Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Jeudi 1er octobre 2020
La séance est ouverte à seize heures
Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente
Je suis ravie de recevoir aujourd'hui Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre chargée des personnes handicapées, devant cette commission d'enquête qui cherche, pragmatiquement, à extraire ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné durant cette crise qui se poursuit toujours. Nous comptons sur votre absence de langue de bois ! L'objectif de nos travaux est de faire la part des choses entre régression et révélation. Cette crise a servi de sonnette d'alarme et de vigie. Elle a presque aussi permis de faire avancer la question du handicap, puisqu'elle a servi de révélateur. Nous savons aussi à quel point la personne handicapée peut être une personne-ressource. Elle innove presque tous les jours, dans sa vie hors covid. Elle a donc peut-être déployé des trésors de solutions pratiques, tout en nous donnant une leçon de résistance et de résilience.
Les jeunes en situation de handicap et leurs familles ont été particulièrement affectés par la crise sanitaire, du fait à la fois de l'interruption ou de la diminution des dispositifs d'accompagnement et d'accueil pendant le confinement, des interdictions de visites et de sorties dans les structures d'hébergement, ou encore des difficultés d'apprentissage accrues par l'école à la maison et les contraintes sanitaires qui accompagnent la reprise de l'école. Des mesures spécifiques ont été prises, notamment l'assouplissement des règles de sortie par le confinement pour les personnes en situation de handicap, au début du mois d'avril, et les aménagements du port du masque. Des dispositifs d'accompagnement voire d'accueil en cas de difficultés importantes ont été instaurés pour les familles pendant le confinement. Nous souhaitons vous entendre sur ces différents points. Disposez-vous de premières données quant aux conséquences du confinement sur la santé des jeunes en situation de handicap ? De quelle façon les structures d'accueil, en externat comme internat, fonctionnent-elles depuis le déconfinement et dans le cadre de la reprise épidémique que nous constatons depuis plusieurs semaines ?
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Sophie Cluzel prête serment.)
Je vous remercie de vous intéresser à ce sujet, tant cette crise sanitaire a été prégnante pour les familles en situation de handicap – les enfants, les jeunes et les adultes. Nous l'avons abordée avec une mobilisation totale de responsabilité collective et solidaire, pour nous mettre au service et à l'écoute, à côté et aux côtés des familles et de leurs proches. Avec la fermeture de la majorité des établissements médico-sociaux pour enfants, à l'exception des internats qui ont pu rester ouverts, il s'agissait de proposer un accompagnement nouveau et une posture différente, à domicile. Il fallait mobiliser les associations pour qu'elles puissent continuer leur action, dans des formes nouvelles d'accompagnement et « d'aller vers ».
Vous l'avez dit, cette crise a été révélatrice de fragilités, mais aussi de nouvelles expertises, que j'ai voulu capitaliser.
Nous avons immédiatement souhaité assurer une information maximale, dans un mode de fonctionnement en visioconférence que vous connaissez tous et auquel nous devrons encore nous prêter, malheureusement, parce que la crise est encore présente. Je vous parlerai d'abord des outils au service de l'information. Une foire aux questions a été incrémentée toutes les semaines, grâce au très important travail de mes équipes – je tiens d'ailleurs à souligner la mobilisation totale du cabinet, du secrétariat général du comité interministériel du handicap, le CIH, de la délégation interministérielle de l'autisme et des administrations, au service de cette information. Cette foire aux questions, plébiscitée, reprenait toutes les questions que les familles pouvaient se poser, à propos de tous les sujets. Ce qui m'anime, c'est de donner aux personnes handicapées l'expertise et l'autodétermination qui leur permettent de choisir. Aussi avons-nous d'emblée rédigé, avec SantéBD, des fiches en FALC, c'est-à-dire au format facile à lire et à comprendre. Il était important que chaque personne puisse comprendre ce qu'était le confinement, quelles étaient ses incidences en matière de sorties, de gestes sanitaires et de gestes barrières. Nous avons immédiatement travaillé en FALC pour que toutes les familles puissent expliquer à leurs enfants et à leurs proches ce qu'était ce confinement, ce qu'est un virus, ce que sont les gestes barrières que les personnes se sont brusquement vu imposer dans leur quotidien. Il s'est agi d'un très gros travail, à côté et aux côtés des familles.
Des fiches remarquables ont également été produites pour assurer une continuité pédagogique. Nous sommes mis aux côtés des familles, avec l'Éducation nationale – et nous avons tout de suite senti l'attention que celle-ci portait aux enfants en situation de handicap, par exemple en ouvrant la plateforme Cap vers l'école inclusive aux parents et aux professionnels du médico-social. Cette plateforme ressources créée par l'Éducation nationale propose des adaptations pédagogiques pour tout type de troubles. Initialement dédiée à l'Éducation nationale et aux accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), elle a été ouverte à l'ensemble des familles et des professionnels du secteur médico-social, pour permettre la portabilité des adaptations mises en pratique dans les classes ou lors des actions pédagogiques.
Nous avons également porté une attention particulière à la difficulté d'une seule sortie par jour dans le cadre du confinement. Le Président de la République d'ailleurs voulu prendre la parole dès le 2 avril pour annoncer l'assouplissement des règles de sortie pour accompagner ce confinement si difficile pour les enfants, en particulier ceux qui présentaient des troubles du comportement liés à l'enfermement. Nous avons également travaillé avec le ministère de l'intérieur, pour diffuser aux préfets et aux forces de police l'information selon laquelle il était possible de sortir plus fréquemment, d'abord avec un certificat médical puis simplement avec une carte relevant du handicap. Grâce à cela, de nombreux enfants présentant des troubles du comportement, notamment en lien avec l'autisme, ont mieux supporté le confinement.
Toujours en vue de partager l'information, j'ai organisé des visioconférences avec les groupes politiques du Sénat et de l'Assemblée nationale, de façon transverse. J'ai demandé à chaque président de groupe de nommer un référent qui pourrait y assister, pour faire circuler toutes les informations et faire remonter celles du terrain et les difficultés rencontrées dans les territoires. Tous les quinze jours, j'échangeais avec le référent de chaque groupe du Sénat et de l'Assemblée nationale, pour partager de façon transverse des informations au service des personnes. La dernière visioconférence s'est tenue après la sortie du confinement.
J'ai également organisé des visioconférences avec les organisations gestionnaires et les associations. Nous nous réunissions tous les quinze jours, toujours dans le même état d'esprit : faire connaître les difficultés et trouver des solutions, notamment en matière de répit et d'accès aux soins, dans un mode d'accompagnement renforcé.
J'ai aussi tenu des visioconférences avec les 104 maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Nous avons prorogé sans délai tous les droits des personnes en situation de handicap, pour leur permettre de ne pas subir le poids d'une potentielle rupture administrative potentiel si leurs droits arrivaient à échéance pendant cette période. Cette démarche a été extrêmement appréciée. Les MDPH ont effectué un très gros travail, en visioconférence et en télétravail. En prorogeant les droits – allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), allocation aux adultes handicapés (AAH) –, nous avons pu éviter nombre de ruptures de parcours et sécuriser au moins administrativement et financièrement les familles.
Par ailleurs, parce que j'avais besoin d'entendre directement des familles, j'ai organisé des visioconférences avec elles à travers la plateforme Solidarité Handicap que nous avons montée immédiatement avec de nombreuses associations, notamment les Centres régionaux d'études, d'actions et d'informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI). Cette plateforme permettait aux familles qui recherchaient de l'accompagnement de s'inscrire pour que soient identifiés des bénévoles. Je tiens à saluer l'engagement de ces derniers et la solidarité qui a joué avec cette plateforme. J'ai notamment pu écouter des familles, grâce à des visioconférences organisées avec une association, relayer leurs difficultés aux établissements mais aussi leur faire connaître les actions d'accompagnement des territoires.
Nous avons organisé, en mars, un Facebook Live 100 % accessible avec les familles de personnes autistes, pour les informer des dérogations. Nous avons également mobilisé les médias. En somme, nous nous sommes efforcés d'accompagner et d'informer les familles avec tous les moyens de communication que nous avions à notre disposition.
Les objectifs étaient simples : informer, protéger et, surtout, permettre l'autodétermination quand le déconfinement est arrivé. Il a fallu donner des explications pour permettre aux personnes concernées de choisir de sortir, de rester confinées ou de retourner dans les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ou non. Je ne voulais pas que le confinement entraîne un recul du projet humaniste et sociétal que nous portons, d'autodétermination et de pleine citoyenneté des personnes en situation de handicap, de leur famille et de leurs jeunes.
J'ai omis de citer la levée de la limite d'âge de 16 ans pour bénéficier de l'allocation journalière de présence parentale, première solution permettant de rester à domicile en étant rémunéré.
Nous avons été sensibilisés aux pertes d'acquis progressives, du fait de l'arrêt des soins et des rééducations. Dès le 25 mars, nous avons instauré le financement des téléconsultations d'orthophonistes, d'ergothérapeutes, de psychomotriciens et de kinésithérapeutes – qui n'étaient pas remboursées jusqu'alors –, pour limiter l'arrêt des rééducations et les pertes d'acquis.
Nous avons aussi assoupli et adapté toutes les règles et les conditions d'accueil et d'organisation dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), pour ceux qui étaient encore ouverts, pour leur permettre d'accueillir des publics différents de ceux dont ils avaient l'habitude. Ainsi, avec les associations gestionnaires, nous avons levé toutes les barrières et fait sauter certains verrous pour accueillir les familles qui nous alertaient quant à leur besoin de répit.
À la sortie du confinement, j'ai souhaité accélérer le déploiement de la plateforme et du numéro d'accès 0800 360 360 pour en faire un vrai outil d'aide au déconfinement. L'entrée en application de ce numéro était prévue pour le début du mois de janvier 2021. Lors de la conférence nationale du handicap du 11 février 2020, avec le Président de la République, nous avions pris un engagement d'inconditionnalité d'accompagnement et de solutions pour les personnes qui rencontraient des difficultés. Nous avons décidé d'accélérer ce mouvement, et je tiens à souligner la réactivité des associations gestionnaires qui ont accepté de s'engager avec nous et de travailler ensemble. Il ne s'agit pas d'un dispositif, mais d'une méthode de travail : nous nous réunissons autour de la table avec des écoutants nationaux, qui ensuite basculent vers des écoutants territoriaux pour trouver des solutions de répit et d'accès aux soins – deux sujets majeurs à propos desquels les familles nous alertaient pour leurs enfants. Cela nous a permis de trouver des solutions très ingénieuses et innovantes, mais aussi de faire découvrir à certains acteurs une façon de travailler différente. Je souhaite vraiment capitaliser sur cette expérience. Aussi allons-nous non seulement proroger ce numéro et cette méthode, mais aussi les incrémenter de façon qualitative pour que, dès le premier janvier 2021, nous soyons au rendez-vous de l'annonce d'inconditionnalité d'accompagnement. D'ores et déjà, je peux vous dire que les associations ont su faire preuve d'une grande agilité. Nous avons été à leurs côtés pour leur faciliter les choses et nous devons absolument capitaliser là-dessus. C'est indispensable.
La crise nous a aussi permis de voir différemment les familles. Les associations et les professionnels qui ont travaillé en direct avec elles à distance ont découvert leur expertise parentale très importante, dans les façons de s'adapter et de prendre en compte tous les besoins spécifiques des enfants. Lors des visioconférences que j'ai organisées avec ces professionnels, ils nous ont indiqué qu'ils regardaient différemment les projets qu'on pouvait monter avec les familles, même si elles réintégraient, ensuite, les établissements. Il est très réjouissant de constater que la relation de travail entre les familles et l'expertise médico-sociale va certainement changer et s'enrichir, au profit du parcours des enfants.
La crise nous a également fait découvrir des situations que nous ne connaissions pas. Au travers du 0800 360 360, notamment, nous avons découvert des personnes et des familles qui, jusqu'à présent, n'étaient pas ou très peu accompagnées. Nous devons exploiter ce nouvel outil pour mieux accompagner ces familles de façon globale : les problèmes qu'elles rencontrent sont parfois très complexes, et les MDPH se situent parfois au carrefour de différentes difficultés – logement, accès à la vie sociale et à la vie culturelle. C'est la raison pour laquelle ce numéro est très important. Les communautés de territoires que nous sommes en train de créer pourront répondre de façon beaucoup plus fluide tout au long du parcours de vie de l'enfant handicapé ; celui-ci continue à être handicapé à la sortie de son établissement à 16 heures 30 et a besoin d'être accompagné pour sa vie sociale. Ce poids ne doit plus reposer sur les seules épaules des familles. Il faut que des référents de parcours puissent mettre en pratique des solutions de façon transverse et beaucoup plus fluide tout au long de la journée de l'enfant et de son week-end.
En octobre-novembre, nous travaillerons avec les associations gestionnaires pour améliorer cette inconditionnalité et cette fluidité du parcours et permettre aux parents d'enfants handicapés de redevenir parents, et de ne plus être des référents de parcours ou des assembleurs de solutions, avec la charge mentale très lourde que cela induit.
À la sortie du confinement, avec Jean-Michel Blanquer, nous avons affirmé que les enfants en situation de handicap étaient un public prioritaire pour la reprise de l'école. Cela a été le cas partout en France. Grâce à l'apprentissage des gestes barrières et à des professeurs très motivés, la rentrée scolaire s'est plutôt bien passée pour ces enfants qui ont pu reprendre le chemin de l'école – qui en unité localisée pour l'inclusion scolaire (ULIS), qui en accompagnement avec des AESH et ce, dès le mois de juin. Même si c'était peu, c'était un premier pas vers le retour à l'école, indispensable pour limiter la perte d'acquis. En effet, il est indéniable que certains enfants ont extrêmement pâti d'une continuité pédagogique compliquée alors qu'ils avaient besoin d'un accompagnement plus important.
En somme, la rentrée scolaire a été très bien préparée, malgré la crise sanitaire. Ce mouvement vers l'école inclusive est une réalité, avec un service public qui se bâtit chaque rentrée encore mieux et un maillage de dispositifs. Nous accélérons les ouvertures d'ULIS et d'unités d'enseignement externalisées. Je ne peux pas m'empêcher de vous dire ma satisfaction d'avoir inauguré très récemment la première unité d'enseignement externalisée pour enfants polyhandicapés dans l'école du village des Molières, dans l'Essonne. Nous sommes en train de changer la donne dans cette société du vivre ensemble et de l'apprendre ensemble, avec des enfants qui présentent de très grandes différences avec ceux que l'on peut classiquement voir dans l'école de la République. C'est une très grande avancée, qu'il nous faut souligner.
Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire. C'est indéniable. La crise sanitaire est là. Subsistent des situations compliquées. Les établissements ont rouvert dans leur grande majorité. C'est moins le cas pour les ESAT, mais cette audition a trait à l'enfance. Je tiens à rassurer les parents : les professionnels sont là, à leurs côtés. Si certains hésitent encore compte tenu de la crise sanitaire, je les invite à retrouver une vie la plus ordinaire possible pour pallier les pertes d'acquis, y compris en matière de rééducation.
Je tiens encore à donner un coup de chapeau aux établissements – pour enfants et pour adultes – qui sont restés ouverts. Ils ont su extrêmement bien gérer cette crise sanitaire, avec un grand engagement et un vrai frein à la propagation du virus. C'est à souligner.
Capitalisons sur les bonnes solutions qui ont su émerger pendant cette crise sanitaire, parce qu'il y en a eu. Travaillons sur les écueils, notamment la continuité pédagogique numérique, car nous rencontrons encore des problèmes d'accessibilité universelle. Observons toutefois que cette crise nous a permis d'accélérer certaines mises en accessibilité. Toutes les conférences de presse se sont tenues avec un interprétariat de langue des signes française, ce qui a largement participé à l'information des familles avec des enfants en situation de surdité. La maximisation de l'information était le maître mot pendant cette crise.
La situation de crise que nous avons vécue et que nous continuons à vivre a entraîné la fermeture d'établissements et empêché l'accès à la scolarité. Elle a aussi impulsé, sur le terrain, une nouvelle coordination. Dès lors que les enfants sont touchés par le handicap autant à l'école que dans leurs temps de loisirs et chez eux, il importe d'améliorer la coordination de tous les acteurs concernés. L'école étant celle de tous les enfants, il faut qu'elle soit inclusive. Mais certains enfants touchés par le handicap ont besoin d'accompagnement à l'école et hors de l'école. Nombre de personnes qualifiées interviennent pour un enfant touché par le handicap. Comment coordonner leurs actions ? Peut-on progresser en la matière ? Cela demandera peut-être de pousser un peu fort les portes – je pense à l'Éducation nationale, mais nous sommes tous décidés à le faire. C'est une réelle nécessité.
Par ailleurs, on a beaucoup applaudi le personnel soignant, à juste titre, mais les médias n'ont pas beaucoup montré les personnels qui accompagnent les personnes touchées par le handicap, notamment les enfants et les jeunes. Comment leur apporter notre reconnaissance ? Comment améliorer l'attractivité de ces métiers, par la valorisation de l'activité mais aussi par les salaires ?
Les MDPH pourraient-elles être l'instrument de la coordination des acteurs – sous réserve que leur soient donnés les moyens nécessaires, bien évidemment ? Cet instrument vous paraît-il apte à le faire, ou envisagez-vous d'autres plateformes ?
S'agissant du retour à l'école, nous avons entendu un discours moins optimiste que le vôtre de la part d'associations de parents. Savez-vous combien d'enfants touchés par le handicap n'auraient pas été repris dans leur école faute d'assistance ? Cette situation nous a été signalée lors des auditions précédentes. Disposez-vous de données précises en la matière ?
La coordination est le maître mot. J'en emploierai un autre, la coopération entre les acteurs. C'est tout l'enjeu du service public de l'école inclusive que nous mettons en place depuis trois ans avec Jean-Michel Blanquer. Il faut que les portes de l'école s'ouvrent à l'expertise du secteur médico-social. Cette porosité des murs permet de faire travailler ensemble des acteurs de culture différente – celle de l'Éducation nationale, celle du médico-social et celle du social rééducatif –, autant que possible dans cette unité de lieu de vie qu'est l'école, pour éviter aux parents de voir leur journée professionnelle « saucissonnée » par les allers-retours chez les différents acteurs. C'est tout l'enjeu de cette coopération.
Cette révolution s'est faite par le biais des unités d'enseignement externalisées, notamment pour les enfants autistes. La France compte plus de 250 unités d'enseignement maternelles autistes, ainsi que des unités d'enseignement élémentaires avec un personnel de l'Éducation nationale et quatre à cinq personnels médico-sociaux, dans l'école. L'enfant y est accueilli toute la journée, chaque jour de la semaine. Les parents concernés me disent qu'ils sont enfin de nouveau parents et qu'ils peuvent reprendre leur vie professionnelle. Les soins se passent dans l'école. C'est ce que nous voulons : une école qui s'ouvre et qui sait travailler avec d'autres personnels. C'est l'école que nous sommes allés voir, avec Jean-Michel Blanquer, en Europe et au Canada.
C'est une grande révolution que nous avons faite il y a plus de trois ans, en créant cette ouverture. Bien sûr, certains enfants ont besoin de plateaux techniques plus importants, du fait de leur handicap. C'est la raison pour laquelle les établissements médico-sociaux s'ouvrent aussi, en accueillant des enseignants.
Cette porosité, cette coopération d'acteurs issus de mondes différents, est une réalité depuis trois ans. Pour rappel, le décret dit de coopération date de 2009. Depuis trois ou quatre ans, cette coopération est une réalité de travail ensemble. C'est dans ce maillage de dispositifs plus spécifiques au sein de l'école ordinaire que nous y arriverons, parce que nous normalisons le rythme de vie des familles, le chemin vers l'école ou vers les établissements qui s'ouvrent aussi aux professionnels de l'école. Ainsi, la coopération ne se fera plus par les familles, qui n'en peuvent plus, mais par des professionnels qui se parlent entre eux au service du parcours. C'est tout l'enjeu de ce maillage de dispositifs que nous développons au sein de l'école, mais aussi de ce partage de regards croisés au service du parcours. Certains enfants ont aussi besoin de temps à domicile. Il faut donc améliorer le partage et favoriser les allers-retours des professionnels et non plus de l'enfant et de sa famille. La crise nous a enseigné « l'aller vers » la famille, donc vers son domicile.
Vous avez évoqué un autre maître mot, l'attractivité. Comment rendre attractifs ces métiers ? Comment améliorer leur reconnaissance et leur revalorisation ? Comment valoriser le diplôme d'accompagnant éducatif et social (AES) et ses trois options – travailler à l'école, travailler en établissement ou travailler à domicile ? Il faut aussi construire des passerelles plus souples pour faire de ces métiers des étapes de carrière. C'est tout l'enjeu de la valorisation des métiers. Nous travaillerons aussi à celle des métiers à domicile, avec Brigitte Bourguignon, dans le cadre du « Laroque de l'autonomie ».
Il faut offrir des passerelles à ces professionnels qui ont fait un travail extraordinaire, dans l'ombre, pendant le confinement. Ils ont été des piliers du maintien de l'accompagnement et de ce lien indispensable.
Vous m'interrogez sur les MDPH. Je sors précisément d'une visioconférence avec ces 101 structures, car je maintiens ce lien indispensable. Le 15 octobre, nous mettrons en place le comité de gouvernance des MDPH 2022, qui est notre feuille route d'amélioration de ce service public, que je copartage en responsabilité avec les départements, qui sont chefs de file des politiques de solidarité dans les territoires – feuille de route que nous avons construite ensemble. Avec le président Dominique Bussereau, nous installerons un comité de gouvernance le 15 octobre à La Rochelle, avec l'ensemble des acteurs – la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), mais aussi la délégation interministérielle de la transformation publique qui nous a beaucoup aidés en faisant des immersions dans les MDPH dans une perspective d'amélioration.
Lors de la conférence nationale du handicap du 11 février dernier, nous nous sommes engagés, dans un accord inédit signé avec le président Bussereau et moi-même, à améliorer ce service public local que sont les MDPH, en matière d'accès aux droits, de délais, d'octroi des droits à vie ou durant 20 ans de l'enfant en situation de handicap. Nous avons une vraie feuille de route d'amélioration, pour être davantage dans l'accompagnement des notifications que font les MDPH, dans une logique gagnant-gagnant.
Vous me demandez si ce sont les MDPH qui doivent effectuer cette coordination de parcours. Nous avons découvert, grâce au numéro 360, des acteurs que nous ne connaissions pas ou peu et qui ont besoin d'être assemblés. Les MDPH doivent déjà vraiment concentrer leur action pour améliorer l'accès aux droits de façon équitable sur le territoire et pour que les délais et la qualité des réponses soient les mêmes partout. Il faut aussi qu'elles dégagent du temps pour travailler à la qualité de l'accompagnement et des solutions. La qualité des réponses devra être améliorée d'ici un an et demi à deux ans. Nombre d'appels passés au 360 sont des demandes d'informations, de type « à quoi ai-je droit ? », « à quoi puis-je prétendre ? », « comment puis-je avoir accès à des services dont les portes se ferment systématiquement ? ».
La politique du handicap est très complexe. Les droits et les experts sont nombreux. Or les familles veulent avoir une porte unique. Toute la « tuyauterie » administrative doit être transparente pour elles. Dans la méthode du 360, nous ne lâcherons pas la main de la famille jusqu'à ce que la solution soit mise à exécution. Les familles nous indiquent qu'elles reçoivent des notifications pour telle ou telle compensation, mais que c'est à elles d'appliquer la solution. Avec le 360 et l'engagement de cette feuille de route MDPH, nous ne voulons plus laisser les familles aller, seules, ouvrir chaque porte. C'est un enjeu important de transformation de la façon de travailler auprès des familles.
Je salue à la fois la CNSA, l'ensemble des MDPH et des départements pour cette bascule que l'on est en train d'opérer. Une notification ne sert à rien si on ne prend pas la famille par la main pour aller ouvrir la porte des différents lieux où l'enfant va résider ou vivre, dans sa vie sociale, dans son accès au sport, dans son accès à la culture. C'est encore très complexe. Dans notre société, le degré d'acceptation de la différence n'est pas encore optimal, pour qu'il soit naturel d'apprendre le violon ou d'aller danser au milieu des autres quand on a un handicap. Nous avons encore beaucoup de travail. C'est l'enjeu de cette coordination de parcours que l'on commence à mettre en place pour améliorer l'accès à la vie quotidienne.
En résumé, les MDPH ont un énorme rôle à jouer mais elles ne sont pas toutes seules. Elles ne doivent pas rester seules. Il faut qu'elles s'appuient et que nous travaillions avec ces acteurs de droit commun. C'est tout l'enjeu de notre méthode dite 360.
Concernant la rentrée scolaire, je ne dispose pas de données chiffrées. Nous avons reçu des alertes, précisément parce que nous avons créé le numéro de téléphone Éducation nationale, lequel basculait vers les inspections locales dès qu'il y avait une problématique. Il y en a eu. Chaque année, il reste des dysfonctionnements de-ci de-là. Mais à chaque fois – et je tiens à saluer le travail d'Isabelle Brion à la cellule Handicap École –, les situations ont été résolues. Et à chaque fois, je disais aux familles d'appeler le numéro national Rentrée scolaire, 0805 805 810, qui basculait vers l'inspection concernée. C'était ce numéro qu'il fallait appeler pour résoudre les situations. La cellule Handicap École a ainsi reçu moins d'appels. À la rentrée, il y a eu environ 1 000 appels dans la France entière. Des solutions ont immédiatement été trouvées, en territoire et en proximité.
Cette année, 6 % d'enfants handicapés supplémentaires ont fait leur rentrée scolaire et 8 000 accompagnants d'élèves en situation de handicap ont été embauchés, ce qui porte à plus de 100 000 leur nombre total. Les PIAL, pôles inclusifs d'accompagnement localisés, se sont mobilisés massivement pour apporter des réponses en territoire. Lorsque les moyens et les ressources sont localisés, on répond bien mieux aux problématiques de territoire.
En somme, les alertes ont été moins nombreuses que les années précédentes, des solutions ont systématiquement été trouvées dans les territoires et les familles étaient rappelées dans les vingt-quatre heures. Bien sûr, il reste, chaque année, des difficultés. Mais il y en a aussi pour les enfants valides. C'est l'organisation intrinsèque de l'Éducation nationale, qui accueille plus de 10 millions d'enfants, quels qu'ils soient et de tout âge. À chaque fois, nous sommes en mode complet d'information et de communication pour résoudre chaque problématique.
Quel plaisir de vous voir, après toutes ces visioconférences pendant le confinement ! Ainsi que vous l'avez indiqué, vous avez pris soin de nous tenir informés. Vous parliez de coordination : il s'agit bien de cela, pour réussir ce à quoi nous aspirons.
Les masques sont un barrage à la communication. À la rentrée scolaire, le problème s'est posé pour les élèves sourds et malentendants ainsi que pour leurs professeurs. Vous vous êtes très rapidement saisie du sujet. Des commandes massives de masques inclusifs ont été passées. Mais, sauf erreur de ma part, de nombreux établissements et de nombreuses personnes n'en sont pas encore pourvus. J'en ai moi-même commandé de mon côté. Cinq semaines plus tard, je n'ai toujours rien reçu. Ce sujet n'est pas un détail. Sans masque inclusif, en effet, il est parfois très compliqué de communiquer.
Par ailleurs, nous venons d'auditionner la présidente de France Autisme, qui évoquait la difficulté pour un certain nombre de personnes de tout bonnement porter un masque. Quelle est la doctrine en la matière ? Quelles sont les recommandations ?
Dès le mois de mai ou juin, nous avons travaillé avec une start-up qui comptait dans ses rangs une personne en situation de surdité. Je rends aussi hommage à la secrétaire générale du Comité Interministériel du Handicap (CIH), Céline Poulet ; elle s'est emparée du sujet avec la DGA, qui a effectué un travail remarquable pour accélérer l'homologation de ces masques inclusifs, qui sont avant tout un outil de protection, bien sûr, mais aussi de communication. La démarche était complexe, car des matériaux différents sont utilisés.
Je tiens aussi à saluer l'association APF France Handicap qui, grâce à son expertise dans les entreprises adaptées de couture, a pu tout de suite se reconvertir, acheter des machines de découpage et se mettre en mode production. On est passé de 10 000 à 20 000 masques en production fin août à 500 000 masques par mois, dans les entreprises adaptées. La résilience et la capacité de rebond du milieu du handicap pour travailler au service des personnes qui en ont besoin sont remarquables.
L'Éducation nationale a commandé 350 000 masques, qui sont en cours de réception dans les établissements. Nous avons été extrêmement réactifs. Je tiens vraiment à saluer la résilience et le rebond des associations et des entreprises adaptées, qui ont été à l'origine du projet Résilience pour le masque en tissu dès le confinement, avec toute l'économie sociale et solidaire. Quatre ou cinq masques différents sont homologués. Nous démultiplions les productions et j'espère que dans les mois qui viennent, le fait de monter en capacité de production servira tous ceux qui en ont le plus besoin.
Il y aura aussi des commandes pour les orthophonistes, et pour le grand public. Quoi de mieux que de revoir un sourire pour les personnes âgées ? Quoi de mieux que de revoir, aux guichets d'accueil, le sourire de la personne qui vous informe ? Ces masques deviendront un vrai outil, qui va se généraliser je l'espère.
L'État s'est aussi mis aux côtés des salariés en situation de handicap qui en avaient besoin, puisque nous compensons à 80 % le coût du masque pour les entreprises, afin qu'il ne soit pas discriminant et source de désinsertion professionnelle. L'AGEFIPH et le FIPHFP ont tout de suite réagi pour compenser le coût du masque auprès des employeurs qui jouaient le jeu de cet outil de communication indispensable pour les personnes sourdes, car il permet la lecture labiale. Nous voulons le démultiplier partout, parce que c'est un outil de communication indispensable.
S'agissant de votre seconde question, il existe des dérogations par certificat médical pour les personnes qui sont en incapacité de supporter un masque, quel qu'il soit. Nous devons communiquer largement sur ce sujet. C'est ainsi que nous avons toujours travaillé et nous continuons à le faire.
Les femmes représentent 54 % de la population en situation de handicap en France. D'après l'enquête d'APF France Handicap de 2019, 92 % des répondantes estiment que leurs problématiques ne sont pas bien prises en compte dans les politiques du handicap. Pour 83 % d'entre elles, le fait d'être une femme et en situation de handicap rend leur vie quotidienne plus difficile, dans tous les domaines. L'association Femmes pour le dire, Femmes pour agir, qui lutte contre la double discrimination qu'entraîne le fait d'être une femme handicapée, souligne l'impact de la crise sanitaire sur les femmes handicapées. Celles-ci ont vu se réduire leur accès aux soins quotidiens, et stopper les séances de kinésithérapie et de rééducation. Elles ont dû se débrouiller avec l'absence des aidantes. Quand les institutions ne fermaient pas totalement – je pense notamment à l'IME de Villejuif qui a décidé de fermer de manière pérenne le week-end –, les jeunes filles en résidence ont été mises devant le choix soit de retourner dans leur famille, soit de rester dans leur institution, isolées dans la chambre et sans visite. Et je ne parlerai pas de l'école, que vous avez évoquée largement.
Être à la fois en situation de handicap, jeune et femme semble avoir démultiplié les difficultés rencontrées pendant le confinement. À l'heure du déconfinement, ces jeunes femmes sont restées isolées. Toutes n'ont pas pu se déconfiner, sortir, recevoir des visites, certains établissements les contraignant encore à l'isolement, ce qui engendre stress et insécurité psychique. Les mesures sanitaires sont encore très fortes et l'état de pandémie peut laisser présager un nouveau reconfinement.
Avez-vous constaté ces difficultés particulières rencontrées par les jeunes femmes en situation de handicap ? À l'aune d'une deuxième vague, que proposez-vous pour les accompagner ?
L'association Autisme France me précisait en aparté que 40 % de ses adhérents sont des femmes seules au RSA. Ce taux est assez impressionnant.
Je repose la question de l'AAH et j'espère que nous arriverons un jour à faire en sorte que les revenus du conjoint ne soient pas pénalisants pour calculer son montant. J'espère que cette loi ira au bout de son parcours. Elle a été votée à l'Assemblée, et j'espère qu'elle sera adoptée au Sénat.
Nous sortons un peu du sujet des enfants. Je vais être franche, il n'y a pas eu d'enquête ciblée relative aux incidences du confinement sur tel ou tel public. En effet, nous sommes en accompagnement de tous les publics. S'agissant des femmes, en l'occurrence, la fermeture des établissements ne ciblait pas les jeunes filles en particulier. Je me trouve donc un peu démunie pour vous répondre. Nous analyserons les impacts du confinement, mais il est trop tôt pour avoir suffisamment de recul. Il est d'ores et déjà acquis que le confinement n'était pas neutre pour la santé mentale et psychologique. Nous veillerons à cibler cette analyse par public. Peut-être avez-vous déjà des retours. Je connais bien l'association Femmes pour agir, Femmes pour le dire, et j'ai confiance dans sa capacité à nous alerter pour que nous tirions ensemble les bonnes recommandations.
Il est indéniable que les femmes, a fortiori en situation de handicap, sont plus discriminées dans l'accès à l'emploi. Nous devons travailler à l'accompagnement de ces femmes, qui rencontrent aussi deux fois plus de violence. J'ai beaucoup travaillé avec Femmes pour agir, Femmes pour le dire dans ce domaine, ainsi qu'avec les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat. Nous travaillons quotidiennement sur les violences faites aux femmes et sur leur isolement. Dans le Grenelle des violences faites aux femmes, nous avons pris l'engagement de créer un Centre de la vie affective dans chaque région, chargé de l'information et de la prévention. Beaucoup de choses se passent aussi dans les Agences régionales de santé (ARS), notamment celle d'Île-de-France qui a créé le Handigynéco à l'initiative de sages-femmes qui dispensent des formations dans les établissements médico-sociaux. Certaines femmes âgées de 40 ou 50 ans consultent pour la première fois un gynécologue. Le retard est énorme, et c'est toute la feuille de route d'accès aux soins des personnes handicapées qui est impactée. Nous nous apprêtons d'ailleurs à passer à la mise en œuvre du rapport de Philippe Denormandie pour améliorer l'accès aux soins des personnes handicapées, avec un focus sur les femmes. Nous ne manquerons pas de faire remonter votre demande en la matière.
Je précise que les 40 % de femmes seules au RSA que j'évoquais sont des mères – ce qui complique encore la situation pour leurs enfants.
Nous officialiserons en janvier 2021, pour les femmes ou les hommes en situation de handicap qui veulent être parents, la prestation de compensation du handicap pour la parentalité des personnes en situation de handicap. Le décret est en cours d'élaboration. Ce sera une avancée vers la pleine citoyenneté des personnes en situation de handicap. Il s'agissait d'un engagement de la Conférence nationale du handicap, qu'il convient de rappeler. Nous respecterons le planning annoncé.
Qui étaient les écoutants territoriaux pendant le confinement ? Où étaient-ils ? À quelle administration ou structure appartenaient-ils ? Par ailleurs, qui sont les référents de parcours ? A qui sont-ils adossés et avec qui travaillent-ils ?
Les missions des MDPH prévoient certes le recours aux droits, mais aussi l'accompagnement. Qui s'assure que l'offre à destination des familles qui ont des enfants en situation de handicap existe dans chaque territoire, de manière équitable ? Il n'y a pas d'acteurs associatifs partout. En revanche, le droit au répit existe partout. Qui a cette vision large et qui peut construire des parcours sur mesure, avec une offre disponible partout ? Je m'interroge sur la robustesse des propositions, notamment celles à 360. Vous devez vous rappeler qu'en son temps, nous avions débattu d'un amendement sur les établissements Tournesol. Je me réjouis de l'ouverture d'unités d'enseignement externalisées. C'est une très belle solution. Elles ne sont, pour l'instant, développées que dans le primaire. Qu'est-il envisagé pour les collèges, au-delà des ULIS ?
Ce sujet me tient particulièrement à cœur. Un engagement de méthode a été signé, lors de la conférence nationale du handicap, avec l'ensemble des associations gestionnaires, les ARS et les départements – les trois piliers de l'organisation de l'offre médico-sociale en territoire. Quand nous avons ouvert le « 360 covid » en réponse d'urgence, il est apparu que nous ne recourions pas suffisamment à des solutions dans le droit commun – par exemple, les centres de loisirs. Comment travailler avec les centres de loisirs pour éviter l'exclusion ou une rupture de participation ?
Ce « 360 covid » a mis en exergue des fragilités de parcours. L'enjeu, pour octobre et novembre, consiste à travailler un cahier des charges avec les présidents de départements, les MDPH, les associations gestionnaires et les ARS, pour organiser cette orchestration sur les territoires. Car vous l'avez très bien dit, il faut que nous apportions une réponse équitable dans l'ensemble des territoires. Je suis la ministre de toutes les personnes handicapées, où qu'elles soient. Certains territoires sont plus en avance dans ce travail de coordination. Pour d'autres, il faut activer la démarche. C'est cette méthode du 360 que nous sommes en train de mettre en application. Élise Laurent, ici présente, est en charge de ce dossier. C'est un travail important. C'est un travail de confiance. Il faut que l'on soit dans la confiance pour coopérer et construire des réponses. Ce travail doit viser la pérennité. Il n'est pas question de « bricoler ». Nous avons répondu en urgence en juin, pour le déconfinement. Il nous faut maintenant travailler à la pérennisation, avec un cahier des charges partagé, des MDPH parfois au cœur de la démarche et des pôles de compétences. L'État a apporté de l'ingénierie. Nous nous sommes appuyés sur une organisation téléphonique, avec un numéro national qui bascule vers 63 départements. Nous le développerons dans l'intégralité des départements d'ici fin octobre, parce que la crise sanitaire nous oblige à apporter la même réponse partout. Parallèlement, nous travaillons la méthodologie de fond, pour avoir un cahier des charges partagé qui apporte une garantie de réponse au niveau national et des réponses territorialisées. En effet, les réponses diffèrent nécessairement d'un territoire à l'autre.
C'est une belle feuille de route en coconstruction. Cela a toujours été ma méthode. Elle a été identifiée et signée par tous les participants à la conférence nationale du handicap, le 11 février. Nous nous sommes saisis de la crise. Nous avons tout de suite mis en place le numéro d'urgence et nous travaillons désormais à la qualité des réponses. Une méthode d'orchestration est nécessaire pour apporter les bonnes réponses dans les territoires.
Pour créer ces solutions passerelles et ces réponses graduées, et accompagner autant que de besoin, nous disposons de très bons leviers. Je pense notamment au rapport de Denis Piveteau et Jacques Wolfrom consacré à l'habitat inclusif. Nous avancerons dans ce domaine avec les associations, qui sont prêtes à démarrer de nombreux projets dans les territoires. L'État doit se montrer ingénieux et ingénieur, mettre de l'huile dans les rouages, lever tous les freins – ils ont été identifiés. Un important travail interministériel sera mené, avec le ministre du logement, Brigitte Bourguignon et moi-même. Trouver et créer ces solutions rapidement est une vraie feuille de route. Les familles n'en peuvent plus. Elles ne peuvent plus attendre. Cette crise met en exergue les fragilités et les ruptures de parcours.
En somme, nous avons une très belle feuille de route. Le Premier ministre aura l'occasion de s'exprimer à ce sujet, puisqu'il y aura une mobilisation nationale. Un comité interministériel du handicap se tiendra le 29 octobre, pour remobiliser l'ensemble du Gouvernement afin de répondre à cette crise sanitaire, économique et sociale, et créer des réponses de proximité, parce que c'est cela qui nous importe.
La plateforme de solidarité et d'insertion a-t-elle vocation à perdurer ? Elle propose de nombreuses solutions, dans cette situation parfaitement instable que nous vivons. Elle a été vecteur de beaucoup de solidarité et d'initiatives.
Une multitude de plateformes ont été créées. Cela a été le côté très positif en faveur de l'engagement et de la solidarité. Nous avons essayé d'organiser ces actions. Nous incorporerons toutes les plateformes qui existent dans ce domaine, pour les pérenniser, et nous consolidons celles qui existent déjà, par exemple « Mon Parcours Handicap » qui a été la première brique posée pour répondre à l'urgence de l'emploi.
« Mon Parcours Handicap » a été créée pour les personnes handicapées et par des personnes handicapées. Elle est intégralement accessible – c'est très important pour l'autodétermination et l'autonomie. À cet égard, l'accessibilité universelle de nos sites doit s'améliorer. C'est indispensable. « Mon Parcours Handicap » est un véritable outil d'autodétermination et de choix de vie. Ce qui m'anime, c'est de donner des informations aux personnes et à leurs familles pour qu'elles puissent choisir leur vie. Cette information s'est révélée capitale pendant la crise.
Autre exemple de plateforme consolidée : ce matin, par exemple, j'étais en visioconférence avec l'Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébrolésés, qui développe un outil permettant de choisir son parcours. Je lui ai fait savoir que lorsque cet outil, qui répond à un public spécifique, sera prêt, nous pourrons l'incrémenter dans « Mon Parcours Handicap ».
Nous devons améliorer la diffusion de l'information et l'interaction des différentes solutions très innovantes qui existent. La France fourmille d'idées. Il faut le faire savoir aux personnes, grâce à une seule porte entrée. C'est très important.
J'ai appris qu'une solution que nous avions proposée a vu le jour : le partage de jardins. Cette initiative pourrait perdurer, parce qu'elle va bien au-delà d'un petit morceau de terrain qu'on propose à un enfant handicapé qui reste, sinon, claquemuré dans sa maison – ce qui était le premier objet de cette initiative. C'est déjà merveilleux que cette dernière ait pu exister. Les maires étaient tellement prudents qu'ils ne voulaient pas cosigner ce genre d'initiative citoyenne, mais le dispositif a fonctionné. C'est un formidable outil d'inclusion, indépendamment du covid. Les femmes seules au RSA que nous évoquions n'ont pas de jardin. Ce partage de l'espace avec les enfants mérite d'être poursuivi.
La ville de Saint-Denis a mis à disposition des familles, notamment pour les enfants autistes, un parc municipal avec un accès réservé. Les enfants pouvaient pleinement profiter de l'espace. Cet exemple pourrait être suivi par d'autres mairies.
Par ailleurs, nous avons auditionné des pédiatres et des pédopsychiatres s'agissant de la téléconsultation. Ils nous ont indiqué que pour certains enfants touchés par le handicap, la téléconsultation n'est pas appropriée. Mais ils nous ont présenté une initiative de mise en réseau et de consultations à domicile, dans l'académie de Rennes. Des équipes se déplacent, pour éviter aux familles d'avoir à le faire. Cette idée pourrait-elle être promue au niveau national ?
Il faut promouvoir toutes ces initiatives. Cela impose de donner un savoir. J'ai été informée de très nombreuses initiatives « d'aller vers ». Il nous faudra prendre le temps du retour d'expérience. Ce que font ces pédiatres et pédopsychiatres, c'est aller vers les familles, là où elles sont. C'est ce dont tous les parents rêvent. Quand leur enfant entre en établissement, par exemple, plutôt qu'organiser un premier séjour pour voir si l'enfant est en capacité d'y rester, je préférerais que les équipes viennent voir l'enfant, à l'école ou ailleurs. Le fait d'aller vers le lieu de vie de l'enfant permet d'éviter la difficulté supplémentaire de s'adapter à un nouvel environnement qu'on ne connaît pas.
C'est exactement ce que font ces pédiatres et ces pédopsychiatres en allant observer les patients dans leur environnement habituel. En procédant ainsi, on se donne plus de chance d'entrer en relation avec les personnes. De la même façon, dans ce grand service public de l'école inclusive que nous créons, les professionnels entrent dans l'école. Ils viennent travailler dans l'environnement ordinaire de l'enfant. Les échanges entre adultes se font à partir des regards croisés là où est l'enfant – dans l'école ou dans les établissements médico-sociaux. Les professionnels médico-sociaux nous ont d'ailleurs dit que grâce à la visioconférence, ils ont vu des parents experts et les nombreux « trucs et astuces » déployés dans la famille pour s'adapter.
Les jardins partagés d'Autisme France sont une initiative extraordinaire. Nous l'avons tout de suite fait connaître, car ce sont les initiatives de ce type qui créent cette société inclusive, cette responsabilité collective et cette solidarité nationale. Chacun porte un petit élément de la réponse. Certains maires étaient frileux, mais d'autres ont engagé des actions extraordinaires. Faisons tomber les peurs et les préjugés, en montrant que chacun a un élément de la réponse. C'est ainsi que nous bâtirons ensemble la société inclusive et que nous relèverons le degré d'acceptation de la différence. Cela peut servir à tous.
Cela peut servir à tous et cela apporte beaucoup de joie partagée.
Quelles options envisagez-vous pour les accueils de jour en cas de forte reprise épidémique ? Avez-vous un retour d'expérience sur les fermetures d'établissements ?
Le groupe d'études handicap inclusion, que je copréside, travaille par thématiques – en l'occurrence, actuellement, l'accès au sport et à la culture. Il ressort de nos échanges que cet accès est particulièrement difficile pour les enfants et les jeunes en situation de handicap.
Où en est le partenariat entre le secteur médico-social et l'Éducation nationale, dont on parle depuis un certain temps ? A-t-il vraiment été facilité ? Nous avons essayé de travailler avec une association, avec laquelle nous avions été reçus au ministère de l'Éducation nationale pour une expérimentation du secteur médico-social dans les écoles maternelles d'une ville connaissant des difficultés sociales. Nous avions obtenu un accord de principe, même si l'avancée de nos travaux a été stoppée par le confinement. Aujourd'hui, il y a un vrai frein. Je rencontrerai à nouveau cette association, qui m'a fait savoir que cette expérimentation ne fonctionne pas, notamment du fait de l'ARS. Quel est votre point de vue en la matière ?
J'aurai du mal à avoir un point de vue sur cette situation particulière. En revanche, je suis prête à travailler avec vous pour identifier et lever les freins, et vous aider à porter ce projet.
Le sujet de l'accès au sport et à la culture est encore insuffisamment traité. Historiquement, en effet, on accompagnait la personne, pas l'environnement. C'est de là que vient notre retard de l'acceptation de la différence au quotidien, dans l'accès au sport et aux loisirs à côté de chez soi. J'ai besoin de l'expertise du secteur médico-social, notamment de ses services, pour accompagner les enfants, après la sortie de l'école, dans les centres de loisirs, dans les écoles de musique, dans les écoles de sport – bref, dans les centres du quotidien. Nous devons accompagner les familles pour qu'elles n'aient plus elles-mêmes à pousser les portes. C'est tout l'enjeu des assistants de projet de vie et des référents de parcours. Il faut déployer ces nouveaux métiers d'accompagnants partout dans le milieu dit ordinaire, pour faciliter les démarches et pousser les portes. C'est déjà le cas pour l'accueil en crèche, avec le bonus « crèche inclusive » – car c'est dès l'accueil en crèche que l'on peut faire changer les regards. Mais l'argent ne suffit pas. Il faut que des personnes-ressources viennent expliquer, faire tomber les peurs, les préjugés et les appréhensions du milieu dit ordinaire, pour l'assurer qu'il saura faire. Les animateurs savent utiliser des pédagogies différenciées. C'est leur ADN.
Je veux travailler avec la fédération française du sport adapté et la fédération française handisport, pour que ces personnes-ressources viennent travailler dans les clubs de loisirs et de sport, par exemple pour favoriser l'accompagnement à la piscine à côté de chez soi, pour déverrouiller les appréhensions et pour que la pratique sportive et culturelle soit de proximité pour les familles. Nous devons devenir intraitables en la matière, car il y va de la capacité de la famille à vivre normalement dans son environnement proche. C'est tout l'enjeu de ces communautés 360, qui pourront effectuer ce travail d'acculturation dans les lieux de pratique pour tout un chacun. C'est cela, la société inclusive : l'environnement s'adapte à l'enfant et à sa famille, et pas l'inverse.
Qui sont ces personnes-ressources qui doivent pouvoir accompagner l'enfant vers son club de sport ou son conservatoire de musique ?
Ce sont les professionnels des services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) et des établissements médico-sociaux, qui connaissent le mieux la façon d'accompagner. Grâce au principe d'inconditionnalité de l'accompagnement, l'enfant doit pouvoir être accompagné en sortant de son établissement. C'est tout l'enjeu de la transformation de la méthode de travail avec les organisations gestionnaires. C'est tout l'enjeu d'une offre proposée 365 jours par an. C'est tout l'enjeu de notre transformation, en dialogue de gestion avec les organisations gestionnaires. Nous avons des moyens, des outils, des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens. C'est avec ces méthodes différentes que nous devons travailler avec les organisations, dans le cadre de cette inconditionnalité de l'accompagnement.
Qu'en sera-t-il pour les AESH ? Nous savons qu'il existe un problème de de durée de temps de travail. N'y aurait-il pas des moyens de diriger les AESH vers ces missions ?
De nombreux AESH remplissent déjà des missions pour les centres de loisirs, lorsque la municipalité est leur second employeur. Jean-Michel Blanquer en a fait un sujet dans le dialogue social au sein de l'Éducation nationale. Mais il existe aussi un autre périmètre, dans le temps hebdomadaire, qui peut être intéressant. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le diplôme d'accompagnant éducatif et social avait été créé, à l'époque. Il faut travailler intelligemment l'attractivité des métiers de l'accompagnement de demain, en renforçant les passerelles. C'est un vrai enjeu d'accompagnement.
Quelles sont les options envisagées pour les accueils de jour, en cas de forte reprise épidémique ?
Nous travaillons avec le même protocole sanitaire que celui qui a été suivi au début de la crise. Nous serons au rendez-vous pour les personnes en situation de handicap, avec les établissements, en cas d'aggravation de la crise sanitaire. Nous travaillons au jour le jour, avec la direction générale de la cohésion sociale. Nous capitaliserons sur l'expérience que nous avons eue, et nous nous assurerons de l'inconditionnalité de l'accompagnement si certains établissements doivent à nouveau fermer. Nous sommes mieux armés pour réagir, avec les organisations gestionnaires.
Pendant le confinement, Régis Juanico et moi-même avons recensé les actions des différentes associations sociales, éducatives, culturelles et sportives, mais aussi les difficultés auxquelles elles se sont heurtées. Lors de l'audition auprès du comité d'organisation des jeux olympiques et paralympiques, j'ai proposé que soit organisé, en ouverture ou en clôture des Jeux, un match avec des personnes valides et non-valides, toutes en fauteuil. L'objectif étant de montrer que l'on peut jouer ensemble et y prendre du plaisir. Ce serait inédit, mais porterait une belle vision.
Je transmettrai votre proposition au COJO, dont je suis administrateur. C'est une proposition très intéressante, dont nous reparlerons.
Ces initiatives sont intéressantes, mais les fédérations handisport sont très attachées à leur indépendance dans l'organisation de leurs compétitions et leurs représentations. Un comité international olympique pour les fédérations handisport vient d'ailleurs d'être créé. Il faut donc à la fois rechercher la complémentarité et respecter l'organisation des événements en handisport.
Il importe qu'il y ait une seule porte d'entrée. Les associations le savent, je le leur dis souvent. Il ne faut pas que les personnes aient à aller d'une fédération à l'autre. C'est aussi cela qui complique la vie des parents et de leurs enfants. La réponse, c'est le sport à côté de chez soi. C'est le plus important.
La séance s'achève à dix-sept heures dix.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 16 heures
Présentes. – Mme Sandra Boëlle, Mme Marie-George Buffet, Mme Sylvie Charrière, Mme Fabienne Colboc, Mme Béatrice Descamps, Mme Albane Gaillot, Mme Sandrine Mörch, Mme Florence Provendier, Mme Souad Zitouni
Excusés. – Mme Anissa Khedher, M. Michel Larive, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Frédéric Reiss