Intervention de Vincent Dennery

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l'enfance :

La Fondation pour l'enfance n'est pas opératrice, c'est une fondation de redistribution et de plaidoyer qui accompagne le secteur associatif par des subventions et de l'accompagnement au développement, et intervient sur différents sujets de plaidoyers, dont les trois plus récents sont les suivants :

- favoriser le développement du parrainage bénévole d'enfants (parrainage de proximité), auquel nous croyons beaucoup en termes de prévention et de protection de l'enfance ;

- obtenir enfin le vote d'une loi afin d'aboutir symboliquement à l'abolition des violences éducatives faites aux enfants, qui, selon nous, constituent un sas d'entrée vers des maltraitances beaucoup plus graves ;

- les jeunes enfants et les écrans, soit un sujet d'intérêt et d'inquiétude depuis cinq ans avec la généralisation de tous les appareils portables dont les enfants se sont vite emparés ; nous menons ce travail avec Santé Publique France et une association de pédiatres.

J'ai pu dire que le confinement avait été un formidable amplificateur des différences sociales et familiales. Nos partenaires de l'Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA), des pédiatres qui disposent d'un très efficace portail d'information aux parents, appelé « Mpedia », ont ainsi réalisé une étude auprès de 3 000 familles. Certes les personnes qui consultent ce portail sont plutôt en demande d'informations, plutôt averties et déjà sensibilisées, mais beaucoup de parents ont tout de même trouvé un intérêt à la période de confinement, car malgré le travail et l'anxiété du moment, ils ont aussi pu reconstruire des liens de stabilité avec leurs enfants, alors qu'ils étaient traditionnellement à courir continuellement et être eux-mêmes envahis par leurs écrans, d'où très peu de disponibilité pour leurs enfants. Telle a été la situation pour une majorité de famille et comme la commission des 1 000 jours le rappelle notamment pour les plus jeunes enfants, le temps d'interaction que les parents peuvent consacrer à leurs enfants s'avère essentiel pour favoriser un attachement, ainsi qu'un développement plus sûr et plus stable pour l'enfant. Il est donc important de le dire, car cela peut, au-delà du congé de paternité, nous aider à envisager ce qui pourrait aider à améliorer la disponibilité des parents pour leurs enfants, notamment durant cette période des 0 à 3 ans.

Sur les violences éducatives, certes la loi existe, mais est-elle connue ? Nous allons le vérifier, elle n'a qu'un an. Il avait été prévu qu'elle soit accompagnée de mesures de sensibilisation des parents, car au-delà du discours, il convient d'acquérir de nouvelles compétences à expliquer aux parents. Ils doivent donc être accompagnés à ce titre, or les mesures se font évidemment attendre.

Nous devons également penser à ceux qui interviennent auprès des enfants migrants ou des enfants des rues, à Paris et en Île-de-France. Ils n'ont pratiquement pas pu intervenir. La situation était très compliquée notamment pour ceux qui tiennent des centres d'accueil de jour. Nous pensons aussi aux gestionnaires d'établissements de protection de l'enfance qui ont été confrontés à une double difficulté, et tout d'abord à un taux d'encadrement gravement affaibli. Je connais des établissements qui ne comptaient plus qu'un encadrant pour 15 enfants ; vous imaginez ce que cela donne lorsque les enfants ne peuvent avoir d'activités en foyer. Ensuite, la plupart du temps, ils n'avaient pas non plus d'équipements pour suivre leur scolarité à distance, mais cela a fait l'objet d'une action assez rapide du secrétaire d'État. Équiper ces enfants d'ordinateurs s'avérait absolument vital pour qu'au moins, ils puissent poursuivre leur scolarisation.

Alors que le 119 agit essentiellement par téléphone, nous disposons d'un module d'aide qui conseille les jeunes ou parents qui nous contactent sur quantité de sujets de préoccupation. Nous avons enregistré quelque 40 000 contacts. Or les deux sujets qui sont les plus souvent revenus étaient, pour les parents, « je suis violent avec mon enfant » (nous avons donc eu beaucoup plus de parents qui, durant cette période, se sont interrogés sur la manière dont ils pouvaient modifier leurs comportements) et pour les jeunes, toutes les questions de cyberharcèlement. Ils ne se voyaient plus, mais continuaient à interagir largement via les réseaux sociaux ou les messageries directes : en conséquence, le harcèlement scolaire a beaucoup diminué, mais le cyberharcèlement s'est accru et notamment le cyberharcèlement à caractère sexuel. Nombre de questions portaient sur la manière dont il convenait de réagir sous la menace du dévoilement d'images intimes, ce qui est manifestement devenu une activité très envahissante et très inquiétante pour les jeunes.

Nous avons en outre reçu 200 à 300 appels sur un semestre, dont beaucoup concernaient les séparations conjugales et les violences entre enfants dans le cadre de séparations conjugales, d'où, comme pour la police et la justice, une problématique en termes d'arbitrage entre la parole du père, celle de la mère et celle de l'enfant. Nous percevons que les familles s'avèrent assez démunies face à ces situations. Nous-mêmes ne pouvons bien entendu pas arbitrer, car nous ne pouvons juger au téléphone des torts des uns et des autres, mais nous alertons sur le fait que ce sujet s'avère vraiment très envahissant.

Indépendamment de la petite étude déjà évoquée, les seuls chiffres dont nous disposons aujourd'hui correspondent à ceux du GIPED. Nous n'avons pas encore les chiffres qui remontent du département vers le groupement Enfance en danger. Nous savons déjà que le processus s'avère assez imparfait, mais il est également très lent. Il est donc très difficile de savoir aujourd'hui ce qu'il s'est passé sur le terrain, dans chacun des départements français.

Dans tous les cas, il est intéressant de noter que même si les voisins se sont mobilisés pour dénoncer les situations, nous constatons, dans la typologie des situations qu'a dû affronter le 119, que beaucoup nécessitaient une intervention immédiate. Les violences s'avéraient donc suffisamment fortes pour que l'on demande aux forces de l'ordre d'intervenir.

Je vais maintenant laisser la parole et interviendrai à nouveau ultérieurement pour évoquer la prévention. En effet, les systèmes de prévention étant encore assez faibles en France, ils n'ont pas pu faire écran au brutal surcroît de violences liées au confinement. Nous devrons donc parler de l'amélioration de la prévention.

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