Intervention de Vincent Le Beguec

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 11h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale :

Le confinement s'est traduit par une quasi-disparition de la délinquance de voie publique, puisqu'il n'y avait plus personne sur la voie publique et que tous les déplacements des Français étaient contrôlés par les forces de sécurité. Nous avons donc constaté une baisse très significative de l'ensemble des indicateurs liés à la délinquance de voie publique, mais également une forte chute des cambriolages, puisque les Français restaient à la maison. Les délinquants étaient gênés dans leurs déplacements et fréquemment contrôlés, ce qui a eu un effet bénéfique sur la statistique des faits enregistrés par les services de police.

Très rapidement, nous avons anticipé la problématique des violences intrafamiliales. Les familles françaises restant à la maison, tous les départements ministériels du Gouvernement ont anticipé une problématique liée aux violences intrafamiliales et une augmentation des faits pendant cette période de tension dans les familles. Le ministère de l'Intérieur a donc adapté son dispositif.

Il convient toutefois d'avoir à l'esprit qu'en matière de violences et d'homicides, nous ne recensons de manière spécifique que les homicides de mineurs de moins de 15 ans, ainsi que les coups et blessures volontaires commis sur les moins de 15 ans. La tranche des 16-17 ans s'avère donc incluse dans les statistiques générales en matière de coups et blessures volontaires (CBV) et d'homicides.

La police nationale a tout d'abord enregistré une baisse des homicides (20 homicides sur mineur de moins de 15 ans sur les neuf premiers mois de l'année 2019, contre 16 sur les neuf premiers mois de l'année 2020). Nous avons ensuite constaté une baisse de 15 % des violences, mauvais traitements et abandons d'enfants (25 000 faits enregistrés en 2019 contre 21 000 en 2020). En revanche, les viols sur mineurs ont crû de plus de 4 %, passant de 3 900 faits enregistrés en 2019 à 4 000 en 2020. De la même manière, les harcèlements sur mineurs ont diminué de manière assez importante (-11 %), puisque nous avons enregistré 5 900 faits en 2020, contre quelque 6 700 en 2019.

Nos indicateurs s'avèrent donc plutôt orientés à la baisse sur l'année 2020, mais la période de confinement (17 mars-10 mai) a tout de même été très atypique. Nous avons ainsi observé une diminution assez sensible des plaintes enregistrées par les services de police, mais lorsque le service statistique ministériel a, en juillet, réalisé une étude, nous nous sommes aperçus que cette baisse n'était pas confirmée, puisque nous enregistrions alors une augmentation de 4 % des faits de CBV commis sur les plus de 15 ans, alors que l'ensemble des CBV se présentait en baisse de 28 % sur la période de confinement. Ces écarts s'expliquent vraisemblablement par un décalage dans l'enregistrement des plaintes. Il convient donc de retenir que pendant la période de confinement, les CBV ont diminué d'une manière générale, alors que les VIF augmentaient de 4 %. Il s'agit clairement d'une évolution atypique : dans un mouvement général de baisse de l'ensemble des indicateurs liés à la délinquance, nous avons connu une augmentation des violences dans la sphère familiale.

Nous avons par ailleurs constaté une plus forte sollicitation des outils de communication entre la population et les services de police. Celle-ci était d'ailleurs souhaitée par le ministère, qui a largement communiqué sur tous les dispositifs d'alerte. La priorité pour les services de police consistait en effet à maintenir le lien entre eux et les victimes de VIF, en mettant à disposition des moyens importants et renforcés afin qu'ils puissent signaler leur présence et justifier des interventions, ainsi que la mise en œuvre de procédures judiciaires. La plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes a vu son activité multipliée par 3,5 durant la période de confinement. 2 900 conversations électroniques (chats) ont entraîné 1 200 signalements sur des faits qui méritaient d'être orientés vers un service d'enquête en vue d'une prise de plainte ; ces chats ont en outre généré plus de 180 interventions urgentes à domicile.

Nous avons également repéré, durant cette période, une augmentation significative des appels pour violences conjugales. Avant le confinement, les violences conjugales représentaient environ 30 % de l'activité de la plateforme ; durant le confinement, leur part a dépassé 50 % et même atteint, sur certaines semaines, 60 % de l'activité totale. Nous avons donc immédiatement perçu le réel besoin des victimes de violences conjugales et intrafamiliales d'entrer en contact avec les services de police. Peu de contacts concernaient des violences contre les enfants (2 % des chats, soit la part habituelle). Les femmes, principales victimes des violences conjugales, ont donc plus fortement sollicité la plateforme, ce qui n'a pas été le cas des mineurs.

Les tensions dans les foyers se sont également traduites par une importante augmentation des interventions de police secours dans les domiciles. Nous avons ainsi constaté une augmentation de près de 30 % des interventions dans la sphère familiale, principalement en raison des différends entre époux. Plus de 41 000 interventions ont été réalisées à domicile au titre de violences intrafamiliales, contre 32 000 sur la même période de l'année 2019. Pourquoi une telle augmentation ? Parce que les tensions étaient plus fortes dans les foyers, mais aussi parce que nous avons reçu beaucoup plus d'appels de voisins et de riverains, nous signalant des phénomènes de tension. Il ne s'agissait pas nécessairement de violences, mais souvent, de disputes directement liées à une consommation d'alcool parfois excessive. Le simple transport des services de police au sein du foyer suffisait, dans la majorité des cas, à ramener le calme. Toutes les interventions ne se sont donc pas traduites par des plaintes.

Or cette forte augmentation des interventions de police secours correspondait à la volonté du ministère de l'Intérieur de renforcer tous les dispositifs d'alerte (plateforme du 17 Police secours, plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes). Nous avons également fortement renforcé nos dispositifs d'alerte sur les réseaux sociaux et diffusé le message suivant à l'intention des victimes : la police ne ferme pas durant le confinement. Même si le nombre de commissariats ouverts 24 heures sur 24 a pu être réduit, la police est demeurée joignable et susceptible d'intervenir à tout moment, le souhait étant de ne pas rompre le lien entre les victimes d'infractions et la police nationale. Tel a été le message constamment diffusé durant cette période, notamment sur les réseaux sociaux, ce qui a d'ailleurs entraîné une forte sollicitation des plateformes téléphoniques et des plateformes de chats.

Nous avons par ailleurs mis en place des dispositifs spécifiques et tout d'abord, mobilisé le 114 (à l'origine dédié aux malentendants) sur la gestion des SMS. Les services de police et de gendarmerie ont d'ailleurs reçu, via cette plateforme, 140 signalements relatifs à des violences conjugales. Un dispositif a également été mis en place dans les pharmacies, dans le cadre d'une convention signée entre le ministère de l'Intérieur et l'Ordre national des pharmaciens, permettant aux victimes de violences conjugales de signaler leur présence, en vue d'une mise en relation avec les forces de sécurité intérieure. Ce dispositif a bien fonctionné, mais n'a généré que huit interventions, donnant ensuite lieu à cinq interpellations. Enfin, le dernier dispositif innovant mis en place correspondait à des points de contact temporaires installés dans certains centres commerciaux.

Ainsi, dès le début du confinement, le ministère de l'Intérieur a donné des instructions très claires aux directions générales, afin de mobiliser l'ensemble des services, de prioriser le traitement des VIF et de maintenir un traitement en temps réel des procédures, ce qui a été le cas. Les directeurs généraux ont en effet décliné ces instructions dans leurs organisations et la chaîne pénale a pu fonctionner de manière à peu près classique. Les parquets ont maintenu leurs traitements habituels de ce type de violences. En parallèle, les services ont mis en place des suivis individualisés des victimes, qui se traduisaient par des appels téléphoniques et des passages au domicile de personnes précédemment identifiées comme victimes de violences conjugales, soit une approche proactive qui a permis d'aller à leur contact, de tenter d'évaluer leur situation et d'identifier la nécessité de mettre en œuvre des procédures judiciaires. Des patrouilles avaient été dédiées à cette prise de contact avec les familles signalées et à la mise en place de suivis au bénéfice de victimes déjà identifiées.

Nous avons néanmoins rencontré des difficultés durant cette période. En effet, dans le cadre du traitement des violences intrafamiliales et conjugales, les services de police travaillent en étroit partenariat avec des associations, des psychologues et des travailleurs sociaux présents dans les commissariats. Or ces partenaires ont beaucoup télétravaillé, d'où une diminution des contacts physiques entre les diverses associations d'aide aux victimes et les services de police. Ce développement du télétravail a nécessairement nui à la qualité de la relation avec les victimes, mais s'avérait inévitable durant cette période très particulière. La prise en charge des victimes s'est donc complexifiée, les services de police rencontrant plus de difficultés pour obtenir des hébergements d'urgence notamment. Le traitement des situations d'urgence ne s'est pas dégradé, ni au niveau des services de police ni au niveau de l'autorité judiciaire, mais il a été plus compliqué de recourir au réseau des partenaires habituels.

En résumé, la période de confinement s'est caractérisée par une forte sollicitation des services de police sur les violences intrafamiliales de manière générale et par un traitement priorisé de ces violences, dans un cadre général dégradé en termes de partenariats notamment.

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