Je représente, ce matin, le Général Christian Rodriguez.
La crise sanitaire a offert l'occasion de voir, à l'instar de la délinquance, la gendarmerie s'adapter aux circonstances, eu égard au fait que les dispositions de l'état d'urgence sanitaire modifiaient les comportements et amplifiaient certains risques. Face à cette situation exceptionnelle, la gendarmerie a répondu de deux manières, d'une part par une action à dominante répressive visant à faire respecter les mesures de confinement et d'autre part, par des opérations de prévention ciblées en direction des personnes rendues plus vulnérables par la situation. La gendarmerie a donc recherché une posture d'équilibre entre l'exercice de la force nécessaire pour imposer les mesures de restrictions exceptionnelles des libertés et une clémence salutaire représentant l'État providence protecteur.
La gendarmerie s'est résolument engagée dans un contrôle de zone massif visant à faire respecter les mesures de confinement. Cette manœuvre d'ampleur, mais simple dans son idée, a été rapidement mise en place, avant de passer au second plan pour basculer dans une démarche de prévention large, mais plus complexe, visant principalement les personnes vulnérables, dont les enfants. En effet, le confinement génère, selon les cas, des situations antinomiques : la proximité accrue côtoie l'isolement extrême. Protéger les personnes vulnérables et proposer un service de sécurité adapté a néanmoins été possible grâce à une prévention modelée aux circonstances.
Les missions de prévention constituaient en effet une ligne d'opération à part entière. L'opération Répondre présent a été interprétée comme une opération majeure de prévention à l'échelle nationale. Pendant le confinement, rassurer les plus exposés aux risques insidieux constitués dans l'intimité des foyers était indispensable. Tel était le rôle de la gendarmerie qui devait, en ces circonstances exceptionnelles, continuer de protéger. L'engagement de la gendarmerie vis-à-vis des enfants et de la jeunesse s'inscrit dans cet esprit.
Sur la période allant du 17 mars au 25 mai 2020, nous avons établi les mêmes constats que la police nationale. Nous avons ainsi constaté une baisse massive des dépôts de plaintes : le nombre de victimes mineures déclarées a diminué de 45 %, passant de 5 163 en 2019 à 2 800 sur la même période de 2020. Cette diminution massive nous interroge, car, en parallèle, les partenariats noués avec le 119 faisaient état d'une augmentation de 56 % des appels ; de même, les interventions pour violences intrafamiliales ont crû de 58 % sur la zone de gendarmerie. Nous avons toutefois assez rapidement compris que d'une part, les enfants et les femmes victimes rencontraient plus de difficultés pour venir déposer plainte et que d'autre part, les appels relatifs à des interventions pour violences intrafamiliales provenaient surtout de voisins et de proches inquiets. Puis, lorsque les gendarmes se déplaçaient sur site, ils avaient affaire à des brouilles de voisinage ou de couples, mais pas forcément à des violences identifiées comme telles ; ces déplacements ne donnaient donc pas nécessairement lieu à des dépôts de plainte. En revanche, l'analyse effectuée par le service de sécurité du ministère de l'Intérieur met, depuis le mois de septembre, en exergue une augmentation du nombre de plaintes déposées au sein des brigades de gendarmerie et portant sur ce type de violences. Nous devrons donc suivre cette tendance avec attention, au cours du dernier trimestre.
Au-delà des situations de VIF, nous avons également constaté un phénomène d'emprise et de rapports de domination entre les conjoints. Les appels faisaient suite à des disputes conjugales, qui parfois dégénèrent sur fond de conflits familiaux à l'origine mineurs, mais le confinement et ses contraintes, en termes d'impossibilité de quitter le logement et de profiter d'une vie sociale et professionnelle normale, ont exacerbé des tensions résiduelles, qui ont alors pris de l'ampleur. Bref, le contexte d'enfermement au sein du foyer a été le catalyseur de certaines crispations.
Le confinement a également rappelé l'importance de l'alcoolisation et des autres addictions dans le cadre des violences intrafamiliales. L'ennui pour certains ainsi que les restrictions liées aux déplacements sur l'espace public ont pu participer à une consommation excessive et régulière de substances psychotropes, dégradant les relations entre les personnes.
En termes de profils, nous avons constaté que les auteurs de violences sur des enfants ou des femmes sont en majorité des hommes, mais surtout qu'ils disposent d'un passif judiciaire en lien avec un champ délictuel étendu. Il s'agit en effet de personnes déjà mises en examen pour vol, recel, escroquerie, fraude, dégradation, port d'arme illégal et autres infractions diverses. Dans les cas que nous avons pu étudier au sein du service du renseignement criminel, 91 % des auteurs correspondaient à des personnes déjà connues au niveau judiciaire.
Par ailleurs, le confinement a rendu les victimes potentielles invisibles. En effet, dans le cadre des partenariats mis en place, les enseignants et les assistantes sociales des départements nous signalent des faits de violence, après avoir observé des marques sur le corps d'un enfant ou recueilli des témoignages. Or depuis le retour à la normale, le taux de signalement est redevenu identique à ce qu'il était avant le confinement.
Enfin, en ce qui concerne le partenariat mis en place entre la gendarmerie et les associations de prévention, il convient tout d'abord de souligner que la prévention ne s'improvise pas. Nous avons ainsi pu constater que le travail quotidiennement réalisé avec les différentes associations a payé pendant le confinement ; le contact avec les associations doit donc être entretenu, au quotidien, en période calme.
L'action de la gendarmerie vis-à-vis des enfants pendant la crise s'est construite à partir d'un travail de fond, mené, en amont, avec e-Enfance, 119 Enfance en danger, 116 000 Enfants disparus, France Victimes, la Fédération nationale Solidarité Femmes et le Centre d'information sur les droits des femmes et des familles, soit des associations avec lesquelles nous travaillons au quotidien. Je tiens notamment à saluer l'important travail de l'association 3919 et de sa présidente Dominique Guillien-Isenmann, avec laquelle nous coopérons très régulièrement.
Nous nous sommes également appuyés sur des outils de prévention tels que le Permis Internet pour les enfants ou PROTECT. La cybermenace était en effet très importante puisque les enfants se trouvaient au domicile et avaient accès aux outils Internet. Le Permis Internet a donc été développé au profit des enfants de primaire. De plus, lors des travaux du Grenelle sur les VIF, les enfants ont été identifiés en tant que co-victimes, d'où une attention particulière à porter à leur endroit : cette doctrine a donc été reprécisée aux gendarmes, sur le terrain. Par ailleurs, un protocole d'urgence a été mis en œuvre avec le Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger et un travail partenarial a été mené avec les associations en lien avec la jeunesse ; je tiens d'ailleurs à votre disposition les infographies réalisées dans le cadre du confinement.