Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 11h45

Résumé de la réunion

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La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 8 octobre 2020

La séance est ouverte à onze heures quarante-cinq.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

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Nous achevons cette matinée d'auditions en recevant des représentants de la police nationale et de la gendarmerie nationale, qui nous apporteront notamment leur éclairage sur la prise en charge des enfants et adolescents victimes de violences intrafamiliales.

Sur les 122 mineurs victimes d'infanticide en 2018, 80 sont décédés dans le cadre intrafamilial et deux tiers des victimes étaient des enfants de moins de 5 ans, c'est pourquoi la crainte était grande que le confinement soit un terrain propice à l'accroissement des violences intrafamiliales. Nous avons ainsi pu constater une hausse considérable des appels au 119 et le nombre d'informations préoccupantes adressées par le 119 aux services départementaux de protection de l'enfance a crû de 30 %. Entre le 18 mars et le 10 mai 2020, 55 % des appels pris par les écoutants du 119 ont donné lieu à des informations préoccupantes, contre 49 % à la même période en 2019.

Si la première mission des forces de l'ordre, à compter du 17 mars dernier, a consisté à contrôler le respect de l'obligation de confinement par nos concitoyens, la prévention et la lutte contre les violences intrafamiliales ont également correspondu à une tâche essentielle, dans le contexte exceptionnel du confinement.

Nous souhaiterions donc vous entendre sur l'évolution des violences intrafamiliales pendant la période de confinement, sur l'action des forces de l'ordre, sur l'articulation entre votre action et celle de la justice, ainsi que sur les possibilités d'hébergement et de prise en charge des victimes de violences intrafamiliales. Des dispositifs spécifiques ont été mis en place pour permettre leur signalement pendant le confinement, tels que l'envoi de SMS au 114 pour pouvoir appeler au secours sans se faire entendre, en plus du 17 et des plateformes de signalement, ou encore la mise en place d'un dispositif d'alerte dans les pharmacies et de points d'accompagnement éphémères dans des centres commerciaux. Vous pourrez nous indiquer si ces dispositifs ont bien fonctionné et exposer vos propositions pour améliorer la prévention des violences intrafamiliales.

Nous tenions beaucoup à vous auditionner parce qu'en tant qu'ancienne journaliste, je considère que, sur le terrain, vous faites presque partie de ceux qui rentrent le plus dans les foyers. Vous avez l'oreille et l'œil aiguisés sur tout ce qu'il s'y passe à huis clos. En toute franchise, vous pourrez donc nous dire si tout ce que vous constatez est bien pris en compte.

Comme l'impose à toute personne auditionnée par une commission d'enquête, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais maintenant vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

Je le jure.

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Je le jure.

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

Je vous remercie d'avoir invité la direction générale de la police nationale (DGPN) dans le cadre de vos travaux sur un sujet important, qui mobilise beaucoup les services de police et de gendarmerie. Je ne m'exprimerai que pour la police nationale, mais l'effort est commun, au travers d'une très forte mobilisation de l'ensemble du ministère de l'Intérieur autour de la problématique des violences intrafamiliales (VIF) de manière générale, des violences conjugales plus précisément et des violences commises au préjudice des mineurs également.

La période de crise sanitaire s'est avérée très atypique pour l'ensemble des Français, comme pour les services de police qui ont dû s'adapter très rapidement à une situation inédite, dont les conséquences ont été importantes sur les phénomènes de délinquance et de criminalité.

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. En préalable, je vous demanderais d'être extrêmement concret, de nous expliquer à quelles situations vous avez fait face, ce qui nous permettra de mieux les incarner.

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

Le confinement s'est traduit par une quasi-disparition de la délinquance de voie publique, puisqu'il n'y avait plus personne sur la voie publique et que tous les déplacements des Français étaient contrôlés par les forces de sécurité. Nous avons donc constaté une baisse très significative de l'ensemble des indicateurs liés à la délinquance de voie publique, mais également une forte chute des cambriolages, puisque les Français restaient à la maison. Les délinquants étaient gênés dans leurs déplacements et fréquemment contrôlés, ce qui a eu un effet bénéfique sur la statistique des faits enregistrés par les services de police.

Très rapidement, nous avons anticipé la problématique des violences intrafamiliales. Les familles françaises restant à la maison, tous les départements ministériels du Gouvernement ont anticipé une problématique liée aux violences intrafamiliales et une augmentation des faits pendant cette période de tension dans les familles. Le ministère de l'Intérieur a donc adapté son dispositif.

Il convient toutefois d'avoir à l'esprit qu'en matière de violences et d'homicides, nous ne recensons de manière spécifique que les homicides de mineurs de moins de 15 ans, ainsi que les coups et blessures volontaires commis sur les moins de 15 ans. La tranche des 16-17 ans s'avère donc incluse dans les statistiques générales en matière de coups et blessures volontaires (CBV) et d'homicides.

La police nationale a tout d'abord enregistré une baisse des homicides (20 homicides sur mineur de moins de 15 ans sur les neuf premiers mois de l'année 2019, contre 16 sur les neuf premiers mois de l'année 2020). Nous avons ensuite constaté une baisse de 15 % des violences, mauvais traitements et abandons d'enfants (25 000 faits enregistrés en 2019 contre 21 000 en 2020). En revanche, les viols sur mineurs ont crû de plus de 4 %, passant de 3 900 faits enregistrés en 2019 à 4 000 en 2020. De la même manière, les harcèlements sur mineurs ont diminué de manière assez importante (-11 %), puisque nous avons enregistré 5 900 faits en 2020, contre quelque 6 700 en 2019.

Nos indicateurs s'avèrent donc plutôt orientés à la baisse sur l'année 2020, mais la période de confinement (17 mars-10 mai) a tout de même été très atypique. Nous avons ainsi observé une diminution assez sensible des plaintes enregistrées par les services de police, mais lorsque le service statistique ministériel a, en juillet, réalisé une étude, nous nous sommes aperçus que cette baisse n'était pas confirmée, puisque nous enregistrions alors une augmentation de 4 % des faits de CBV commis sur les plus de 15 ans, alors que l'ensemble des CBV se présentait en baisse de 28 % sur la période de confinement. Ces écarts s'expliquent vraisemblablement par un décalage dans l'enregistrement des plaintes. Il convient donc de retenir que pendant la période de confinement, les CBV ont diminué d'une manière générale, alors que les VIF augmentaient de 4 %. Il s'agit clairement d'une évolution atypique : dans un mouvement général de baisse de l'ensemble des indicateurs liés à la délinquance, nous avons connu une augmentation des violences dans la sphère familiale.

Nous avons par ailleurs constaté une plus forte sollicitation des outils de communication entre la population et les services de police. Celle-ci était d'ailleurs souhaitée par le ministère, qui a largement communiqué sur tous les dispositifs d'alerte. La priorité pour les services de police consistait en effet à maintenir le lien entre eux et les victimes de VIF, en mettant à disposition des moyens importants et renforcés afin qu'ils puissent signaler leur présence et justifier des interventions, ainsi que la mise en œuvre de procédures judiciaires. La plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes a vu son activité multipliée par 3,5 durant la période de confinement. 2 900 conversations électroniques (chats) ont entraîné 1 200 signalements sur des faits qui méritaient d'être orientés vers un service d'enquête en vue d'une prise de plainte ; ces chats ont en outre généré plus de 180 interventions urgentes à domicile.

Nous avons également repéré, durant cette période, une augmentation significative des appels pour violences conjugales. Avant le confinement, les violences conjugales représentaient environ 30 % de l'activité de la plateforme ; durant le confinement, leur part a dépassé 50 % et même atteint, sur certaines semaines, 60 % de l'activité totale. Nous avons donc immédiatement perçu le réel besoin des victimes de violences conjugales et intrafamiliales d'entrer en contact avec les services de police. Peu de contacts concernaient des violences contre les enfants (2 % des chats, soit la part habituelle). Les femmes, principales victimes des violences conjugales, ont donc plus fortement sollicité la plateforme, ce qui n'a pas été le cas des mineurs.

Les tensions dans les foyers se sont également traduites par une importante augmentation des interventions de police secours dans les domiciles. Nous avons ainsi constaté une augmentation de près de 30 % des interventions dans la sphère familiale, principalement en raison des différends entre époux. Plus de 41 000 interventions ont été réalisées à domicile au titre de violences intrafamiliales, contre 32 000 sur la même période de l'année 2019. Pourquoi une telle augmentation ? Parce que les tensions étaient plus fortes dans les foyers, mais aussi parce que nous avons reçu beaucoup plus d'appels de voisins et de riverains, nous signalant des phénomènes de tension. Il ne s'agissait pas nécessairement de violences, mais souvent, de disputes directement liées à une consommation d'alcool parfois excessive. Le simple transport des services de police au sein du foyer suffisait, dans la majorité des cas, à ramener le calme. Toutes les interventions ne se sont donc pas traduites par des plaintes.

Or cette forte augmentation des interventions de police secours correspondait à la volonté du ministère de l'Intérieur de renforcer tous les dispositifs d'alerte (plateforme du 17 Police secours, plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes). Nous avons également fortement renforcé nos dispositifs d'alerte sur les réseaux sociaux et diffusé le message suivant à l'intention des victimes : la police ne ferme pas durant le confinement. Même si le nombre de commissariats ouverts 24 heures sur 24 a pu être réduit, la police est demeurée joignable et susceptible d'intervenir à tout moment, le souhait étant de ne pas rompre le lien entre les victimes d'infractions et la police nationale. Tel a été le message constamment diffusé durant cette période, notamment sur les réseaux sociaux, ce qui a d'ailleurs entraîné une forte sollicitation des plateformes téléphoniques et des plateformes de chats.

Nous avons par ailleurs mis en place des dispositifs spécifiques et tout d'abord, mobilisé le 114 (à l'origine dédié aux malentendants) sur la gestion des SMS. Les services de police et de gendarmerie ont d'ailleurs reçu, via cette plateforme, 140 signalements relatifs à des violences conjugales. Un dispositif a également été mis en place dans les pharmacies, dans le cadre d'une convention signée entre le ministère de l'Intérieur et l'Ordre national des pharmaciens, permettant aux victimes de violences conjugales de signaler leur présence, en vue d'une mise en relation avec les forces de sécurité intérieure. Ce dispositif a bien fonctionné, mais n'a généré que huit interventions, donnant ensuite lieu à cinq interpellations. Enfin, le dernier dispositif innovant mis en place correspondait à des points de contact temporaires installés dans certains centres commerciaux.

Ainsi, dès le début du confinement, le ministère de l'Intérieur a donné des instructions très claires aux directions générales, afin de mobiliser l'ensemble des services, de prioriser le traitement des VIF et de maintenir un traitement en temps réel des procédures, ce qui a été le cas. Les directeurs généraux ont en effet décliné ces instructions dans leurs organisations et la chaîne pénale a pu fonctionner de manière à peu près classique. Les parquets ont maintenu leurs traitements habituels de ce type de violences. En parallèle, les services ont mis en place des suivis individualisés des victimes, qui se traduisaient par des appels téléphoniques et des passages au domicile de personnes précédemment identifiées comme victimes de violences conjugales, soit une approche proactive qui a permis d'aller à leur contact, de tenter d'évaluer leur situation et d'identifier la nécessité de mettre en œuvre des procédures judiciaires. Des patrouilles avaient été dédiées à cette prise de contact avec les familles signalées et à la mise en place de suivis au bénéfice de victimes déjà identifiées.

Nous avons néanmoins rencontré des difficultés durant cette période. En effet, dans le cadre du traitement des violences intrafamiliales et conjugales, les services de police travaillent en étroit partenariat avec des associations, des psychologues et des travailleurs sociaux présents dans les commissariats. Or ces partenaires ont beaucoup télétravaillé, d'où une diminution des contacts physiques entre les diverses associations d'aide aux victimes et les services de police. Ce développement du télétravail a nécessairement nui à la qualité de la relation avec les victimes, mais s'avérait inévitable durant cette période très particulière. La prise en charge des victimes s'est donc complexifiée, les services de police rencontrant plus de difficultés pour obtenir des hébergements d'urgence notamment. Le traitement des situations d'urgence ne s'est pas dégradé, ni au niveau des services de police ni au niveau de l'autorité judiciaire, mais il a été plus compliqué de recourir au réseau des partenaires habituels.

En résumé, la période de confinement s'est caractérisée par une forte sollicitation des services de police sur les violences intrafamiliales de manière générale et par un traitement priorisé de ces violences, dans un cadre général dégradé en termes de partenariats notamment.

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Je représente, ce matin, le Général Christian Rodriguez.

La crise sanitaire a offert l'occasion de voir, à l'instar de la délinquance, la gendarmerie s'adapter aux circonstances, eu égard au fait que les dispositions de l'état d'urgence sanitaire modifiaient les comportements et amplifiaient certains risques. Face à cette situation exceptionnelle, la gendarmerie a répondu de deux manières, d'une part par une action à dominante répressive visant à faire respecter les mesures de confinement et d'autre part, par des opérations de prévention ciblées en direction des personnes rendues plus vulnérables par la situation. La gendarmerie a donc recherché une posture d'équilibre entre l'exercice de la force nécessaire pour imposer les mesures de restrictions exceptionnelles des libertés et une clémence salutaire représentant l'État providence protecteur.

La gendarmerie s'est résolument engagée dans un contrôle de zone massif visant à faire respecter les mesures de confinement. Cette manœuvre d'ampleur, mais simple dans son idée, a été rapidement mise en place, avant de passer au second plan pour basculer dans une démarche de prévention large, mais plus complexe, visant principalement les personnes vulnérables, dont les enfants. En effet, le confinement génère, selon les cas, des situations antinomiques : la proximité accrue côtoie l'isolement extrême. Protéger les personnes vulnérables et proposer un service de sécurité adapté a néanmoins été possible grâce à une prévention modelée aux circonstances.

Les missions de prévention constituaient en effet une ligne d'opération à part entière. L'opération Répondre présent a été interprétée comme une opération majeure de prévention à l'échelle nationale. Pendant le confinement, rassurer les plus exposés aux risques insidieux constitués dans l'intimité des foyers était indispensable. Tel était le rôle de la gendarmerie qui devait, en ces circonstances exceptionnelles, continuer de protéger. L'engagement de la gendarmerie vis-à-vis des enfants et de la jeunesse s'inscrit dans cet esprit.

Sur la période allant du 17 mars au 25 mai 2020, nous avons établi les mêmes constats que la police nationale. Nous avons ainsi constaté une baisse massive des dépôts de plaintes : le nombre de victimes mineures déclarées a diminué de 45 %, passant de 5 163 en 2019 à 2 800 sur la même période de 2020. Cette diminution massive nous interroge, car, en parallèle, les partenariats noués avec le 119 faisaient état d'une augmentation de 56 % des appels ; de même, les interventions pour violences intrafamiliales ont crû de 58 % sur la zone de gendarmerie. Nous avons toutefois assez rapidement compris que d'une part, les enfants et les femmes victimes rencontraient plus de difficultés pour venir déposer plainte et que d'autre part, les appels relatifs à des interventions pour violences intrafamiliales provenaient surtout de voisins et de proches inquiets. Puis, lorsque les gendarmes se déplaçaient sur site, ils avaient affaire à des brouilles de voisinage ou de couples, mais pas forcément à des violences identifiées comme telles ; ces déplacements ne donnaient donc pas nécessairement lieu à des dépôts de plainte. En revanche, l'analyse effectuée par le service de sécurité du ministère de l'Intérieur met, depuis le mois de septembre, en exergue une augmentation du nombre de plaintes déposées au sein des brigades de gendarmerie et portant sur ce type de violences. Nous devrons donc suivre cette tendance avec attention, au cours du dernier trimestre.

Au-delà des situations de VIF, nous avons également constaté un phénomène d'emprise et de rapports de domination entre les conjoints. Les appels faisaient suite à des disputes conjugales, qui parfois dégénèrent sur fond de conflits familiaux à l'origine mineurs, mais le confinement et ses contraintes, en termes d'impossibilité de quitter le logement et de profiter d'une vie sociale et professionnelle normale, ont exacerbé des tensions résiduelles, qui ont alors pris de l'ampleur. Bref, le contexte d'enfermement au sein du foyer a été le catalyseur de certaines crispations.

Le confinement a également rappelé l'importance de l'alcoolisation et des autres addictions dans le cadre des violences intrafamiliales. L'ennui pour certains ainsi que les restrictions liées aux déplacements sur l'espace public ont pu participer à une consommation excessive et régulière de substances psychotropes, dégradant les relations entre les personnes.

En termes de profils, nous avons constaté que les auteurs de violences sur des enfants ou des femmes sont en majorité des hommes, mais surtout qu'ils disposent d'un passif judiciaire en lien avec un champ délictuel étendu. Il s'agit en effet de personnes déjà mises en examen pour vol, recel, escroquerie, fraude, dégradation, port d'arme illégal et autres infractions diverses. Dans les cas que nous avons pu étudier au sein du service du renseignement criminel, 91 % des auteurs correspondaient à des personnes déjà connues au niveau judiciaire.

Par ailleurs, le confinement a rendu les victimes potentielles invisibles. En effet, dans le cadre des partenariats mis en place, les enseignants et les assistantes sociales des départements nous signalent des faits de violence, après avoir observé des marques sur le corps d'un enfant ou recueilli des témoignages. Or depuis le retour à la normale, le taux de signalement est redevenu identique à ce qu'il était avant le confinement.

Enfin, en ce qui concerne le partenariat mis en place entre la gendarmerie et les associations de prévention, il convient tout d'abord de souligner que la prévention ne s'improvise pas. Nous avons ainsi pu constater que le travail quotidiennement réalisé avec les différentes associations a payé pendant le confinement ; le contact avec les associations doit donc être entretenu, au quotidien, en période calme.

L'action de la gendarmerie vis-à-vis des enfants pendant la crise s'est construite à partir d'un travail de fond, mené, en amont, avec e-Enfance, 119 Enfance en danger, 116 000 Enfants disparus, France Victimes, la Fédération nationale Solidarité Femmes et le Centre d'information sur les droits des femmes et des familles, soit des associations avec lesquelles nous travaillons au quotidien. Je tiens notamment à saluer l'important travail de l'association 3919 et de sa présidente Dominique Guillien-Isenmann, avec laquelle nous coopérons très régulièrement.

Nous nous sommes également appuyés sur des outils de prévention tels que le Permis Internet pour les enfants ou PROTECT. La cybermenace était en effet très importante puisque les enfants se trouvaient au domicile et avaient accès aux outils Internet. Le Permis Internet a donc été développé au profit des enfants de primaire. De plus, lors des travaux du Grenelle sur les VIF, les enfants ont été identifiés en tant que co-victimes, d'où une attention particulière à porter à leur endroit : cette doctrine a donc été reprécisée aux gendarmes, sur le terrain. Par ailleurs, un protocole d'urgence a été mis en œuvre avec le Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger et un travail partenarial a été mené avec les associations en lien avec la jeunesse ; je tiens d'ailleurs à votre disposition les infographies réalisées dans le cadre du confinement.

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. Ces infographies ont-elles été créées pendant le confinement ?

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Nous avions préparé le travail avec ces associations, puisque les violences intrafamiliales sont suivies depuis quelques années. Puis, lorsque nous avons été alertés par l'augmentation des interventions et des appels, nous avons mis en place des moyens spécifiques : appels en pharmacie, stickers conçus avec le groupe Leclerc et avec le groupe Sodebo. Je rencontre d'ailleurs des représentants du groupe Carrefour en fin de semaine, afin de développer ce type de signalement.

Au regard de l'augmentation du nombre d'appels, nous avons renforcé la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes, à hauteur de 100 militaires supplémentaires, de manière à accroître notre capacité d'écoute et de relais. Les appels reçus au 3919 relevaient d'un protocole spécifiquement mis en place, via une note expresse signée par mes soins pendant le confinement : ce dernier permet à un opérateur du centre opérationnel, sensibilisé par un opérateur du 3919, d'impliquer immédiatement une brigade de gendarmerie, en vue d'une intervention au domicile de l'appelant.

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. Pouvez-vous nous donner quelques exemples de signalement, afin que nous comprenions mieux la multiplication par trois des appels vers cette plateforme ?

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Le 3919 a pour mission de relayer les risques identifiés vers les services de police et de gendarmerie, de manière à ce qu'une intervention soit déclenchée. Or les conflits conjugaux exacerbés par le confinement ne se traduisaient pas systématiquement par des violences, mais par des appels angoissés et angoissants pour l'opérateur. C'est pourquoi il était important que ceux-ci soient relayés vers des professionnels. En effet, tant au sein de la police nationale que de la gendarmerie, des personnes ont été formées à l'écoute des propos tenus et sont donc en capacité de calmer les tensions.

La multiplication des appels par trois s'explique avant tout par une angoisse et une tension, plutôt que par de réels faits de violence. Telle est la raison pour laquelle les dépôts de plainte, les constatations ou encore les visites médicales de confirmation des violences n'ont pas explosé au même titre que le nombre d'appels et d'interventions.

Il convient donc de souligner la capacité d'adaptation et de réaction des services face à l'événement exceptionnel auquel nous étions confrontés. Il s'avérait en effet essentiel de pouvoir dire aux victimes potentielles que le lien avec les services de sécurité de l'État n'était pas rompu, d'où la diffusion d'infographies via des porteurs différents. Sauf erreur de ma part, nous n'avons pas eu de retours de personnes qui se seraient retrouvées complètement isolées, sans capacité de pouvoir faire passer leurs messages.

Autre point important, cette crise a renforcé nos liens avec les associations partenaires : nous travaillons vraiment en confiance avec elles et sommes d'ailleurs en train de renforcer, dans les différents départements, l'accueil des femmes victimes de violences, mais aussi des enfants victimes de violence.

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Quelle est votre appréciation du fonctionnement, pendant le confinement et pendant les semaines qui ont suivi, de la chaîne pénale et du traitement par les parquets des différentes plaintes ? Nous avons en effet auditionné toute une série d'associations avec lesquelles vous travaillez qui, elles, avaient une vision différente et insistaient sur le fait que la justice n'avait pas pu opérer les traitements nécessaires, suite aux plaintes déposées.

Par ailleurs, vous nous avez parlé du profil des auteurs de violences, mais disposez-vous également de statistiques relatives à l'âge des enfants victimes ? Avez-vous rencontré, pendant le confinement, des problèmes particuliers avec des adolescents plus ou moins isolés, en rupture familiale ?

Dans la situation inédite que les forces de police et de gendarmerie ont connue, avec des responsabilités liées à la pandémie, avez-vous pu maintenir les auditions d'enfants dans les unités d'accueil ? En temps ordinaire, privilégiez-vous les auditions dans les unités d'accueil ou préférez-vous faire déplacer les enfants dans vos structures ?

Enfin, comment avez-vous noué des liens avec toutes ces associations et comment se traduisent-ils au niveau départemental ? Sont-ils construits uniquement au niveau national ?

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

En ce qui concerne la chaîne pénale, je ne dispose que d'une donnée transmise par le pôle d'évaluation des politiques pénales du ministère de la Justice : 66 % des 2 900 dossiers de violences conjugales enregistrés sur la période allant du 17 mars au 10 mai 2020 ont fait l'objet de poursuites, dont 90 % ont abouti à un défèrement.

S'agissant de l'âge des enfants, nos statistiques ne permettent malheureusement pas un découpage par âge : les enfants considérés ont moins de 15 ans.

Nous n'avons pas eu particulièrement affaire à des adolescents isolés. En revanche, un autre sujet fait actuellement l'objet de travaux, à savoir les mineurs non accompagnés à propos desquels nous avons reçu quelques signalements importants et surtout, très sensibles.

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Il s'agissait de mineurs non accompagnés, étrangers sur le territoire national, qui étaient complètement perdus. En effet, dans le cadre du confinement, les associations n'ont pas toujours continué à les accompagner, parce qu'elles ne pouvaient pas aisément se déplacer. Des riverains, des citoyens nous ont donc signalé des personnes qui se trouvaient vraiment en danger. Nous les avons donc prises en charge et avons fait en sorte qu'elles soient mises à l'abri, mais il ne s'agissait pas d'adolescents isolés au sein d'une famille auprès de laquelle nous intervenions dans le cadre d'un signalement de VIF potentielles.

Les auditions d'enfants relèvent, au sein de la gendarmerie nationale, de la procédure Mélanie. Des enquêteurs et enquêtrices sont spécifiquement formés au recueil de la parole des enfants victimes. Cette formation s'avère déconcentrée jusqu'au niveau départemental et nous essayons de la déployer jusqu'au niveau des arrondissements des compagnies de gendarmerie départementale. Nous avons en outre pour ambition de créer des unités là où elles n'existent pas encore, afin de renforcer l'accueil des femmes battues et des enfants victimes, tout en permettant un accueil homogène sur l'ensemble du territoire.

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

Nous n'avons pas observé de rupture de la chaîne pénale. Les parquets ont maintenu leurs dispositifs habituels de traitement en temps réel des affaires pénales. Dès lors que les auteurs d'infraction étaient placés en garde à vue, les parquets procédaient aux traitements habituels, en particulier en matière de violences intrafamiliales, puisque le ministère de la Justice a également maintenu un haut degré de vigilance vis-à-vis de ces formes de violences. De ce point de vue, nous pouvons d'ailleurs considérer que le système a fait la preuve de sa résilience : les infractions les plus graves ont continué à être traitées comme en temps normal et nous n'avons pas observé, de la part des parquets, de modification de pratiques en termes de traitement des plaintes ou de politique de défèrement.

Nous nous appuyons sur un dispositif plutôt ancien en matière d'accueil des victimes de violences dans la sphère familiale. Les brigades de protection de la famille ont donc continué à fonctionner de façon quasiment normale, contrairement d'ailleurs aux unités spécialisées dans la lutte contre les stupéfiants, forcément moins sollicitées puisque le trafic de voie publique avait complètement disparu et que le trafic de manière générale avait fortement régressé. Une réorientation des enquêteurs et des effectifs vers les contrôles de voie publique a bien entendu eu lieu, de manière à s'assurer du respect des restrictions de déplacement apportées durant cette période. En réalité, seules les brigades de protection de la famille ont fonctionné à peu près normalement, sur la base de dispositifs partenariaux anciens et bien rodés, qui ont continué à être actifs même s'il est vrai que nombre d'échanges se sont déroulés à distance.

Nous ne disposons pas d'informations spécifiques sur l'âge des enfants victimes au-delà de celles déjà énoncées. Le profil des auteurs correspond quant à lui au profil habituel : l'auteur de violences conjugales est généralement un homme, souvent sans activité, et les contextes d'alcoolisation jouent pour beaucoup dans le passage à l'acte.

S'agissant de l'audition des enfants, elle est organisée au cas par cas, en fonction de la nature des actes d'enquête à réaliser. Les auditions de mineurs victimes se déroulent au sein de structures spécialisées. Il existe plusieurs dizaines de salles Mélanie sur le territoire national. Elles sont naturellement utilisées pour recueillir la parole des enfants.

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Puisque nous enregistrions une forte diminution des atteintes aux biens, priorité a été donnée aux suites des enquêtes relatives aux violences intrafamiliales. De même, au sein des parquets, priorité avait été donnée au traitement des violences intrafamiliales qui seules, pouvaient justifier d'opérations judiciaires, les autres étant gelées. Ainsi, lorsque des enquêtes étaient en cours suite à des atteintes aux biens ou à des cambriolages, nous n'avons pas mené les opérations judiciaires.

En revanche, en matière de violences intrafamiliales, non seulement les opérations judiciaires ont été maintenues, mais elles ont été priorisées, en réponse aux directives des parquets locaux et du commandement de la gendarmerie.

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. Les associations nous ont toutefois indiqué que les forces de l'ordre donnaient la priorité aux violences conjugales sur les violences faites aux enfants.

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

Les services de police comme les unités de gendarmerie traitent les faits qui sont portés à leur connaissance. Dès lors que des situations susceptibles de constituer des infractions sont portées à la connaissance des services de police, ils enquêtent, que les victimes soient majeures ou mineures.

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Il pourrait être intéressant de reprendre contact avec les représentants des associations, afin qu'ils nous citent des cas particuliers, que nous pourrions étudier dans le détail. Dans le cadre des violences intrafamiliales, les enfants correspondent à ce que nous appelons des co-victimes, qui sont donc prises en charge au même titre que la mère victime.

Il me paraît bizarre que des situations d'enfants victimes de violences « parentales » n'aient pas été traitées, alors que la gendarmerie ou la police nationale avait connaissance des faits. Je ne vois donc aucune difficulté à m'entretenir directement avec les représentants des associations, afin qu'ils me citent des cas précis, ce qui nous permettra aussi de nous améliorer.

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

Les signalements du milieu scolaire n'ont pas eu lieu pendant cette période. Il est donc certain que les mineurs victimes de violences ont eu plus de difficultés à faire connaître leurs situations.

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. Je parlais aussi des enfants accompagnant les mères victimes de violences.

Qu'avez-vous repéré comme signaux faibles qui vous permettraient d'anticiper la société de demain ? En effet, cette période a été assez révélatrice d'un point de vue sociologique. De nombreuses poches de population souffrent-elles d'un isolement extrême ?

Je souhaiterais également que vous reveniez sur les mineurs non accompagnés : quel type de secours leur avez-vous porté ? Il s'agit tout de même de jeunes, voire d'enfants à la rue, à l'abandon. Il est intéressant de constater qu'il y a eu des signalements, mais qu'avez-vous fait ?

De nouvelles formes de cybermenaces apparaissent-elles actuellement ?

Enfin, quid des enfants qui d'ordinaire, vivent de la mendicité, des vols et de la prostitution, soit des enfants encore davantage précarisés par le confinement qui a brutalement mis un terme à toutes leurs menues ressources ?

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

Les mineurs étrangers isolés n'étaient plus sur la voie publique pendant le confinement, nous les avons donc moins vus. Ils étaient principalement hébergés dans des structures, via des dispositifs gérés par les conseils départementaux.

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

Ils n'ont pas disparu, mais comme les autres Français, ils ont moins circulé durant cette période.

En termes de signaux faibles, les tensions ont manifestement été nombreuses au sein des foyers qui selon moi, ont plutôt fait preuve de résilience. La période n'était facile pour personne, même dans les foyers qui habituellement, ne connaissent pas de difficultés. Il n'est pas simple de se retrouver tous ensemble, notamment dans les quartiers périphériques, dans des conditions d'hébergement peu saines du fait de la surpopulation. Je trouve cependant que d'une manière générale, les familles françaises se sont bien tenues. Je vois cette période de façon plutôt optimiste, ce qui s'explique peut-être par ma nature : nous avons enregistré moins de faits graves pendant cette période, ce qui ne signifie pas qu'aucun n'a eu lieu. Des homicides ont naturellement eu lieu, mais nous n'avons pas constaté une flambée des violences extrêmes, ce qui s'avère plutôt rassurant pour l'état de la société française et des familles de manière générale.

Nous avons aussi vu de nouvelles solidarités se développer entre les Français : les voisins ont été plus attentifs, ils ont moins hésité à alerter les services de police lorsque des tensions apparaissaient dans certains foyers. Même si les conditions de circulation étaient rendues difficiles, nos dispositifs ont fonctionné d'une manière différente : nous avons beaucoup travaillé sur les réseaux sociaux. Avec nos partenaires associatifs habituels, certes notre fonctionnement à distance s'avérait moins efficace que le présentiel, car il est important de pouvoir accompagner les personnes dès qu'elles se manifestent auprès des structures de prise en charge, mais des groupes WhatsApp ont pu être constitués avec les travailleurs sociaux au titre d'échanges avec les victimes. De nouvelles formes de solidarité se sont donc développées qui constituent plutôt de bons signaux.

Les cybermenaces et la cybercriminalité constituent un vrai sujet pour nous. Nous sommes très attentifs à ce qui se développe sur le cyberespace et savons que les infractions en lien avec la pédopornographie sur Internet ont largement crû durant le confinement. Internet nécessitant un contrôle parental et de la vigilance, nous avons beaucoup communiqué, au travers des réseaux sociaux, pour alerter sur les dangers d'internet et attirer l'attention des parents sur les contrôles qu'ils doivent mettre en place. L'usage d'internet par les plus jeunes doit être, autant que faire se peut, maîtrisé.

Plus largement, nous avons communiqué sur la cybercriminalité, car les escrocs n'ont pas arrêté de travailler pendant la période. Nombre d'escroqueries ont porté sur des ventes de masques et de gels hydroalcooliques : les escrocs se sont montrés très opportunistes et ont fait la preuve de leur adaptabilité, c'est pourquoi nous avons été très vigilants et avons largement communiqué sur les risques de l'Internet pour tous les Français et en particulier, pour les plus jeunes qui, parce qu'ils restaient à la maison, fréquentaient beaucoup les réseaux sociaux.

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. Il s'agissait presque d'une injonction contradictoire puisque les parents travaillaient eux-mêmes sur écran et étaient déjà complètement happés par internet.

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Nous avons réalisé, à l'intention des parents, une infographie sur les cybermenaces et les risques d'Internet, que je vous remettrai. Les informations que nous transmettons aux parents portent sur les contenus pornographiques ou violents, le cybersexisme (harcèlement, discrimination), le sexting (ou textopornographie), les diffusions de contenus, les chantages à caractère sexuel, les jeux de paris et d'argent en ligne, les achats intégrés générant des surcoûts, les challenges ou défis dangereux.

Sur tous ces risques, nous mettons des points d'écoute à la disposition des parents – comme Net Ecoute, l'association la Mouette avec laquelle nous travaillons et la brigade numérique qui diffuse des informations sur toutes ces menaces, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Nous leur donnons des conseils sachant que le confinement induit un accès facilité à internet. Les enfants pouvaient en effet passer 12 à 15 heures par jour en lien avec leurs camarades, sur les réseaux sociaux ou sur Internet. Nous leur conseillons donc de surveiller et leur indiquons comment réagir.

En termes de soutien à la parentalité en période de confinement, nous avons diffusé différents principes à respecter. Sur la thématique « Comment parler du coronavirus avec les enfants ? » par exemple, ils sont les suivants : ne pas forcer l'enfant à parler, répondre aux questions, utiliser des mots simples, se baser sur des faits réels, accueillir les questions avec bienveillance, ne pas faire de promesses non réalistes, ne pas présupposer les réactions de ses enfants ou leur attribuer ses propres inquiétudes, etc. Tous ces conseils ont été travaillés avec des associations, des intervenants sociaux et des pédopsychiatres. Nous les diffusons sur le site de la gendarmerie sous le titre « Soutien à la parentalité en période de confinement ».

Enfin, j'ai évoqué les mineurs non accompagnés parce que Madame la ministre m'avait interrogé sur le fait que nous ayons eu affaire à des adolescents isolés, ce qui n'a pas été le cas. En revanche, nous avons eu quelques cas de mineurs non accompagnés qui n'étaient pas forcément pris en charge et vivaient dans des squats. Nous les avons découverts parce que déchargée d'un certain nombre de missions classiques, la gendarmerie a profité de ce confinement pour aller au plus profond des territoires. La gendarmerie couvre en effet 95 % du territoire et notamment, des zones rurales très isolées, au sein desquelles les gendarmes ne se rendent pas systématiquement lors de leurs patrouilles. C'est pourquoi ils ont profité du temps de confinement pour acquérir à nouveau des connaissances à propos de ces territoires et aller à la rencontre des personnes, dans le cadre de l'opération Répondre présent.

Là, nous avons découvert des personnes en grande précarité, qui vivaient en marge de la société. Nous avons beaucoup parlé des ZAD, mais il existe aussi des endroits, dans des secteurs ruraux isolés, où des personnes vivent un peu coupées du monde. Les gendarmes ont donc profité du temps de confinement pour renouer le contact. Ils ont par exemple amené des devoirs aux enfants, puisque ces personnes ne disposent pas de connexion internet. Les gendarmes ont donc tissé un lien, transmis les informations aux intervenants sociaux du département et mis ces personnes en relation avec l'intervenant social de la gendarmerie, qui leur permettra d'ouvrir certaines portes afin d'améliorer leur situation. Tels sont les signaux faibles que je souhaitais évoquer.

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Avez-vous constaté, durant la période de confinement, une accélération des phénomènes de prostitution chez les jeunes mineurs ?

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Nous ne disposons pas d'étude particulière sur ces situations, mais nous avons constaté une activité plus importante sur Internet, ainsi que des échanges plus nombreux sur les réseaux sociaux et, en pourcentage, plus de délinquance liée à l'utilisation des outils informatiques. Nous n'avons cependant pas constaté d'augmentation de la prostitution des mineurs sur Internet durant le confinement.

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

Je vous transmettrai les statistiques de la plateforme de signalement des contenus illicites sur Internet (Pharos), conduite par la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité, au sein de la direction centrale de la police judiciaire. Celle-ci a vu son activité fortement croître durant la période de confinement, notamment en matière de contenus pédopornographiques. L'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) a quant à lui constaté une augmentation importante des échanges de fichiers (peer-to-peer), liés à la pédopornographie.

En revanche, le phénomène prostitutionnel a fortement régressé. La prostitution de voie publique a disparu durant le confinement, mais nous sommes fortement préoccupés par ce que nous qualifions, sans doute mal, de proxénétisme des cités, à savoir des jeunes femmes qui, dans les cités, se livrent à la prostitution. Nous n'apprécions guère ce terme, nous devrons donc en changer. Ce phénomène émerge depuis plusieurs années et nous y travaillons beaucoup, car il concerne nombre de mineurs. Des travaux sont en cours notamment avec le ministère de la Justice et la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF).

Enfin, nous constatons une augmentation des offres de prostitution sur internet. Le phénomène date d'une dizaine d'années, à savoir une disparition progressive de la prostitution de voie publique au bénéfice de la prostitution par Internet, au moins pour la prise de contact. Toutefois, les clients rencontraient, pendant le confinement, plus de difficultés pour se déplacer et pouvaient difficilement justifier leurs déplacements uniquement sur ce motif. Nous n'avons donc pas noté d'augmentation de la prostitution de cette nature-là.

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La crise sanitaire a eu pour effet positif de provoquer une explosion de l'utilisation du vélo, qui dans certains secteurs, a même crû de 30 %. Avez-vous pu constater que cette pratique du vélo sur la voie publique plus importante était à l'origine d'une plus forte accidentologie, voire de différends liés au partage de la voie publique ?

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

L'augmentation de l'usage du vélo emporte nécessairement un partage de l'espace public avec des automobilistes et piétons, qui n'ont pas toujours envie de laisser leur place. Je ne sais toutefois si elle a pour conséquence une augmentation de l'accidentologie, car je n'ai pas de chiffres à ma disposition. Je vous transmettrais les éléments dont nous disposons.

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Au cours de notre analyse des statistiques de sécurité routière, nous avons constaté, pendant le confinement, une diminution du nombre de tués sur les routes, dont les cyclistes. En revanche, la part des cyclistes dans le nombre de tués sur les routes a augmenté parce que le volume de cyclistes s'avère plus important et parce que ces cyclistes n'ont pas toujours une bonne maîtrise de leur vélo, d'où des comportements dangereux.

Des campagnes de prévention de l'automobiliste par rapport aux cyclistes ont lieu actuellement. Elles sont construites par le Délégué interministériel à la sécurité routière (DISR), la gendarmerie nationale et la police nationale.

Ainsi, le nombre d'accidents incluant des cyclistes s'est accru et en proportion, le nombre de tués augmente parmi la population des cyclistes, comme tel avait été le cas pour la population des motocyclistes. De même, les personnes âgées au volant représentent une part croissante des accidents.

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. D'après les associations, vous préférez ne pas vous rendre dans les unités d'accueil médico-judiciaires, mais entendre les enfants dans les commissariats, ce qui serait préjudiciable à l'audition des enfants.

Par ailleurs, nous savons que dans les grandes métropoles, nombre de personnes précaires sont renvoyées vers les périphéries, voire dans le milieu rural, évidemment bien moins dotées en associations. Comment cela se passe-t-il, là, de manière très concrète, en période de confinement ? Nous avons en effet perçu une forme de désespérance, y compris chez certains maires qui ne savaient pas comment gérer des personnes qu'ils ne connaissent pas bien et relèvent de la grande précarité.

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

La police nationale n'a aucune position de principe à propos des unités d'accueil : en fonction de la nature de l'affaire, de l'intérêt de l'enquête et de l'intérêt du mineur, il vaut parfois mieux réaliser l'audition au sein d'un service de police, et parfois non. Bref, les décisions se prennent au cas par cas.

Je ne sais toutefois si les observations que vous avez recueillies concernent un secteur géographique déterminé. Nous travaillons avec le ministère de la Justice, qui souhaite développer ces unités, mais il convient aussi de tenir compte des contraintes opérationnelles des services. Si les distances sont courtes, se rendre dans une unité ne pose pas de difficulté. Pour nos camarades de la gendarmerie en revanche, les difficultés seraient grandes s'ils devaient se rendre dans les centres urbains pour entendre les victimes dans des endroits uniques.

Notre position s'avère donc souple et pragmatique. En tout état de cause, elle est toujours prise au regard des nécessités de l'enquête et de l'intérêt de la victime.

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

L'intérêt de la victime constitue en effet notre priorité. Là où nous pouvons prendre les plaintes dans les hôpitaux, nous procédons ainsi. Des expérimentations sont d'ailleurs en cours afin d'adapter des salles aux prises de plainte, au sein des unités hospitalières, mais la procédure Mélanie met à notre disposition des salles équipées permettant de recueillir la parole de l'enfant dans des conditions très particulières. Or nous préférons, la plupart du temps, réaliser ces auditions dans nos locaux parce que nous disposons des outils nécessaires (jeux, dessins). A l'inverse, les enquêteurs estiment parfois que le milieu médico-judiciaire s'avère plutôt traumatisant pour l'enfant et ne permettra pas forcément de libérer sa parole.

Les décisions sont prises au cas par cas, au choix de l'enquêteur en lien avec les parents, et toujours dans l'intérêt de la victime.

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

Ne partons pas du principe que par nature, les auditions réalisées dans ce type de structures sont mieux que celles effectuées dans les structures de police ! Il n'existe pas de règle en la matière, d'où la nécessité d'être souple et pragmatique, en s'adaptant aux circonstances.

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Vous avez soulevé la question des néoruraux, soit des populations qui arrivent en secteur rural isolé, où ils n'ont pas forcément accès à toutes les facilités que l'on trouve en ville, notamment en termes de connexion Internet, de transports, etc. Or nous menons effectivement, avec les maires, un travail sur cette problématique, dans le cadre de tables rondes. Les agressions contre les élus constituent l'un de nos sujets de travail, mais aussi l'arrivée des néoruraux et leur prise en compte au plan social, les élus des petites communes étant parfois quelque peu débordés parce qu'ils n'ont pas le soutien administratif présent dans les grandes communes. Nous regardons donc de quelle manière il est possible de travailler avec l'Association des départements de France, afin de faire en sorte que les maires ne soient pas complètement seuls face à ces arrivées de néoruraux.

Chaque maire a en main la carte de visite d'un gendarme, qu'en cas de besoin, il peut contacter 24 heures sur 24. Ce dispositif répond à un engagement pris par le directeur général de la gendarmerie nationale devant le président de l'Association des maires de France, et nous sommes en train de le mettre en place.

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. Existe-t-il une différence fondamentale entre le confinement urbain et le confinement rural ?

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Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière

Je n'en vois pas. A ce stade, je constate simplement qu'il a parfois été difficile de faire respecter le confinement en milieu rural, d'expliquer aux personnes qu'il était compliqué d'aller dans les bois ou de se promener sur les plages, en période de confinement global. Pour autant, nous n'avons pas constaté de difficultés particulières dans les zones périurbaines qui sont sous le contrôle de la gendarmerie ni dans les zones vraiment rurales : les citoyens ont globalement respecté les directives qui leur étaient données.

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Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

Nous avons vu quantité d'urbains quitter les villes pour rejoindre leurs résidences secondaires à la campagne. Beaucoup pensaient que le confinement en zone non urbaine serait plus simple à vivre, et sans doute avec bon sens. Nous imaginons bien que dans les petits logements de certaines tours, souvent surpeuplés et sans espace ouvert, le confinement a été plus compliqué à vivre.

L'audition s'achève à midi cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 11 heures 45

Présentes. – Mme Marie-George Buffet, Mme Sandrine Mörch