Intervention de Philip Modolo

Réunion du jeudi 8 octobre 2020 à 14h15
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Philip Modolo, secrétaire général des Restos du Cœur :

Accueillant 900 000 personnes, il nous faut anticiper. Nous avons estimé la situation dans les mois à venir avec 10, 15, 20, voire 30 % de personnes accueillies supplémentaires. Sur le plan arithmétique, en s'appuyant sur la crise financière de 2008, le chiffre d'un million n'est pas choquant. J'ai tenté de contacter plusieurs économistes de renom afin d'obtenir leur analyse de l'évolution de la situation économique et de l'impact sur la pauvreté, mais aucun ne m'a répondu. Leur argument se fonde sur une grande incertitude liée à cette crise, dont il est extrêmement difficile d'évaluer la profondeur et la durée. Aux Restos du Cœur, nous estimons que nous accueillerons 20 à 30 % de personnes supplémentaires dans les deux années à venir.

L'aide alimentaire constituera une première étape vers un accompagnement plus large sur toutes les dimensions, y compris en matière de soutien scolaire et d'apprentissage de la langue pour les parents, d'accès au logement, à l'insertion, à l'emploi et à de simples droits sociaux. Cet ensemble d'activités monopolise de nombreux bénévoles et est au moins aussi important que l'aide alimentaire.

L'anticipation consiste à tenter d'estimer le nombre de bénévoles et les moyens financiers nécessaires. La générosité publique est extrêmement présente, mais également très aléatoire. Il est très difficile de prévoir son maintien, son augmentation ou sa diminution puisque nous avons aussi de très petits donateurs. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous appuyer sur cette générosité publique pour établir nos estimations, ce qui nous conduit à compter sur les pouvoirs publics pour nous aider à traverser cette période. Nous avons besoin de lisibilité financière.

Les Restos du Cœur sont extrêmement inquiets sur l'évolution du FEAD, qui était le seul fonds européen dédié à la lutte contre la pauvreté. Il a été inclus dans le fonds social européen + (FSE+), qui comprend un ensemble d'actions allant de la fracture numérique à la lutte contre la pauvreté ou l'aide à la formation. Finalement, un fonds européen intégralement dédié à la pauvreté sera transféré vers un fonds multi-actions dont l'arbitrage sera opéré par les pouvoirs publics français. Chaque année, l'État français choisira les dotations consacrées à telle ou telle action.

Un fonds sanctuarisé sur une période de six ans nos offrant une lisibilité financière et la possibilité de nous projeter sera remplacé par un fonds à tiroirs qui générera chaque année des allers et retours avec les pouvoirs publics, afin de pouvoir continuer à bénéficier du même niveau de financement. Nous sommes extrêmement inquiets sur le niveau d'aide par rapport à celui dont nous bénéficions dans le cadre du FEAD, ainsi que sur sa pérennité.

Les associations ne font pas l'aumône. A contrario d'autres pays, la France a fait le choix politique et historique de s'appuyer fortement sur ce dernières pour distribuer cette aide. Le minimum qui puisse être fait est de nous accompagner et de nous sécuriser sur la reconduction de ces aides chaque année.

Notre première volonté serait que l'association puisse être dissoute, car la pauvreté n'existerait plus dans ce pays. Les Restos du Cœur ont été créés voici 35 ans. La première année, nous distribuions 30 millions de repas et nous en sommes à 130 millions, ce qui reflète l'évolution de la situation de la pauvreté et de la précarité en France. L'engagement des bénévoles consiste à se demander concrètement, jour après jour, comment contribuer à sa petite échelle à la baisse de la précarité et de la pauvreté. Si nous pouvions ne pas exister, nous serions les premiers ravis.

Nous engagerons une réflexion de fond sur la problématique du bénévolat. Nous avons fait notre autocritique et avons constaté que nous n'avons pas forcément correctement intégré les bénévoles qui se sont déclarés volontaires pour nous aider. Aujourd'hui, occuper un poste de bénévole à responsabilités dans une association importante est un travail à plein-temps. Je suis secrétaire général bénévole et je passe cinq jours sur cinq à m'engager dans cette association. Nous rencontrons de grandes difficultés à recruter des bénévoles pour des postes à responsabilités et à intégrer les jeunes. Il nous faut nous remettre fondamentalement en cause sur ce thème, ce que nous ferons certainement dans les mois et les années qui viennent.

Le plan de relance en matière alimentaire nous paraît convenable. Du point de vue général, s'agissant de la lutte contre la pauvreté et la précarité, je rejoins complètement les propos qui ont été tenus.

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