faire peur, au point que des familles ont pu refuser ce soutien par crainte de la contamination.
À ce propos, nous avons remarqué l'absence de coordination entre les différents services disponibles. Les structures des services à domicile ne connaissent rien à l'autisme, mais si leurs intervenants avaient été formés, ces structures auraient pu prendre leur place dans une chaîne cohérente. C'est une leçon pour la suite.
Les relais proposés en visioconférence n'ont pas été adaptés au profil des enfants et adultes avec les troubles les plus sévères. Les aides proposées ont mis crûment en évidence les niveaux très hétérogènes de compétences des professionnels dans les IME et les services d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD). Beaucoup n'ont malheureusement aucune connaissance ni compétence en autisme et n'ont pas su s'adapter aux visioconférences, car même le « b-a.ba » leur était étranger : structurer l'espace et le temps, apprendre un outil de communication, s'interroger sur les problèmes somatiques, les difficultés sensorielles ou les difficultés d'apprentissage. D'autres, en revanche, ont été absolument exceptionnels. La pandémie a fait ressortir de manière flagrante le décalage de niveau entre ceux qui ont été hors normes et ceux qui ont été au-dessous de tout.
Dans un certain nombre de cas, la pandémie a modifié positivement les relations entre les familles et les professionnels. Il s'agit d'un acquis de la crise, d'après moi. Chacun a pu mieux comprendre sa part de travail et l'intérêt de mutualiser les compétences. Nous avons également bénéficié de nombreux documents rédigés par le centre d'excellence des troubles du spectre autistique et neuro-développementaux porté par l'hôpital Robert Debré et le groupement national des centres ressources autisme (GNCRA), qui ont fourni des pistes d'intervention pour s'adapter au confinement puis au déconfinement. Ces documents ont pu être partagés à la fois par les parents et les professionnels, ce qui a constitué une grande innovation. En effet, très souvent, les professionnels travaillent « dans leur coin », sans et parfois contre les familles ; mais pour une fois, tout le monde a travaillé ensemble. Le groupement national des CRA a également ouvert une ligne dédiée aux adultes autistes isolés avec des compétences cognitives, mais en très grande souffrance psychologique, qui pouvaient être particulièrement mal à l'aise dans cette situation. En temps ordinaire, le soutien éducatif dans les services financés sur fonds publics s'apparente à une « loterie » peu acceptable. Dans le contexte, il s'apparentait à une « super loterie », sans solution alternative.
Même pour les enfants scolarisés, ce n'était pas évident. 70 % des enfants autistes disposent d'un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) individuel, et en ont besoin. C'est dire à quel point les AESH sont absolument essentiels. Ces derniers étant désormais des personnels de l'Éducation nationale, ils n'ont pas le droit de venir à domicile, ce qui est regrettable. Le fait de ne pas pouvoir utiliser, dans de telles périodes, toutes les ressources disponibles, en particulier celles connaissant le mieux les enfants, constitue une faille. Ce sont tous les efforts pour structurer les scolarisations, avec le soutien éducatif nécessaire, qui ont volé en éclats. Je pense en particulier à tous les enfants qui se trouvent dans les unités en maternelle, présentant des profils très sévères et qui, du jour au lendemain, n'ont plus rien eu. Il s'agissait d'une avancée énorme pour les familles que les enfants soient scolarisés 24 heures par semaine, comme tout le monde, avec le soutien éducatif nécessaire.
Les conséquences psychologiques ont été souvent sévères et les troubles anxieux massifs, quel que soit le profil de la personne. Des comportements problématiques sont apparus, alors qu'ils avaient réussi à être stabilisés : de l'agitation, de la régression dans les acquis – c'est ce qui fait le plus mal, quand on s'est battu pour faire avancer un enfant, que l'on soit parent ou professionnel. C'est la continuité et la prévisibilité qui garantissent la stabilité et les progrès des personnes autistes.
Les enfants et les adultes autistes de bon niveau n'ont pas été à l'abri. Certains ont pu trouver positif de ne plus être contraints aux interactions sociales, qui leur coûtent. Ils se sont parfois repliés chez eux, avec leurs jeux vidéo ou autres, avec des effets parfois tout à fait catastrophiques. Cette parenthèse a été délétère, car il faut leur apprendre à profiter d'un minimum d'interactions sociales avec les autres, même si elles leur coûtent.
Le déconfinement ne s'est pas très bien passé. La reprise a été très tardive et à des doses homéopathiques. Deux heures d'IME par jour étaient par exemple proposées à des familles qui, pendant deux mois, n'avaient rien eu et étaient « au bout du rouleau ». La désorganisation a régné, même si toutes sortes de raisons le justifiaient. Il ne s'agit pas d'une critique, en soi, mais d'un constat. Des enfants et adultes en difficulté ont parfois été obligés de passer des tests alors que la doctrine nationale ne le recommandait pas. Beaucoup d'établissements ont soumis le retour à la passation de tests, parfois dans de très mauvaises conditions. Certains les ont passés en ayant dû être attachés, car ils ne supportaient pas ce test intrusif.
Pour les parents, cela a aussi été très compliqué. Certains ont financé la prise en charge d'aides parce qu'ils n'ont pas « tenu » tous seuls à la maison. Ils ont essayé de trouver des éducateurs qui acceptaient de venir chez eux, mais ils n'ont jamais été remboursés. Les parents se sont retrouvés à assurer le rôle de parents, enseignants et éducateurs, souvent dans des circonstances difficiles, avec de petits appartements et aucune aide à domicile. Les AESH n'étaient pas mobilisables et les professionnels libéraux avaient tous fermé leur cabinet.
Autisme France a lancé l'opération jardins, qui a extrêmement bien fonctionné, à notre grande surprise. La solidarité a été très importante. Nous avons demandé aux familles disposant de grands jardins, équipés de préférence, avec un trampoline, des prés ou autres, de les mettre à la disposition des enfants et adultes, compte tenu du fait qu'ils ont obtenu, à partir du 2 avril, un droit de sortie élargi, comme d'autres personnes en situation de handicap. Cette opération a constitué une bonne expérience solidaire. Beaucoup d'aide a été apportée par ce biais, même s'il paraissait un peu étrange de devoir lancer une telle opération.
La formation des aidants, financée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) depuis plusieurs années, s'est arrêtée, alors que ce soutien pédagogique et éducatif est essentiel pour les familles afin de mieux comprendre leur enfant et savoir un peu mieux comment gérer les difficultés.
Parmi les éléments positifs, je soulignerai la prise de conscience de la nécessité de disposer de connaissances techniques précises dans l'autisme, au risque, dans le cas contraire, d'être complètement perdu. Des professionnels remarquables, qui ne savaient pas faire, ont fini par apprendre « sur le tas ». Des relais entre associations se sont également développés. Mon fils est dans un établissement et service d'aide par le travail (ESAT) à Saint-Étienne, qui ne pouvait pas s'occuper de lui, car l'éducateur était ailleurs, en foyer. Le service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), projet de logement accompagné, a pris le relais spontanément. J'en ai été marquée, car cette coopération est rare sur un territoire et est devenue naturelle.
J'ai monté, chez moi, un projet de logement accompagné pour les adultes autistes, comprenant deux parties médico-sociales, le SAMSAH et le pôle de compétences et de prestations externalisées (PCPE), qui permet de salarier des libéraux dans un cadre médico-social, par exemple des psychologues ou des éducateurs, en leur trouvant un financement. Ce projet de logement accompagné comprend ces deux aspects. Le SAMSAH et le PCPE ont pris spontanément le relais et appelaient mon fils tous les matins en visioconférence, pour qu'il ne « s'écroule » pas. Toute seule, je n'y serais jamais arrivée. La situation était beaucoup trop compliquée. Mon fils a un niveau cognitif faible, le confinement est survenu avec brutalité et la situation était très difficile. À la fin, l'ESAT, lorsqu'il a réintégré mon fils en mai, a remercié le SAMSAH pour la qualité de son accompagnement. Celui-ci a également accompagné le déconfinement pour que tout se déroule bien au retour en ESAT. Il est possible d'agir ainsi. Je ne m'y attendais pas et j'en ai été beaucoup marquée. Sans cette aide, je pense que mon fils n'aurait pas survécu à l'événement, et que j'aurais craqué dans la foulée. Il est très compliqué de vivre avec une personne autiste, surtout au long cours.
Le large abandon des familles, au départ, est ce qui m'a marqué le plus négativement. Des consignes officielles ont ensuite été données pour ne pas laisser les familles à l'abandon. La secrétaire de la délégation autisme a été absolument extraordinaire ; elle a accompagné les familles jour après jour. Elle restait souvent jusqu'à minuit lorsque les familles n'en pouvaient plus, face à des difficultés monstrueuses. Cet accompagnement a été extraordinaire.
Le défaut de coordination est également ce qui m'a le plus marqué. J'ai bénéficié pour ma part d'une coordination de fait sur le terrain, mais j'ai eu beaucoup de chance. Pour beaucoup d'autres familles, cela n'a absolument pas été le cas, alors que ce doit être le cœur de l'action lors d'une telle catastrophe brutale. Il s'agit d'identifier les relais à mobiliser, dans des cadres différents, avec le même niveau de compétences et de formation. Dans le cas contraire, c'est tout à fait inutile. Au niveau de l'autisme, si chacun n'agit pas dans le même but, en respectant les recommandations et les bonnes pratiques, nous n'allons nulle part.
Ce défaut de coordination concerne tous les services qui pourraient intervenir pour aider un enfant, un adolescent ou un adulte. Par exemple, un enfant qui est en IME ne bénéficie plus de rien si l'IME ferme. Un service à domicile pourrait être formé autour de lui, travaillant en synergie avec l'IME. Les services à domicile réalisent parfois un travail exceptionnel avec des personnes autistes qui ne sont acceptées nulle part, après avoir été exclues de tous les établissements et services. Ils les rassurent parce que les personnes restent chez elles, dans leur environnement, sans en être sorties pour aller dans un autre lieu qu'elles maîtrisent plus ou moins bien et qui peut leur causer des problèmes. C'est souvent fructueux.
Cette coordination au départ a manqué. Comment réunir sur un même territoire toutes les compétences que nous pourrions mettre en œuvre en cas de difficulté ? Les IME et les SESSAD existent bien sûr. Sont également présents des services à domicile. Les libéraux n'ont pas été aidés parce qu'ils ne disposaient pas de masque et qu'ils ont souvent dû garder leurs propres enfants. Il n'a pas été possible d'anticiper, mais si une nouvelle catastrophe devait advenir, la coordination devrait s'organiser en amont, de manière structurée pour ne pas laisser les familles démunies, en grande difficulté, alors qu'elles vivent des situations dramatiques. Je ne suis pas sûre qu'il y ait plus grave à supporter que la présence d'un enfant, d'un adolescent ou d'un adulte autiste, avec des troubles sévères, en permanence. C'est très lourd à porter. Nous l'avons mieux compris. Je pense que tout le monde l'a mieux compris.
Madame Pareux, est-ce en raison de la détresse absolue des familles que vous avez réagi et décidé d'agir ?
Je ne répéterai pas ce qui a été dit à propos de cette période de confinement, difficile pour tout le monde, d'autant plus lorsqu'on doit s'occuper d'un enfant ou d'un adolescent en situation de handicap. Acteur de terrain, j'exerce sur le territoire d'Indre-et-Loire. Je suis éducatrice spécialisée et travaille au Pôle ressources Handicap 37, en charge de favoriser l'accueil des enfants malades ou en situation de handicap dans les structures de droit commun (crèches, centres de loisirs, assistantes maternelles, garde à domicile, etc.). Je suis sur le terrain toute la journée, à accompagner les familles, mais aussi les professionnels, dans le cadre de formations ou d'actions de sensibilisation, avec pour but de changer également les représentations sur le handicap. Je travaille beaucoup avec les élus et tous les partenaires de mon département. Nous pouvons logiquement penser que le besoin de répit pendant le confinement, et encore maintenant, est très important.
Pendant le confinement, certains établissements médico-sociaux ont dû fermer, proposant aux familles des entretiens téléphoniques dans un premier temps afin de les soutenir. Par la suite, les travailleurs sociaux ont pu aller au domicile, quelques heures par semaine. Au départ, je me suis inscrite sur la plateforme « Tous mobilisés », en partenariat avec Laurent Thomas, où j'ai pu répondre à des appels. J'ai été aussi en télétravail et j'ai bien mesuré la détresse de certaines familles, évoquant la difficulté de s'occuper de leur enfant 24 heures sur 24. Certaines indiquaient aussi s'être senties isolées, abandonnées, observant une régression et une perte des acquisitions et des repères des enfants.
C'est alors que j'ai adressé un courriel, un matin, à la préfecture, pour proposer une petite structure de répit. Se pose toujours la question des moyens ; or, je suis présidente d'une association qui s'appelle le « Festival Autrement dit », dont l'objet est d'organiser un festival autour du handicap et de l'accessibilité. J'ai donc décidé de demander seulement quelques moyens à la Caisse des allocations familiales (CAF) et de faire appel à des éducateurs spécialisés et travailleurs sociaux bénévoles. En cinq jours, nous avons monté cette structure éphémère, dénommée « Le truc en plus ». Les politiques de mon territoire, les députés et Mme Cluzel l'ont soutenue. Nous avons ouvert du lundi 4 mai au dimanche 10 mai. Nous avons accueilli 5 enfants par jour, avec 5 professionnels diplômés, 2 bénévoles de la CAF présents pour faire le ménage et moi-même en tant que coach. Nous avons fonctionné comme cela durant cette semaine. Je peux citer quelques phrases de familles : « Cette structure nous a apporté une grande bouffée d'oxygène, nous n'étions plus seuls » ; « épatant, innovant » ; « après de longues semaines de confinement sans aucun relais extérieur, seulement nous, ses parents, le bénéfice du calme, le mouvement, juste ce qu'il faut autour de nous, juste ce qu'il faut pour nous-mêmes, ne pas être sur le qui-vive en termes de vigilance, vivre donc, tout en étant rassurés ».
Puis le déconfinement est arrivé, les établissements médico-sociaux ont rouvert progressivement, ne pouvant accueillir tous les enfants en même temps à l'école et dans les accueils de loisirs. Il est difficile d'accueillir ces enfants en situation de handicap, compte tenu de leur non-respect des gestes barrières. J'ai été à nouveau sollicitée pour trouver des solutions. La souffrance des parents et l'épuisement perdurent encore. L'inclusion en milieu prioritaire doit rester ma priorité et celle de mes homologues dans d'autres départements, qui travaillent sur des pôles ressources handicap. Pour les enfants en situation de handicap, l'inclusion dans les structures de droit commun reste notre priorité, même si elle doit être accompagnée. Néanmoins, certains enfants ont des besoins plus spécifiques, nécessitant d'autres modes d'accueil. Nous devons alors inventer, innover, créer.
Je vous adresse quelques pistes de réflexion : des accueils temporaires ; une structure répit ou un accueil de loisirs sans hébergement (ALSH) adapté et mixte, car nous apprécions l'inclusion avec d'autres enfants ; du répit au domicile à travers le relayage ; une plateforme pouvant coordonner tous ces dispositifs dans le département d'Indre-et-Loire (les moyens en termes de ressources existent) ; un temps de formation pour les professionnels passant des brevets d'Etat d'animateur (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles ou animateurs d'accueil de loisirs sans hébergement – ALSH).
Il pourrait également être intéressant, sur le territoire de l'Indre-et-Loire, de mener, en collaboration avec des docteurs en sociologie, une véritable enquête auprès des familles pour recueillir leurs besoins.
En outre, des établissements médico-sociaux ferment parfois à 16 heures 15 le soir. Mon travail consiste à trouver des solutions pour les familles, car les enfants, avec le taxi, arrivent beaucoup trop tôt, à 16 heures 30, alors que peu de parents sont déjà rentrés du travail. Je suis obligée de trouver d'autres solutions. Je « bricole », je « tricote » sur mon territoire avec l'aide de beaucoup de partenaires.
Une autre question porte sur la scolarisation des enfants à temps partiel. 12 heures d'AESH sont par exemple accordées. En l'absence d'AESH le reste du temps, les enfants se retrouvent exclus des pauses méridiennes ou du temps scolaire. Des familles se retrouvent contraintes de cesser leur activité.
De plus, pour certaines familles, la situation devient trop difficile : le couple explose, des séparations adviennent. Des accompagnements psychosociaux doivent être mis en place.
Je tiens enfin à souligner que sur notre territoire, en Indre-et-Loire, une forte volonté d'agir et un joli élan existent. Je me « chicane » encore parfois avec des élus, mais de belles expériences peuvent être mentionnées. J'ai notamment mené une expérimentation sur la ville de Tours afin d'éviter les périodes de transition difficiles pour les enfants atteints du trouble du spectre autistique, en quête de repères, en assurant la présence des AESH sur les temps des pauses méridiennes ou sur les temps périscolaires, moyennant un financement des communes. Cette expérimentation menée sur la ville de Tours se passe plutôt bien et nous espérons la généraliser au niveau du département.
Monsieur Beurel, vous allez nous expliquer comment vous avez soutenu cette heureuse initiative, en pleine période de questionnements multiples.
Il était impossible pour nous d'imaginer ne pas prendre d'initiatives. Je retiens beaucoup de choses des propos précédents. Tout ce qui a été dit est vrai. Mon rôle n'est pas de modérer ou de pondérer. Notre association fait partie d'un ensemble d'associations. Enfance et Pluriel, cela veut dire « enfance singulière et réponses plurielles ». Nous nous occupons d'enfants en situation de handicap relevant du spectre de l'autisme et de la déficience intellectuelle. Beaucoup d'enfants sont en instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (ITEP) avec des difficultés psychologiques et de comportement. Depuis peu, nous intervenons sur le registre sensoriel : troubles du langage, déficience visuelle et auditive.
L'initiative a été de plusieurs ordres. Le but était de faire solidarité, au-delà de toute la fatigue accumulée et des moments paradoxaux. En tant qu'employeur, nous comptons 300 salariés et nous occupons de 500 enfants, parfois des élèves, et de leur famille. Nous sommes très rapidement placés en position angoissante face aux informations qui nous sont communiquées. Le système descendant est parfois insécurisant. Nous avons envie de bien faire. J'ai beaucoup entendu au début de cette crise le mot de « doctrine », qui n'a pas été très stabilisant finalement alors qu'il devrait être rassurant.
Je suis tout à fait d'accord avec Mmes Langloys et Pareux pour déclarer que cette crise a été un révélateur de ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas. Si je devais retenir un axe comme point commun, ce serait cette question de la coordination. Un IME, aujourd'hui, n'est pas un établissement ouvert du lundi matin au vendredi soir. C'est un acteur qui a des responsabilités sur le territoire où il intervient, en lien avec les communautés éducatives, afin de pouvoir penser, au plus près de l'expression des parents et aussi de l'enfant (quand bien même cette expression n'est pas verbale), les réponses qui conviennent.
Il reste encore beaucoup à faire. Je vais prêcher quelque peu pour ma paroisse puisque depuis quelques mois, nous sommes affiliés à la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP). Je trouve très intéressant de mener au même niveau un projet d'éducation populaire, citoyen et inclusif et un projet à vocation médico-sociale, considérant que finalement, il n'existe pas de préséance de la question du soin sur celle de l'inclusion. Les deux doivent être portées ensemble.
Dans la suite du « Truc en plus », il a fallu assurer et construire des dispositifs de répit pendant l'été, assurer la continuité. Nous n'avons pas attendu l'interpellation de mi-juillet pour apporter des réponses. Tous les acteurs du territoire d'Indre-et-Loire ont proposé des actions. En ce qui nous concerne, nous nous sommes mobilisés pour trouver une structure à destination des enfants atteints d'autisme sévère, avec des troubles du comportement. Nous avons essayé de construire un dispositif avec plusieurs portes d'entrée.
Notre association dispose d'un service d'accueil temporaire ouvert l'été, dont l'objectif est de proposer du relais. Tous les parents ne font pas le choix de solliciter le dispositif d'accueil temporaire, car il est très perturbant de penser que c'est par la distance et la séparation que l'épuisement va s'apaiser. Il est très déstabilisant de penser être apaisé à l'idée d'envoyer pour la première fois son enfant, après avoir attendu depuis deux ans une place en IME, quinze jours dans un internat à une heure de chez soi. C'est la seule solution dont nous disposions jusqu'alors pour le répit. Ce service d'accueil temporaire a été modifié. Nous y avons adossé, à moyens constants, un dispositif de plateforme de répit et d'aide aux aidants.
Depuis dix-huit mois, nous déployons beaucoup d'efforts pour proposer, à travers des structures médico-sociales ou de l'économie sociale et solidaire, du relayage, c'est-à-dire des heures de répit, qui ne soit pas marqué du sceau de la marchandisation de la vulnérabilité. Aujourd'hui, seuls des opérateurs privés sont en mesure d'envoyer des éducateurs formés, quasiment du jour pour le lendemain, avec deux risques majeurs : une spéculation sur la vulnérabilité, qui n'a pas de prix ; et un péril pour nos associations. Nous ne sommes plus attractifs. Un éducateur va pouvoir se vendre pour apporter un soutien. Les éducateurs que nous formons savent très bien, dans ce système, se vendre ailleurs. Il ne s'agit pas de solidarité, mais de spéculation sur la vulnérabilité. En effet, la vulnérabilité, sur les plans économiques, sociaux et de santé, va souvent de pair. Les familles qui ne vont pas bien sont souvent celles qui n'ont pas les moyens, qui vivent en appartement, à plusieurs. Madame Pareux s'occupe actuellement d'une famille vivant en appartement avec trois enfants, dont tous ont un trouble. Depuis trois ans, elle se bat avec les sociétés HLM pour lui trouver une maison. Le père est routier. La situation n'est pas supportable.
Accueil temporaire, domicile et puis inclusion : l'inclusion signifie que les animateurs doivent connaître l'enfance dans son ensemble. Il s'agit d'une enfance plurielle. Nous avons tous à gagner à nous occuper des plus vulnérables.
Cet été, nous avons donc ouvert, en accompagnement « un pour un », avec des animateurs mis à disposition par la PEEP, des stagiaires en travail social et des professionnels de notre association, une structure de répit. Nous avons déjà pris le temps, pendant dix jours, de nous former et faire équipe. Se former à l'autisme, c'est fondamental. Il n'est pas possible d'improviser. Des gens peuvent posséder une sensibilité, des connaissances, des aspirations, mais je crois qu'il importe d'être cohérent lorsqu'on s'occupe de ces enfants. D'où la nécessité que tous ces services travaillent ensemble. Nous avons impliqué le champ de l'animation parce qu'il ne s'agissait pas d'un IME, mais d'un accueil de loisirs. Si nous avions disposé de davantage de temps, nous aurions essayé de le coupler à un ALSH ordinaire, afin de proposer des moments plus forts d'inclusion.
In fine, 30 familles de la métropole de Tours ont pu bénéficier, pendant cinq semaines, d'un relais, sous la forme d'un accueil temporaire et/ou de relayage à domicile et/ou d'un peu d'accueil de loisirs.
Cette démarche est cohérente, car ce n'est plus le trouble ou la graduation du trouble de l'enfant qui organise la réponse. Cette réponse est suffisamment complète pour réaliser une prise en charge individuelle ou renforcée si besoin, sans devoir tout le temps solliciter l'autorité de contrôle et de tarification, ou des moyens supplémentaires. Le principe est déjà organisé. S'il est nécessaire d'être deux pour y aller, des ajustements sont possibles. En l'espèce, des étudiants en travail social ont été gratifiés. Durant cet été, il fallait se mobiliser de cette manière. En tant que directeur général d'association, je peux dire que les services des agences régionales de santé (ARS) au niveau local ont pris des responsabilités fortes en nous encourageant « à y aller », tout en nous indiquant qu'elles essaieraient de trouver des moyens lors des campagnes budgétaires suivantes. Ce dispositif ne peut en revanche fonctionner qu'une fois. L'Etat parvient à lever des fonds, et c'est très bien, pour soutenir des industries qui font que notre pays est aussi fort sur le plan économique. Il faudrait avoir la même certitude lorsque nous engageons ce type de service pour les familles. À titre personnel, je regrette de ne pas avoir pu payer les astreintes portées par mes collègues directeurs durant leurs semaines estivales. Tout le monde a été solidaire.
En ce qui concerne la fermeture des IME, tout le monde n'a pas fonctionné de la même manière. En outre, nos professionnels ont été mobilisés en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), en foyers de l'enfance ou dans le secteur adulte. Il a fallu parer à la crise et « combler les trous ». Des personnes étaient malades. Dans un EHPAD par exemple, il a fallu envoyer toutes les infirmières du canton parce que toute l'équipe de soins était contaminée. Cette solidarité fait qu'en parallèle, des lieux d'accueil ont été obligés de fermer. Je ne veux pas parler au nom des familles, mais cet élément est important à prendre en compte.
La notion de coordination est importante. Un diplôme d'accompagnant éducatif et social (AES) a été créé quelque temps plus tôt ; il correspond aux anciens diplômes d'aides médico-psychologiques. Aujourd'hui, la vocation n'existe clairement plus. En principe, les AES doivent être en mesure de travailler aussi bien dans une institution qu'à domicile et dans le droit commun (école). Nous ne sommes pas en mesure d'intégrer ces personnes dans la continuité du parcours de la semaine ; c'est-à-dire que la même personne s'occuperait d'un enfant à l'école, au centre de loisirs, voire à domicile, si les parents ont besoin d'un peu de répit un soir ou le week-end. Celles-ci sont obligées d'être embauchées par trois employeurs, dont une collectivité locale, l'Éducation nationale et un prestataire privé pour être cohérentes vis-à-vis des enfants. Un porteur est nécessaire, que ce soit l'État, une collectivité locale ou le secteur associatif. Je plaiderai pour le secteur associatif parce que je pense qu'une vision horizontale et non mercantile de la vulnérabilité est nécessaire.
Vous avez tous posé la question de la coordination. Vous avez été capables, en temps de crise, par des volontés qui se sont ajoutées, de créer des dispositifs transitoires. Comment se donner les moyens de rendre ces dispositifs de coordination permanents, afin d'intervenir à tout moment de la vie du jeune touché par le handicap et à tout moment de la vie de sa famille ? Vous avez posé la question du porteur, c'est-à-dire du chef de file de ces coordinations nécessaires. Pour ma part, je ne pense pas que l'Éducation nationale soit la mieux placée. Avez-vous une idée de qui pourrait être ce porteur ? Madame Langloys, vous avez parlé parfois d'incompétence. Quels sont les besoins en termes de parcours de formation ? Ne faudrait-il pas allonger ces parcours, pour les rendre plus horizontaux ?
En ce qui concerne l'inclusion en milieu ordinaire et en milieu scolaire, si je vous entends bien, madame Pareux, vous dites que l'inclusion est nécessaire en complément d'autres modes d'accueil. L'inclusion en milieu ordinaire et scolaire n'est pas suffisante selon vous ; il faut préserver d'autres modes d'accueil, d'autres moments. Vous avez parlé de temps partiels. Qu'entendez-vous par là ? Il me semble important d'apporter des précisions. J'entends bien tous les discours politiques prononcés sur l'inclusion. Est-ce vraiment la solution ou une partie de la solution, qui a besoin d'être complétée par d'autres démarches ?
Pour revenir sur ce que disait M. Beurel, il est certain que le diplôme d'Etat AES a été une « occasion ratée ». Ce diplôme comprend trois volets différents, pour préparer à intervenir dans un établissement médico-social, à domicile ou dans l'Éducation nationale, en tant qu'AESH. À l'Éducation nationale, cela n'a pas fait recette. Je dirais même qu'il s'agit d'un « ratage monumental ». Ce diplôme commun aurait pu permettre de décliner, selon trois modalités différentes, un socle commun. Or les AESH ne sont pas formés. Nous avons vu à quel point ils ont été inutiles pendant la crise, car, étant devenus personnels de l'Education Nationale, ils ne pouvaient pas se rendre à domicile alors que souvent, ils connaissent bien les enfants. Si nous les avions intégrés en tant qu'auxiliaires pouvant participer à l'accompagnement scolaire, le problème aurait été autre. Ce point m'a toujours sidérée.
En ce qui concerne la question du porteur, dans mon réseau d'association – sachant qu'Autisme France coordonne une centaine d'associations partout en France –, nous disposons d'un dispositif tout à fait original. Il s'agit du service à domicile Autisme, cofinancé par le conseil départemental et l'ARS. Les services à domicile jouissent du statut de services médico-sociaux, mais cela n'a pas été exploité. On les a considérés avec une sorte de mépris, comme des sous-acteurs, alors qu'ils possèdent une place prépondérante. Les professionnels devraient être reconnus en ce sens, payés correctement et intégrés dans un réseau où ils reçoivent la même formation que ceux travaillant dans des établissements et services médico-sociaux traditionnels, puisque les services à domicile sont devenus des services médico-sociaux depuis plusieurs années déjà. Je ne comprends pas que nous ne soyons pas saisis de cette opportunité.
Notre service à domicile, basé à Dijon, peut se rendre à domicile. Il peut soutenir des enfants et adultes accueillis en IME lorsque l'accompagnement n'est pas satisfaisant et depuis l'année dernière, il est admis dans les écoles. Cet exemple montre ce qu'il serait possible de faire. Je plaide, partout où je vais, en faveur des services à domicile. Ce sont des services de proximité, à la différence d'un IME ou d'un SESSAD. Ces derniers agissent dans un rayon de 30 kilomètres ; à défaut, le transport n'est pas pris en charge. Les places y sont très rares, avec plusieurs années d'attente. Il s'agit d'une partie de la réponse. Je n'affirme pas que tous ne font pas bien leur travail ; certains essaient de bien le faire et je leur rends hommage. Cela ne suffit pas, néanmoins. Nous ne nous en sortirons pas de cette manière, hormis si nous investissons massivement pour tripler ou quadrupler le nombre d'IME et de SESSAD, ce qui n'est pas prévu dans les budgets. À mon avis, il faut penser le problème autrement, ce que nous avons des difficultés à faire. Les services à domicile ne trouvent pas leur place. Leur légitimité reste encore très faible, alors que tous ces professionnels, sur le terrain, à domicile, sont absolument essentiels et réalisent souvent un travail plus en phase avec le terrain, car ils connaissent mieux la personne et passent beaucoup de temps avec elles. Le travail qu'ils réalisent est souvent une grande réussite.
Ma troisième remarque porte sur le relayage. Au Conseil national consultatif des personnes handicapées, dont je suis membre, un décret sur le relayage a été présenté, contenant uniquement une dérogation au code du travail pour que les salariés puissent se rendre à domicile 48 heures d'affilée par exemple, afin de soutenir les familles se trouvant à bout. Tout le monde a protesté. Ni la formation ni le mode de financement n'étaient prévus. Pour le moment, le décret relayage ne peut pas être utilisé, alors qu'il serait fondamental. Souvent, déplacer une personne autiste n'est pas la meilleure solution. La meilleure solution serait que quelqu'un de formé, compétent et solide, vienne à domicile relayer la famille pour que, pendant 48 heures, elle puisse souffler. Ce n'est pas possible à ce stade en l'absence de financements et de formation dédiés. Je le répète, le décret relayage a été envoyé avec une simple dérogation au Code du travail. Ce n'est pas suffisant.
Je partage en partie les propos de Mme Langloys. Qu'est-ce que le travail d'AES aujourd'hui ? Des personnes, souvent des femmes, travaillent dans un service à domicile, en EHPAD ou en institution médico-sociale. L'une des raisons qui font qu'elles ne restent pas longtemps, c'est l'épuisement. Ces personnes sont les premières à arriver le matin et les dernières à partir le soir. Elles parcourent des kilomètres insensés sur les routes. Ces conditions de travail sont extrêmement dangereuses et invivables. Ces personnes sont en prise directe avec la vulnérabilité. Les temps de réunion ou de supervision sont très peu nombreux. Il existe un paradoxe en France. Je ne vais pas « jeter par la fenêtre » tous les IME, les ITEP et les institutions – ce serait trop facile –, mais je vous rejoins sur le fait que l'offre, bien que très qualitative, s'est un peu endormie. Elle est insuffisante et crée beaucoup d'insatisfaction chez les parents. Une attente de deux ans est inacceptable. Je ne reviens pas sur les délais d'attente pour les diagnostics. Il en est de même pour les orientations. Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) n'ont pas accéléré les processus. La période du Covid a été longue pour les familles, entraînant trois à six mois de plus pour obtenir une « notification » et non une place.
Je ne suis pas tout à fait d'accord à propos du « tout domicile ». Cette solution doit, à mon sens, être adaptable. À des moments de la vie, l'adossement à une institution est important compte tenu des besoins de relais ou de formation. Je me mets à la place d'AES travaillant dans mon association ; j'en ai reçu ce matin, suite à un épisode violent survenu hier soir dans l'une de nos institutions. Les gens s'épuisent lorsqu'ils pratiquent une seule tâche, lorsqu'ils se retrouvent dans la routine ou l'entre-soi d'une équipe, lorsqu'ils sont tout seuls à côté de l'enfant dans sa scolarité. Nous apprenons beaucoup plus lorsque nous mobilisons des compétences à des endroits différents, au domicile, en institution et à l'école. Cela évite l'épuisement. Les femmes dont j'ai parlé effectuent plus de 43 ans de carrière. Or la convention collective de 1966 prévoit 28 ans de progression salariale, avec le rattrapage du SMIC. La progression de salaire n'est que sur 13 ans aujourd'hui : c'est inadmissible.
En outre, l'aide à domicile ne répond pas aujourd'hui aux besoins, car elle manque d'effectifs. Un de mes collègues en Indre-et-Loire manque de 80 équivalents temps plein (ETP) d'aide à domicile, pour répondre seulement à la question du grand âge. En couplant le handicap aux besoins de formation, nous ne pouvons pas répondre à la demande.
Cette pénurie est-elle due à un manque de création de postes ou à un manque de candidatures ?
Il s'agit d'un manque de personnes qualifiées, en dépit des efforts de la région. Pour évoluer, il faut que la personne se mette à son compte ou progresse vers un métier d'éducateur ou de technicien de l'intervention sociale et familiale (TISF). En outre, le métier n'est plus attractif et n'est pas valorisé. Il ne prévoit que treize ans de progression de carrière, sur une carrière de quarante-quatre ans. Qui l'accepterait ? Ces personnes parcourent en moyenne trente mille kilomètres par an. Elles passent un week-end sur deux en dehors de chez elles. Ce sont « les petites mains » de la solidarité. Le diplôme existe. Ces femmes ont travaillé un week-end sur deux à l'internat pendant trente ans. Elles auraient des choses à apporter à l'école : cette tranquillité qui peut rassurer la maîtresse, cette « rondeur », cette capacité relationnelle. Tout ceci peut être utile à l'école. Je ne pense pas, en revanche, que l'école puisse être le porteur.
Nous nous inscrivons dans une transformation de l'offre médico-sociale ; aussi, allons jusqu'au bout. Essayons de voir dans le domaine de l'enfance, sur des territoires volontaires, s'il est possible d'hybrider ces questions. Nous sommes prêts à le faire pour le Chinonais. Nous pouvons disposer des personnels ! Des personnes peuvent être sauvées d'un licenciement pour inaptitude à 58 ans si on leur confie un enfant dans l'école de proximité, avec un trouble qu'elles connaissent. Un arrêt maladie est coûteux ; un licenciement implique de rechercher un emploi et de reprendre confiance en soi. Pour des personnes qui n'ont pas passé d'entretien d'embauche depuis trente-cinq ans, il est extrêmement compliqué de se remotiver alors que le besoin existe juste à proximité, puisque ces enfants ont besoin d'elles.
Des inspecteurs de l'Éducation nationale l'ont bien compris.
Je souhaite réagir à la question de l'inclusion et de la création de solutions hybrides de répit. La soixantaine de pôles ressources en France, financés par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et les CAF de départements ont monté un collectif dénommé « Les inclusifs ». Nous travaillons beaucoup en réseau. Les pôles ressources ont été créés pour favoriser l'inclusion des enfants malades ou en situation de handicap dans les structures de droit commun. L'inclusion est importante, car tous les enfants ont le droit de grandir, jouer et s'épanouir. Reste que des familles n'ont pas envie de mettre leur enfant dans une structure de droit commun parce qu'elles ne sont pas rassurées et en ont peur, sans que d'autres modèles existent réellement. En outre, certains enfants ne peuvent pas aller en structure ordinaire. Nous avons par exemple accueilli un petit garçon en structure de répit qui ne pouvait pas aller en structure ordinaire. Trois professionnels étaient présents pour lui, car il cassait tout et n'était pas propre. Pour certains enfants, le milieu ordinaire n'est pas envisageable. En Touraine, un centre de loisirs est adapté aux enfants autistes, mais il est tout le temps complet. D'autres solutions hybrides pourraient être envisagées. Le dispositif « Loisirs pluriel » propose des accueils de loisirs mixtes, avec à la fois des enfants en situation de handicap et des enfants sans difficulté particulière. Certains enfants ont tellement de besoins spécifiques qu'il n'est pas possible de les accueillir en milieu ordinaire. L'inclusion ne doit pas se faire à tout prix.
En ce qui concerne le temps partiel, nous abordons là le fait que l'école ne prend les enfants que sur les temps où l'AESH est présent et demande aux familles de les reprendre le reste du temps. Les familles pourraient très bien décider de les laisser à l'école, avec le risque qu'ils soient mal accueillis. Elles les reprennent et se tournent vers moi pour trouver des solutions au niveau du département, qui viennent souvent du secteur marchand et des agences de garde à domicile. Nous réalisons des montages à n'en plus finir. La CAF propose également 80 heures de répit par an, qui ne peuvent toutefois pas être mobilisables dans le cadre d'une famille qui travaille. Les dispositifs sont nombreux. Le PCPE a été évoqué. De petites plateformes existent, sans toujours une bonne coordination.
J'ai l'impression que les familles n'ont jamais le choix et subissent toujours la double peine. J'ai reçu hier un texto d'une maman d'un petit garçon autiste, qui ne bénéficie que de très peu de prise en charge. J'ai contacté tous les acteurs, d'autant que je travaille en lien avec les députés de mon territoire. Cette maman m'a écrit ceci : « tu sais, si je n'obtiens pas ce que je veux, moi aussi, je vais monter sur une grue ». Nous recevons cette souffrance. Il va falloir faire quelque chose et se mobiliser.
Merci beaucoup pour toutes ces remontées de terrain, criantes de vérité. Je vais à présent donner la parole aux députés.
Merci pour vos témoignages. Je crois effectivement, comme vous l'avez souligné tous les trois, que les familles ont été laissées à l'abandon pendant ce confinement et livrées à elles-mêmes. La question qui est posée à travers cette commission d'enquête est de savoir comment, si cette situation était amenée à se reproduire, ne pas repartir à zéro. Vos témoignages sont extrêmement intéressants, car, y compris sur le plan législatif et réglementaire, vous devez nous fournir un certain nombre de pistes, en particulier cette question de répit à domicile ou de relayage, pour améliorer concrètement les dispositifs et éviter aux familles de revivre la « galère » qu'elles ont vécue.
Madame Langloys a évoqué les logements accompagnés pour les adultes autistes à Saint-Étienne. Elle a également abordé l'expérience des jardins solidaires. Pour l'ensemble de la population, les questions de dérogation aux règles de confinement ont été essentielles. Elles ont été une bouffée d'oxygène, en particulier pour permettre la pratique d'une activité physique de plein air pendant une heure, dans un rayon d'un kilomètre, avec le respect de la distanciation physique. Cette activité a été pour certains la course à pied, pour d'autres la marche et pour d'autres encore le jardinage, qui est une activité physique modérée. C'était une bouffée d'oxygène très importante pour l'équilibre physique et psychologique de chacun et de l'ensemble des familles.
Nous savons aujourd'hui que des sociétés et des associations de jardins ouvriers et familiaux ont monté des sections consacrées aux personnes atteintes d'un handicap, physique ou autre, et qui aujourd'hui fonctionnent. Avez-vous la possibilité de nous expliquer plus en détail en quoi a consisté cette expérience de jardin solidaire et de nous dire si elle est reproductible au niveau national ?
Je souhaite poser deux autres questions très précises. La première est relative au port du masque. Une dérogation médicale a été accordée aux enfants atteints de formes d'autisme sévère. Cela a posé des problèmes pour certains établissements médico-sociaux ; vous y êtes revenus tout à l'heure. Les masques avec des fenêtres transparentes, adaptés pour un très grand nombre de personnes handicapées, ont été peu utilisés, d'abord parce qu'ils étaient difficiles à trouver, mais aussi en raison de leur coût (10 euros pièce). Que proposez-vous sur cette question ? En ce qui concerne le retour à l'école, disposez-vous de chiffres relatifs au suivi scolaire des enfants en situation de handicap, en particulier ceux atteints de troubles du spectre autistique ?
Nous avions appelé ces jardins « les jardins partagés », mais les maires n'ont pas voulu prendre la responsabilité d'en faire une sorte d'institution. La pratique s'est diffusée de voisin en voisin, mais les maires ont refusé d'institutionnaliser le partage, pendant une heure, d'un jardin avec un enfant autiste. Ceci a été également vrai en Ile-de-France. De nombreuses tentatives citoyennes ont été menées en faveur de ce partage, mais nous ne savions pas à qui nous adresser, car aucun acteur ne voulait en porter la responsabilité.
Ces jardins n'avaient pas forcément vocation à faire du jardinage même si à la campagne, des jardins ont été proposés avec des animaux ou des possibilités de jardiner. Des enfants et adolescents autistes ont d'ailleurs été ravis de découvrir des animaux. L'objectif était que les enfants soient dehors. Certaines familles ont proposé, en Normandie, un jardin avec une piscine chauffée. C'était formidable. D'autres ont mis à disposition des propriétés somptueuses dans les Alpes-Maritimes. Cette générosité nous a beaucoup touchés. Je ne m'attendais pas du tout à ce que cela fonctionne. Au début, une dizaine de ressources étaient comptabilisées, puis elles se sont multipliées.
Vous avez raison de souligner que les mairies n'ont pas voulu en porter la responsabilité, à l'exception d'une mairie, en Seine-Saint-Denis. Une expérimentation a également été menée dans les jardins de la Légion d'honneur, proposés aux enfants et adolescents en situation de handicap, principalement autistes, mais « en catimini ». Nous avons trouvé cela un peu honteux. Un mouvement solidaire de fond aurait dû se produire.
Si des enfants en situation de handicap, autistes ou avec un trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ne sortent pas, la situation devient intolérable pour les familles. Il a fallu examiner comment leur assurer une vie à l'extérieur, une possibilité de sport ou une activité physique quelconque. Cela n'a pas du tout été pensé et laissé à l'initiative citoyenne, mais les citoyens ont fait le travail. Il ne faut pas non plus tout attendre des services de l'État, des mairies, etc. Il est bon qu'ils puissent relayer, mais il est bon aussi que les citoyens puissent s'assumer.
Autisme France a assuré la logistique. Nous avons reçu des centaines de propositions et mis en lien les familles et les détenteurs de jardins. Afin de respecter les gestes barrières, les personnes qui prêtaient leur jardin s'isolaient dans leur maison ou partaient le temps de la visite, une ou deux heures. Nous avons peut-être un peu abusé de notre droit de sortie dans le champ de l'autisme, car les sorties ne duraient pas toujours une heure, mais parfois deux ou trois. À la fin, je laissais sortir mon fils quatre ou cinq fois dans la journée, car il n'en pouvait plus. Nous ne nous sommes jamais fait arrêter. Les services de gendarmerie et de police ont normalement été formés.
Les masques constituent un réel souci, que nous ne savons pas comment gérer avec les familles. Des enfants, adolescents et jeunes adultes ont de réels problèmes pour porter un masque. Même s'ils ont de bonnes capacités cognitives, ils étouffent et font des crises anxieuses. Des négociations ont été menées dans les collèges et les lycées, comme le droit de sortir toutes les heures pour respirer dans la cour de récréation. Dans les salles de classe spacieuses, les élèves ont pu être placés au fond, pour respecter la distanciation physique. D'autres ont porté le masque dans les couloirs, mais pas dans la classe. Certains ont abusé de la dérogation, en faisant valoir des certificats de complaisance alors qu'ils auraient pu faire un minimum d'efforts.
Il est vrai que pour des personnes avec des troubles sévères, qui ne comprennent pas ce qu'est un masque et à quoi il sert, et qui le triturent à longueur de journée, le port du masque est tout à fait inutile. Il s'agit d'une réelle difficulté, très compliquée à penser, pour laquelle je n'ai pas de réponse, excepté le fait d'agir avec bon sens, en s'adaptant. Des écoles ont été bienveillantes et d'autres pas du tout. Nous avons aidé des familles de jeunes, en particulier au lycée, qui avaient le choix entre le port du masque et l'exclusion. Nous sommes intervenus pour les inviter à négocier avec la famille pour déterminer ce qu'il était possible de faire, en rappelant aux établissements qu'ils n'étaient pas en droit d'exclure un élève. Le ministère de l'Éducation nationale a été très clair sur ce point.
Mon fils, qui a de petites compétences, porte la visière en ESAT, et le masque dans les transports en commun. Il en a assez, aussi je ne sais pas combien de temps il tiendra ainsi, mais il le fait. Des enfants ou adultes avec des profils très sévères ont accepté de porter un masque. D'autres, avec des profils cognitifs très élevés, ne supportent pas du tout le masque sur le plan sensoriel.
En ce qui concerne le retour à l'école, nous pensions tous, naïvement, à l'avènement du monde d'après. Je ne vous apprends rien : il n'y a pas eu de monde d'après, mais un monde d'avant, souvent en pire ! Le retour à l'école s'est fait à dose homéopathique. Mme Cluzel avait beaucoup insisté pour que les enfants en situation de handicap soient prioritaires, parce qu'ils avaient été privés de tout, laissés à l'abandon avec des carences de soutien éducatif notoire et des régressions sur le plan des apprentissages. Les AESH avaient disparu. Quelques-uns se sont manifestés au téléphone ou en visioconférence, mais la plupart avaient complètement disparu. Les familles ne peuvent pas tout assumer, en particulier en présence de profils sévères et très souvent, les enfants en situation de handicap n'ont pas du tout été prioritaires. Une pression a été exercée sur les familles, en leur expliquant que ce n'était pas une urgence et qu'il était préférable d'attendre, car la reprise allait être très compliquée. Je comprends que les enseignants aient été dépassés par la situation. Certains étaient malades. Les AESH ne sont pas tous revenus, soit parce qu'ils étaient malades, s'étaient mis en congé maladie ou avaient trouvé un autre travail. Assez généralement, la situation a été très chaotique pour les enfants en situation de handicap et encore plus pour les enfants autistes. L'Éducation nationale ne se prive jamais d'écarter un enfant autiste dès qu'elle le peut.
Je suis d'accord pour dire que l'inclusion à tout prix se discute, en particulier pour les profils sévères, mais la place d'un enfant est à l'école. Il est ensuite possible d'adapter ce que l'on fait à l'école, en ne proposant par exemple pas nécessairement un temps plein. Au Canada, pays plus en pointe que le nôtre, il est reconnu que dans certains cas, il n'est pas possible de mettre un enfant autiste avec des troubles sévères en classe ordinaire, avec les autres. Les unités d'enseignement en maternelle et élémentaire ont été inventées pour répondre aux besoins éducatifs de ces enfants, bien qu'elles soient trop peu nombreuses et ne permettent pas de répondre à tous les besoins. Il est donc tout à fait possible de scolariser les enfants, même avec des troubles sévères. Il faut toutefois le faire dans un cadre adapté, et pas forcément à temps plein. On en revient à la question si bien posée : que faire le reste du temps ? Il s'agit d'un problème international. La France n'est pas très en avance, mais le Canada se pose la question de la même façon. L'autisme sévère rend les apprentissages compliqués, compte tenu de la fatigabilité de l'enfant. Je trouve que nous l'avons mieux compris pendant la crise sanitaire. Nous avons bien identifié le besoin de relais, en dépassant l'idée qu'un acteur unique pouvait suffire.
Un IME, s'il était autre chose qu'un « ghetto », comme dans beaucoup de cas, pourrait être une plateforme éducative ressources de bon niveau, compte tenu de ses moyens supérieurs à ceux d'un SESSAD, et pourrait fonctionner autrement. L'articulation du soutien éducatif nécessaire pour ces enfants est compliquée. Par ailleurs, l'école ne doit pas sans cesse « se défiler » en refusant par exemple d'accueillir les enfants sans AESH, ce qui est illégal. Mme Cluzel demande que lui soient remontés ces cas, scandaleux, et souligne la nécessité d'agir. Les familles n'osent pas, de peur que l'ambiance ne s'améliore pas si elles commencent à protester contre l'école. Souvent, donc, personne ne dit rien.
En outre, comment poursuivre le soutien à domicile en veillant à ce qu'il soit identique à ce qui est pratiqué dans un IME, dans un foyer d'accueil médicalisé pour un adulte ou à l'école avec des AESH formés ? Dans mon département, c'est mon association qui forme les AESH, à ses frais – ce que je trouve inadmissible. On trouve donc très bien qu'une association, à ses frais, réalise le travail du service public : c'est pourtant un abus ! Comment coordonner l'ensemble des éléments que nous pouvons mettre à disposition d'un enfant, pour qu'il puisse être un élève et bénéficier de loisirs ? Les enfants autistes sont très généralement exclus des loisirs. Des dossiers peuvent être montés avec la MDPH pour demander un soutien pour des loisirs ou des vacances. Néanmoins, la famille épuisée ne le fait pas et le service de loisirs n'a pas envie de perdre du temps avec de telles démarches. Finalement, tout repose sur la bonne volonté de services comme celui que vous avez monté ou comme « Loisirs Pluriel », cité plus tôt. C'est-à-dire que tout repose sur la volonté très forte d'individus ayant la capacité hors norme de bousculer les usages.
La situation est tout de même meilleure qu'il y a dix ans. Militante depuis trente ans, j'ai constaté des progrès, mais la « machinerie à soulever » est très lourde. J'ai travaillé pendant dix ans pour mettre en place le logement accompagné pour adultes. Est-il acceptable de devoir se battre autant d'années pour obtenir quelque chose qui devrait être normal ? Un adulte doit vivre comme tout le monde, dehors, et développer son autonomie, sans être enfermé dans un foyer – qui, de toute façon, n'existe pas.
Merci beaucoup pour vos témoignages, poignants. Nous avions commencé à réfléchir sur l'école de la confiance après avoir été interpellés par l'école Tournesol, une école hors contrat qui voulait passer sous contrat. Celle-ci n'était pas adossée au système scolaire, mais avait l'ambition de continuer à faire progresser les enfants, à leur rythme. Nous n'avions pas réussi à trouver un créneau pour cette école. Les familles étaient obligées de payer un montant assez élevé pour disposer d'un « plan B ».
Je reviens donc sur la notion de sur-mesure. Les familles possèdent-elles un référent ? Un club de judo de ma circonscription propose des cours pour les personnes en situation de handicap, mais on m'a expliqué qu'obtenir la subvention relevait également du parcours du combattant. Un référent, sorte de numéro vert, devrait être proposé aux familles, afin de leur construire un parcours sur mesure, un « mix école-loisirs-temps de répit ». Ce référent devrait être doté d'une vision de l'existant sur le territoire et permettre d'initier des actions lorsque l'offre est inexistante. En outre, l'ambition doit être plus forte pour renforcer la taille des IME et en faire de véritables plateformes éducatives, avec une volonté d'acquisition et d'apprentissage très forte pour ces jeunes, alternative au tout-inclusion, qui ne fonctionne pas systématiquement. Je pense que des dispositifs doivent être créés.
Merci pour vos témoignages. J'ai bien compris la nécessité de la coordination, à deux niveaux, pour offrir plus de moyens et de qualité aux enfants et plus de valorisation des métiers. Grâce à cette coordination, tous les acteurs sont concernés, aussi bien les bénéficiaires que ceux qui s'en occupent. Sur le papier, cela paraît évident et de bon sens, et nous nous demandons pourquoi cette coordination n'a pas été mise en œuvre plus tôt. Je suis tout à fait prête à accueillir cette coordination dans le Chinonais ou dans la métropole de Tours, en Indre-et-Loire. Quels seraient les freins de la part des acteurs ? Quels seraient les freins financiers ? Qui serait favorable et qui ne le serait pas ?
Par ailleurs, pendant le confinement, certains parents se sont trouvés en grande difficulté. Je voudrais également aborder la souffrance des enfants pendant cette période. Vous avez parlé de régression dans les acquisitions. Comment ces enfants vont-ils aujourd'hui ? De quoi ont-ils besoin ? Les retards et les régressions ont-ils été rattrapés ? Eprouvent-ils toujours une douleur par rapport à ce confinement ? Arrivent-ils à l'exprimer ? Ont-ils peur que cela revienne ?
Par rapport à la question du déconfinement et de l'école, je vous rappelle que pendant un mois et demi, l'école n'était pas obligatoire. Exprimée de la sorte, cette phrase est extrêmement choquante. Elle signifie que la responsabilité de la scolarité de leurs enfants était renvoyée aux parents. Il importe de rappeler que l'école est destinée à tous les enfants. Sur cette question, il est encore temps d'être présent. L'inclusion a été le parent pauvre de ce déconfinement, alors qu'il n'existait pas de lien de causalité particulier entre handicap et vulnérabilité de santé. C'est toujours l'occasion, dans la démarche de la relance, de soutenir l'emploi et les moyens de l'inclusion. La politique est ambitieuse, il faut la soutenir. Les AESH doivent être présents en renfort. Il s'agit d'une occasion unique de le faire. Je sais que les priorités sont nombreuses et que le moment est très compliqué sur le plan économique, mais c'est d'autant plus important que le coût sera ensuite élevé du fait de la perte des acquisitions individuelles et collectives.
Dans une hypothèse de reconfinement ou de risque majeur, il conviendra de ne pas emprunter un discours angoissant, mais de faire confiance, en partant du constat que les dégâts n'ont pas été importants dans les institutions, afin de structurer cette question du domicile, du soutien des familles et du maintien d'une qualité éducative thérapeutique et pédagogique. Il n'y a aucune raison que le niveau baisse. Il s'agit d'autoriser l'expérimentation et de lâcher prise sur la question de l'activité. Je parle en tant que directeur d'établissement. Nous savons ce que nous avons à faire ; on nous demande pourtant de consacrer un temps insensé à renseigner des tableaux, avec les actes réalisés ou non, à accomplir de multiples saisies au niveau régional et local. Bien évidemment, nous souhaitons rendre compte ; en tant qu'acteurs financés par l'argent public, c'est de notre devoir. Les moyens pourraient toutefois être mobilisés de façon plus pertinente.
Un vrai problème porte sur le domicile, en premier lieu le relayage, que je qualifierai de « trompe-l'œil » tant les contraintes, au-delà de celles liées au droit du travail, sont multiples.
Les départements n'autorisent pas tous les services à pratiquer le relayage ; certains y sont autorisés mais sont embolisés par la contingence du grand âge. Le recrutement de personnes spécifiques, devant s'accompagner de la prise en charge de leur formation, leur coûterait trop cher. Construire une coordination adossée à celle existante, c'est-à-dire au niveau de nos établissements et services médico-sociaux, est nécessaire.
Je refuse de séparer les IME et les SESSAD ; ils doivent travailler ensemble. Il importe de disposer d'un endroit ressources, qui structure les réponses selon les besoins de chacun. Il ne sera peut-être pas possible d'obtenir réponse à tout, mais au moins, la volonté d'individualiser et de regrouper toutes les offres domicile-inclusion-institution existera.
Je pense qu'il revient aux acteurs du secteur médico-social, dans leur évolution, de porter cette plateforme. Les IME et les ITEP doivent se transformer afin de réaliser ce pilotage.
En effet. Pourquoi cette évolution n'a-t-elle pas lieu ? Plusieurs éléments l'expliquent. Structurellement, économiquement, les IME sont fondées sur le bâti. La partie patrimoniale détient une place trop importante. Nous avons refait les lieux quinze ans plus tôt et nous devons amortir dix millions d'euros. Cette marge de manœuvre ne peut pas être projetée sur le terrain. Cet aspect est très important dans la construction de ce qu'est une institution médico-sociale. Je vous rejoins dans l'identification des freins que vous avez cités. Le système doit évoluer, pour être beaucoup plus ouvert et souple. Il faut s'en donner les moyens, mais je n'imagine pas le privé ou l'aide à domicile capable de le faire. Les territoires peuvent peut-être aussi disposer d'une certaine latitude pour s'organiser et trouver des réponses.
Je doute que l'établissement médico-social soit indiqué pour être la plateforme de coordination. Quelle autorité aura-t-il sur les personnels dépendant de l'Éducation national, par exemple ? Il peut s'agir d'une collectivité territoriale, par exemple le département, en charge de l'ASE, ou d'un organisme public tel que la CAF. Un problème d'autorité se pose pour créer la coordination avec d'autres corps.
Je crois que nous ne parlons pas de la même chose. Je parle de la réponse opérationnelle, du projet d'accompagnement et non de l'organisation qui y est adossée. Je constate qu'il nous est de plus en plus demandé d'organiser le répit, la scolarité et l'accompagnement dans le milieu ordinaire. Des autorisations doivent évoluer.
Je ne crois pas du tout aux capacités d'évolution spontanée du champ médico-social. Nous nous sommes heurtés violemment à ce champ lorsque nous avons demandé de bien vouloir former ses professionnels à l'autisme. Je ne crois absolument pas que le salut viendra de l'évolution de l'offre médico-sociale. Ce n'est pas le secteur médico-social qui pourra faire avancer ce projet, bien qu'il soit soutenu officiellement.
Les PCPE, mis en place durant le quinquennat précédent, nous ont davantage intéressés. Nous les avions demandés en 2016, afin de permettre à des professionnels en libéral de prendre leur place dans l'accompagnement des enfants et adolescents et trouver un financement. Les éducateurs et les psychologues ne sont pas financés par la Sécurité sociale, sauf s'ils travaillent dans un IME, dans un ITEP ou dans un hôpital de jour. S'ils ne travaillent pas en institution, ces professionnels, qui sont absolument indispensables, ne reçoivent aucun financement. Nous avions demandé qu'une « parade » législative soit trouvée pour qu'ils puissent effectuer leur travail correctement. Les libéraux peuvent être des professionnels de proximité, ce que ne sont pas toujours les IME et les SESSAD compte tenu de leur nombre insuffisant. Les PCPE ont permis de les salarier et de les rémunérer – pas nécessairement certes à la hauteur de ce qu'ils souhaitaient – mais l'avenir réside dans ce fonctionnement.
Il s'agit de faire en sorte que tous les acteurs disponibles, y compris les libéraux, puissent intervenir auprès des enfants et adolescents qui en ont besoin, avec des financements qui ne reposent pas sur la famille. Certaines familles ont les moyens de rémunérer un éducateur privé ou un psychologue. Dans les établissements et services, les psychologues se font rares ; ils sont pratiquement tous partis en libéral. Ce sont essentiellement des femmes, qui gagnent en liberté – au moins la liberté éducative par rapport à ce qu'elles ont appris et ce qu'elles peuvent accomplir en lien avec les familles. Le salut viendra du travail à effectuer avec les institutions médico-sociales telles qu'elles fonctionnent. Il n'est pas possible de continuer de cette façon, qui ne répond pas au besoin ! Dans l'immense majorité des cas, les IME sont complètement « à côté de la plaque ».
En ce qui concerne les troubles des enfants pendant le confinement, pour certaines familles, le manque de suivi et de thérapie a entraîné une accélération des symptômes. Des parents ont mentionné des nuits difficiles, des troubles du sommeil, des crises et des angoisses des enfants. A contrario, des familles ont souligné que les relations étaient apaisées au sein de la famille. Le contexte est différent selon qu'on habite en appartement sans extérieur ou dans une grande maison, avec une cour extérieure. Cette sorte de décélération du stress de la vie quotidienne a permis pour certaines familles de se retrouver, de créer des relations, de faire des choses ensemble, et des symptômes ont pu s'apaiser.
Les enfants présentant des difficultés ou des handicaps sont ceux qui sont le moins souvent pris dans les structures alors qu'ils sont ceux en ayant le plus besoin. Il est urgent de les accueillir, dans le droit commun ou dans des structures de répit, assez rapidement.
Je suis très sensible à vos propos, d'autant que je suis moi-même tante d'un enfant autiste. Ces familles vulnérables ont besoin de solutions urgentes, alors que la Covid est toujours présente. Vous avez abordé beaucoup d'aspects et fourni beaucoup d'idées. N'avons-nous pas intérêt à nous regrouper avec tous les élus pour mener une grande campagne sur la manière de travailler sur le sujet ? Les AESH ne sont pas assez formés. Des structures de répit pourraient être expérimentées partout. Je me demande si nous n'avons pas intérêt à nous regrouper, sachant que les connexions entre les différents services n'existent pas forcément. J'ai beaucoup entendu parler de lieux d'accueil. L'école est obligatoire, mais que faire ensuite, à la sortie de l'école ?
Madame Langloys, nous vous avions auditionnée à la fin du printemps 2019 dans le cadre de la mission sur l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Je voudrais savoir si pendant le confinement ou suite au confinement, davantage d'enfants ont été confiés à l'ASE. Je suis désolée d'effectuer un tel raccourci compte tenu du temps qui m'est imparti, mais avez-vous constaté une augmentation d'enfants confiés à l'ASE parce que les parents, avec le confinement, n'en pouvaient plus et ont fait appel à un tiers pour prendre soin de leur enfant ?
Vous avez parlé tout à l'heure de l'intervention possible du secteur médico-social au sein des écoles. J'ai accompagné une association dans ma circonscription pour mener une expérimentation au sein des écoles maternelles. Ce n'est pas simple. Certes, le confinement est intervenu entre temps, mais j'aurais voulu connaître le rôle des ARS dans ce domaine.
Nous n'avons pas relevé dans notre réseau un plus grand nombre de familles se retournant vers l'ASE – sachant qu'il ne faut jamais se tourner vers l'ASE pour demander de l'aide avec un enfant autiste. Dans ces services, les professionnels, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, ignorent ce qu'est l'autisme. Ils verront des carences éducatives là où il faut simplement de l'aide éducative.
Pendant le confinement, de manière inédite et ponctuelle, des services médico-sociaux ont pu intervenir pour aider les travailleurs sociaux de l'ASE en présence d'enfants en situation de handicap. L'ASE est habituellement un monde fermé ; y faire intervenir des acteurs extérieurs dotés d'autres compétences est extrêmement compliqué. A contrario, compte tenu de la crise du covid, des audiences ont eu lieu à l'ASE lors desquelles des décisions ont été prises sans que les familles aient été présentes, aient été tenues informées ou aient reçu des documents. Le Covid a eu bon dos ! Bien sûr, dans certains cas dramatiques, il a fallu intervenir en urgence, mais nous avons surtout constaté beaucoup d'abus. Le Covid a été l'occasion, encore une fois, de ne pas identifier le trouble du neuro-développement sur lequel il aurait fallu se concentrer pour aider la famille, à plus forte raison pour sortir du confinement.
Vous me demandiez ce qu'étaient devenus les enfants. Eh bien, le monde d'avant ne leur a pas été rendu. En conséquence, ils ne vont pas bien. Une personne autiste a besoin de savoir quand les choses commencent et quand elles finissent. En ce moment, je ne peux que dire à mon fils : « je ne sais pas » et lui dire que même le Président de la République n'est pas en mesure de dire combien de temps la crise durera et combien de temps mon fils sera obligé de porter le masque.
J'aimerais également que l'ASE fasse partie d'un réseau possible de soutien, d'aide – et non de punition ! – quand les familles ne vont pas bien.
Je partage partiellement ce qui vient d'être dit. Beaucoup de choses restent à faire au niveau de l'ASE, mais des débuts d'expérimentation existent, qui ne sont pas propres à notre territoire. Des institutions travaillent ensemble pour faire en sorte d'assurer, lorsque nécessaire, une mesure ordonnée par un juge dans un cas précis et proposer un accompagnement du fait de la vulnérabilité et du handicap d'un jeune. Ces initiatives sont toutefois minimes par rapport au besoin.
En ce qui concerne le rôle des ARS, du travail médico-social et de l'école, des textes existent. L'intention au niveau des services de l'État est également bien présente. La difficulté est que la politique des enfants est morcelée. Une synchronisation des moyens et des acteurs est nécessaire pour obtenir un résultat patent sur les territoires. Cela passe par une forme de stabilité et la volonté des services déconcentrés, des collectivités locales et des acteurs associatifs. Souvent, l'inertie crée à juste titre l'impatience des familles. Je ne connais aucune ARS qui soit contre le principe d'aller à l'école. Les ARS souhaitent de plus en plus développer des unités maternelles ; ces dernières sont insuffisantes en nombre, mais l'intention est bonne. Il en est de même pour la partie élémentaire et les collèges. Nous ne régressons pas d'année en année, même si les progrès sont largement inférieurs aux besoins.
Les MDHP sont centrées sur l'accès aux droits. Elles n'ont ni la légitimité ni l'autorité pour ce rôle de coordination. Elles doivent organiser l'accès aux droits et l'ouverture des droits. Dans notre territoire, des acteurs sont plutôt en charge de coordonner un certain nombre de parcours complexes. Les MDPH rassemblent, mais elles sont, selon moi, très centrées sur l'accès et l'ouverture des droits.
Cela n'est pas vrai. Les MDPH possèdent une mission de suivi des dossiers. Elles ont certainement trop peu de personnel et trop peu de temps pour les assumer, mais elles devraient être le coordinateur. Certaines assurent ce rôle. Dans la Loire, la MDPH a toujours essayé d'assurer cette mission de coordination, laquelle fait partie de leurs missions. Leur rôle n'est pas seulement d'assurer l'accès aux droits et de distribuer des notifications : elles doivent aussi assurer le suivi des parcours.
Les réalités sont différentes selon les territoires. En cette période, un enjeu porte sur l'équité d'accès puisque les besoins sont largement supérieurs aux réponses proposées. L'accès aux aides est différent selon qu'une famille est encore en capacité d'interpeller l'administration ou selon qu'elle ne l'est plus, épuisée par ce qu'elle vit au quotidien. Heureusement que le maillage associatif et les mobilisations d'entraide entre les familles existent. Ces actions devraient aussi être soutenues et reconnues. Il n'est pas normal qu'une association, de sa propre initiative et par sa bonne volonté, porte des actions de formation qualifiantes. Il en est de même dans le champ de la santé psychique ou autre.
Nous n'avons pas beaucoup parlé des enfants porteurs de troubles psychiques. Il ne faut pas perdre de vue que certains enfants, pendant le confinement, ont passé davantage de temps avec leur père. Le confinement a été l'occasion, bien que contrainte, de replacer une forme symbolique et quotidienne de stabilité. La vigilance doit certes être de mise, car certaines choses sont certainement passées au travers de la maille de la protection. A contrario, symboliquement, le confinement a réinstitué une famille. Je pense que cela a produit certains apaisements. Il serait utile qu'une étude soit menée sur l'ensemble des conséquences de cette période sur les plans clinique et sociologique.
L'audition s'achève à quinze heures cinquante minutes.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 14 heures
Présents. – Mme Marie-George Buffet, Mme Sylvie Charrière, Mme Fabienne Colboc, Mme Béatrice Descamps, M. Régis Juanico, Mme Sandrine Mörch, Mme Florence Provendier, Mme Souad Zitouni
Excusés. – Mme Anissa Khedher, M. Michel Larive, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Frédéric Reiss