Intervention de Danièle Langloys

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 14h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Danièle Langloys, présidente d'Autisme France :

Ces jardins n'avaient pas forcément vocation à faire du jardinage même si à la campagne, des jardins ont été proposés avec des animaux ou des possibilités de jardiner. Des enfants et adolescents autistes ont d'ailleurs été ravis de découvrir des animaux. L'objectif était que les enfants soient dehors. Certaines familles ont proposé, en Normandie, un jardin avec une piscine chauffée. C'était formidable. D'autres ont mis à disposition des propriétés somptueuses dans les Alpes-Maritimes. Cette générosité nous a beaucoup touchés. Je ne m'attendais pas du tout à ce que cela fonctionne. Au début, une dizaine de ressources étaient comptabilisées, puis elles se sont multipliées.

Vous avez raison de souligner que les mairies n'ont pas voulu en porter la responsabilité, à l'exception d'une mairie, en Seine-Saint-Denis. Une expérimentation a également été menée dans les jardins de la Légion d'honneur, proposés aux enfants et adolescents en situation de handicap, principalement autistes, mais « en catimini ». Nous avons trouvé cela un peu honteux. Un mouvement solidaire de fond aurait dû se produire.

Si des enfants en situation de handicap, autistes ou avec un trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ne sortent pas, la situation devient intolérable pour les familles. Il a fallu examiner comment leur assurer une vie à l'extérieur, une possibilité de sport ou une activité physique quelconque. Cela n'a pas du tout été pensé et laissé à l'initiative citoyenne, mais les citoyens ont fait le travail. Il ne faut pas non plus tout attendre des services de l'État, des mairies, etc. Il est bon qu'ils puissent relayer, mais il est bon aussi que les citoyens puissent s'assumer.

Autisme France a assuré la logistique. Nous avons reçu des centaines de propositions et mis en lien les familles et les détenteurs de jardins. Afin de respecter les gestes barrières, les personnes qui prêtaient leur jardin s'isolaient dans leur maison ou partaient le temps de la visite, une ou deux heures. Nous avons peut-être un peu abusé de notre droit de sortie dans le champ de l'autisme, car les sorties ne duraient pas toujours une heure, mais parfois deux ou trois. À la fin, je laissais sortir mon fils quatre ou cinq fois dans la journée, car il n'en pouvait plus. Nous ne nous sommes jamais fait arrêter. Les services de gendarmerie et de police ont normalement été formés.

Les masques constituent un réel souci, que nous ne savons pas comment gérer avec les familles. Des enfants, adolescents et jeunes adultes ont de réels problèmes pour porter un masque. Même s'ils ont de bonnes capacités cognitives, ils étouffent et font des crises anxieuses. Des négociations ont été menées dans les collèges et les lycées, comme le droit de sortir toutes les heures pour respirer dans la cour de récréation. Dans les salles de classe spacieuses, les élèves ont pu être placés au fond, pour respecter la distanciation physique. D'autres ont porté le masque dans les couloirs, mais pas dans la classe. Certains ont abusé de la dérogation, en faisant valoir des certificats de complaisance alors qu'ils auraient pu faire un minimum d'efforts.

Il est vrai que pour des personnes avec des troubles sévères, qui ne comprennent pas ce qu'est un masque et à quoi il sert, et qui le triturent à longueur de journée, le port du masque est tout à fait inutile. Il s'agit d'une réelle difficulté, très compliquée à penser, pour laquelle je n'ai pas de réponse, excepté le fait d'agir avec bon sens, en s'adaptant. Des écoles ont été bienveillantes et d'autres pas du tout. Nous avons aidé des familles de jeunes, en particulier au lycée, qui avaient le choix entre le port du masque et l'exclusion. Nous sommes intervenus pour les inviter à négocier avec la famille pour déterminer ce qu'il était possible de faire, en rappelant aux établissements qu'ils n'étaient pas en droit d'exclure un élève. Le ministère de l'Éducation nationale a été très clair sur ce point.

Mon fils, qui a de petites compétences, porte la visière en ESAT, et le masque dans les transports en commun. Il en a assez, aussi je ne sais pas combien de temps il tiendra ainsi, mais il le fait. Des enfants ou adultes avec des profils très sévères ont accepté de porter un masque. D'autres, avec des profils cognitifs très élevés, ne supportent pas du tout le masque sur le plan sensoriel.

En ce qui concerne le retour à l'école, nous pensions tous, naïvement, à l'avènement du monde d'après. Je ne vous apprends rien : il n'y a pas eu de monde d'après, mais un monde d'avant, souvent en pire ! Le retour à l'école s'est fait à dose homéopathique. Mme Cluzel avait beaucoup insisté pour que les enfants en situation de handicap soient prioritaires, parce qu'ils avaient été privés de tout, laissés à l'abandon avec des carences de soutien éducatif notoire et des régressions sur le plan des apprentissages. Les AESH avaient disparu. Quelques-uns se sont manifestés au téléphone ou en visioconférence, mais la plupart avaient complètement disparu. Les familles ne peuvent pas tout assumer, en particulier en présence de profils sévères et très souvent, les enfants en situation de handicap n'ont pas du tout été prioritaires. Une pression a été exercée sur les familles, en leur expliquant que ce n'était pas une urgence et qu'il était préférable d'attendre, car la reprise allait être très compliquée. Je comprends que les enseignants aient été dépassés par la situation. Certains étaient malades. Les AESH ne sont pas tous revenus, soit parce qu'ils étaient malades, s'étaient mis en congé maladie ou avaient trouvé un autre travail. Assez généralement, la situation a été très chaotique pour les enfants en situation de handicap et encore plus pour les enfants autistes. L'Éducation nationale ne se prive jamais d'écarter un enfant autiste dès qu'elle le peut.

Je suis d'accord pour dire que l'inclusion à tout prix se discute, en particulier pour les profils sévères, mais la place d'un enfant est à l'école. Il est ensuite possible d'adapter ce que l'on fait à l'école, en ne proposant par exemple pas nécessairement un temps plein. Au Canada, pays plus en pointe que le nôtre, il est reconnu que dans certains cas, il n'est pas possible de mettre un enfant autiste avec des troubles sévères en classe ordinaire, avec les autres. Les unités d'enseignement en maternelle et élémentaire ont été inventées pour répondre aux besoins éducatifs de ces enfants, bien qu'elles soient trop peu nombreuses et ne permettent pas de répondre à tous les besoins. Il est donc tout à fait possible de scolariser les enfants, même avec des troubles sévères. Il faut toutefois le faire dans un cadre adapté, et pas forcément à temps plein. On en revient à la question si bien posée : que faire le reste du temps ? Il s'agit d'un problème international. La France n'est pas très en avance, mais le Canada se pose la question de la même façon. L'autisme sévère rend les apprentissages compliqués, compte tenu de la fatigabilité de l'enfant. Je trouve que nous l'avons mieux compris pendant la crise sanitaire. Nous avons bien identifié le besoin de relais, en dépassant l'idée qu'un acteur unique pouvait suffire.

Un IME, s'il était autre chose qu'un « ghetto », comme dans beaucoup de cas, pourrait être une plateforme éducative ressources de bon niveau, compte tenu de ses moyens supérieurs à ceux d'un SESSAD, et pourrait fonctionner autrement. L'articulation du soutien éducatif nécessaire pour ces enfants est compliquée. Par ailleurs, l'école ne doit pas sans cesse « se défiler » en refusant par exemple d'accueillir les enfants sans AESH, ce qui est illégal. Mme Cluzel demande que lui soient remontés ces cas, scandaleux, et souligne la nécessité d'agir. Les familles n'osent pas, de peur que l'ambiance ne s'améliore pas si elles commencent à protester contre l'école. Souvent, donc, personne ne dit rien.

En outre, comment poursuivre le soutien à domicile en veillant à ce qu'il soit identique à ce qui est pratiqué dans un IME, dans un foyer d'accueil médicalisé pour un adulte ou à l'école avec des AESH formés ? Dans mon département, c'est mon association qui forme les AESH, à ses frais – ce que je trouve inadmissible. On trouve donc très bien qu'une association, à ses frais, réalise le travail du service public : c'est pourtant un abus ! Comment coordonner l'ensemble des éléments que nous pouvons mettre à disposition d'un enfant, pour qu'il puisse être un élève et bénéficier de loisirs ? Les enfants autistes sont très généralement exclus des loisirs. Des dossiers peuvent être montés avec la MDPH pour demander un soutien pour des loisirs ou des vacances. Néanmoins, la famille épuisée ne le fait pas et le service de loisirs n'a pas envie de perdre du temps avec de telles démarches. Finalement, tout repose sur la bonne volonté de services comme celui que vous avez monté ou comme « Loisirs Pluriel », cité plus tôt. C'est-à-dire que tout repose sur la volonté très forte d'individus ayant la capacité hors norme de bousculer les usages.

La situation est tout de même meilleure qu'il y a dix ans. Militante depuis trente ans, j'ai constaté des progrès, mais la « machinerie à soulever » est très lourde. J'ai travaillé pendant dix ans pour mettre en place le logement accompagné pour adultes. Est-il acceptable de devoir se battre autant d'années pour obtenir quelque chose qui devrait être normal ? Un adulte doit vivre comme tout le monde, dehors, et développer son autonomie, sans être enfermé dans un foyer – qui, de toute façon, n'existe pas.

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