Intervention de Sophie Cluzel

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 16h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées :

Je vous remercie de vous intéresser à ce sujet, tant cette crise sanitaire a été prégnante pour les familles en situation de handicap – les enfants, les jeunes et les adultes. Nous l'avons abordée avec une mobilisation totale de responsabilité collective et solidaire, pour nous mettre au service et à l'écoute, à côté et aux côtés des familles et de leurs proches. Avec la fermeture de la majorité des établissements médico-sociaux pour enfants, à l'exception des internats qui ont pu rester ouverts, il s'agissait de proposer un accompagnement nouveau et une posture différente, à domicile. Il fallait mobiliser les associations pour qu'elles puissent continuer leur action, dans des formes nouvelles d'accompagnement et « d'aller vers ».

Vous l'avez dit, cette crise a été révélatrice de fragilités, mais aussi de nouvelles expertises, que j'ai voulu capitaliser.

Nous avons immédiatement souhaité assurer une information maximale, dans un mode de fonctionnement en visioconférence que vous connaissez tous et auquel nous devrons encore nous prêter, malheureusement, parce que la crise est encore présente. Je vous parlerai d'abord des outils au service de l'information. Une foire aux questions a été incrémentée toutes les semaines, grâce au très important travail de mes équipes – je tiens d'ailleurs à souligner la mobilisation totale du cabinet, du secrétariat général du comité interministériel du handicap, le CIH, de la délégation interministérielle de l'autisme et des administrations, au service de cette information. Cette foire aux questions, plébiscitée, reprenait toutes les questions que les familles pouvaient se poser, à propos de tous les sujets. Ce qui m'anime, c'est de donner aux personnes handicapées l'expertise et l'autodétermination qui leur permettent de choisir. Aussi avons-nous d'emblée rédigé, avec SantéBD, des fiches en FALC, c'est-à-dire au format facile à lire et à comprendre. Il était important que chaque personne puisse comprendre ce qu'était le confinement, quelles étaient ses incidences en matière de sorties, de gestes sanitaires et de gestes barrières. Nous avons immédiatement travaillé en FALC pour que toutes les familles puissent expliquer à leurs enfants et à leurs proches ce qu'était ce confinement, ce qu'est un virus, ce que sont les gestes barrières que les personnes se sont brusquement vu imposer dans leur quotidien. Il s'est agi d'un très gros travail, à côté et aux côtés des familles.

Des fiches remarquables ont également été produites pour assurer une continuité pédagogique. Nous sommes mis aux côtés des familles, avec l'Éducation nationale – et nous avons tout de suite senti l'attention que celle-ci portait aux enfants en situation de handicap, par exemple en ouvrant la plateforme Cap vers l'école inclusive aux parents et aux professionnels du médico-social. Cette plateforme ressources créée par l'Éducation nationale propose des adaptations pédagogiques pour tout type de troubles. Initialement dédiée à l'Éducation nationale et aux accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), elle a été ouverte à l'ensemble des familles et des professionnels du secteur médico-social, pour permettre la portabilité des adaptations mises en pratique dans les classes ou lors des actions pédagogiques.

Nous avons également porté une attention particulière à la difficulté d'une seule sortie par jour dans le cadre du confinement. Le Président de la République d'ailleurs voulu prendre la parole dès le 2 avril pour annoncer l'assouplissement des règles de sortie pour accompagner ce confinement si difficile pour les enfants, en particulier ceux qui présentaient des troubles du comportement liés à l'enfermement. Nous avons également travaillé avec le ministère de l'intérieur, pour diffuser aux préfets et aux forces de police l'information selon laquelle il était possible de sortir plus fréquemment, d'abord avec un certificat médical puis simplement avec une carte relevant du handicap. Grâce à cela, de nombreux enfants présentant des troubles du comportement, notamment en lien avec l'autisme, ont mieux supporté le confinement.

Toujours en vue de partager l'information, j'ai organisé des visioconférences avec les groupes politiques du Sénat et de l'Assemblée nationale, de façon transverse. J'ai demandé à chaque président de groupe de nommer un référent qui pourrait y assister, pour faire circuler toutes les informations et faire remonter celles du terrain et les difficultés rencontrées dans les territoires. Tous les quinze jours, j'échangeais avec le référent de chaque groupe du Sénat et de l'Assemblée nationale, pour partager de façon transverse des informations au service des personnes. La dernière visioconférence s'est tenue après la sortie du confinement.

J'ai également organisé des visioconférences avec les organisations gestionnaires et les associations. Nous nous réunissions tous les quinze jours, toujours dans le même état d'esprit : faire connaître les difficultés et trouver des solutions, notamment en matière de répit et d'accès aux soins, dans un mode d'accompagnement renforcé.

J'ai aussi tenu des visioconférences avec les 104 maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Nous avons prorogé sans délai tous les droits des personnes en situation de handicap, pour leur permettre de ne pas subir le poids d'une potentielle rupture administrative potentiel si leurs droits arrivaient à échéance pendant cette période. Cette démarche a été extrêmement appréciée. Les MDPH ont effectué un très gros travail, en visioconférence et en télétravail. En prorogeant les droits – allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), allocation aux adultes handicapés (AAH) –, nous avons pu éviter nombre de ruptures de parcours et sécuriser au moins administrativement et financièrement les familles.

Par ailleurs, parce que j'avais besoin d'entendre directement des familles, j'ai organisé des visioconférences avec elles à travers la plateforme Solidarité Handicap que nous avons montée immédiatement avec de nombreuses associations, notamment les Centres régionaux d'études, d'actions et d'informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI). Cette plateforme permettait aux familles qui recherchaient de l'accompagnement de s'inscrire pour que soient identifiés des bénévoles. Je tiens à saluer l'engagement de ces derniers et la solidarité qui a joué avec cette plateforme. J'ai notamment pu écouter des familles, grâce à des visioconférences organisées avec une association, relayer leurs difficultés aux établissements mais aussi leur faire connaître les actions d'accompagnement des territoires.

Nous avons organisé, en mars, un Facebook Live 100 % accessible avec les familles de personnes autistes, pour les informer des dérogations. Nous avons également mobilisé les médias. En somme, nous nous sommes efforcés d'accompagner et d'informer les familles avec tous les moyens de communication que nous avions à notre disposition.

Les objectifs étaient simples : informer, protéger et, surtout, permettre l'autodétermination quand le déconfinement est arrivé. Il a fallu donner des explications pour permettre aux personnes concernées de choisir de sortir, de rester confinées ou de retourner dans les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ou non. Je ne voulais pas que le confinement entraîne un recul du projet humaniste et sociétal que nous portons, d'autodétermination et de pleine citoyenneté des personnes en situation de handicap, de leur famille et de leurs jeunes.

J'ai omis de citer la levée de la limite d'âge de 16 ans pour bénéficier de l'allocation journalière de présence parentale, première solution permettant de rester à domicile en étant rémunéré.

Nous avons été sensibilisés aux pertes d'acquis progressives, du fait de l'arrêt des soins et des rééducations. Dès le 25 mars, nous avons instauré le financement des téléconsultations d'orthophonistes, d'ergothérapeutes, de psychomotriciens et de kinésithérapeutes – qui n'étaient pas remboursées jusqu'alors –, pour limiter l'arrêt des rééducations et les pertes d'acquis.

Nous avons aussi assoupli et adapté toutes les règles et les conditions d'accueil et d'organisation dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), pour ceux qui étaient encore ouverts, pour leur permettre d'accueillir des publics différents de ceux dont ils avaient l'habitude. Ainsi, avec les associations gestionnaires, nous avons levé toutes les barrières et fait sauter certains verrous pour accueillir les familles qui nous alertaient quant à leur besoin de répit.

À la sortie du confinement, j'ai souhaité accélérer le déploiement de la plateforme et du numéro d'accès 0800 360 360 pour en faire un vrai outil d'aide au déconfinement. L'entrée en application de ce numéro était prévue pour le début du mois de janvier 2021. Lors de la conférence nationale du handicap du 11 février 2020, avec le Président de la République, nous avions pris un engagement d'inconditionnalité d'accompagnement et de solutions pour les personnes qui rencontraient des difficultés. Nous avons décidé d'accélérer ce mouvement, et je tiens à souligner la réactivité des associations gestionnaires qui ont accepté de s'engager avec nous et de travailler ensemble. Il ne s'agit pas d'un dispositif, mais d'une méthode de travail : nous nous réunissons autour de la table avec des écoutants nationaux, qui ensuite basculent vers des écoutants territoriaux pour trouver des solutions de répit et d'accès aux soins – deux sujets majeurs à propos desquels les familles nous alertaient pour leurs enfants. Cela nous a permis de trouver des solutions très ingénieuses et innovantes, mais aussi de faire découvrir à certains acteurs une façon de travailler différente. Je souhaite vraiment capitaliser sur cette expérience. Aussi allons-nous non seulement proroger ce numéro et cette méthode, mais aussi les incrémenter de façon qualitative pour que, dès le premier janvier 2021, nous soyons au rendez-vous de l'annonce d'inconditionnalité d'accompagnement. D'ores et déjà, je peux vous dire que les associations ont su faire preuve d'une grande agilité. Nous avons été à leurs côtés pour leur faciliter les choses et nous devons absolument capitaliser là-dessus. C'est indispensable.

La crise nous a aussi permis de voir différemment les familles. Les associations et les professionnels qui ont travaillé en direct avec elles à distance ont découvert leur expertise parentale très importante, dans les façons de s'adapter et de prendre en compte tous les besoins spécifiques des enfants. Lors des visioconférences que j'ai organisées avec ces professionnels, ils nous ont indiqué qu'ils regardaient différemment les projets qu'on pouvait monter avec les familles, même si elles réintégraient, ensuite, les établissements. Il est très réjouissant de constater que la relation de travail entre les familles et l'expertise médico-sociale va certainement changer et s'enrichir, au profit du parcours des enfants.

La crise nous a également fait découvrir des situations que nous ne connaissions pas. Au travers du 0800 360 360, notamment, nous avons découvert des personnes et des familles qui, jusqu'à présent, n'étaient pas ou très peu accompagnées. Nous devons exploiter ce nouvel outil pour mieux accompagner ces familles de façon globale : les problèmes qu'elles rencontrent sont parfois très complexes, et les MDPH se situent parfois au carrefour de différentes difficultés – logement, accès à la vie sociale et à la vie culturelle. C'est la raison pour laquelle ce numéro est très important. Les communautés de territoires que nous sommes en train de créer pourront répondre de façon beaucoup plus fluide tout au long du parcours de vie de l'enfant handicapé ; celui-ci continue à être handicapé à la sortie de son établissement à 16 heures 30 et a besoin d'être accompagné pour sa vie sociale. Ce poids ne doit plus reposer sur les seules épaules des familles. Il faut que des référents de parcours puissent mettre en pratique des solutions de façon transverse et beaucoup plus fluide tout au long de la journée de l'enfant et de son week-end.

En octobre-novembre, nous travaillerons avec les associations gestionnaires pour améliorer cette inconditionnalité et cette fluidité du parcours et permettre aux parents d'enfants handicapés de redevenir parents, et de ne plus être des référents de parcours ou des assembleurs de solutions, avec la charge mentale très lourde que cela induit.

À la sortie du confinement, avec Jean-Michel Blanquer, nous avons affirmé que les enfants en situation de handicap étaient un public prioritaire pour la reprise de l'école. Cela a été le cas partout en France. Grâce à l'apprentissage des gestes barrières et à des professeurs très motivés, la rentrée scolaire s'est plutôt bien passée pour ces enfants qui ont pu reprendre le chemin de l'école – qui en unité localisée pour l'inclusion scolaire (ULIS), qui en accompagnement avec des AESH et ce, dès le mois de juin. Même si c'était peu, c'était un premier pas vers le retour à l'école, indispensable pour limiter la perte d'acquis. En effet, il est indéniable que certains enfants ont extrêmement pâti d'une continuité pédagogique compliquée alors qu'ils avaient besoin d'un accompagnement plus important.

En somme, la rentrée scolaire a été très bien préparée, malgré la crise sanitaire. Ce mouvement vers l'école inclusive est une réalité, avec un service public qui se bâtit chaque rentrée encore mieux et un maillage de dispositifs. Nous accélérons les ouvertures d'ULIS et d'unités d'enseignement externalisées. Je ne peux pas m'empêcher de vous dire ma satisfaction d'avoir inauguré très récemment la première unité d'enseignement externalisée pour enfants polyhandicapés dans l'école du village des Molières, dans l'Essonne. Nous sommes en train de changer la donne dans cette société du vivre ensemble et de l'apprendre ensemble, avec des enfants qui présentent de très grandes différences avec ceux que l'on peut classiquement voir dans l'école de la République. C'est une très grande avancée, qu'il nous faut souligner.

Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire. C'est indéniable. La crise sanitaire est là. Subsistent des situations compliquées. Les établissements ont rouvert dans leur grande majorité. C'est moins le cas pour les ESAT, mais cette audition a trait à l'enfance. Je tiens à rassurer les parents : les professionnels sont là, à leurs côtés. Si certains hésitent encore compte tenu de la crise sanitaire, je les invite à retrouver une vie la plus ordinaire possible pour pallier les pertes d'acquis, y compris en matière de rééducation.

Je tiens encore à donner un coup de chapeau aux établissements – pour enfants et pour adultes – qui sont restés ouverts. Ils ont su extrêmement bien gérer cette crise sanitaire, avec un grand engagement et un vrai frein à la propagation du virus. C'est à souligner.

Capitalisons sur les bonnes solutions qui ont su émerger pendant cette crise sanitaire, parce qu'il y en a eu. Travaillons sur les écueils, notamment la continuité pédagogique numérique, car nous rencontrons encore des problèmes d'accessibilité universelle. Observons toutefois que cette crise nous a permis d'accélérer certaines mises en accessibilité. Toutes les conférences de presse se sont tenues avec un interprétariat de langue des signes française, ce qui a largement participé à l'information des familles avec des enfants en situation de surdité. La maximisation de l'information était le maître mot pendant cette crise.

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