Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Jeudi 15 octobre 2020
La séance est ouverte à onze heures cinq
Présidence de Mme Christine Cloarec, présidente
Bonjour à toutes et à tous. Nous poursuivons nos auditions sur la scolarité des enfants et adolescents et les enjeux de la continuité pédagogique durant la crise sanitaire. Nous recevons, pour cette seconde table ronde de la journée, des représentants des associations des parents d'élèves : Mme Violaine Bigot, membre du bureau national de l'Association des parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL), et M. Christophe Abraham, secrétaire général adjoint ; Mme Carla Dugault, co-présidente de la Fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques (FCPE) ; Mme Myriam Menez, présidente de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) du département du Val-de-Marne.
Après avoir entendu des organisations représentatives des personnels enseignants et de direction, nous souhaiterions obtenir votre éclairage, en tant que parents d'élèves, sur l'impact de la crise sanitaire sur la scolarité de vos enfants, lors de la fermeture des établissements scolaires le 16 mars dernier, lors de leur réouverture par étapes à compter du 11 mai, puis lors de la rentrée scolaire de septembre 2020, qui n'est évidemment pas une rentrée comme les autres.
Nous souhaiterions vous entendre sur la poursuite de la scolarité des enfants durant le confinement ; sur les outils mis à la disposition des enseignants, des enfants et des parents ; sur les difficultés rencontrées ; sur la mise en œuvre des classes virtuelles ; sur la motivation des enfants et les risques de décrochage.
Nous souhaiterions également connaître votre sentiment sur la perception, par les lycéens, du remplacement des épreuves du baccalauréat par le contrôle continu, qui les prive, en quelque sorte, d'un rite de passage, ainsi que sur les enjeux de l'inscription sur Parcoursup dans ce contexte particulier.
Nous serions par ailleurs désireux de vous entendre sur les conditions de la reprise de la scolarité à partir du 11 mai ; sur le caractère inédit d'une école facultative au printemps dernier ; sur votre appréciation des protocoles sanitaires qui se sont succédé.
Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions ; par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct et en différé sur le site internet de l'Assemblée nationale.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Violaine Bigot, M. Christophe Abraham, Mme Carla Dugault et Mme Myriam Menez prêtent serment.)
La crise sanitaire que nous traversons génère des effets sans précédent. C'est particulièrement vrai pour la période examinée aujourd'hui, qui concerne la première vague de la pandémie et les conséquences qu'elle a engendrées.
Cela dit, cette crise n'a pas généré que des effets négatifs, et nous tenions à le signaler. Une véritable solidarité s'est développée entre les parents d'élèves et l'ensemble des membres des communautés éducatives. Le confinement a également entraîné un effet accélérateur sur la prise en main des outils numériques par les enseignants. Des professeurs – même parmi les plus âgés ou les plus réticents vis-à-vis du numérique – se sont adaptés et ont été capables d'organiser, en quelques jours, des cours en distanciel avec leurs élèves. Sans formation particulière, nombre d'entre eux ont trouvé le ton juste et ont su entretenir un lien social et maintenir le lien professeur/élève. Nous les remercions pour ce travail.
En outre, certains élèves se sont paradoxalement épanouis durant cette période. En effet, à cause de leur timidité, certains ne pouvaient pas ou n'osaient pas prendre la parole. Les cours dispensés par le biais de moyens plus modernes leur ont permis de travailler autrement.
Enfin, certains moyens mis en place par l'État ont été particulièrement appréciés, comme la plateforme déployée par le Centre national d'enseignement à distance (CNED), ou comme les émissions de télévision de type Lumni.
Nous mentionnons ces effets parce qu'il nous paraît nécessaire de nous appuyer sur ces points positifs lors du retour en classe et pour envisager l'avenir.
À l'inverse, des situations ont été très mal vécues. Elles touchent évidemment tous les acteurs de la communauté éducative de diverses manières. En premier lieu, les parents d'élèves ont différemment vécu la période, qu'ils résident en ville ou à la campagne, qu'ils soient parents d'un ou plusieurs enfants, qu'ils habitent dans un appartement de 30 mètres carrés ou dans une maison avec jardin ou à la campagne.
La Covid-19 a été, très rapidement, un révélateur de la fracture numérique, au point que même des familles disposant d'un ordinateur ont rencontré des difficultés à gérer le partage, devenu nécessaire pour tous les membres de la famille. Il s'agit d'un point extrêmement important.
La continuité pédagogique a souvent connu des soubresauts lors de sa mise en place. Le travail à la maison demandé aux enfants était parfois mal adapté, et nous avons souvent assisté à une absence de concertation des enseignants, avec une importante quantité de travail pour certains jeunes.
Lorsque le retour en classe est devenu possible, certains établissements ont peiné à s'organiser pour gérer parallèlement les cours en présentiel et les cours en distanciel. Ce point fut particulièrement important.
Le lien entre les enseignants et les parents d'élèves n'a pas été vécu de la même façon partout, surtout lors du retour en classe. Si la solidarité a, dans un premier temps, poussé à un renforcement des liens avec les associations de parents d'élèves, tout en permettant parfois à des enseignants de nouer un lien plus direct avec les familles pour faciliter le travail à distance, le retour en classe s'est avéré légèrement plus compliqué. La charge de travail supplémentaire et des directives trop changeantes – voire contradictoires – ont parfois conduit des chefs d'établissement à gérer seul, au détriment des liens avec les familles, pourtant primordiaux. Cela a pu créer, ici ou là, des incompréhensions, voire des tensions.
L'APEL souhaiterait surtout attirer votre attention sur deux catégories d'enfants qui ont particulièrement souffert de la crise de la Covid-19. D'abord, les plus jeunes – de 3 à 6 ans – sont souvent ceux qui ont le plus mal vécu la période de confinement, comme la période actuelle nécessitant de la distanciation physique. Les conséquences psychologiques sont réellement importantes. De plus, la question des savoirs de base, notamment chez les élèves de cours préparatoire (CP), s'est révélée particulièrement difficile. Heureusement, les bilans dressés lors de la rentrée des classes au printemps et au septembre ont semble-t-il permis à la majorité des enseignants de pouvoir accompagner ces élèves pour rattraper le retard. Cela dit, il ne faudrait pas que la situation sanitaire perturbe cette remise à niveau.
La deuxième catégorie concerne les enfants en situation de handicap. Malgré l'annonce d'une priorité qui leur était accordée, ces élèves ont été, bien souvent, les plus affectés. Sans même parler des difficultés vécues durant le confinement, le retour en établissement fut compliqué. L'absence d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), les difficultés de communication liées au masque porté par les adultes et à l'impossibilité de lire sur les lèvres des professeurs ou des camarades, ainsi que la gêne plus importante à l'égard du port du masque ont été des facteurs perturbants.
Concernant le décrochage scolaire, nous avons constaté, pendant et après le confinement, que l'éloignement de l'école constituait naturellement un facteur aggravant du décrochage. Les élèves des lycées professionnels ont été les plus touchés par ce phénomène. Nous le déplorons, car certains de ces jeunes étaient déjà en grande fragilité.
Nous souhaiterions aussi attirer votre attention sur la situation des étudiants, qui ont vécu une fin d'année extrêmement difficile. L'isolement social, les cours à distance – avec parfois le seul téléphone pour suivre les cours et passer les examens –, la difficulté de trouver des stages, l'absence de petits jobs pour compléter les fins de mois et les difficultés accrues pour trouver un emploi saisonnier ont fragilisé une partie de notre jeunesse. Nous nous devons de ne pas les laisser dans une telle situation et leur offrir des conditions d'étude décentes.
Les mesures sanitaires mises en place lors de la reprise et à la rentrée de septembre sont globalement bien acceptées par les élèves. Il nous semble toutefois important, eu égard au contexte sanitaire dégradé, que nous puissions disposer des moyens humains et matériels pour affronter une situation qui risque d'être beaucoup plus longue que prévu.
En conclusion, sachons tirer profit de l'expérience que nous avons pu accumuler depuis quelques mois pour trouver des solutions, au sein de la communauté éducative, afin de maintenir nos écoles ouvertes et de leur permettre d'accueillir nos enfants dans les meilleures conditions.
Partageant totalement les propos de ma collègue, je laisse volontiers la parole aux autres intervenants.
Des enfants et des jeunes en devenir vivent à nos côtés une période inédite, durant laquelle les inégalités socio-scolaires se sont aggravées, et où l'avenir semble bien incertain et anxiogène. La mise en œuvre de la continuité pédagogique en « tout distanciel » a démontré que, si des élèves pouvaient se retrouver dans un travail individuel, la grande majorité se mobilise également par le travail coopératif avec les pairs, dans les interactions avec les pairs comme avec les enseignants.
Dans les faits, la continuité pédagogique a revêtu plusieurs formes : continue, en pointillé, discontinue ou même rompue. Nombreux sont les facteurs qui ont accentué les inégalités entre élèves déjà existantes : connexion internet, matériel, connaissance de la culture scolaire, contexte environnemental, sanitaire, social et familial, accompagnement et autonomie, etc. À cela s'ajoutent les possibles effets du confinement, comme l'isolement social, la moindre activité physique, le mal-être psychologique ou la violence intrafamiliale. La non-fréquentation des établissements porte grandement atteinte aux élèves les plus en difficulté, qu'il s'agisse de difficultés scolaires, sociales, psychologiques, ou d'élèves en situation de handicap, etc.
L'impréparation et la mauvaise gestion de la crise sanitaire par le Gouvernement ont laissé des traces. Selon un sondage que nous avons réalisé en septembre 2020 en collaboration avec Kantar, 69,8 % des parents s'inquiétaient à l'idée que leurs enfants soient de nouveau amenés à rester à la maison pour cause de fermeture d'établissement liée au coronavirus et à la mise en place de la continuité pédagogique.
Avec cette épidémie qui persiste, nous devons continuer à nous attacher à ce que le plus grand nombre d'élèves puissent se rendre au moins une fois par semaine dans l'établissement scolaire, afin de soutenir le lien éducatif et pédagogique, la mobilisation scolaire, le sentiment d'appartenance, ainsi que le suivi psychosocial de l'élève.
Dans l'intérêt de nos enfants, le retour à l'école aurait aussi dû être celui des apprentissages en groupe, et non celui des évaluations. Après une continuité pédagogique hétérogène, le ministère a fait le choix de tests d'évaluation et de positionnement en lieu et place d'une reprise coopérative et bienveillante envers les élèves.
Nous avions aussi réclamé un aménagement du premier trimestre : remédiation approfondie ; progressivité des cycles avec préférence donnée à l'appréciation plutôt qu'à la note. Le ministère ne nous a pas entendus.
Il en est de même pour le bâti scolaire. Depuis longtemps, la FCPE n'a eu de cesse de dénoncer notre bâti scolaire, qui est vétuste et qui manque cruellement d'investissements. Le volet rénovation énergétique du plan de relance du Gouvernement apparaît bien insuffisant au vu des besoins en matière de bâti scolaire.
Le budget pour 2021 ne prévoit pas non plus de mettre fin à l'érosion des effectifs des personnels médicaux, infirmiers et sociaux, alors même que leur rôle est essentiel en cette période de crise sanitaire. D'ailleurs, la FCPE demande la présence d'au moins une infirmière par établissement.
Après la baisse drastique du budget alloué aux fonds sociaux en 2020, le Gouvernement prévoit de l'augmenter en 2021. Néanmoins, son montant restera bien inférieur à son niveau de 2019, alors même que les besoins sont plus importants.
Si la crise sanitaire a mis en lumière la coéducation, la démocratie scolaire a été largement fragilisée. Il est inacceptable que, bien souvent, tous les membres de la communauté éducative siégeant de droit dans les conseils d'école ou les conseils d'administration n'aient pas pu donner leur avis sur l'organisation du temps scolaire et périscolaire, sur leur programme et sur le protocole sanitaire mis en œuvre. Durant cette période, la coéducation s'est réinventée. Parents, enseignants, équipes éducatives, élèves, collectivités et associations coopèrent et agissent pour garantir à nos enfants l'accès à une école publique, laïque, gratuite, bienveillante et fraternelle.
Mon propos rejoint certains points évoqués par la FCPE. La continuité pédagogique a été mise en œuvre de manière très inégale d'un enseignement à l'autre et d'un établissement à l'autre. Les enseignants en autorisation spéciale d'absence ou malades n'étant pas remplacés, certains enfants sont restés totalement sans cours. Nous avons eu l'impression de ne pas avoir été assez accompagnés par le corps d'inspection sur la mise en œuvre de cette modalité d'enseignement, qui s'avère complexe et pas nécessairement adaptée à tous les enfants.
Abordons à présent les problèmes de moyens matériels et d'accès aux différents supports et plateformes. Pour les familles, il était très compliqué d'articuler télétravail et accompagnement scolaire. Sans compter les familles qui n'en avaient ni les moyens matériels ni les moyens intellectuels au sens large, ne serait-ce que par la barrière de la langue, par exemple. En temps normal, le monde de l'éducation est déjà très compliqué à appréhender pour la plupart des familles. Les difficultés ont augmenté avec le nombre d'enfants dans la fratrie. L'on n'équipe pas un enfant de 3 ou de 8 ou 9 ans d'un ordinateur portable personnel. En outre, nos équipements internet familiaux ne sont pas conçus pour supporter trois, quatre ou cinq connexions internet à haut débit, telles que le demandent les visioconférences. D'autres supports pédagogiques comme Lumni ont été mis en œuvre. Cela dit, les enseignants n'étaient pas non plus accompagnés pour apprendre à s'en servir comme support. Ces dispositifs n'ont donc pas ou peu été exploités.
Nombre de leçons pourraient être tirées de cette période. Pourtant, beaucoup trop souvent, les remarques des familles ont été perçues comme des reproches par les enseignants, ce qui n'a pas permis d'essayer de construire ensemble des solutions mieux adaptées au cas où nous aurions à nouveau besoin d'instaurer cette continuité pédagogique à distance. Elle pourrait aussi servir aux enfants malades et leur permettre de poursuivre, à distance, leurs enseignements avec leurs camarades.
La gestion de la crise Covid-19 fut difficile à comprendre pour les familles, particulièrement lors du retour à l'école. Les incompréhensions furent nombreuses, de même que les angoisses. Certaines familles souhaitaient que leurs enfants retournent à l'école, mais s'en voyaient refuser l'accès. D'autres ne le souhaitaient pas, soit par manque d'informations, mais aussi parce que les organisations proposées étaient parfois anxiogènes, voire très complexes ou totalement infernales pour les familles. Différents enseignants pouvaient se succéder sur la même semaine, ou n'être présents que quelques demi-journées.
Le travail avec les représentants de parents fut quasi inexistant. Celui-ci s'effectuait au bon vouloir des mairies pour les écoles et des chefs d'établissement pour les collèges. Il en est de même avec les inspecteurs d'académie, les recteurs, les préfets, qui ont étroitement travaillé avec les maires, mais pratiquement jamais avec les parents, alors que nous recevions de nombreuses questions des familles, que nous connaissons bien les établissements et que nous étions en mesure de soumettre des propositions.
Nous regrettons aussi que cette crise sanitaire n'ait toujours pas permis aux collectivités territoriales de prendre conscience du manque crucial d'hygiène dans les locaux, en particulier pour les structures de moyenne et de grande importance, qui sont sous-dotées en sanitaires. Les collectivités disposaient de tout l'été pour engager des travaux, mais rares sont celles qui en ont véritablement profité pour rénover des sanitaires en mauvais état ou en créer d'autres pour augmenter leur nombre.
Les parents s'interrogent sur la position des adultes, qui continuent d'exiger que les élèves se déplacent à chaque interclasse, plutôt que les enseignants. Pourtant, cette solution présente beaucoup d'autres vertus, en matière sanitaire, mais aussi sur le plan pédagogique, en évitant que les élèves ne courent dans les couloirs, avec parfois un cartable très lourd sur le dos.
La non-reprise en lycée général suscite également de l'incompréhension, alors que certains élèves avaient besoin de préparer l'entrée dans l'enseignement supérieur. Nous regrettons aussi l'absence de réel travail pour le lycée professionnel, contrairement aux annonces.
La place des élèves est à l'école, avec leurs enseignants, et non devant des écrans, quels qu'ils soient. Néanmoins, nous devons imaginer des solutions mieux adaptées lorsque la situation contraint à la mise en place de l'enseignement à distance. À cet égard, il nous semble que l'on ne prend pas le recul nécessaire et que l'on ne cherche pas à co-construire cette modalité pédagogique de substitution, alors qu'elle pourrait aussi être envisagée – par exemple – pour mieux scolariser les enfants malades.
La place des représentants de parents doit être réaffirmée. Ils connaissent les locaux et sont des relais auprès des familles, surtout lorsqu'elles sont éloignées de l'école. Dans l'enseignement public, ce sont aussi des élus de la République comme les autres, et il devient urgent de les reconnaître comme tels.
Vous insistez sur l'absence de dialogue entre l'institution de l'Éducation nationale et les fédérations de parents d'élèves. Que pensez-vous de la proposition de la plupart des syndicats d'enseignants de mettre en place un temps de concertation pour tirer le bilan de cette période de confinement et se préparer en cas de situation de crise nécessitant une nouvelle fermeture des écoles ? Cette proposition d'une cellule de veille et d'un temps de concertation entre l'équipe pédagogique, les fédérations de parents d'élèves, les syndicats d'enseignants et l'administration de l'Éducation nationale vous semble-t-elle adéquate ?
De surcroît, comment les parents ont-ils vécu la responsabilité de décider de remettre ou non leurs enfants à l'école au mois de juin ? Cela a-t-il donné le sentiment que l'école pourrait, en fin de compte, être facultative ? Pensez-vous, à l'inverse, que cette situation n'a emporté aucune conséquence sur la vision parentale de l'obligation de l'instruction ?
La rentrée 2020-2021 n'est évidemment pas une rentrée comme les autres. Tous les témoignages que nous avons recueillis au cours de nos auditions en démontrent les conséquences psychiques et physiques chez les enfants et les adolescents, mais aussi au sein de la communauté éducative, qui souffre de stress, de fatigue et parfois d'épuisement. En cette rentrée inédite, que pensez-vous de l'idée selon laquelle les programmes devraient être adaptés pour tenir compte des décrochages ou des difficultés rencontrées par de nombreux élèves pour terminer leur année, sachant que la fin d'année est souvent une période essentielle pour aborder le passage au niveau supérieur ?
Les temps de concertation auxquels vous faites référence dans votre questionnement sont-ils proposés au niveau national ou au niveau local ?
Je suppose que ces temps de réflexion sont proposés au niveau départemental, dans la mesure où il me semble très compliqué, pour l'échelon national, d'entrer dans le détail des préoccupations et des problématiques locales.
Merci pour cette précision. Sur le terrain, les établissements dans lesquels la rentrée s'est le mieux déroulée sont ceux qui avaient mis en place des temps de concertation au niveau de la communauté éducative – enseignants, chef d'établissement, parents d'élèves et personnels associés – pour garantir le meilleur accueil possible et assurer une prise de décision concertée. Le mois de juin fut particulièrement compliqué, puisque la société française était très angoissée par la Covid-19. Nous ignorions les conséquences potentielles d'un retour à l'école. Dans la mesure où la liberté de choix était accordée aux familles, les temps de concertation organisés au niveau de la communauté éducative ont permis aux parents et aux associations de parents de comprendre la situation et les décisions prises au sein des établissements. L'incompréhension fut en effet le plus difficile à vivre pour les familles confrontées à la décision de l'éventuel retour à l'école. Les consignes sanitaires drastiques ont d'ailleurs pu en effrayer plus d'un. En tout état de cause, nous ne pouvions pas cautionner une éventuelle obligation de scolarité sachant que les parents craignaient pour leurs enfants et que nous étions moins au fait des conséquences de la Covid-19 sur leur santé. Il était donc important de laisser cette liberté de choix aux familles, tout en leur proposant l'accompagnement des associations des parents, qui étaient capables d'expliquer, de parents à parents, la situation et les mesures mises en place au sein des établissements.
Les conséquences psychologiques de cette période ne font aucun doute. Nous sentons que nos enfants ont été extrêmement perturbés, tout simplement parce que la peur ressentie par les adultes s'est transmise à nos enfants.
La mise en place du contrôle continu en lieu et place du baccalauréat est une question difficile à aborder. Nous ne sommes pas favorables à un contrôle continu permanent, car il est important de maintenir le rite de passage que constitue le baccalauréat. Les élèves de terminale ont été très perturbés de quitter le lycée et d'entrer dans l'enseignement supérieur sans avoir franchi ce fameux rite de passage, dont l'importance n'est plus à démontrer. Passer le baccalauréat, c'est un évènement quasi national, puisque ses dates sont connues de tous. Dans le cas présent, la bascule vers le contrôle continu s'est déroulée dans un contexte très particulier. Nous avons relevé des problèmes de notation, sachant que les enseignants avaient attribué, en cours d'année, des notes plutôt formatives. Nous savons bien que les notes servent parfois à booster les élèves. Or cette année, ces notes formatives ont parfois été reçues en direct et validées pour le baccalauréat. Nombre d'élèves ont ainsi été mis en grande difficulté, puisque nous savons que certains élèves se réveillent tardivement, sans compter que certaines notations sont plus ou moins sévères. La problématique fut particulièrement prégnante pour les élèves qui n'ont pu passer leurs options. Remettons-nous toutefois en situation : étions-nous prêts, en tant que parents, à voir nos enfants enfermés à quarante dans une classe pour passer des épreuves ? Je pense que nous ne l'aurions pas accepté.
Vous nous questionnez d'abord sur la pertinence de mettre en place un temps de concertation avec l'ensemble des acteurs de la communauté éducative à l'échelle locale, et plus spécifiquement au niveau départemental. Je réponds naturellement par l'affirmative. Cela dit, nous pouvons difficilement croire en cette possibilité, puisque nous réclamons depuis longtemps l'instauration d'un tel dispositif. Le ministre de l'Éducation nationale, M. Jean-Michel Blanquer, a régulièrement organisé des réunions avec les fédérations de parents d'élèves, qui ont toutes clairement demandé un temps de préparation du retour à l'école. L'on nous a répondu que nous étions des acteurs incontournables, et que ce sujet serait nécessairement traité avec nous. En réalité, nous n'avons été associés à aucune réflexion. Il est donc difficile d'y croire. Néanmoins, nous ne devons rien lâcher, et toutes les personnes auditionnées ce jour sont des acteurs engagés et convaincus des idées et des valeurs qu'ils défendent. C'est dans nos gènes à tous, et nous n'abandonnerons pas. La mise en œuvre de temps de concertation serait donc possible si des consignes ou directives étaient clairement transmises aux chefs d'établissement, qui sont des chefs d'orchestre importants pour mettre en place ces temps d'échange et de concertation. En effet, nous avons déjà remarqué, sur le terrain, que les représentants de parents siégeant au niveau national étaient parfois mieux informés que les chefs d'établissement, ce qui est totalement aberrant. Nous travaillons ensemble, mais ce n'est pas suffisant. Le ministre de l'Éducation nationale doit donc également porter cette concertation, et nous attendons aussi que le législateur accompagne la mise en place de ce dispositif très demandé par les parents et par l'ensemble des acteurs de la communauté éducative.
Comment les parents ont-ils vécu la responsabilité de choisir si leurs enfants devaient ou non revenir à l'école ? Le confinement fut très difficile pour la plupart des familles. Nous l'avons exprimé de manière plus ou moins explicite au cours de cette audition. Aujourd'hui, si les parents devaient à nouveau jouer au professeur, la réponse générale serait plutôt négative, dans la mesure où les parents ont bien compris que l'enseignement était un métier à part entière et un véritable savoir-faire. Nous sommes des parents, et non des enseignants, même si nous sommes dans la coéducation. Nous avons pu constater, à l'issue du confinement, que cette coéducation avait été renforcée, mais ce n'est pas suffisant. Nous devons donc poursuivre dans cette direction et donner les moyens à l'ensemble des acteurs – dont les parents – de trouver leur place dans le parcours scolaire des enfants, mais aussi au sein des conseils d'administration, comme nous le relevons dans nos déclarations liminaires.
En tout état de cause, la responsabilité laissée aux parents fut très difficile à assumer, puisqu'ils n'étaient pas du tout rassurés. D'un côté, le Premier ministre soutenait que tout était prêt pour la reprise et qu'il ne s'agirait pas d'une rentrée Covid-19. De l'autre, nous constations bien, sur le terrain, que rien n'était préparé. Parallèlement, le Conseil scientifique insistait sur la complexité de la situation et réclamait de faire attention, tandis que le président de la République tenait un tout autre discours. Comment voulez-vous rassurer les parents lorsque les paroles officielles sont contradictoires ? Il est vrai que certains membres du Gouvernement se voulaient rassurants, mais ils ont échoué, puisque leurs discours étaient contradictoires. Les parents nous ont fortement sollicités, et nous recevions quotidiennement des appels de leur part. Par exemple, les parents d'enfants à la santé fragile ne voulaient pas qu'ils retournent à l'école pour attraper la Covid-19. Dans le même temps, leurs questions demeuraient sans réponse. Malheureusement, cette phase a duré très longtemps. Plus tard, lorsque tout le monde pouvait enfin être accueilli à l'école, la FCPE était ravie – comme les autres fédérations de parents – que nos enfants puissent retrouver le chemin de l'école, étant entendu que nous n'avons rien trouvé de mieux que la coopération pour apprendre.
L'adaptation des programmes a été exigée très en amont par la FCPE. Lorsque les enfants sont retournés à l'école, un temps de concertation et de discussion était nécessaire pour permettre aux élèves et aux enseignants de se réapproprier les enseignements, mais également pour adapter les programmes et les examens. Malheureusement, les lycéens vont de nouveau subir une pression forte, et ceux de la génération du baccalauréat 2021 – qui ont tout vécu – seront de véritables héros. Durant cette période, la FCPE s'est voulue force de proposition, puisque des solutions étaient envisageables. Hélas, nous n'avons pas été suivis. Je pense notamment à l'ouverture des classes par petits groupes, pour ralentir la circulation du virus, et pour que les enseignants prennent le temps de reprendre contact avec les élèves et d'échanger sur leur vécu durant le confinement. Certains élèves ont en effet été confrontés au deuil ou aux violences familiales. Tout n'a donc pas été facile. Du point de vue de la FCPE, la continuité pédagogique n'a pas souvent existé. Nous ne blâmons nullement les enseignants ni les parents, puisque ce sont eux qui ont tenu l'édifice, dans une situation épuisante pour tout le monde, y compris pour nos enfants.
Notre association est extrêmement favorable à la mise en place d'un temps de concertation. J'ai personnellement la chance d'être dans une académie où ce temps de concertation a été mis en place avec le recteur, avec qui nous nous réunissons presque toutes les semaines en audioconférence. Ce temps d'échange s'avère extrêmement important pour nous, puisque nous pouvons questionner le recteur et lui faire part des difficultés que nous rencontrons sur le terrain. Le besoin de concertation est donc indéniable, y compris au-delà du niveau départemental, qui gère d'autres éléments. Par exemple, le recteur peut difficilement réagir à nos questions traitant des écoles maternelles ou élémentaires, puisqu'il n'est pas nécessairement celui qui les gère – ce rôle est plutôt confié aux directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (DASEN). Ce temps de concertation doit donc aussi s'organiser avec les DASEN, mais également au niveau des écoles, des collèges et des lycées, avec les équipes, ainsi qu'au niveau des mairies.
Nous avons été extrêmement surpris par notre exclusion totale de la mise en œuvre des protocoles sanitaires. Dans le département du Val-de-Marne, au mois de mai, le préfet recevait toutes les semaines les maires pour échanger sur la mise en place des protocoles et la réouverture des écoles. Les parents et leurs représentants n'ont jamais été associés à ces réflexions, et certains d'entre nous réagissaient vivement, à la lecture des comptes rendus, aux propos tenus par nos maires, qui racontaient parfois des choses totalement fausses et aberrantes sur les écoles de leur ville. Peut-être que la présence des représentants des parents aurait permis d'éviter que certains édiles ne se perdent dans ces conjectures. En tout cas, elle nous aurait peut-être permis d'apporter notre éclairage de parents sur les actions susceptibles d'être mises en place. Nous aurions pu faire avancer certains dossiers et éviter que certaines écoles, qui reçoivent normalement 400 ou 500 enfants, n'en reçoivent que 30 ou 40 à leur réouverture. Ces décisions étaient d'autant plus inadmissibles que les maires les justifiaient par l'impossibilité de recevoir plus de douze élèves par classe et d'ouvrir les classes autres que celles du rez-de-chaussée, pour éviter que les élèves ne se croisent dans les escaliers. Or jusqu'à nouvel ordre, les enfants montent en classe et descendent en récréation à la même heure, toujours dans le même sens, et ne sont donc pas censés se croiser dans les escaliers. C'est un exemple très parlant. Un temps de concertation est donc nécessaire, à différents niveaux, dans la mesure où les questions diffèrent d'un échelon à un autre et ne sont gérées qu'à un certain niveau. Il est donc essentiel d'organiser la concertation au niveau où la question doit être traitée.
Comment les parents ont-ils vécu le retour à l'école ? Certaines familles étaient extrêmement angoissées. Cela dit, la non-imposition du retour à l'école – dans un premier temps – a au moins eu la vertu d'instaurer de la confiance. En effet, imposer une décision de manière unilatérale et liminaire suscite parfois de la défiance et s'avère contreproductif. In fine, la difficulté fut d'entendre, d'une part, que les parents devaient ramener leurs enfants à l'école, en raison de son importance – nous l'avons toujours pensé à la PEEP ; d'autre part, que certains parents n'étaient pas sélectionnés parmi les heureux élus dont les enfants pouvaient être accueillis à l'école. Il était quelque peu compliqué d'expliquer aux parents que l'école leur était fermée après leur en avoir vanté les mérites et les vertus. À l'inverse, il était compliqué de voir certains parents – notamment des enseignants – refuser de mettre leurs enfants à l'école alors qu'ils étaient prioritaires. Plusieurs familles nous ont fait remarquer que certains enseignants n'étaient pas favorables au retour de leurs enfants à l'école. Nous pouvons le regretter, d'abord parce que cette attitude n'était pas très fairplay vis-à-vis de leurs collègues, mais également parce que les autres enfants n'avaient de facto pas cours. En d'autres termes, les familles ont apprécié de pouvoir redémarrer l'école de manière douce, tout en déplorant que celles qui le souhaitaient vraiment en soient réellement privées.
S'agissant enfin de la nécessité d'adapter les programmes, nous y sommes évidemment favorables. Tous les parents et tous les représentants de parents le souhaitent et le demandent. Dans certains établissements, « la course à l'échalote » a déjà débuté. Certains enfants décrochent non pas à cause de la Covid-19, mais tout simplement parce que la quantité de travail qui leur est demandée s'avère proprement insoutenable. Ce n'est clairement pas normal. Un temps de réadaptation était nécessaire, encore plus au niveau des lycées, puisqu'aucun lycéen – du moins en région parisienne – n'a pu retourner dans son lycée, soit pratiquement six mois sans cours. Pour des adolescents qui doivent réapprendre certains rythmes, comme se lever le matin, il n'est pas facile de reprendre avec des enseignants dispensant leurs enseignements à marche forcée. Avouons-le quand même : les dates du baccalauréat tombaient cette semaine, alors même que l'épreuve fait l'objet d'une nouvelle structuration et que de nombreuses inconnues subsistent.
Nous ne reprochons rien aux enseignants, puisque nous comprenons qu'ils sont confrontés à l'équivalent d'une « boîte noire » et que leur seul objectif est d'assurer la réussite de nos enfants. Cela dit, nous ne comprenons pas qu'il leur soit demandé de courir le marathon de New York à toute vitesse, alors que certains ne savent que marcher. Nous sommes en train de gérer un décrochage qui pourrait être évité, si nous acceptions de reconnaître qu'il est nécessaire, pour cette année et les années suivantes, de revoir la progression des programmes en fonction des niveaux afin de retrouver un fonctionnement beaucoup plus doux. Comme le soulignait précédemment Mme Dugault, la continuité pédagogique a davantage pris la forme d'une continuité de liens que d'une continuité dans le parcours des contenus. D'un certain point de vue, nous pouvons nous en réjouir, car dans le cas contraire, les enfants ne pouvant accéder à toutes les ressources ou ne pouvant être accompagnés s'en seraient trouvés fortement lésés. J'ai parfois été interpellée par des parents d'enfants inscrits en maternelle qui s'étonnaient de devoir imprimer chaque matin une dizaine de pages pour ensuite les scanner avec les dessins de leurs enfants en fin d'après-midi, afin de ne pas saturer le système. Si une telle attitude a pu être observée en maternelle, imaginez ce qu'il a pu en être au premier degré.
En parallèle, certaines familles se plaignaient que les enseignants n'avançaient pas dans les programmes, oubliant que la moitié des élèves n'avaient pas accès à la classe virtuelle ou à la continuité pédagogique. Il est donc impérativement nécessaire de revoir les programmes, mais peut-être aussi de revoir ce que nous attendons de nos enfants. Peut-être est-ce le moment de privilégier des compétences et des connaissances de base plutôt que des connaissances extrêmement pointues. Les fondamentaux sont le plus important. Comme dans n'importe quelle maison, les fondations doivent être solides. Aujourd'hui, nos enfants doivent surtout acquérir les fondamentaux qui leur permettront de construire leur parcours de vie et leur parcours intellectuel global.
Enfin, nous sommes très inquiets pour les élèves de la voie professionnelle. Certains n'ont pas pu apprendre durant le confinement, car l'on n'apprend pas les gestes professionnels à distance. Soyons honnêtes. Sur certains métiers, et notamment pour les métiers du service à la personne, nos enfants sont, à l'heure actuelle, totalement privés de stage. Nous pouvons le comprendre au titre de la sécurité sanitaire, mais qu'adviendra-t-il de nos enfants après deux années sans la moindre pratique professionnelle ?
Les retours des parents sont très pertinents, notamment s'agissant de leur vécu au cours de cette période sanitaire difficile, qui emportera inévitablement un impact psychologique important sur l'ensemble des jeunes, qu'ils soient à l'école maternelle, à l'école primaire, au lycée ou en études supérieures. Comme nous l'avons entendu, les jeunes de la génération du baccalauréat 2021 seront des héros, et nous pourrons certainement en dire de même pour ceux de la génération du baccalauréat 2020.
Vous avez longuement abordé la question du retour à l'école. J'ai relevé que certains parents avaient réalisé que l'enseignement était un métier, et qu'ils n'étaient pas tout à fait disposés à recommencer en cas de reconfinement. Comme vous, je considère qu'il est important que nos enfants retrouvent le chemin de l'école et que les enseignants poursuivent leur formidable travail, même si nous avons été surpris d'apprendre, ce matin, que nombre d'entre eux souffraient d'épuisement.
Ma question porte non pas sur le retour à l'école, mais sur la manière dont les parents ont abordé les vacances. Beaucoup ont sans doute pu se reposer en période de confinement, mais pas nécessairement dans de bonnes conditions. Aujourd'hui, je dois dire que je suis assez surpris d'entendre que le Gouvernement encourage les familles à partir en vacances à la Toussaint alors que le couvre-feu s'applique dans les grandes métropoles et dans toute l'Ile-de-France. Comment les parents ont-ils vécu la période des vacances ? Ont-ils le sentiment que certains éléments ont changé ? Estiment-ils que les enfants ont véritablement pu se reposer ? Etaient-ils prêts à affronter les difficultés qui se sont accumulées ?
Ma première question porte sur les enjeux spécifiques aux outre-mer, où la continuité pédagogique semble avoir été compliquée à instaurer. Etes-vous en mesure de nous communiquer des données à ce sujet ?
Par ailleurs, dans la mesure où nous entendons parler de jeunes invisibles et de familles invisibles, avez-vous développé, durant cette crise sanitaire, des solutions vous permettant d'aller vers ces familles que vous ne touchez peut-être jamais en temps normal ?
En cette période particulièrement difficile, je considère bienvenu que les enfants puissent bénéficier d'un véritable temps de vacances. Faut-il ou non partir en vacances ? Ce n'est pas à nous de le dire, d'autant que peu de familles peuvent se permettre de partir à toutes les vacances – nous serions ravis que ce soit le cas. De notre point de vue, il importe surtout de ne pas mettre une pression supplémentaire sur les jeunes, au risque de confondre les vacances avec un temps de rattrapage. Les enseignants ont toute notre confiance, et je suis persuadé qu'une bonne coordination entre familles et enseignants permettra de rattraper les temps difficiles de l'année passée, du moins si cette année n'est pas trop perturbée. Dans la mesure où les enfants ont sans doute accusé de la fatigue, eu égard aux conditions particulières de ce début d'année, il est sain que les vacances de la Toussaient soient appréhendées comme de vraies vacances.
Concernant l'outre-mer, nous avons contacté nos amis des Antilles, qui ont confirmé la réalité de la fracture numérique, sachant que ces territoires abritent de nombreuses zones blanches. La crise fut sans doute plus compliquée à gérer, puisque certains enfants ont rencontré énormément de difficultés pour se connecter et maintenir un contact réel avec l'école durant la période de confinement. De fait, une attention plus particulière doit sans doute être portée aux enfants vivant en outre-mer.
S'agissant des familles les plus éloignées de l'école, une véritable solidarité s'est développée en début de confinement, puisque les familles n'ont pas hésité, comme nous l'observons dans toute situation de crise, à prendre contact entre elles et à se téléphoner. En tout cas, notre association s'est efforcée d'inciter à ces actes de solidarité. Le moment était particulièrement fort. Par la suite, le temps passant, cette réalité fut de moins en moins prégnante. Cela dit, nous avons observé que de nombreuses familles ramenaient des cours pour les jeunes et que certains jeunes s'entraidaient, avec la mise en place de tutorats. Nos constats de terrain viennent d'ailleurs confirmer les informations qui nous ont été remontées.
Pour la FCPE, les vacances sont les vacances. Elles permettent de se reposer, de lâcher prise, d'apprendre différemment – l'on n'arrête jamais d'apprendre – et en s'amusant, sans aucune pression et avec beaucoup moins de contraintes. Aux vacances apprenantes proposées par M. Blanquer, la FCPE a répondu par des vacances reposantes. Nous avons donc emmené de nombreux enfants à la mer en juillet, avec un véritable succès, puisque vous n'êtes pas sans savoir que de nombreuses familles n'ont jamais l'occasion de se rendre en bord de mer. Généralement, nous considérons que c'est plutôt l'école qui s'éloigne de ces familles, et non l'inverse. Ces sorties sont une manière de les reconnecter à l'école et aux acteurs de l'école publique. Ces parents sont d'ailleurs très demandeurs, mais ils ont besoin d'accompagnement pour effectuer des sorties, y compris des sorties culturelles. Ces parents sont désireux de faire découvrir un musée de proximité à leurs enfants ou de les emmener à Paris, du moins pour les résidents franciliens. En revanche, ils nous sollicitent pour les accompagner, puisqu'il leur est difficile d'apporter des explications à leurs enfants. Ils nous ont même demandé de produire des guides. Nous avons donc pu échanger sur tous ces sujets au cours de ces journées à la mer organisées par la FCPE. Des vacances apprenantes ont été prônées par M. Blanquer, alors que nos enfants – comme les parents – ont déjà beaucoup souffert de pression et d'angoisse durant le confinement et avaient besoin de se reposer et de lâcher prise. Tout le monde attendait les vacances, et tout le monde les attend encore, sachant que nous sommes tous fatigués avec cette crise sanitaire.
Pour ce qui est de l'outre-mer, la FCPE pourra vous faire parvenir un certain nombre de données, puisque nous sommes très présents sur les territoires ultramarins, de même qu'à l'international, puisqu'il existe aussi des établissements français à l'étranger. Cette dimension ultramarine et internationale nous a particulièrement aidés à la FCPE nationale, puisque nos homologues basés outre-mer ou à l'étranger, qui n'avaient pas le même calendrier, ont parfois expérimenté des dispositifs en amont de leur expérimentation en France, ce qui leur permettait de nous transmettre des informations très intéressantes pour anticiper les besoins des parents. Je pense notamment au cas de Mayotte, où la situation demeure très compliquée, puisque la crise sanitaire s'est accompagnée de violences. Je pense également à la Martinique, où la continuité pédagogique n'a pas été assurée, puisque rien ne fonctionnait, et où les élèves sont demeurés très longtemps sans apprentissage. Nous pourrons donc vous transmettre de nombreuses données relatives à l'outre-mer, sachant que l'un de nos administrateurs nationaux s'occupe spécifiquement de ces territoires.
S'agissant des jeunes invisibles, nous relevons que les médias ont souvent parlé des élèves décrocheurs. À la FCPE, nous avons considéré que ce traitement était parfois très stigmatisant, dans la mesure où les élèves qui n'ont pas pu suivre – nous préférons éviter le terme « décrocheurs » – ne sont pas seulement ceux des quartiers relevant de la politique de la ville. De nombreuses raisons expliquent ces difficultés de suivi, à commencer par le manque de motivation. Malheureusement, nous ne parlons jamais de l'épanouissement de l'élève ou de l'enfant. Nous avons pourtant la responsabilité de transformer l'école publique, étant entendu que nos jeunes sont les premiers demandeurs, dans la mesure où cette école ne correspond plus à leurs attentes et au monde qui est le leur. Nous devons donc transformer cette école. La période de confinement fut indéniablement propice aux actes de solidarité, ce qui a tendance à nous rassurer, puisque cela prouve que la solidarité existe. Tout le monde a contribué à cet effort, nous avons tous multiplié les appels, et chacun s'est efforcé d'agir à son niveau. Des élans de solidarité ont été observés, notamment au niveau des jeunes effectuant leurs études supérieures, sachant par exemple que les étudiants étrangers en France étaient en incapacité de recevoir l'argent envoyé par leurs parents, à cause des difficultés rencontrées par les services postaux. La solidarité s'est organisée à ce niveau, ne serait-ce que par rapport aux impératifs alimentaires. En d'autres termes, chacun s'est débrouillé au mieux. La débrouille n'est pas une politique d'État, mais rien d'autre ne nous a été proposé. Nous nous sommes donc débrouillés, avec plus ou moins de réussite et plus ou moins d'échecs. Nous n'avons malheureusement pas été en mesure de répondre à tout le monde, et tout le monde ne sait pas nécessairement comment appeler les associations de parents, sans compter que notre existence n'est pas connue de tous.
Forts de ces constats établis au regard du confinement, que nous avons tous vécu, nous considérons nécessaire de décharger les professeurs principaux pour leur permettre de contacter régulièrement les familles des élèves. Le professeur principal, ou un autre professionnel, devrait pouvoir échanger quotidiennement, du moins régulièrement, avec la famille de chaque élève. Peut-être que certains élèves auront davantage besoin de contacts téléphoniques ou par mail, voire de rencontres, puisqu'il est également important de se rencontrer et d'échanger en présentiel. Aujourd'hui, le système éducatif ne le propose pas, alors que nous avons compris, durant le confinement, que cette prise de contact régulière était indispensable. La cohésion sociale passe aussi par là. Nous pouvons avoir l'impression que ces petits gestes ne peuvent modifier la donne, mais nous constatons que nous en avons cruellement besoin pour que la société française fonctionne mieux et soit plus bienveillante à l'égard de tous.
Nous avons aussi pour habitude, à la FCPE, de considérer que la transformation et la reconstruction de l'école de la République doivent s'opérer à partir des plus fragiles, sachant que cette école ainsi rénovée serait également adaptée aux enfants mieux lotis, qui pourraient alors jouer un autre rôle. Nous insistons fortement sur cet aspect, dans la mesure où l'école publique d'aujourd'hui ne correspond à aucun élève, ce qui est fort dommage. La FCPE croit fermement en l'école de la République, et c'est pour cette raison que nous sommes engagés depuis presque soixante-quatorze ans. Or cette école souffre, de même que nos enfants. Ce n'est pas normal, et nous ne pouvons évidemment pas laisser faire.
Vous nous interrogez sur la manière dont les parents ont vécu les vacances. Tous les ans, à partir du mois de juin, nous voyons revenir la grande polémique sur les cahiers de vacances. Cette année, aucune question n'a été posée. De notre point de vue, cela traduit la volonté des parents de laisser leurs enfants profiter de leurs vacances. Nos enfants en ont besoin, puisqu'ils sont fatigués et ont vécu de nombreux chamboulements. Peut-être allons-nous enfin leur accorder un véritable temps d'enfant, sachant qu'ils sont demeurés enfermés durant des mois. Les vacances leur ont permis de revivre, de renouer avec des activités. De nombreuses familles se sont tournées vers les activités culturelles, comme les visites de musée, mais rares sont celles qui se sont orientées vers ce côté très scolaire du cahier de vacances. Il est donc très important, de notre point de vue, de respecter les vacances. Le principe des vacances apprenantes ne présentait, en soi, aucun caractère péjoratif. Nous avons seulement relevé que l'objectif de mixité sociale serait nécessairement contrarié, puisque les mêmes enfants en difficulté seraient regroupés avec d'autres enfants en difficulté, alors que le dispositif aurait pu être davantage élargi pour permettre un brassage des enfants d'une même école ou d'une même ville, indépendamment de la catégorie socioprofessionnelle des parents. Il est louable de proposer des activités de codage ou d'équitation, mais cette conception des vacances apprenantes risque à nouveau de séparer les catégories socioprofessionnelles et de stigmatiser les enfants. En outre, le dispositif a été instauré si rapidement que de nombreuses familles qui auraient sans doute souhaité en profiter n'ont pas pu ou su comment procéder à l'inscription de leurs enfants.
Les vacances de la Toussaint tombent donc à point nommé. Tout le monde est fatigué, et ces vacances apporteront beaucoup de bien à nos enfants. Le couvre-feu est ce qu'il est, et l'impossibilité de sortir après 21 heures ne constitue nullement un problème pour nos jeunes enfants. En revanche, il importe que nos enfants puissent se rendre en vacances et rejoindre leur famille, dont ils sont parfois restés éloignés durant plusieurs mois. Les enfants des familles divorcées doivent aussi pouvoir profiter de leur deuxième parent. Si les vacances existent, c'est bien parce que les enfants ont besoin d'une pause à un moment. Dans le cas présent, ce sont avant tout les enfants qui ont besoin d'une pause. Les vacances de la Toussaint tombent donc à point nommé et seront appréciées, du moins si l'on n'enferme pas ou si l'on ne cantonne pas les enfants durant cette période.
Sur le sujet de l'outre-mer, nous disposons également de représentants de parents sur quelques territoires ultramarins. Ceux-ci nous avaient depuis longtemps alertés sur le faible outillage informatique des établissements scolaires, devenu plus que criant avec la crise, qui a mis en avant les difficultés que ce déficit pouvait engendrer, y compris pour des familles équipées en informatique sans être familières du sujet. Il est vrai que les enfants d'outre-mer sont sans doute ceux qui ont le moins bénéficié de la continuité pédagogique. Ce problème est d'autant plus prégnant que l'outre-mer est déjà marqué par une plus grande difficulté de remplacement des enseignants absents. De fait, les jeunes ultramarins ont continué à cumuler de nombreuses situations délicates, et nous devrons réfléchir à la manière de mieux les aider à se trouver au même niveau que leurs camarades de l'Hexagone. Les disparités sont réelles, et nous avons l'impression que la mer coupe des ponts, ce qui n'est pas acceptable, puisque tous les enfants de France, quel que soit leur lieu de résidence et de scolarisation, doivent être égaux dans leur capacité à recevoir des enseignements.
Concernant les familles invisibles, nous constatons qu'il s'agit souvent des mêmes familles qui rencontrent une difficulté d'accès au numérique ou qui n'y ont pas accès. Pourtant, en cette rentrée, nous avons constaté que les établissements scolaires – en particulier ceux du second degré – continuaient à se servir de l'espace numérique de travail (ENT) de la même manière, toujours sans se soucier de ces familles en rupture avec le numérique. Ce sont donc toujours les mêmes familles qui ne sont pas informées de l'organisation de réunions, du moins lorsqu'elles se tiennent. À cet égard, je tiens à dire que nous avons dû nous battre pour que les réunions de rentrée se tiennent, alors qu'il s'agit d'un temps fort de rencontre des équipes, mais aussi d'un des rares temps durant lesquels les familles sont invitées dans l'établissement dans une perspective positive, sachant que nous sommes généralement convoqués pour recevoir des réprimandes sur nos enfants. In fine, nous n'avons pas pris de recul sur les enseignements tirés de la crise du Covid-19, notamment sur le fait que certaines familles sont en rupture avec le numérique. Ce problème n'a absolument pas été pris en compte, et la rentrée s'est déroulée de manière tout à fait normale, en les excluant à nouveau. Nous rencontrons de réelles difficultés à les joindre, comme nous rencontrons de réelles difficultés à joindre toutes les familles ; nous passons notre temps à nous battre pour que les établissements scolaires acceptent de nous communiquer les adresses mail des parents, même si ces derniers ont donné leur autorisation. Malgré tout, nous sommes parvenus à entrer en contact avec certaines de ces familles, notamment via des voisins venus nous prévenir, qui savaient utiliser le numérique et qui ont pu trouver nos coordonnées, notamment lorsqu'il était demandé d'imprimer de nombreux documents pour les enfants. Parfois, ce sont les voisins qui ont assuré le lien entre les fédérations de parents d'élèves et les familles. Pour les jeunes en âge d'être équipés d'un téléphone portable, les réseaux sociaux ont non seulement permis aux enfants d'entrer en contact avec leurs camarades, mais aussi aux fédérations d'entrer en contact avec les familles, lorsque l'un de nos enfants signalait qu'un camarade était en difficulté pour se nourrir. Il nous est même arrivé de porter secours à des enfants qui se sont retrouvés seuls au moment de l'hospitalisation de leurs parents. Malheureusement, les enfants qui se retrouvent seuls à la maison parce que la famille est touchée par la maladie ont été totalement oubliés.
La solidarité a donc beaucoup aidé, mais ce n'est pas l'institution qui nous a aidés. Nous ne comprenons pas pourquoi l'institution ne met rien en place pour permettre de créer le lien adapté à chaque situation familiale, étant entendu que toutes les familles ne peuvent pas entretenir le même type de lien avec l'école. Nous souhaiterions donc que cette période de crise sanitaire permette de rappeler qu'il est nécessaire de créer le lien avec toutes les familles, et que nous devons porter une grande attention à celles avec qui le lien n'est pas établi.
Je reviendrai enfin sur le terme de « décrocheurs » utilisé durant cette période. Ce terme était utilisé pour tous les enfants avec qui nous ne parvenions pas à établir un contact par mail ou par téléphone. Pourtant, rien ne dit que ces enfants n'avaient pas de contact avec leurs petits camarades. En outre, le terme « décrocheur » doit s'appliquer à l'élève qui ne parvient plus à suivre. Certains enfants ont décroché parce qu'ils ne parvenaient plus à suivre, mais ils n'étaient pas comptés comme décrocheurs. En parallèle, certains jeunes parvenaient à suivre en s'appuyant sur les documents au format papier qu'ils avaient récupérés, tout en étant considérés comme décrocheurs, alors qu'ils ne l'étaient pas au sens premier du terme.
Les amalgames sont toujours nombreux. Les décrocheurs sont ceux qui ne sont pas revenus à l'école, et non tous les élèves qui ont rencontré des difficultés à suivre durant la période de confinement.
Nous vous remercions pour vos interventions. Je rappellerai que cette situation est totalement inédite, et que ce que nous avons initialement accepté de l'institution le sera nécessairement moins avec le temps. Cette commission d'enquête, dont Marie-George Buffet est à l'initiative, a justement pour but d'identifier des solutions et de soumettre des préconisations pour tirer des leçons des dysfonctionnements observés sur cette période.
Je salue la clarté de vos propos. Je retiendrai avant tout ce besoin d'écoute de la part de l'institution, pour les équipes éducatives comme pour les autres acteurs éducatifs que sont les parents. Nous recevrons cet après-midi plusieurs recteurs, et nous auditionnerons la semaine prochaine M. le ministre Jean-Michel Blanquer. J'insisterai fortement sur ce besoin d'écoute résultant des expériences vécues par les enseignants et les parents, ainsi que sur la nécessité d'en tirer des enseignements concrets et pragmatiques en vue de faire face à une probable nouvelle situation de crise.
L'audition s'achève à douze heures quinze.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 10 heures 45
Présents. – Mme Marie-George Buffet, Mme Christine Cloarec, M. Frédéric Reiss