Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • appels
  • confinement
  • enfance
  • éducation

La réunion

Source

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 8 octobre 2020

La séance est ouverte à neuf heures.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

La Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse procède à l'audition de Mme Isabelle Debré, présidente de L'enfant bleu-Enfance maltraitée, Mme Marie-Pierre Colombel, présidente d'Enfance et partage, Mme Martine Brousse, présidente de La voix de l'enfant, et M. Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l'enfance.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Nous nous retrouvons ce jour afin de poursuivre les auditions de notre commission d'enquête sur la situation des enfants et jeunes en difficulté ou en danger, ou qui l'ont été pendant la crise sanitaire. Quand les parents vivent une situation difficile, voire très difficile, quand le frigo se vide, quand la cantine et l'école ne sont plus là en tant que territoires protégés de l'enfant, ce dernier est parfois très affecté psychologiquement et physiquement, et le risque de violences intrafamiliales s'accroît.

Afin de tirer un bilan de cette période opaque que fut le confinement, période pendant laquelle beaucoup d'enfants n'ont pas pu s'exprimer, nous allons entendre les associations et les fondations qui interviennent en faveur de la protection des enfants maltraités, puis nous recevrons le Groupement d'intérêt public enfance en danger (GIPED) et enfin, la police et la gendarmerie nationale, souvent les témoins les plus avertis de ce qu'il se passe dans le huis clos des familles.

Je vous présente donc Mme Isabelle Debré, présidente de l'Enfant bleu – Enfance maltraitée, Mme Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant et M. Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l'enfance.

Il nous a semblé extrêmement important d'entendre la voix des enfants et des adolescents à travers vos témoignages, car ils sont les grands absents de cette commission d'enquête. Vous allez nous permettre de comprendre très concrètement ce qu'ils ont vécu, en bien ou en mal. C'est l'occasion de revenir sur les circonstances exceptionnelles de ce confinement qui nous a très fortement inquiétés, puisque nous n'avions plus accès à ces enfants et qu'eux n'avaient plus accès à nous comme d'ordinaire. Cette crise est loin d'être finie, ses conséquences se font sentir dans la durée, avec le basculement de familles dans la pauvreté et la persistance de tensions familiales liées au vertige économique, aux incertitudes de l'emploi. De nouvelles catégories d'enfants sont en outre touchées parce que brutalement, tout s'est écroulé pour leurs pères, leurs mères : comment vivent-ils cette crise, mais aussi quels sont les impacts des mesures sanitaires qui affectent notre vie quotidienne ?

Comme le rappelle le document de la Fondation pour l'enfance, les différents facteurs de risque de la violence familiale, le stress économique, l'isolement, la santé mentale des parents, le handicap ou le jeune âge de l'enfant ont connu des tensions accrues pendant le confinement. Cette crise sanitaire nous amène à provoquer des solutions, elle nécessite de l'innovation de notre part à tous. Elle nous incite à nous interroger sur les moyens de dépistage et de prévention des violences intrafamiliales, c'est pourquoi nous sommes désireux d'entendre vos constats et propositions. Il est fondamental de rester constructif et de donner confiance, plutôt que de plonger un peu plus dans le désespoir.

Avant de vous passer la parole à chacun, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Permalien
Isabelle Debré, présidente de l'Enfant bleu – Enfance maltraitée

Je jure de dire la vérité, rien que la vérité.

Permalien
Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant

Je jure de dire la vérité, rien que la vérité.

Permalien
Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l'enfance

Je jure de dire la vérité, rien que la vérité.

Permalien
Isabelle Debré, présidente de l'Enfant bleu – Enfance maltraitée

L'Enfant bleu – Enfance maltraité existe depuis trente ans. Je suis pour ma part bénévole au sein de cette association depuis presque 29 ans et en suis la présidente depuis deux ans. Nous sommes implantés en Île-de-France et comptons aussi quatre antennes à Toulouse, Lyon, Grenoble et dans les Hauts-de-France. Nous avons quelque 60 bénévoles écoutants référents, quinze psychologues, six juristes et bien sûr, des avocats qui défendent les enfants aussi bien en accompagnement juridique et lorsque nous nous constituons partie civile. Nous souhaitons avant tout être une association de terrain.

Je souhaiterais excuser l'absence de notre directrice, Mme Laura Morin, qui se trouve actuellement avec M. Adrien Taquet, au sein de l'école Cherbourg du 15e arrondissement, où M. le ministre assiste à l'une de nos séances de prévention. En effet, nous nous rendons sur le terrain pour faire de la formation et de la prévention auprès des professionnels et nous accompagnons les enfants tant sur le plan psychologique que sur le plan juridique. Enfin, nous essayons d'améliorer le système de protection des enfants, grâce à notre commission juridique et à la constitution de partie civile ; nous tentons de faire progresser les lois et avons d'ailleurs édité un Livre blanc sur la maltraitance des enfants.

Nous travaillons en étroite collaboration avec les autres associations, tant il est important de réunir nos forces pour lutter contre ce fléau qu'est la maltraitance des enfants dans notre pays. Les enfants représentent l'avenir de notre société ; si nous n'en prenons pas soin, je ne sais quel avenir connaîtra notre pays.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Nous souhaitons vous interroger sur la manière dont, en tant qu'association, vous avez vécu la crise du Covid, ainsi que sur ce que vous préconisez.

Permalien
Isabelle Debré, présidente de l'Enfant bleu – Enfance maltraitée

Pendant le confinement, la situation fut très difficile, tout simplement parce que l'enfant maltraité était au sein de la cellule familiale, où se déroulent 80 % des maltraitances. Très souvent, il n'avait plus d'adulte protecteur puisque nous savons qu'il le trouve aussi au sein de l'Éducation nationale, or les écoles étaient fermées.

Nous avons bien évidemment fait en sorte de répondre du mieux possible à tous les appels que nous recevions, mais surtout, nous sommes intervenus en renfort du 119, à la demande de Mme Blain et de M. Vigneron. Pour ce faire, nous avons constitué une équipe de seize écoutants référents bénévoles, qui, souvent, travaillaient depuis chez eux, ce qui était compliqué. Il s'avère en effet très difficile de recueillir une parole très dure au sein de son propre domicile, surtout lorsque l'on a soi-même des enfants. Je voudrais donc saluer et vraiment remercier l'équipe de l'Enfant bleu. Nous avons embauché une seconde standardiste, mais aussi une juriste supplémentaire, et avons recouru à des vacataires en renfort (psychologues et juristes) ; nous avons mis à disposition, grâce à un donateur, du matériel informatique et téléphonique, de façon à ce que, chez eux, nos bénévoles puissent avoir un numéro de téléphone approprié, et non pas leur numéro de téléphone portable personnel. Pour cela aussi, je voudrais vraiment remercier nos partenaires.

Je souhaite maintenant mettre en exergue un élément positif de cette crise : grâce à la campagne qui a été lancée par les différentes associations et l'État, les voisins ont pris conscience du rôle qu'ils avaient à jouer. J'insiste énormément là-dessus : les voisins ont réalisé qu'ils ne pouvaient demeurer silencieux. J'espère que cela continuera désormais, il est nécessaire d'écouter un peu ce qu'il se passe de l'autre côté du mur. Telle a d'ailleurs été l'une de nos campagnes.

Autre point très important, nous avons reçu beaucoup d'appels concernant des violences physiques et psychologiques, mais bien sûr, les violences sexuelles ne sont pas encore parvenues jusqu'à nous, parce que ce sont des violences silencieuses. Les voisins n'étaient donc pas à même de pouvoir nous alerter.

Nous avons mis en place un dispositif très innovant et allons travailler dessus avec M. Adrien Taquet et les différents ministères concernés : avec l'Enfant bleu et l'Association d'aide aux victimes d'abus sexuels (AAVAS), nous avons infiltré le jeu Fortnite et créé un petit avatar, qui s'appelait l'Enfant bleu. À travers ce jeu, les enfants pouvaient se signaler et dialoguer. Nous n'en avons fait aucune publicité, de façon à ce que les adultes ne se doutent de rien. De mémoire, je crois que 1 200 à 1 300 enfants se sont connectés. Bien sûr, tous n'étaient pas maltraités, mais nous avons constaté que dès qu'un influenceur parlait de notre avatar, immédiatement des connexions apparaissaient. Nous allons donc continuer à travailler sur ce sujet avec le ministre et ses services, avec les ministères de la Justice et de l'Intérieur et leurs services, afin que les normes juridiques et les règles de la CNIL soient respectées. Notre première réunion de travail se tiendra dans les quinze prochains jours, aux côtés d'AAVAS qui est à l'origine du projet.

Je ne reviendrai pas sur nos campagnes publicitaires, construites avec nos partenaires, ni sur les réseaux que nous avons déployés. Tel est l'état des lieux. Je vais maintenant laisser la parole aux autres associations et reviendrai ensuite sur ce qui mérite d'être encore amélioré.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Nous pourrons effectivement en venir aux préconisations dans un deuxième temps, sans toutefois les perdre de vue.

Permalien
Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant

Comme vous l'avez rappelé, Mme la présidente, le confinement est derrière nous, mais nous ne sommes pas sortis de la crise. Vous nous donnez rendez-vous aujourd'hui, mais je pense qu'il conviendra de nous revoir en février ou mars, parce que malheureusement, ce qui a émergé pendant le confinement existe au quotidien.

La Voix de l'enfant correspond à une fédération de 80 associations, présentes sur le terrain dès les premiers jours du confinement, devant l'affluence de familles qui ne pouvaient plus assurer au moins un repas par jour à leurs enfants. À la cantine, elles ne paient que deux ou trois euros, mais préparer, chaque jour, chez soi, un repas pour le midi et un autre pour le soir ne revient pas au même prix. J'ai moi-même été, avec nos équipes, sur le terrain pendant cette période du confinement. Nous avons fait en sorte de distribuer plus de 3 500 boîtes de lait maternisé (1er âge et 2e âge), des kits 1er âge aux mères qui allaient accoucher et n'avaient même pas un babygro ou un biberon, 72 000 couches et tous les produits de première nécessité (24 000 goûters et autres), dans les 18e, 19e et 20e arrondissements, et dans le département de Seine-Saint-Denis.

Deux axes prioritaires guident l'action de nos associations : à l'international, l'établissement d'états civils pour les enfants (nous en sommes à plus d'un million d'états civils aujourd'hui, établis par nos associations présentes dans douze pays) ; en France, les unités d'accueil médico-judiciaires pédiatriques en milieu hospitalier, sur lesquelles nous travaillons énormément avec le secrétaire d'État et qui correspondent à des salles d'audition, au sein desquelles nous recueillons la parole des enfants victimes. Il en existe une soixantaine aujourd'hui et nous y reviendrons. En effet la Voix de l'enfant exprime une position plutôt critique vis-à-vis de l'attitude de la justice pendant le confinement : seules les infractions flagrantes ont été constatées et les unités d'accueil, qu'elles se trouvent à Nantes, Orléans, Saint-Malo, Dunkerque ou Lille, n'ont pratiquement pas accueilli un seul enfant, ce qui nous a interpellés. Aujourd'hui, nos unités d'accueil s'avèrent surchargées en termes d'auditions. J'ai moi-même dispensé, la semaine dernière, à Chalon, une formation à des gendarmes, qui doivent désormais rattraper tout le temps perdu et donc, enchaîner les auditions, alors qu'elles auraient pu avoir lieu dans une certaine sérénité. Cet élément ne devra donc pas être oublié si des mesures plus draconiennes devaient être prises : ces enfants doivent pouvoir être accueillis de la même façon que l'ont été les femmes victimes de violences. Des gendarmes eux-mêmes nous ont dit que priorité était donnée aux femmes victimes de violences et qu'ils n'avaient pratiquement pas reçu les enfants.

Il reste donc encore beaucoup de chemin à faire pour que l'enfant soit la priorité. Pourtant, une femme victime de violences sur deux est mère d'au moins un enfant, or ces enfants exposés aux violences conjugales doivent être pris en charge comme des victimes, ce qui n'a pas été le cas. Bien souvent, l'enfant est confié à un voisin ou à une autre personne de la famille, mais surtout interrogé, comme dans le cadre d'un interrogatoire.

Je m'associe néanmoins aux propos de Mme Debré : la mobilisation des voisins a été réelle, le numéro vert a accompli un travail extraordinaire. À travers ce numéro vert, s'est mis en place un réel travail entre un certain nombre de nos associations (L'Enfant bleu, Enfance et Partage, Colosse aux pieds d'argile…), que nous allons poursuivre afin de prendre en charge ce qui relève moins du 119, à savoir les conseils (prises en charge psychologiques, conseils juridiques). La Voix de l'enfant compte en effet 45 avocats et nous sommes partie civile dans 60 dossiers en cours. Ce travail s'avère essentiel aujourd'hui, car la période nous a permis de voir comment une institution telle que le GIPED, associant l'Etat et les départements, était aussi en capacité de travailler avec des associations, et réciproquement. La période du confinement nous a fait comprendre à quel point nous étions complémentaires.

S'agissant des campagnes et de toute l'information diffusée au grand public, je voudrais souligner qu'au regard des chiffres, il semblerait qu'il y ait eu, pendant cette période, de l'ordre de 50 % de décès d'enfants en moins en raison de violences physiques par rapport aux mêmes périodes de 2018 et 2019. En effet, les forces de l'ordre sont intervenues immédiatement quand il y avait des flagrances, parce que les voisins, ou même les familles proches, ont prévenu soit le 119, soit directement la police ou la gendarmerie. Il s'agit donc d'un élément positif et il va falloir poursuivre ces informations. Le Covid est important, mais pour moi, il faut communiquer sur le 119 parallèlement au Covid. La ministre des Sports avait lancé, lors de la convention organisée en février, une démarche de recueil de la parole par nos associations, qui n'a pas pu se déployer pendant le confinement, mais qui aujourd'hui, les enfants retournant dans les établissements sportifs, commence à émerger. Nous travaillons donc dans ce sens, à l'aide des fiches appelées « réflexe » destinées aux enseignants comme aux sportifs : il s'agit d'une fiche recto verso qui fournit des repères pour identifier les enfants en souffrance et explique ce qu'il faut faire et surtout, ne pas faire.

Enfin, que faisons-nous de ces enfants qui ont été en rupture scolaire pendant toute la période de confinement ? La Voix de l'enfant a fourni plus de 350 ordinateurs, mais aujourd'hui, ces enfants, qui sont encore plus nombreux, sont de nouveau en rupture scolaire, puisqu'une partie des cours se déroule encore à distance, dans certaines régions de France. Que faire pour que ces enfants d'une part rattrapent leur retard et d'autre part aient les mêmes chances que tout autre enfant à qui la famille peut fournir une tablette ou un ordinateur ? Il s'agit d'un élément essentiel. J'étais dans le 18e arrondissement l'autre jour, aux côtés de l'une de nos associations et nous avons vu la différence entre ceux qui ont pu bénéficier d'un soutien et d'un prêt d'ordinateur et ceux qui ont échappé au repérage. Il y aura donc un réel travail à effectuer, afin d'identifier les familles qui ont confiné leurs enfants par peur du virus.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Je vous remercie d'être extrêmement concrets sur les faits, sur les victimes et sur les auteurs.

Permalien
Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l'enfance

La Fondation pour l'enfance n'est pas opératrice, c'est une fondation de redistribution et de plaidoyer qui accompagne le secteur associatif par des subventions et de l'accompagnement au développement, et intervient sur différents sujets de plaidoyers, dont les trois plus récents sont les suivants :

- favoriser le développement du parrainage bénévole d'enfants (parrainage de proximité), auquel nous croyons beaucoup en termes de prévention et de protection de l'enfance ;

- obtenir enfin le vote d'une loi afin d'aboutir symboliquement à l'abolition des violences éducatives faites aux enfants, qui, selon nous, constituent un sas d'entrée vers des maltraitances beaucoup plus graves ;

- les jeunes enfants et les écrans, soit un sujet d'intérêt et d'inquiétude depuis cinq ans avec la généralisation de tous les appareils portables dont les enfants se sont vite emparés ; nous menons ce travail avec Santé Publique France et une association de pédiatres.

J'ai pu dire que le confinement avait été un formidable amplificateur des différences sociales et familiales. Nos partenaires de l'Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA), des pédiatres qui disposent d'un très efficace portail d'information aux parents, appelé « Mpedia », ont ainsi réalisé une étude auprès de 3 000 familles. Certes les personnes qui consultent ce portail sont plutôt en demande d'informations, plutôt averties et déjà sensibilisées, mais beaucoup de parents ont tout de même trouvé un intérêt à la période de confinement, car malgré le travail et l'anxiété du moment, ils ont aussi pu reconstruire des liens de stabilité avec leurs enfants, alors qu'ils étaient traditionnellement à courir continuellement et être eux-mêmes envahis par leurs écrans, d'où très peu de disponibilité pour leurs enfants. Telle a été la situation pour une majorité de famille et comme la commission des 1 000 jours le rappelle notamment pour les plus jeunes enfants, le temps d'interaction que les parents peuvent consacrer à leurs enfants s'avère essentiel pour favoriser un attachement, ainsi qu'un développement plus sûr et plus stable pour l'enfant. Il est donc important de le dire, car cela peut, au-delà du congé de paternité, nous aider à envisager ce qui pourrait aider à améliorer la disponibilité des parents pour leurs enfants, notamment durant cette période des 0 à 3 ans.

Sur les violences éducatives, certes la loi existe, mais est-elle connue ? Nous allons le vérifier, elle n'a qu'un an. Il avait été prévu qu'elle soit accompagnée de mesures de sensibilisation des parents, car au-delà du discours, il convient d'acquérir de nouvelles compétences à expliquer aux parents. Ils doivent donc être accompagnés à ce titre, or les mesures se font évidemment attendre.

Nous devons également penser à ceux qui interviennent auprès des enfants migrants ou des enfants des rues, à Paris et en Île-de-France. Ils n'ont pratiquement pas pu intervenir. La situation était très compliquée notamment pour ceux qui tiennent des centres d'accueil de jour. Nous pensons aussi aux gestionnaires d'établissements de protection de l'enfance qui ont été confrontés à une double difficulté, et tout d'abord à un taux d'encadrement gravement affaibli. Je connais des établissements qui ne comptaient plus qu'un encadrant pour 15 enfants ; vous imaginez ce que cela donne lorsque les enfants ne peuvent avoir d'activités en foyer. Ensuite, la plupart du temps, ils n'avaient pas non plus d'équipements pour suivre leur scolarité à distance, mais cela a fait l'objet d'une action assez rapide du secrétaire d'État. Équiper ces enfants d'ordinateurs s'avérait absolument vital pour qu'au moins, ils puissent poursuivre leur scolarisation.

Alors que le 119 agit essentiellement par téléphone, nous disposons d'un module d'aide qui conseille les jeunes ou parents qui nous contactent sur quantité de sujets de préoccupation. Nous avons enregistré quelque 40 000 contacts. Or les deux sujets qui sont les plus souvent revenus étaient, pour les parents, « je suis violent avec mon enfant » (nous avons donc eu beaucoup plus de parents qui, durant cette période, se sont interrogés sur la manière dont ils pouvaient modifier leurs comportements) et pour les jeunes, toutes les questions de cyberharcèlement. Ils ne se voyaient plus, mais continuaient à interagir largement via les réseaux sociaux ou les messageries directes : en conséquence, le harcèlement scolaire a beaucoup diminué, mais le cyberharcèlement s'est accru et notamment le cyberharcèlement à caractère sexuel. Nombre de questions portaient sur la manière dont il convenait de réagir sous la menace du dévoilement d'images intimes, ce qui est manifestement devenu une activité très envahissante et très inquiétante pour les jeunes.

Nous avons en outre reçu 200 à 300 appels sur un semestre, dont beaucoup concernaient les séparations conjugales et les violences entre enfants dans le cadre de séparations conjugales, d'où, comme pour la police et la justice, une problématique en termes d'arbitrage entre la parole du père, celle de la mère et celle de l'enfant. Nous percevons que les familles s'avèrent assez démunies face à ces situations. Nous-mêmes ne pouvons bien entendu pas arbitrer, car nous ne pouvons juger au téléphone des torts des uns et des autres, mais nous alertons sur le fait que ce sujet s'avère vraiment très envahissant.

Indépendamment de la petite étude déjà évoquée, les seuls chiffres dont nous disposons aujourd'hui correspondent à ceux du GIPED. Nous n'avons pas encore les chiffres qui remontent du département vers le groupement Enfance en danger. Nous savons déjà que le processus s'avère assez imparfait, mais il est également très lent. Il est donc très difficile de savoir aujourd'hui ce qu'il s'est passé sur le terrain, dans chacun des départements français.

Dans tous les cas, il est intéressant de noter que même si les voisins se sont mobilisés pour dénoncer les situations, nous constatons, dans la typologie des situations qu'a dû affronter le 119, que beaucoup nécessitaient une intervention immédiate. Les violences s'avéraient donc suffisamment fortes pour que l'on demande aux forces de l'ordre d'intervenir.

Je vais maintenant laisser la parole et interviendrai à nouveau ultérieurement pour évoquer la prévention. En effet, les systèmes de prévention étant encore assez faibles en France, ils n'ont pas pu faire écran au brutal surcroît de violences liées au confinement. Nous devrons donc parler de l'amélioration de la prévention.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. J'accueille maintenant Mme Marie-Pierre Colombel. Vous êtes présidente d'Enfance et Partage et je vous remercie de nous avoir rejoints. Avant d'entamer votre propos et comme la loi nous y oblige, je vous demande de jurer de ne dire que la vérité et toute la vérité.

Permalien
Marie-Pierre Colombel, présidente d'Enfance et Partage

Je jure de ne dire que la vérité et toute la vérité.

Je vous remercie de m'accueillir parmi vous pour discuter de cette grande cause qu'est l'enfance, et notamment des violences faites aux enfants. Enfance et Partage, créée en 1977, existe depuis plus de 40 ans. Notre siège se situe à Paris, mais nous sommes aussi sur le terrain puisque nos 19 comités sont répartis sur l'ensemble de la France. Nous avons deux numéros verts qui sont Stop Maltraitance et Allo Parents Bébé, qui concerne la prévention précoce puisqu'il s'adresse aux femmes enceintes jusqu'aux 3 ans de l'enfant. Récemment, nous avons également ouvert une autre ligne appelée Stop Conflit, car nous nous sommes aperçus que l'enfant se trouvait très malmené lors des conflits entre les parents. Nous avions d'ailleurs organisé des assises intitulées « De l'enfant malmené à l'enfant maltraité », parce qu'il s'agit vraiment d'une grosse problématique que nous voyons apparaître depuis quelques années. Beaucoup d'appelants évoquent ce sujet-là : les parents sont divorcés, le divorce se déroule très mal et le conflit est tellement exacerbé que l'enfant devient un punching-ball. Il convient donc de vraiment prendre en compte ce petit bout de chou qui n'est pour rien dans la séparation de ses parents.

Pendant le confinement, nous avons connu un moment de sidération : durant les trois premières semaines, nous n'avons pratiquement pas reçu d'appels. Chacun était chez soi, personne n'osait sortir, personne n'osait rien dire. Les difficultés susceptibles de survenir au sein des familles ne sortaient donc pas. En revanche, au début du mois d'avril, les appels ont commencé à arriver d'abord parce que nous sommes rentrés en contact avec le 119 et avons pu lui servir de relais. Les écoutants du 119 nous transmettaient plus particulièrement tous les appels relatifs à des accompagnements juridiques sur les violences physiques et sexuelles, mais aussi, et surtout, tous les appels relatifs aux droits de visite et d'hébergement, qui ont posé un réel problème pendant le confinement et même après. Le confinement a en effet servi de prétexte pour ne pas envoyer l'enfant à l'autre parent, alors que dans ses annonces, Emmanuel Macron avait bien dit que les ordonnances de droit de visite et d'hébergement devaient être respectées ; il n'a cependant pas été entendu par les parents.

Ensuite, après le confinement, nous avons à nouveau connu un petit moment de creux, parce que les personnes ont essayé de reprendre une vie normale et se sont investies dans les problèmes d'école et de travail. Les appels ont repris entre la fin du mois de mai et le début du mois de juin.

Cette crise sanitaire a multiplié les appels à nos deux numéros verts. Nous nous apercevons que ces situations existaient auparavant, mais ne sortaient pas. Toutes les campagnes que nous avons menées, en collaboration avec le 119 ou bien par nous-mêmes, au sein de nos propres associations, grâce à des partenaires qui sont venus frapper à notre porte telle que l'agence de production Média One, qui possède 17 chaînes de télévision, dont Gulli, ont permis, au travers de clips, de faire connaître le 119 et nos associations. J'ai la sensation qu'à cause de cette crise sanitaire, le citoyen lambda s'est rendu compte de l'impact que les violences pouvaient avoir sur les enfants. Or nous n'étions pas préparés. Nous parlons depuis longtemps des violences faites sur les femmes et nombre de dispositifs ont été mis en place à leur intention, fort heureusement, mais nous ne devons pas oublier que les violences conjugales concernent également les enfants. Depuis le Grenelle contre les violences conjugales, ils ne sont plus considérés comme de simples témoins, mais comme des victimes. Or chez Enfance et Partage, nous savons de longue date que les enfants en sont victimes, puisque nous assurons leur suivi psychologique.

Enfance et Partage exerce enfin une mission d'administrateur ad hoc : ce dernier est nommé par le magistrat en cas de défaillance du parent ou de conflit d'intérêts avec le parent. Or nous n'avons eu aucune désignation pendant le confinement, ce qui paraît incroyable. Certes les tribunaux étaient fermés, mais des permanences étaient tout de même assurées. Il s'agit donc d'un point d'achoppement important, vu que par la suite, aux mois de mai et de juin, nous avons été désignés à de multiples reprises. Ces enfants sont donc restés coincés chez eux sans que personne ne leur porte secours.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Toutes vos contributions nourriront notre rapport. Je laisse maintenant la parole à Marie-Georges Buffet pour ses questions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai bien entendu l'alerte que vous nous transmettez à propos de la justice et de la police. Nous auditionnerons d'ailleurs la police et la gendarmerie juste après vous, mais nous allons devoir rajouter une audition des acteurs et actrices de la justice.

J'aurais tout d'abord aimé vous entendre à propos du 119. Nous voyons bien le rôle qu'a joué ce numéro de téléphone, mais comment appréciez-vous la connaissance par les enfants eux-mêmes de ce numéro ? Vous avez parlé des voisins et de la famille proche, mais quelle est la part des appels des enfants directement ? Comment estimez-vous l'information portée aux enfants à propos de ce numéro ? L'Éducation nationale joue-t-elle un rôle ou pourrait-elle jouer un rôle d'information de l'ensemble des enfants scolarisés sur l'existence de ce numéro ?

Vous avez par ailleurs souligné la complémentarité qui s'est mise en place – et c'est une très bonne chose – entre les institutions et les associations. En effet, plusieurs auditions ont témoigné de ce rapprochement entre associations, et entre associations et institutions. Depuis la rentrée scolaire, quels sont vos rapports avec l'Éducation nationale, puisque les enfants sont de nouveau scolarisés ? Sentez-vous une mobilisation du personnel de l'Éducation nationale sur ces questions ? On demande beaucoup aux enseignants, ils jouent un rôle extraordinaire, mais je voudrais votre appréciation là-dessus.

Vous avez bien sûr parlé de violences éducatives. À l'occasion de nombre d'auditions, nous évoquons l'aide à la parentalité, mais pour l'instant, nous ne voyons pas très bien quelle forme elle pourrait prendre. Nous sommes un peu dans le noir, nous sentons l'attente, mais comment arriver à organiser cette aide à la parentalité ? Tel est le rôle des associations, mais aussi des institutions.

Vous avez parlé du télétravail, mais toute une partie de nos concitoyens ne pouvait y avoir accès du fait de leur profession. Avez-vous le sentiment que beaucoup d'enfants sont restés seuls à la maison pendant la période du confinement, ou ont-ils été placés par les parents chez d'autres membres de la famille ? Cela pose en effet, en cas de reconfinement, la question des structures d'accueil pour les enfants dont les parents sont obligés de se déplacer sur leur lieu de travail.

Enfin, vous avez évoqué un système de parrainage sur lequel je souhaiterais en savoir davantage.

Permalien
Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l'enfance

En matière d'aide à la parentalité, il s'avère intéressant de regarder comment s'y sont pris les Suédois, parce qu'ils ont voté leur loi en 1979 et affichent donc 40 années d'expérience. Ils ont en réalité agi sur un double plan : ils ont d'une part lancé des campagnes très générales d'éducation à la santé, comme la France peut en déployer. Nous avons éduqué à moins boire, à être plus prudent sur la route, à réguler un peu l'alimentation des enfants ; nous pouvons donc envisager de construire des campagnes qui certes ne délivreront pas des astuces éducatives, mais motiveront les parents à une certaine réserve de comportement. Le plus important me semble être de prendre le temps de respirer, de se calmer, d'éventuellement prendre une distance avec l'enfant, afin d'éviter de partir dans un volcan d'émotions et de violences qui peut être très préjudiciable. Il s'agit donc d'encourager les parents à des comportements d'apaisement.

D'autre part, vu que les violences éducatives démarrent très tôt, les premières gifles pouvant atteindre des enfants d'un an et demi ou de 2 ans, nous pensons qu'il serait intéressant d'avoir, dans le cadre de l'accompagnement parental entre 0 et 3 ans (carnets de santé, visites chez le pédiatre, etc.), tout un chapitre de questionnements ou de conseils sur ce thème. Par ailleurs, quantité de formations parentales se développent et s'avèrent assez variées : certaines sont très bien, d'autres moins. Faut-il aller jusqu'à la labellisation de certaines formations ? Je ne le sais pas, mais comme toujours, parce qu'il existe une attente de la société et un grand élan, il existe un peu tout et n'importe quoi. Nous pouvons donc imaginer qu'un jour, les pouvoirs publics donnent un avis au moins de cadrage sur ces formations.

Permalien
Isabelle Debré, présidente de l'Enfant bleu – Enfance maltraitée

Pour en revenir au 119, au partenariat entre le 119 et les associations et aux partenariats entre les associations, nous avons vraiment travaillé ensemble (Colosse aux pieds d'argile, la Voix de l'enfant, Enfance et Partage) et sommes totalement complémentaires. Il n'existe fort heureusement aucune concurrence dans ce combat contre la maltraitance des enfants. Nous sommes intervenus en appui du 119 et avons constaté que ce numéro était vraiment très chargé.

Le 119 est-il assez connu des enfants ? Non, certainement pas. Il faudra le faire connaître encore davantage, même s'il est quand même très connu. Cependant, les enfants n'étaient de toute façon pas à l'école durant le confinement, et ne savaient pas qui appeler depuis chez eux. En outre, appeler lorsque son agresseur se tient en face de soi s'avère tout de même extrêmement compliqué.

Je voudrais ensuite revenir sur le rôle de l'Éducation nationale, sans être très désagréable. Nous sommes tous de longue date engagés dans ce combat, mais le ministère avec lequel l'Enfant bleu a eu le plus de problèmes est celui de l'Éducation nationale. Cet état de fait ne date pas d'hier : ainsi, du temps où nous étions au ministère de la Justice avec Dominique Perben, tous les ministères étaient représentés, hormis le ministère de l'Éducation nationale. Je sais que Jean-Michel Blanquer a à cœur de faire en sorte que son ministère soit partie prenante du combat qu'est la lutte contre la maltraitance des enfants. En effet, où peut-on, le plus rapidement possible, détecter un cas de maltraitance, si ce n'est au sein de l'Éducation nationale ? Un professeur de dessin voit des dessins bizarres, un professeur de français lit des rédactions inquiétantes, un professeur de gymnastique constate qu'un enfant a toujours un rhume lorsqu'il faut aller à la piscine. Peut-être doit-il se demander si l'enfant n'a pas envie de se mettre en maillot de bain parce qu'il est couvert d'ecchymoses ? L'école est vraiment le lieu où l'on peut détecter et repérer le plus rapidement possible les cas de maltraitance. Il nous faut travailler avec l'Éducation nationale.

Je rejoins totalement les propos de Martine Brousse à propos de la justice, mais la laisserais en parler.

Sur l'aide à la parentalité, M. Dennery a très bien expliqué la situation et nous voyons bien là que les associations sont complémentaires. Nous nous occupons essentiellement des enfants ; nous accompagnons certains parents, mais nous les dirigeons plutôt vers les associations qui les aideront en termes de parentalité. En revanche, nous accompagnons les parents qui ont été maltraités dans leur enfance, parce qu'ils ont besoin d'aide.

En ce qui concerne les enfants demeurés seuls à la maison, je ne dispose d'aucun chiffre. A priori, ceux-ci ne sont pas encore complètement remontés des départements.

Permalien
Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant

S'agissant du 119, vous allez accueillir Mme Violette Blain ; moi-même étant vice-présidente du 119, je préfère lui laisser la parole. Je peux néanmoins déjà vous dire que nous avons enregistré une recrudescence d'appels des mineurs, notamment via la plateforme qui leur permettait un contact en ligne. Dans les jours qui ont suivi la période de sidération, l'engagement de nos associations et du secrétaire d'État a été immédiat. Le 119 a eu à s'organiser, en augmentant le nombre des écoutants. La Voix de l'enfant a fourni plus de 45 ordinateurs portables aux écoutants en télétravail, dans l'attente des fonds débloqués par l'administration. Mme Blain vous expliquera comment le 119 s'est organisé : tous les appels de mineurs passent en priorité ; immédiatement, le pré-accueil fait signe à un écoutant pour signaler la présence d'un mineur en ligne.

S'agissant ensuite de l'Éducation nationale, certes les écoles étaient fermées, mais certains enseignants ont heureusement été formidables : alors même qu'ils n'étaient pas dans leurs établissements, ils prenaient contact avec des enfants. Certains enfants ont cependant été complètement abandonnés. Pire encore, dans l'académie de Montpellier, une association a perdu son agrément : les consignes qui lui sont données s'avèrent telles qu'il lui est impossible de recueillir la parole d'un enfant. Je pourrai vous transmettre le courrier : si un enfant commence à parler, à révéler sa vie, sa souffrance ou autre, cette association doit immédiatement l'interrompre et lui dire de se tourner vers son enseignant. Comment voulez-vous qu'ensuite, l'enfant ait envie de parler ? Cette association vient certes d'obtenir son agrément à nouveau, mais si elle déroge à ces consignes, celui-ci lui sera retiré définitivement. Or je pense qu'elle n'est pas la seule. Nous sommes en train de faire le tour de nos associations. Ce n'est pas acceptable.

Les enseignants doivent aujourd'hui faire face au Covid et n'ont aucune possibilité d'effectuer du repérage. Je vous enverrai également la fiche réflexe financée par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), sur laquelle les enseignants disposent des informations minimales pour repérer et surtout, contacter les numéros dédiés. Le rôle de l'Éducation nationale est donc important, mais elle n'est seule : il faut que dans tous les établissements sportifs, le 119 soit affiché, mais pas dans un placard à balais comme nous avons pu le voir dans un club sportif et dans un établissement scolaire. Il doit être aussi visible que les consignes de l'école et à la limite, je me demande si nous ne pourrons pas, par la suite, demander à ce que le 119 soit inscrit dans tous les carnets scolaires. En effet, l'enfant tient tous les jours son carnet scolaire en main.

Je voudrais ensuite rendre hommage à tous les enseignants qui ont accepté d'ouvrir des classes pour les enfants de soignants et autres professions, et accueilli plusieurs milliers d'élèves pendant la période. En effet, certains enfants ont été complètement confinés, c'est pourquoi en termes de prévention, il conviendra, selon moi, de prévoir que les associations de quartier puissent demeurer ouvertes. Il a fallu que nous allions à Épinal pour faire fabriquer des masques en tissu afin que nos équipes soient quand même protégées, mais leurs locaux ne pouvaient être ouverts. Nous effectuions donc les distributions de repas en extérieur. C'est pourquoi, si une nouvelle crise venait à survenir, il faudrait qu'en prenant un maximum de mesures de protection sanitaires, nos associations puissent travailler et accueillir ces enfants et leurs familles.

Permalien
Marie-Pierre Colombel, présidente d'Enfance et Partage

L'affichage du 119 dans tous les établissements scolaires constitue une obligation.

Chez Enfance et Partage, nous nous sommes interrogés sur le rôle de l'Éducation nationale, car nous effectuons beaucoup de prévention dans les établissements scolaires et disposons de plusieurs outils de prévention, selon les âges et les thèmes (violences physiques, violences sexuelles, négligences, cyberharcèlement, images pédopornographiques). Nous n'avons pas pu aller dans les écoles pendant le confinement, bien évidemment, mais nous ne le pouvons toujours pas. Les instituteurs et chefs d'établissement ne veulent pas laisser entrer des intervenants comme nous, alors que nous sommes agréés par l'Éducation nationale depuis 2007. Le cabinet d'Adrien Taquet nous avait demandé, dès le déconfinement du 11 mai, si nous disposions d'un outil pour aider l'Éducation nationale. Or notre outil, qui s'appelle Prévenir Repérer Écouter Soutenir Agir (PRESA), s'adresse aux professionnels de la petite enfance. Nous l'avons donc adapté pour l'Éducation nationale avant de le proposer à Adrien Taquet. Nous souhaiterions cependant disposer d'un courrier signé par le ministre de l'Éducation nationale et par M. Taquet, qui nous permette de rentrer plus facilement dans les écoles. Les professionnels de l'Éducation nationale s'avèrent frileux, ce qui est bien normal. Ils ne veulent pas nous laisser rentrer, et surtout pas après le 11 mai. J'ai effectué cinq ou six relances, mais nous n'avons eu aucun retour. Je sais qu'ensuite, les autres associations ont également été sollicitées à propos d'un outil.

Ces propos n'enlèvent toutefois rien à la reconnaissance d'Enfance et Partage à l'égard des professionnels de l'Éducation nationale. En effet, parmi tous les signalements d'informations préoccupantes que nous recevons, l'Éducation nationale est notre première pourvoyeuse.

L'aide à la parentalité constitue par ailleurs un très vaste sujet. Nous-mêmes intervenons un peu en termes de prévention précoce : on ne naît pas parent ; on apprend à être parent et à mon avis, tout au long de l'enfance, de l'adolescence et encore après, car la parentalité ne cesse pas aux 18 ans du jeune majeur. En tant que partie civile et administrateur ad hoc, nous nous rendons bien compte que certains bébés sont secoués par de jeunes parents, dépassés par la venue d'un tout petit, c'est pourquoi nous avons créé notre service Allo Parents Bébé.

Enfin, je serais malheureusement bien en peine de vous dire où étaient les enfants dont les parents ne pouvaient télétravailler. Nous ne disposons d'aucun retour.

Permalien
Isabelle Debré, présidente de l'Enfant bleu – Enfance maltraitée

Il faut effectivement faire connaître encore davantage le 119, mais aussi penser à augmenter ses moyens financiers.

Permalien
Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant

Ils ont été largement accrus, je le dois le dire. Ils mériteraient cependant d'être encore renforcés.

Permalien
Isabelle Debré, présidente de l'Enfant bleu – Enfance maltraitée

Il est vrai qu'un effort a été consenti, mais sachant que le 119 recueille tous les appels avant de les répartir en fonction des thématiques, il a réellement besoin de moyens. Je voudrais d'ailleurs saluer tout le personnel du 119 qui effectue un travail absolument colossal. À mon avis, nous allons découvrir quantité de situations avec le déconfinement ; en effet, nous sommes encore un peu confinés, au moins dans les esprits. Le 119 aura donc énormément de travail.

Sur la formation et la prévention dans l'Éducation nationale, il me paraît complètement aberrant d'être agréé au sein d'une académie, et non d'une autre. Nos quatre associations travaillent ensemble, aux côtés également du Colosse aux pieds d'argile non représenté ce jour. Il faudrait donc que l'Éducation nationale comprenne que nous sommes ses partenaires.

Permalien
Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l'enfance

Pour terminer sur l'Éducation nationale, il s'avère effectivement essentiel de l'inciter à accepter d'autres professionnels à ses côtés. Le monde du handicap vit cela, or les premiers résultats apparaissent : faire entrer le médico-social dans certains établissements peut fonctionner. Faire entrer des professionnels de la protection de l'enfance peut donc également aider.

Nous avons réuni les cellules de recueil d'informations préoccupantes (CRIP) des départements d'Île-de-France afin de les interroger. Or ces professionnels nous ont indiqué que l'Éducation nationale jouait le jeu d'un point de vue quantitatif, puisqu'elle est la première pourvoyeuse d'informations préoccupantes. D'un point de vue qualitatif cependant, elle a surtout tendance à surinterpréter les comportements parentaux : les parents un peu rebelles, qui contestent les avis de l'enseignant ou refusent de se présenter aux réunions, sont interprétés comme des parents à risque, alors que les cellules voient moins les parents qui jouent le jeu, mais n'ont peut-être pas, à la maison, des comportements respectables. Une formation s'avère donc nécessaire pour interpréter les signaux faibles d'une maltraitance.

Le parrainage de proximité correspond à un merveilleux dispositif. Il consiste à donner la possibilité à un enfant, dont la famille ne va pas bien, de passer du temps avec des parrains bénévoles, qui souhaitent lui consacrer du temps et ont peut-être déjà des enfants. Il s'agit donc d'un outil de prévention qui s'adresse à des enfants qui ne sont pas encore en difficultés suffisantes pour un placement, et leur permet de passer du temps avec une famille qui se porte mieux que la leur. Ce temps permet à l'enfant de s'ouvrir au monde, le mercredi, un week-end, voire pendant les vacances. Comme le dit un proverbe africain, « il faut tout un village pour éduquer un enfant ». Ce dispositif donne à l'enfant la possibilité de connaître autre chose que son propre contexte, qui peut être difficile. De plus, aux enfants qui malheureusement sont déjà placés, il offre un autre horizon que le foyer et permet notamment de sécuriser la période difficile qu'est l'adolescence. Vous savez en effet qu'à 18 ans, la protection de l'enfance s'arrête pour la plupart de ces jeunes, d'où des difficultés s'ils n'ont pas de contexte familial autour d'eux ; or le parrainage peut en être un.

Heureusement, au regard de tout le travail que nous avons mené depuis sept ans, M. Taquet a retenu, dans son engagement n° 2, le parrainage comme une priorité. Il est donc prévu, dans les contrats départementaux, de passer de 3 000 parrainages actuels à 10 000. L'année 2020 n'a toutefois pas permis de faire grand-chose, nous espérons donc que ce dispositif va enfin pouvoir redémarrer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Comment incitez-vous des personnes à devenir des parrains ? En effet, le désir s'avère sans doute très fort chez les adultes, mais tous ne sont pas enclins à empoigner ainsi ce dispositif, bien que convaincus de sa pertinence.

Permalien
Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l'enfance

Nous soutenons l'association France Parrainages, qui est notre référente. Il ne sert pas à grand-chose d'organiser de vastes campagnes de communication incitant les personnes à parrainer des enfants, car il s'agit d'un processus assez long, qui concerne notamment tous les parents réfléchissant à une adoption. Comme vous le savez, les adoptions à l'international sont de moins en moins nombreuses, ce qui ouvre la voie à des réflexions sur la façon d'accompagner des enfants sans envisager d'adoption. Ce dispositif nécessite donc beaucoup de réunions locales, d'où l'intérêt d'avoir, dans chaque département, des antennes de parrainages pour que des parents puissent être sensibilisés, puis prendre plusieurs mois pour réfléchir à leur envie de parrainer un enfant.

Ce parrainage se crée et se suit avec l'appui de professionnels de la protection de l'enfance. Nous avons en effet intérêt à ce qu'il se mette en place avec des associations qui ont pignon sur rue, des agréments et subventions, et s'avèrent donc contrôlées par les départements. Tout le processus d'appariement entre la famille qui veut parrainer et l'enfant se déroule notamment au travers d'un certain nombre d'entretiens et de contrôles (extrait de casier judiciaire, visites dans la famille…). Bref, une sécurisation assez forte est assurée avant que le parrainage ne démarre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En tant qu'adultes éducateurs nous-mêmes, nous savons très bien que parfois, il suffit d'un adulte pour sauver une trajectoire (un professeur, un curé, un moniteur sportif, un grand, un pair, etc.) Je me dis qu'au-delà de tout parrainage, il faut aussi simplifier cet accès direct pour l'enfant, qui a juste besoin d'un adulte en qui il va avoir confiance.

Permalien
Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant

Nous assurons une veille médiatique quotidienne autour des affaires impliquant les enfants, grâce à laquelle nous avons constaté la baisse du nombre de décès pendant la période de confinement. Cependant, depuis le déconfinement, trois enfants ont été tués, il y a trois semaines. Nous percevons donc une recrudescence des violences sur les enfants. C'est pourquoi je me demande s'il vous serait possible d'entendre également des représentants des PMI. En effet, les familles devraient désormais retourner vers les PMI. Une telle audition vous permettrez de prendre la mesure de la manière dont les parents ont vécu cette période, aux côtés de leurs tout-petits, sachant que ces parents-là n'ont en général pas l'occasion de se rendre chez un pédiatre libéral. Il me paraît important d'avoir au moins quelques informations sur ces questions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons reçu la PMI le 24 septembre. Pourquoi cette recrudescence en sortie de confinement ? Donnez-nous les raisons que vous voyez apparaître.

Permalien
Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant

Il serait malhonnête de ma part de prétendre en connaître les raisons. Nous nous sommes constitués parties civiles dès l'ouverture des instructions, afin d'essayer de comprendre. Il s'agit essentiellement de bébés (moins de 3 ans), dont un a été jeté par la fenêtre ; d'autres sont décédés sous les coups, soit des situations absolument dramatiques. S'agit-il de compensations ? Nous ne le savons pas. Au cours de l'instruction, les expertises nous permettront de comprendre ce qui a pu amener un père ou une mère à porter de tels actes sur son enfant. Pour le moment, nous ne disposons pas encore de suffisamment d'informations.

Il est en revanche certain qu'actuellement, il ne s'écoule pas de semaine sans révélations de violences, d'informations préoccupantes ou de signalements dans les CRIP. J'étais récemment aux côtés de la responsable d'unité d'Orléans, qui accueillait une petite fille. Personne n'avait vu qu'elle était couverte de bleus ; ce n'est qu'en la déshabillant, à l'unité d'accueil, que l'on s'en est aperçu. Nul ne pouvait frôler cette petite tellement elle était en souffrance. Or elle ne disait pas sa souffrance.

Un important travail de visite doit donc être mené, avec l'aide de l'Éducation nationale et de la médecine scolaire, mais nous allons de nouveau être confrontés à l'absence d'infirmier et de médecin scolaire. Après le confinement et durant la période de crise sanitaire, il faut absolument que l'Éducation nationale renforce la médecine scolaire. En effet, si l'on déshabille certains enfants, nous nous apercevrons de leur grande souffrance.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il reste encore la question de la parole entre 0 et 3 ans, sur laquelle nous devons progresser.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais saluer votre présence avec nous aujourd'hui. Vos actions de prévention, de repérage, de signalement et d'accompagnement sont précieuses pour la société ; elles sont même vitales pour les enfants qui se trouvent dans les situations les plus difficiles. À ce titre, je tiens à vous remercier pour ce que vous faites, au quotidien, pour protéger les trop nombreux enfants qui sont victimes de violences de toute nature, physiques et/ou psychiques.

Le mardi 6 octobre correspondait à la Journée nationale des aidants. Parmi eux, de nombreux enfants et jeunes aident quotidiennement un parent, un proche en situation de handicap ou gravement malade. Ces enfants sont confrontés à une forme de violence, celle d'endosser des responsabilités importantes pour leur âge, souvent au détriment d'activités sociales, sportives et culturelles propres à leur jeunesse. J'aimerais donc savoir si vous accompagnez ces jeunes aidants, et si oui, comment, et savoir si pendant la crise sanitaire, avec la fermeture des établissements d'accueil médico-sociaux et les difficultés d'accès aux soins hospitaliers, vous avez reçu plus d'appels de la part de ce public. Quelles réponses avez-vous pu leur apporter ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie individuellement et collectivement ; je remercie tous les bénévoles et associations que vous représentez. Bravo à l'Enfant bleu pour le dispositif mis en place pendant la période de confinement, afin de renforcer notamment les équipes du 119 ! Bravo à la Voix de l'enfant pour tout cet accompagnement auprès des plus précaires notamment ! Nous avons été en contact pendant le confinement et je sais à quel point vos actions ont été précieuses pour accompagner ceux qui ont la plus petite voix, ainsi que leurs familles.

J'aurais un bouquet de questions, mais vais me limiter à trois. Tout d'abord, en ce qui concerne le 119, grâce aux différentes campagnes et malgré le fait que les écoles ne fonctionnaient pas, ce numéro s'est progressivement mieux fait connaître et a reçu toujours plus d'appels. Néanmoins, le recueil des informations préoccupantes par les CRIP, qui pour beaucoup fonctionnaient en mode dégradé, peut interroger. Face à une recrudescence d'appels au 119, comment s'assurer, au niveau des CRIP, que toutes les informations sont bien traitées ? En effet, si toute la chaîne n'est pas couverte, nous risquons une perte en ligne, au détriment des enfants.

Ensuite, en ce qui concerne les violences psychologiques et physiques, une très belle campagne a eu lieu sur les violences faites aux femmes, mais suite au confinement, nous ne disposons pas de chiffres relatifs aux violences faites aux enfants. Comment pouvons-nous faire, au-delà de ce qui est mis en place par vos associations et par les écoles, pour mieux recueillir la parole des enfants qui ont été victimes de violences, sachant qu'elle est en train de se libérer ?

Enfin ma dernière question, qui concernait les mineurs non accompagnés (MNA), serait trop longue ; je la réserverai donc pour une autre audition.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je tiens à féliciter Mme la présidente et Mme la rapporteure pour toutes ces auditions, au cours desquelles nous apprenons beaucoup, et remercier les associations pour leur présence ce matin.

La crise est partie pour durer. Le Président a parlé d'une certaine forme de résilience de notre société au sens large, et de nos jeunes en particulier. Nous dressons beaucoup d'états des lieux de la situation sanitaire : la maladie d'abord, les défenses immunitaires, une certaine forme d'anxiété de la société, des problèmes de sommeil entre autres. Je souhaitais toutefois vous pousser dans vos retranchements à propos de la prévention. Vous en avez parlé, mais j'aimerais que nous allions encore plus loin.

Mme Debré, vous nous avez parlé d'accompagnant psychologique : sur quels types d'outils, quelles modalités ? Que préconisez-vous, en ayant en tête la prévention primaire ? Que fait-on pour que tous ces cas de violence ne surgissent pas de nouveau demain ?

Ma deuxième question s'adresse à Mme Brousse. Je sais que vous militez pour un développement des unités médico-judiciaires (UMJ) et nous nous verrons le mois prochain pour tenter de lancer une UMJ à Redon dans les mois ou années à venir. Le plus tôt sera le mieux. Comment les UMJ peuvent-elles être une donnée d'entrée au titre de cette importante prévention primaire ? Comment aller chercher, dans ces situations-là, des données pour que les violences n'augmentent pas et si possible, diminuent ?

M. Dennery, vous nous avez parlé des parents violents et je voudrais savoir comment nous pouvons les aider à « prendre le temps de respirer ». En effet, cela s'apprend. Il s'agit pour moi de l'une des premières préventions, c'est pourquoi je voudrais savoir comment vous pouvez accompagner les parents dans cet apprentissage de la respiration.

Mme Colombel, sur votre site, vous parlez beaucoup de kits de prévention dans les écoles, ce qui va me permettre de faire la transition avec l'Éducation nationale. Vous indiquez intervenir dans les écoles, mais j'aimerais savoir à quelle hauteur. Combien d'écoles françaises ont pu bénéficier de vos services sur la prévention ? Est-ce significatif ? Qu'est-ce que cela apporte ?

Pour finir, je voudrais féliciter l'ensemble des professeurs. Je serais véhément envers l'institution, plutôt qu'envers les professeurs, parce que nous sommes dans une forme de carcan. Nous avons, durant l'été, organisé une large consultation des professeurs et constaté qu'ils font montre d'un énorme engagement et d'un fantastique sens du travail. Ils veulent voir leurs élèves progresser, ils veulent les protéger, mais un carcan ne le leur permet pas. Vous avez parlé d'écoles ouvertes, de partenariats, de « faire rentrer » : comment ? Nous en parlerons évidemment avec le ministre, mais comment pourriez-vous participer au Grenelle de l'Éducation qui démarrera jeudi prochain ? En effet, il me paraît important que vous puissiez apporter votre regard d'associations militantes, au sens le plus noble du terme. Je voudrais donc vous aider à ouvrir les portes de ce Grenelle de l'Éducation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ceux qui nous ont parlé des campements, des habitats précaires, des bidonvilles sont aussi des professeurs qui avaient accès à ces populations, que l'on n'aborde pas au prétexte que l'on tient un colis alimentaire entre les mains. Or ils étaient bien entendu accueillis par des remerciements pour les colis alimentaires, mais aussi par une question : quand est-ce que l'école reprend ? Il faudra que nous en parlions. J'aurais moi aussi quelques questions à vous poser sur les enfants des habitats précaires.

Permalien
Isabelle Debré, présidente de l'Enfant bleu – Enfance maltraitée

L'enfant qui est pris en charge par l'association bénéficie d'un accompagnement psychologique, tout le temps nécessaire. Il sera suivi par une psychologue formée aux psychotraumatismes.

Par ailleurs, une psychologue se rend dans les écoles. Nous sensibilisons environ 4 000 enfants chaque année, ce qui n'est pas suffisant. Comme Enfance et Partage, et même si nous n'utilisons pas le même outil, nous voudrions développer ces sensibilisations, sachant que nous ne sommes pas trop de deux associations pour mailler notre territoire. Nous sommes vraiment complémentaires et le territoire est vaste. Nous devons réussir à nous approcher le plus près possible des enfants via l'Éducation nationale, le milieu sportif et le milieu associatif également. Ces psychologues doivent être formés à la psychotraumatologie ; c'est très important.

Permalien
Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant

J'ai souligné que le nombre d'enfants tués pendant le confinement a été moindre qu'à d'autres périodes, mais je n'ai pas dit que les violences avaient décru. Les forces de l'ordre sont simplement intervenues beaucoup plus rapidement.

En ce qui concerne les appels au 119 et leurs renvois vers les CRIP, Mme Blain sera tout à fait à même de vous répondre, parce que l'Observatoire national de protection de l'enfant (ONPE) a déjà mené une étude sur ces questions.

Les unités d'accueil travaillent de façon pluridisciplinaire : elles partent du procureur et associent l'hôpital, les médecins et les enquêteurs. Je tiens d'ailleurs à souligner que moins de 25 % des enfants sont auditionnés par des policiers. Le secrétaire d'État en est informé. Nous faisons en effet face à un refus de la police de se rendre dans les unités d'accueil, ce qui constitue un véritable problème. En effet, en tant que partie civile, nous constatons la différence entre une audition menée par un gendarme, ou même par un policier, au sein d'une unité d'accueil et ce qui se passe dans un commissariat de police. Il n'est pas acceptable que l'on continue à amener des enfants dans un commissariat de police ou dans une gendarmerie, au milieu de quantité d'autres personnes mises en cause. Je tiens quand même à le souligner, car cela ne nous permet pas de faire de la prévention.

Dernièrement, une petite de 4 ans a parlé à quelqu'un qui lui était proche, mais quand elle est arrivée au commissariat de police, elle a refusé de parler, malgré la présence de peluches. Sachez qu'aujourd'hui, la police est en train d'échanger ses peluches contre des chiens : nous avons en effet eu la bonne unité d'introduire un chien dans une unité d'accueil, mais dans le cadre d'un programme préparé pendant quinze mois, et désormais, on nous annonce qu'il y aura des chiens dans tous les commissariats de police ! Il va falloir que nous réagissions.

Nous pensons que les unités d'accueil peuvent constituer un bon outil de prévention parce qu'elles emportent une formation déclinée à deux niveaux : la formation concerne d'abord les intervenants au sein des unités, puis ces formateurs vont vers le milieu social, éducatif et sportif, au niveau local. Il ne faut plus que les formations arrivent de Paris. Nous formons localement, au sein des unités d'accueil, les médecins, les magistrats, les enquêteurs et autres, puis ils partent à la rencontre des enseignants. En premier lieu, ils apprennent à se connaître, car la prévention s'entend aussi en termes de réseautage. Les unités constituent donc, pour nous, l'un des outils de la prévention, parce qu'elles apportent de la formation et de l'information.

Enfin, sachant que les familles passent beaucoup de temps devant les écrans, une vraie mobilisation des chaînes, mais aussi des réseaux que fréquentent les jeunes, s'avère nécessaire autour du 119.

Permalien
Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l'enfance

En évoquant la question des enfants aidants, vous levez le voile sur un sujet qui n'est absolument pas pris en compte aujourd'hui et s'avère peut-être en partie nouveau, du fait de l'augmentation de la prévalence de certains handicaps. Certains enfants se retrouvent en situation de devoir accompagner leurs frères et sœurs handicapés. Je connais bien ce sujet puisque je préside par ailleurs une association du champ de l'autisme, or je constate que si les psychologues commencent à s'y intéresser, au regard des souffrances de la fratrie, nous n'avons pas encore mesuré tous les enjeux de ce sujet. Il mériterait donc d'être davantage creusé.

En ce qui concerne l'accompagnement des parents, je parle de parents en réelles difficultés qui malheureusement, correspondent à ceux qui composent l'audience de l'émission Super Nanny. Ils sont complètement désœuvrés et en incapacité d'assumer leur rôle éducatif. Je précise que nous avons déjà alerté TF1 sur l'image des enfants et le droit de l'enfant à gérer sa propre image, qui à notre sens, n'est pas toujours respecté dans cette émission, même si les conseils de Super Nanny sont bienveillants. Cependant, il n'existe pas encore, en France, suffisamment de dispositifs de formation évalués pour les parents en situation d'incapacité éducative. C'est pourquoi nous accompagnons la fondation Le Prado, implantée à Lyon, et plus particulièrement son programme inspiré d'un programme canadien et appelé « Ces années incroyables », dont les évaluations ont mis en exergue la grande efficacité. En France, ce programme sera évalué par le CNRS, à l'occasion de l'expérimentation du Prado. Nous finançons donc le développement de cette expérimentation. Elle avait d'ailleurs déjà été repérée en 2010 ou 2011, dans le rapport du Centre d'analyse stratégique relatif aux aides à la parentalité qui fonctionnent bien à travers le monde.

Enfin, s'agissant des parents qui se trouvent peut-être dans une moindre difficulté, mais ont quand même du mal à trouver le temps de respirer, je pense à deux lieux qui ne sont pas suffisamment impliqués actuellement, à savoir les crèches, car les difficultés éducatives peuvent être très précoces, et les entreprises, où l'on peut créer des temps de respiration, de parole et d'échanges entre parents sur ces sujets. Dès lors que l'on commence à en parler, on commence à réfléchir et la respiration arrive assez vite.

Permalien
Martine Colombel

En termes de prévention dans les établissements scolaires, nos chiffres sont à peu près les mêmes que ceux de l'Enfant bleu, soit environ 5 000 élèves sensibilisés chaque année. Nous menons ces actions depuis 2007.

Bien évidemment, nous sommes grandement intéressés par le Grenelle de l'Éducation. En effet, nous disposons de nouveaux outils destinés aux adolescents, à savoirdes clips que nous venons de réactualiser, qui s'avèrent vraiment pertinents.

Nous effectuons aussi de l'accompagnement psychologique, depuis les années 2000. Nos psychologues sont des cliniciens spécialisés dans la victimologie. Ils reçoivent les enfants dans leurs propres cabinets. À plusieurs reprises, j'ai fait passer le message à différentes institutions, notamment au Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) puisque nous faisons partie de la commission sur les besoins fondamentaux de l'enfant : les centres médico-psychologiques (CMP) étant surchargés (les délais d'attente peuvent atteindre six à huit mois), j'avais proposé qu'Enfance et Partage serve de relais. Je n'ai eu aucun retour. Il me paraît vraiment dommage que nous ne puissions pas travailler ensemble pour aider ces mineurs victimes.

Enfin, je voudrais revenir sur les dessins d'enfants à propos des violences conjugales. Le rapport 2019 de l'ONPE ou de l'IGAS, je ne sais plus, relate 25 décès d'enfants lors de violences conjugales. Trois enfants sont même morts par vengeance, et notamment une jeune adolescente d'Avignon, qui, cet été, a été noyée par son père qui entendait ainsi se venger de sa mère. Je voudrais vraiment que l'on se penche sur la situation de ces enfants qui sont victimes de violences conjugales ; on tue son propre enfant pour se venger : c'est épouvantable.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Je vous remercie d'avoir introduit le problème plus vulgaire et plus classique du divorce, qui me paraît être le parent oublié de la protection de l'enfance. Il s'agit de maltraitance ordinaire, d'arrachements, de luttes qui certes peuvent devenir des faits divers, mais en amont, quels dégâts considérables ! Indiquez-nous quelles auditions nous pouvons mener pour parler aussi de cet énorme sujet peu renseigné que sont les parents qui divorcent, ce qui en soi constitue déjà une violence. Les CPE nous alertent depuis des années puisqu'ils reçoivent des centaines de jeunes et adolescents, qui sont victimes, mais pas forcément battus et continuent à vivre dans leur famille. Nous souhaitons un conseil pour pouvoir toucher aussi tous ces enfants-là.

Permalien
Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant

S'agissant des CRIP, Mme Blain expliquera le système mis en place entre les appels au 119, leur traitement par les CRIP et leur retour au 119. Il est vrai que pendant cette période, au sein même des CRIP, des adultes ont été touchés et nous n'avons pas eu la possibilité, comme au 119, de mettre immédiatement les personnes en télétravail.

Vous avez par ailleurs effleuré le terme de MNA. Sachez que la Voix de l'enfant compte deux associations, dont une qui serait peut-être intéressante à auditionner et s'appelle La Vie active, dans le Pas-de-Calais. Elle a stabilisé plus de 160 mineurs isolés, a traversé le confinement et était en charge, au sein de la « jungle », à la fois des conteneurs et du Centre Jules Ferry dédié aux mères et à leurs enfants. Ensuite, il ne faut pas non plus oublier la communauté des Roms, que j'appelle ainsi volontairement. Nous travaillons en effet à Chevilly-Larue, au sein de plusieurs camps de Roms. Nous avons accompagné des familles remarquables, qui souhaitaient que leurs enfants puissent bénéficier de l'école dans le camp. Il faut aussi rendre hommage à toutes ces familles qui se sont mobilisées pour leurs enfants, malgré leurs difficultés et leur précarité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Nous avons également constaté un respect absolu de l'ancêtre et de la personne âgée dans tous ces endroits. Or la promiscuité est également incroyable dans ces bidonvilles sans eau ni savon, et pourtant, leurs habitants réclamaient la continuité scolaire, ce qui s'avère effectivement assez remarquable.

Tous ces enfants des habitats précaires se sont retrouvés relativement livrés à eux-mêmes, puisque leurs éducateurs étaient confinés. Il convient aussi de citer les enfants des gens du voyage, soit une communauté qui a tellement peur de la maladie que l'approche ne peut être la même, mais également les enfants des bidonvilles et des squats, tous ces enfants de parents dont la présence sur le territoire n'est pas encore légale, mais dont les enfants se rendent à l'école chez nous depuis dix ans et sont parfois les premiers de la classe. Avez-vous accès à tous ces enfants-là ? Si même l'aide alimentaire n'arrive pas parce qu'ils ne sont pas répertoriés, que dire de l'école ? Quelle est votre position par rapport aux enfants des habitats précaires ?

Permalien
Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant

Je peux parler au nom de nos associations, dont La Vie active dans le Pas-de-Calais, et de nos associations de quartier dans les 18e, 19e et 20e arrondissements. Il est formidable de constater, chez ces enfants et jeunes, que lorsqu'ils ont donné leur confiance, il est possible de discuter, d'aller sur le terrain avec eux. Nous nous sommes aussi rendus à Chevilly-Larue, dans les camps de familles roms.

Aujourd'hui, il faut aider les associations. L'urgence nous a amenés à distribuer du savon, du shampoing, etc. ; il ne s'agissait pas de dons, mais de gestes naturels. Le masque que je porte aujourd'hui a d'ailleurs été fabriqué par des mamans, à qui nous avons simplement fourni trois machines à coudre et du tissu offert par un donateur. Elles ont souhaité se rendre utiles et ont fabriqué des masques pour la rentrée scolaire, à l'intention des enfants du camp et des alentours. Elles ont fait montre d'une vraie solidarité, qui mérite d'être soulignée, d'où l'importance de l'aide à apporter aux associations de quartier qui ont directement accès à ces familles.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. La crise a permis de les rendre plus visibles, ce qui constitue tout de même une très bonne nouvelle. Ces enfants sont affamés intellectuellement : ils ont besoin d'être nourris par l'école, ils sont extrêmement avides de savoir lire, calculer, et de tout ce que nous pouvons leur apporter. Telle était aussi la belle découverte du confinement, d'autant que les enseignants, eux, n'avaient pas lâché ces enfants-là.

Permalien
Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant

Il était extraordinaire de les voir se préparer pour la rentrée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. L'école redevenait le paradis. Voilà une belle leçon de l'histoire.

Permalien
Isabelle Debré, présidente de l'Enfant bleu – Enfance maltraitée

Nous oublions trop ces enfants qui n'ont pas eu accès à certaines nourritures, d'où les distributions de repas organisées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Je voulais rester sur une note positive, c'est pourquoi je parlais de l'appétit intellectuel et méconnu de ces enfants. En effet, tout ce que l'on entend sur les mineurs non accompagnés contredit l'image qu'ils nous renvoient, à savoir celle d'enfants extrêmement motivés pour travailler et s'en sortir, et même beaucoup plus que les nôtres.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ces enfants qui vivent la plupart du temps dans des camps instables, dont ils sont parfois expulsés, ont aussi besoin de mesures de stabilisation. Or des expériences intéressantes sont en cours, comme des accords passés entre les villes et les préfectures : la ville crée des appartements relais au sein desquels les familles s'installent, puis la préfecture les loge définitivement, ce qui offre de la stabilité aux enfants qui n'ont pas à changer d'école.

Tel est également le cas pour les enfants des familles « du 115 » - quel terrible terme -, qui se voient loger dans des hôtels très éloignés des écoles : les enfants sont alors déscolarisés ou partent à six heures du matin pour pouvoir rejoindre leurs lieux de scolarisation. Je pense donc que pour eux aussi, il conviendra de se pencher sur des mesures très concrètes, puisque, selon une loi en préparation, l'école va devenir obligatoire dès l'âge de 3 ans, mais encore faut-il que les enfants soient logés près des écoles.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Encore faut-il également assurer la trêve en matière d'expulsions et prendre en compte le fait qu'un enfant est un enfant, et qu'il s'avère déjà extrêmement compliqué de survivre intellectuellement et physiquement, dans un hôtel social. Pendant le confinement, rien n'aurait été possible sans les associations et leur foi chevillée au corps, avant même l'État et les préfectures, parce qu'elles avaient déjà accès à ces populations. Nous avons du mal à imaginer comment il est possible de grandir dans ces conditions-là.

Je pense donc que nombre de sujets méritent d'être abordés sous un angle extrêmement positif, à savoir la plus-value de ces enfants-là pour la France, des enfants volontaires, créatifs, dégourdis, voire survivants. De quelle manière peut-on désenclaver pour ne pas en faire de jeunes délinquants ? Cela paraît évident, mais nous devons construire ce qui peut accompagner cette richesse.

Je vous remercie beaucoup d'être venus parmi nous.

La réunion se termine à dix heures quarante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 9 heures

Présents. – Mme Marie-George Buffet, Mme Anissa Khedher, M. Gaël Le Bohec, Mme Sandrine Mörch, Mme Florence Provendier, Mme Sylvie Tolmont