Sur la question du temps administratif et du temps de l'urgence, je citerai un exemple qui me permettra d'évoquer les bébés. Je vous rejoins pleinement sur les difficultés de la rentrée, où l'on a fait comme s'il ne s'était rien passé. Il en a été de même au sein des crèches qui ont rouvert progressivement. Nous avons reçu le guide de la DGCS mi-septembre alors que les établissements étaient déjà ouverts.
La Croix-Rouge a immédiatement été centre opérationnel puisque notre association a cet « usage » de la crise, elle sait fonctionner de cette façon. Nous avons passé notre temps à envoyer des instructions à l'ensemble de notre réseau, ainsi que nos réflexions à l'État, lequel envoyait les siennes dans la suite. Il est juste que le temps de décalage devient assez complexe. Par ailleurs, il convient d'évoquer les prises de décisions, avec par exemple l'annonce faite, un jeudi, par le ministre de la Santé et des Solidarités s'agissant de l'obligation de porter un masque le lendemain, et la parution du décret dès le lendemain matin.
L'évolution, qui peut être simplement perçue en termes de santé publique, est également pédagogique. En tant qu'expert, j'avais tenté d'expliquer que le fait, pour de jeunes enfants, d'observer des adultes masqués toute la journée est problématique, ce que le Haut conseil à la santé publique partage. Il est considéré qu'il convient de vivre avec le virus, mais, en dehors de quelques témoignages presque subjectifs d'éducatrices de jeunes enfants, je ne suis pas en capacité d'en estimer les conséquences pour ces petits enfants. La réflexion qui est engagée sur les masques inclusifs transparents s'inscrit dans la durée en intégrant le temps de la négociation et de l'analyse des impacts pratiques.
S'agissant de la protection de l'enfance, le guide nous est parvenu la semaine dernière.
Il m'est très difficile de me positionner sur les préfectures dans la mesure où chaque préfet a son usage, entre des bonnes pratiques qui s'appuient sur une coordination avec les différentes associations pour activer les uns et les autres en fonction de leurs projets et de leurs envies, et des pratiques qui sont plus militaires. Cette situation crée des tensions et des incompréhensions, ce qui n'est pas très efficient sur le territoire.
La Croix-Rouge a parfois été le relais de la distribution de bons alimentaires, mais je ne saurais en dresser un bilan objectif étant donné les multiples retours que j'ai reçus. Certains l'ont qualifiée de très fluide et d'autres d'aléatoire et incompréhensible. En tout état de cause, je me félicite que ces moyens aient répondu aux besoins de ceux qui ont pu en bénéficier, mais elle n'a pas couvert ceux des nouveaux publics, notamment des étudiants. J'invite les préfectures à avoir cet usage systématique d'une coordination avec les associations se trouvant sur leur territoire.
Nous avons invité les bénévoles les plus âgés à rester chez eux, ce qu'ils comprennent en termes de santé, mais qu'ils vivent très mal car ils sont mobilisés par leur engagement, ce qui les conduira probablement à s'interroger sur sa poursuite. Durant la période de confinement, du fait de l'arrêt du travail pour un certain nombre d'entre eux, la mobilisation a été forte. Chacun a pu observer très concrètement cet élan de solidarité. La reprise du travail a conduit à perdre ces ressources, car il peut être compliqué de gérer l'intensité de l'engagement demandé, avec un temps minimal requis.
S'agissant de l'état des très jeunes enfants, les professionnels en maternité s'interrogent sur les conséquences de cet environnement anxiogène, alors que fonctionner uniquement avec le regard n'est pas notre usage quotidien. Nous disposons de lieux de distribution alimentaire dédiés aux bébés car nous savons que le coût de leur nourriture est très élevé. Nous essayons de coupler la nutrition avec un soutien à la parentalité, afin de pouvoir mobiliser les parents dans l'accompagnement de leurs jeunes enfants. Nous pouvons également fournir des produits frais aux personnes qui sont logées à l'hôtel, mais celles-ci ne disposent pas d'espace pour cuisiner.
Nous constatons aussi des différences culturelles. Dans l'un de nos centres de protection maternelle et infantile (PMI), l'éducatrice de jeunes enfants apprenait aux mamans à cuisiner les haricots verts et avait prévu d'en remettre 500 grammes à chacune d'elle, mais elle s'est retrouvée avec tous les haricots verts en fin d'atelier car ces dernières n'avaient absolument pas compris ce qu'était ce produit. Au-delà de l'accès à la denrée, il faut considérer son utilisation. Nous nous trouvons dans cette situation d'urgence d'être pris entre la réponse immédiate, la question de l'éducation et des compétences sociales et psychologiques de ces personnes qui sont encore plus mises à mal par cette crise.