Madame la présidente a introduit son propos sur la Martinique en utilisant un terme tout à fait juste. La situation est préoccupante, en raison évidemment du conflit social qui a particulièrement affecté les collèges et lycées, et dans une moindre mesure les écoles primaires.
Ce conflit n'était pas lié à l'Éducation nationale mais elle s'est retrouvée otage des manifestations et de la contestation de la réforme des retraites. C'est la réforme des retraites, plus que la réforme du lycée, qui a provoqué ces mouvements sociaux en Martinique.
Pour être tout à fait transparent, il faut signaler que les difficultés sociales et les blocages des établissements étaient moins dus aux personnels enseignants qu'aux personnels des collectivités territoriales, et notamment de la collectivité territoriale de Martinique. C'est ce personnel qui bloquait les établissements et malgré l'intervention des forces de l'ordre et la bonne volonté des chefs d'établissement qui essayaient de négocier, la fermeté et la détermination parfois violente de certains bloqueurs ont conduit à une détérioration de la situation.
Cette situation a été très dure, d'autant plus qu'elle était liée à un mouvement autonomiste dit « rouge-vert-noir » et qui a revendiqué un certain nombre d'actions cette dernière année.
La situation était totalement bloquée et a pu être rétablie grâce à la signature d'un accord fin février, juste avant le confinement. Nous nous sommes donc retrouvés avec des établissements fermés du 5 décembre jusqu'en juin, voire tout début juillet – certains n'ont rouvert qu'une semaine. Cela représente six mois effectifs sans cours, trois mois de conflits sociaux et trois mois liés à la crise sanitaire.
Un point positif mérite cependant d'être signalé. La rentrée 2020 s'est extrêmement bien déroulée. Le retour des enseignants et des élèves s'est effectué dans des conditions correctes et aucune « déperdition » par rapport à la période précédente n'a été observée.
Par ailleurs, les agents territoriaux ont été repris en main par la collectivité territoriale, notamment en ne rémunérant plus les jours non travaillés. L'impact de cette décision a été significatif et depuis la rentrée, les conditions sont correctes, voire excellentes dans certains cas.
Dans ce propos liminaire, j'aimerais insister sur deux points.
Tout d'abord, la Martinique est un territoire pour moitié en zone d'éducation prioritaire. 34 % de la population se situe en dessous du seuil de pauvreté et la moitié des collèges et des écoles sont en éducation prioritaire. Les déséquilibres territoriaux sont en outre très importants entre le nord, le centre et le sud.
Le confinement a multiplié les inégalités déjà existantes sur le territoire. En termes de décrocheurs, la proportion atteint 15 % en Martinique et concerne plus particulièrement les lycées professionnels. Les enfants des catégories sociales défavorisées sont plus durement touchés.
La précarité numérique affecte surtout les territoires du nord, qui sont les moins bien équipés et ne possèdent aucun point d'accès à internet. Cette difficulté a pu être surmontée grâce à Orange, SFR Caraïbes et La Poste. Nous avons très tôt mis en place un accord de distribution du courrier avec le préfet. Nous avons également négocié avec les mairies pour qu'elles servent de point relais en plus des points Poste. Un certain nombre de ces points Poste étaient en effet bloqués en raison d'un manque de personnel.
Globalement, pendant les deux premières semaines avant les vacances de Pâques, la situation était plutôt correcte. Nous nous sommes néanmoins aperçus que malgré les efforts, les photocopies et les déplacements des agents dans les centres de poste voire les mairies, les familles ne venaient pas chercher les documents. En conséquence, les enfants ne travaillaient pas.
Une partie importante de la jeunesse, notamment en primaire, s'est mise à côté de l'école. Lorsqu'il a fallu reprendre le 11 mai, les enfants des classes favorisées sont retournés à l'école. Les enfants des classes défavorisées ont éprouvé beaucoup plus de difficultés à revenir. Le fait que les agents territoriaux ne souhaitaient pas reprendre le travail a par ailleurs été un facteur aggravant. Les collèges, les lycées et les écoles n'ont rouvert dans leur grande majorité qu'à compter de la deuxième voire de la troisième semaine de juin. Cela a provoqué un nouveau décrochage et il est apparu que l'école était fondamentale pour les familles favorisées alors qu'elle était considérée comme une contrainte pour les autres familles.
En Martinique, le confinement et le déconfinement ont fortement accentué les inégalités, au moins jusqu'à cette rentrée. Ces inégalités sont sociales, numériques, voire alimentaires. Il n'y a pas eu de cantine pendant le confinement et nous avons conventionné avec la CAF pour qu'un suivi soit organisé sur ce point. Malgré tout, ce n'est pas une solution satisfaisante.
J'aborderai pour finir le sujet de la maltraitance des élèves. Nous avons pu constater un léger frémissement des signalements au sortir du confinement. C'est une situation préoccupante, qui constitue une véritable alerte pour nous, même si elle ne s'est pas confirmée à la rentrée.
Il faut savoir enfin que face à la démobilisation des équipes, y compris du rectorat, et face à la situation dramatique des élèves – il suffit de penser qu'un enfant de CP est passé en CE1 avec trois mois de cours – il y a la condamnation d'une génération.
J'ai donc demandé aux équipes la mise en place d'un plan de mise à niveau renforcée (MINIRE). Il consiste à se recentrer du primaire à la terminale sur l'acquisition des fondamentaux en mathématiques, français et anglais. Les syndicats étaient plutôt réticents à cette initiative mais après discussion, cette orientation a été acceptée. Le plan MINIRE est particulièrement bien suivi par les parents d'élève et à notre grande surprise, les enseignants y adhèrent assez largement. Je précise que ce plan est en déploiement depuis une quinzaine de jours.