Intervention de Myriam Menez

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 10h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Myriam Menez, présidente de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) du département du Val-de-Marne :

Vous nous interrogez sur la manière dont les parents ont vécu les vacances. Tous les ans, à partir du mois de juin, nous voyons revenir la grande polémique sur les cahiers de vacances. Cette année, aucune question n'a été posée. De notre point de vue, cela traduit la volonté des parents de laisser leurs enfants profiter de leurs vacances. Nos enfants en ont besoin, puisqu'ils sont fatigués et ont vécu de nombreux chamboulements. Peut-être allons-nous enfin leur accorder un véritable temps d'enfant, sachant qu'ils sont demeurés enfermés durant des mois. Les vacances leur ont permis de revivre, de renouer avec des activités. De nombreuses familles se sont tournées vers les activités culturelles, comme les visites de musée, mais rares sont celles qui se sont orientées vers ce côté très scolaire du cahier de vacances. Il est donc très important, de notre point de vue, de respecter les vacances. Le principe des vacances apprenantes ne présentait, en soi, aucun caractère péjoratif. Nous avons seulement relevé que l'objectif de mixité sociale serait nécessairement contrarié, puisque les mêmes enfants en difficulté seraient regroupés avec d'autres enfants en difficulté, alors que le dispositif aurait pu être davantage élargi pour permettre un brassage des enfants d'une même école ou d'une même ville, indépendamment de la catégorie socioprofessionnelle des parents. Il est louable de proposer des activités de codage ou d'équitation, mais cette conception des vacances apprenantes risque à nouveau de séparer les catégories socioprofessionnelles et de stigmatiser les enfants. En outre, le dispositif a été instauré si rapidement que de nombreuses familles qui auraient sans doute souhaité en profiter n'ont pas pu ou su comment procéder à l'inscription de leurs enfants.

Les vacances de la Toussaint tombent donc à point nommé. Tout le monde est fatigué, et ces vacances apporteront beaucoup de bien à nos enfants. Le couvre-feu est ce qu'il est, et l'impossibilité de sortir après 21 heures ne constitue nullement un problème pour nos jeunes enfants. En revanche, il importe que nos enfants puissent se rendre en vacances et rejoindre leur famille, dont ils sont parfois restés éloignés durant plusieurs mois. Les enfants des familles divorcées doivent aussi pouvoir profiter de leur deuxième parent. Si les vacances existent, c'est bien parce que les enfants ont besoin d'une pause à un moment. Dans le cas présent, ce sont avant tout les enfants qui ont besoin d'une pause. Les vacances de la Toussaint tombent donc à point nommé et seront appréciées, du moins si l'on n'enferme pas ou si l'on ne cantonne pas les enfants durant cette période.

Sur le sujet de l'outre-mer, nous disposons également de représentants de parents sur quelques territoires ultramarins. Ceux-ci nous avaient depuis longtemps alertés sur le faible outillage informatique des établissements scolaires, devenu plus que criant avec la crise, qui a mis en avant les difficultés que ce déficit pouvait engendrer, y compris pour des familles équipées en informatique sans être familières du sujet. Il est vrai que les enfants d'outre-mer sont sans doute ceux qui ont le moins bénéficié de la continuité pédagogique. Ce problème est d'autant plus prégnant que l'outre-mer est déjà marqué par une plus grande difficulté de remplacement des enseignants absents. De fait, les jeunes ultramarins ont continué à cumuler de nombreuses situations délicates, et nous devrons réfléchir à la manière de mieux les aider à se trouver au même niveau que leurs camarades de l'Hexagone. Les disparités sont réelles, et nous avons l'impression que la mer coupe des ponts, ce qui n'est pas acceptable, puisque tous les enfants de France, quel que soit leur lieu de résidence et de scolarisation, doivent être égaux dans leur capacité à recevoir des enseignements.

Concernant les familles invisibles, nous constatons qu'il s'agit souvent des mêmes familles qui rencontrent une difficulté d'accès au numérique ou qui n'y ont pas accès. Pourtant, en cette rentrée, nous avons constaté que les établissements scolaires – en particulier ceux du second degré – continuaient à se servir de l'espace numérique de travail (ENT) de la même manière, toujours sans se soucier de ces familles en rupture avec le numérique. Ce sont donc toujours les mêmes familles qui ne sont pas informées de l'organisation de réunions, du moins lorsqu'elles se tiennent. À cet égard, je tiens à dire que nous avons dû nous battre pour que les réunions de rentrée se tiennent, alors qu'il s'agit d'un temps fort de rencontre des équipes, mais aussi d'un des rares temps durant lesquels les familles sont invitées dans l'établissement dans une perspective positive, sachant que nous sommes généralement convoqués pour recevoir des réprimandes sur nos enfants. In fine, nous n'avons pas pris de recul sur les enseignements tirés de la crise du Covid-19, notamment sur le fait que certaines familles sont en rupture avec le numérique. Ce problème n'a absolument pas été pris en compte, et la rentrée s'est déroulée de manière tout à fait normale, en les excluant à nouveau. Nous rencontrons de réelles difficultés à les joindre, comme nous rencontrons de réelles difficultés à joindre toutes les familles ; nous passons notre temps à nous battre pour que les établissements scolaires acceptent de nous communiquer les adresses mail des parents, même si ces derniers ont donné leur autorisation. Malgré tout, nous sommes parvenus à entrer en contact avec certaines de ces familles, notamment via des voisins venus nous prévenir, qui savaient utiliser le numérique et qui ont pu trouver nos coordonnées, notamment lorsqu'il était demandé d'imprimer de nombreux documents pour les enfants. Parfois, ce sont les voisins qui ont assuré le lien entre les fédérations de parents d'élèves et les familles. Pour les jeunes en âge d'être équipés d'un téléphone portable, les réseaux sociaux ont non seulement permis aux enfants d'entrer en contact avec leurs camarades, mais aussi aux fédérations d'entrer en contact avec les familles, lorsque l'un de nos enfants signalait qu'un camarade était en difficulté pour se nourrir. Il nous est même arrivé de porter secours à des enfants qui se sont retrouvés seuls au moment de l'hospitalisation de leurs parents. Malheureusement, les enfants qui se retrouvent seuls à la maison parce que la famille est touchée par la maladie ont été totalement oubliés.

La solidarité a donc beaucoup aidé, mais ce n'est pas l'institution qui nous a aidés. Nous ne comprenons pas pourquoi l'institution ne met rien en place pour permettre de créer le lien adapté à chaque situation familiale, étant entendu que toutes les familles ne peuvent pas entretenir le même type de lien avec l'école. Nous souhaiterions donc que cette période de crise sanitaire permette de rappeler qu'il est nécessaire de créer le lien avec toutes les familles, et que nous devons porter une grande attention à celles avec qui le lien n'est pas établi.

Je reviendrai enfin sur le terme de « décrocheurs » utilisé durant cette période. Ce terme était utilisé pour tous les enfants avec qui nous ne parvenions pas à établir un contact par mail ou par téléphone. Pourtant, rien ne dit que ces enfants n'avaient pas de contact avec leurs petits camarades. En outre, le terme « décrocheur » doit s'appliquer à l'élève qui ne parvient plus à suivre. Certains enfants ont décroché parce qu'ils ne parvenaient plus à suivre, mais ils n'étaient pas comptés comme décrocheurs. En parallèle, certains jeunes parvenaient à suivre en s'appuyant sur les documents au format papier qu'ils avaient récupérés, tout en étant considérés comme décrocheurs, alors qu'ils ne l'étaient pas au sens premier du terme.

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