Intervention de Philip Modolo

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 14h15
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Philip Modolo, secrétaire général des Restos du Cœur :

J'adhère complètement à ce constat que nous avons également fait au sein des Restos du Cœur.

Je propose de me concentrer sur la partie relative à l'accompagnement alimentaire qui a eu lieu pendant la crise sanitaire. Nous accueillons 900 000 personnes chaque année et distribuons 130 millions de repas dans 2 000 centres de distribution. Nous avons 1,7 million de contacts dans le cadre de nos activités de rue et comptons 73 000 bénévoles. 50 % des personnes que nous aidons ont moins de 25 ans et 40 % d'entre eux sont mineurs. Chaque année, nous accueillons 30 000 bébés dans nos centres. 50 % des personnes accueillies sont des familles, dont la moitié sont des familles monoparentales et ont rencontré des difficultés extrêmes durant cette crise sanitaire. Un tiers des familles accueillies rencontrent des difficultés de logement. Or, durant cette période, nous avons pu constater l'importance des conditions de logement dans la capacité à faire face à la crise.

Au-delà de l'aide alimentaire, plus d'une dizaine d'activités nous permettent d'accompagner les personnes que nous accueillons au travers de l'insertion, du logement, de l'accès au droit et à l'emploi, ce qui n'a pu être mis en œuvre durant la crise sanitaire. Nous avons la volonté de pouvoir reprendre le plus rapidement possible ces activités qui permettent d'envisager une insertion sociale pour nombre de personnes que nous accueillons.

Comme tout le monde, nous avons eu une phase de sidération face à cette situation inédite. Notre objectif est de poursuivre au maximum notre action, en particulier sur l'aide alimentaire qui est notre priorité. Nous avons eu l'occasion de découvrir de nouveaux publics dans nos centres et, à notre grande surprise, dans le cadre de nos activités de rue, lesquelles ont augmenté de 40 %, voire ont doublé ou triplé durant cette période. Nous avons eu à faire face à une vague extrêmement importante. De nombreux étudiants sont venus à notre rencontre dans le cadre des activités de rue faute de denrées alimentaires.

Pour des raisons sanitaires, nous avons décidé de mettre en retrait nos bénévoles de plus de 70 ans, soit un tiers de nos effectifs bénévoles – - sachant que 80 % de nos bénévoles ont plus de 55 ans. Dans les premières semaines, nous intervenions sans aucune protection pour les bénévoles et les personnes accueillies dans un contexte de crainte générale de la population française sur ce sujet. Nous avons été contraints de procéder à une réorganisation complète de notre distribution, dans la mesure où les conditions d'accueil ne permettaient pas le respect des règles sanitaires et nous avons provisoirement cessé nos activités d'accompagnement.

Nous sommes parvenus à mobiliser fortement un noyau de bénévoles. Toutefois, l'association a fonctionné avec 20 à 25 % des effectifs bénévoles, qui se sont fortement engagés durant cette période et qui se trouvent actuellement en situation d'épuisement. En dépit des initiatives prises au niveau du Gouvernement via les plateformes d'appel au bénévolat, les associations ont travaillé grâce à un noyau dur de bénévoles, puisque nous ne pouvions pas à la fois gérer les activités et intégrer de nouvelles personnes. Malgré nos craintes, nous sommes parvenus à maintenir la chaîne logistique et à éviter les ruptures d'approvisionnement en sachant que, pour des raisons sanitaires, nous n'avons pu effectuer la « ramasse », qui consiste à récupérer les invendus auprès de la grande distribution.

Nous avons observé une grande solidarité de la part du public à travers des dons supplémentaires, mais également des entreprises qui ont effectué des dons en nature et financiers. Le maintien de la distribution alimentaire s'est opéré en mode extrêmement dégradé. Notre crainte est de ne pouvoir maintenir ce fonctionnement en situation hivernale.

Au sein du secteur associatif, nous rencontrons une problématique de locaux en termes d'exiguïté et d'insalubrité. J'évoquais récemment cette situation avec un sénateur du Blanc-Mesnil qui qualifiait d'invraisemblables les conditions d'accueil proposées aux associations par les collectivités locales. Il s'agira d'un élément clé pour nous permettre de maintenir nos activités durant l'hiver.

Nous avons assisté à une mobilisation des collectivités territoriales qui ont été présentes à nos côtés en distribuant des masques ou sous forme de dotations financières.

En revanche, en début de crise, nous avons constaté un manque d'instructions, voire des discours contradictoires au niveau des services publics et des différents ministères, en particulier de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Pour les années à venir, le point clé résidera dans l'alignement des temps administratifs et du temps de l'urgence. L'État était présent durant cette période et a fait preuve d'une volonté évidente de nous accompagner, mais nous avons constaté un décalage parfois très marqué entre le moment où l'on doit être présent et celui où les moyens doivent être mis à disposition. Il s'agit d'un élément essentiel face à la crise économique et sociale qui nous attend.

Les Restos du Cœur ont peu apprécié la pression forte exercée par des des collectivités territoriales au niveau local et départemental pour maintenir une activité à tout prix alors que nous rencontrions des difficultés en termes de bénévoles, ou nous incitant fortement à mutualiser des moyens avec d'autres associations. Nous ne sommes pas une mission de service public, mais une association. Nous sommes extrêmement vigilants à conserver notre indépendance. Or nous avons été confrontés à certaines attitudes assez dictatoriales localement que nous n'avons pas du tout appréciées durant cette période.

Les conditions d'accès ont été difficiles pour les personnes accueillies en raison de l'absence de masques et de transports en commun, ce qui a conduit un certain nombre d'entre elles à ne pas se rendre aux Restos du Cœur. Des initiatives très locales ont été mises en œuvre par de nouvelles associations qui se sont créées pour apporter de l'aide, mais nous avons pu constater cette difficulté à venir nous rencontrer.

Cette crise sanitaire qui risque de durer se conjugue à une crise économique et sociale qui est annoncée au moins jusqu'à fin 2022. Nous attendons une augmentation des publics de 20 à 30 %, ce qui impactera fortement le fonctionnement des associations, en particulier aux Restos du Cœur. Notre crainte est double, à savoir financière, ce qui nous amène à attendre un investissement fort des pouvoirs publics pour accompagner les associations durant cette période, mais également opérationnelle, quant au nombre de bénévoles et aux locaux, dont 20 % devraient être abandonnés pour rejoindre des lieux plus décents.

Après l'urgence de la crise, nous sommes entrés dans une logique d'anticipation. Nous souhaitons que les décisions politiques et le fonctionnement des services de l'État s'alignent sur le temps de l'urgence sanitaire et sociale.

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