Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 14h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 15 octobre 2020

La séance est ouverte à quatorze heures.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

La Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse procède à l'audition de M. Daniel Auverlot, recteur de l'académie de Créteil, de M. Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse, et de M. Pascal Jan, recteur de l'académie de Martinique.

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Cette crise a servi de révélateur et même de détonateur. Des personnels de l'Éducation nationale au sommet de sa hiérarchie, une majorité d'adultes a su prendre ses responsabilités, et bien au-delà.

C'est un signe assez extraordinaire et assez encourageant dans cette période compliquée, qui révèle au grand public et peut-être surtout aux parents, à quel point l'école et tous ceux qui la font tenir debout – de l'agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM) à l'enseignant, au directeur d'établissement, au personnel de nettoyage qui travaille d'arrache-pied et qui est particulièrement sollicité en ce moment – constituent l'ossature de notre société. C'est sa colonne vertébrale, et elle tient le choc.

Aujourd'hui, alors que nous entrons dans une période de « tous aux abris », il faut que l'école devienne a contrario le grand pari français. En Occitanie comme dans la couronne parisienne, une partie du territoire devra rentrer chez elle à 21 heures. C'est l'occasion pour toutes les forces vives, parents compris, de s'arc-bouter et de se fédérer pour faire gagner notre école, et donc nos jeunes, et donc la République. C'est un beau challenge pour des recteurs.

Réussirons-nous cette continuité pédagogique ? C'est la question.

En tant que recteurs, vous avez joué un rôle essentiel pour décliner dans vos académies les décisions prises au niveau national, qu'il vous appartenait de moduler en fonction des spécificités du territoire académique.

Après avoir entendu ce matin les représentants des enseignants, des personnels de direction, et les parents d'élève, nous recevons trois recteurs d'académie : M. Daniel Auverlot, recteur de l'académie de Créteil, qui recouvre les départements de la Seine-et-Marne, de la Seine-Saint-Denis, et du Val-de-Marne ; M. Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse, qui compte huit départements, et recteur de l'académie de Guadeloupe jusqu'en juillet 2020 ; M. Pascal Jan, recteur de l'académie de Martinique.

Je vous remercie d'être présents tous les trois. Nous souhaiterions vous entendre sur la façon dont vous avez tenté d'organiser la continuité pédagogique, sur les difficultés que vous avez rencontrées, et sur votre estimation des élèves décrocheurs. Observez-vous des disparités entre les différents territoires de votre académie ou entre les niveaux de scolarité ? Comment les expliquez-vous ?

Quelles leçons tirez-vous de cette période de confinement et comment l'école à distance doit-elle être améliorée si une telle situation se reproduit ?

Nous souhaiterions également vous écouter sur les conditions de la réouverture des établissements scolaires à partir du 11 mai, ainsi que sur la part d'établissements ouverts et d'élèves accueillis. Avez-vous rencontré des réticences importantes de certaines communes ou départements ? Avez-vous constaté des disparités territoriales, des difficultés particulières, des freins, ou à l'inverse des moteurs ? Nous ne ferons pas l'économie de tout ce qui a bien fonctionné pendant cette période.

Disposez-vous de chiffres sur la proportion d'élèves en situation de handicap accueillis à l'école à la fin du mois de mai et au milieu du mois de juin ?

Votre éclairage sur la rentrée 2020, sur le nombre d'élèves de retour dans les classes et sur ceux qui ne seraient pas revenus, sur les retards d'apprentissage, nous sera également très utile.

La situation de la Martinique nous préoccupe particulièrement. Les enfants ne sont pas retournés à l'école pendant plus de huit mois du fait d'un mouvement de grève débuté au début de l'année 2020.

Au fond, la grande question qui se pose est la suivante : comment devons-nous saisir ces nouvelles difficultés pour les transformer en opportunités de concentrer toutes nos forces vers nos jeunes et challenger l'école ensemble ? Ensemble, ce ne sont pas uniquement les enseignants, les ATSEM et les responsables d'établissement. Ce sont tous les éducateurs, y compris les parents.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Messieurs, quand vous prendrez la parole, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Daniel Auverlot prête serment.)

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Daniel Auverlot, recteur de l'académie de Créteil

J'aborderai tout d'abord la rentrée et les sept semaines qui se sont écoulées depuis le mois de septembre.

À la fin du mois d'août, il nous était dit que nous n'arriverions pas à organiser la rentrée des élèves et que de toute façon, les classes devraient être refermées très vite. Mon immense satisfaction est que tous les métiers de l'Éducation nationale aient rendu cette rentrée possible. J'ai calculé que depuis le début de la rentrée scolaire, nos enseignants ont assuré environ sept millions d'heures de cours au profit des élèves de l'académie de Créteil. C'est assez considérable.

Je suis d'accord avec vous sur le fait que cette crise a révélé les métiers invisibles de l'Éducation nationale, qui ne sont jamais évoqués. Si les personnels des collectivités territoriales ne sont pas présents pour le ménage ou la cantine, tout le fonctionnement d'un établissement est obéré. Par ailleurs, la crise nous a révélé l'importance des métiers du secrétariat. Pendant le confinement, il a fallu faire tourner des applications qui ne pouvaient être utilisées que dans les établissements scolaires. Beaucoup de nos personnels ont continué à se rendre dans les établissements pour que les phases d'orientation et d'affectation puissent se dérouler et que les fonds sociaux soient abondés. Toutes ces personnes qui ne sont jamais évoquées ont eu un rôle considérable.

Je tire quelques leçons de la période de confinement. Le 13 mars, dernier jour de classe, a été un moment de sidération. Cependant, les établissements ont très spontanément devancé les consignes que j'ai données durant la journée. Ainsi, les chefs d'établissement et les enseignants ont cherché à récupérer les adresses et les numéros de téléphone des élèves et se sont efforcés d'identifier ceux qui n'avaient pas accès à une solution numérique.

S'il y a eu une sorte de moment d'enthousiasme à partir du lundi 16 mars, il a été douché par un dimensionnement des serveurs et des réseaux des collectivités territoriales qui ne permettait naturellement pas la connexion de milliers d'enseignants souhaitant organiser des visioconférences avec leurs élèves. En conséquence, dans les trois départements de l'académie de Créteil et sur l'ensemble de la région Ile-de-France, les espaces numériques de travail (ENT) ont complètement explosé et ont été mis en croix.

Les collectivités ont réagi extrêmement rapidement mais des enseignants se sont tournés de manière dispersée vers de nombreuses solutions différentes, parfois peu compatibles avec le RGPD (Règlement n°2016/679 dit règlement général de protection des données).

Il y a eu par ailleurs à cette époque, beaucoup de solidarité envers les élèves qui ne disposaient pas de solution numérique. Des cours ont ainsi été photocopiés et distribués. Je me souviens notamment de cette école de La Courneuve où le directeur m'a annoncé avoir passé un accord avec le supermarché d'à côté pour que les parents des élèves puissent y récupérer les cours et que les élèves ne prennent pas de retard.

Je voudrais aussi signaler une érosion de l'enthousiasme au fur et à mesure du confinement. Tout s'est très bien passé pendant les trois premières semaines, jusqu'aux vacances de Pâques.

À la rentrée des vacances, les enseignants m'ont signalé qu'ils avaient eu plus de difficultés à motiver les élèves. Un pourcentage d'élèves non négligeable, que je ne parviens néanmoins pas à quantifier, en particulier au collège et au lycée, sont redevenus des adolescents. Ils avaient du mal à se lever tôt et à avoir envie de se connecter.

La reprise a donc été bienvenue. Cependant, comme nous étions en zone rouge, les lycéens n'ont pas repris. De plus en Ile-de-France, la grève des transports avait empêché des élèves de lycée professionnel de se rendre sur leur lieu d'enseignement à partir du 5 décembre. Des élèves n'ont donc pas eu classe du 5 décembre au 27 janvier, sont retournés à l'école pendant deux semaines avant les vacances de février puis deux semaines après, et ont été confinés. Ce sont des élèves de première et de terminale que nous essayons d'accompagner le mieux possible.

J'ai par ailleurs été grandement surpris de constater à la sortie du confinement que tout le monde ne revenait pas de la même façon. Une corrélation forte apparaissait entre les catégories socioprofessionnelles aisées et le retour à l'école. Dans l'académie de Créteil, à Saint-Maur, à Nogent ou à Vincennes, je n'arrivais pas à accueillir tous ceux qui souhaitaient retourner à l'école en raison du protocole sanitaire. J'avais même des protestations des parents parce que tous les élèves ne pouvaient pas revenir, même en mettant en place les accompagnements sous forme du dispositif Sport-Santé-Culture-Civisme (2S2C).

Parallèlement, dans les villes les plus populaires de l'académie de Créteil, le retour des élèves était très faible. Ainsi, le maire de La Courneuve a rouvert toutes ses écoles le 11 mai et la fréquentation s'est révélée extrêmement faible.

C'est une leçon sur laquelle il convient de s'attarder. L'école n'étant pas obligatoire, des familles qui avaient peur – notamment des familles de Seine-Saint-Denis, département où la crise sanitaire a durement frappé – n'ont pas renvoyé leurs enfants à l'école. À mon avis, il y a eu une accentuation de la fracture entre les populations au moment du déconfinement.

L'école a heureusement été rendue obligatoire en septembre, et pratiquement tous les élèves sont revenus.

Je voudrais par ailleurs revenir sur un chiffre qui avait été donné. En Seine-Saint-Denis, une erreur de décompte nous avait fait craindre l'absence de 4 000 élèves. Il se trouve qu'après correction de cette erreur, très peu d'élèves ne sont pas revenus.

Je m'arrête là pour laisser s'exprimer mes deux collègues. Je vous parlerai ensuite des mesures que nous avons prises pour empêcher le décrochage des élèves dans l'académie de Créteil.

(M. Mostafa Fourar prête serment.)

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Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse

Comme vous l'avez rappelé, je suis arrivé dans l'académie de Toulouse depuis maintenant deux mois, en provenance de la Guadeloupe. Mon témoignage portera donc sur les deux académies.

Je ne reprendrai pas les éléments évoqués par mon collègue. Je souscris à beaucoup de ses propos, et notamment à cet enthousiasme qui a caractérisé la reprise. Il y avait de l'appréhension de la part des parents, des élèves et des professeurs et finalement, cette rentrée a été très positive pour beaucoup. L'appréhension a été rapidement surmontée et a fait place à de l'enthousiasme.

Au début du confinement, nous avons pu constater de la créativité chez nos enseignants ainsi qu'une très forte mobilisation de tout le corps de l'Éducation nationale. Le « mammouth » a su faire preuve d'agilité en très peu de temps. Malgré quelques insatisfactions, la machine a bien fonctionné. Alors que la continuité pédagogique reposait essentiellement sur le numérique, nous avons vu des professeurs et des équipes de direction se dévouer pour acheminer les cours aux élèves.

Bien évidemment, cette crise a également révélé des lacunes sur le plan matériel et sur celui de la formation de certains de nos enseignants. Nous avons donc travaillé sur la continuité pédagogique mais aussi sur la formation de nos enseignants pendant le confinement. Nous avons organisé des formations sur le numérique et nous nous sommes aperçus de l'existence d'une fracture générationnelle. Des professeurs étaient rompus au numérique et n'ont pas eu de difficultés tandis que d'autres, qui pouvaient avoir des positions de principe face au numérique, ont réalisé qu'ils ne pouvaient pas se passer du numérique comme outil. Ils ont donc souhaité suivre des formations, que nous avons mises en place pendant le confinement et qui se sont poursuivies à la rentrée.

Les réussites sont nombreuses. Cette crise a révélé que des élèves ont réussi à développer leur autonomie à travailler et à bénéficier plus que d'autres de ce mode d'enseignement. À l'inverse, des élèves ont décroché. Ce n'étaient pas forcément ceux qui étaient habituellement « décrocheurs ». Ainsi à la Guadeloupe, l'absence de matériel et de couverture numérique expliquent ce décrochage. Nous avons recensé les familles qui n'avaient pas d'outil informatique, il est apparu que la précarité numérique était impressionnante. Dans un élan de solidarité, les collectivités ont heureusement accepté de prêter du matériel informatique à ces familles. Orange Guadeloupe a également accepté d'offrir des clés 4G à des familles isolées numériquement.

Cela a incontestablement amélioré la situation mais au fil du temps, un décrochage est apparu. À la Guadeloupe, nous avons perdu pratiquement 18 % des élèves. C'est énorme. Pour Toulouse, c'est un peu moins de 5 %.

Après la période du confinement, nous avons rencontré une autre difficulté, à savoir une position politique quasiment unanime des élus et des syndicats de Guadeloupe qui s'opposaient au retour des élèves à l'école. J'en ai été peiné car je pensais que nous avions une fenêtre de tir pour permettre le retour des élèves à l'école. Malheureusement, la rentrée a ensuite été très difficile en Guadeloupe.

Cette fenêtre de tir aurait permis aux élèves de rattraper le retard accumulé à cause du confinement mais aussi des mouvements sociaux qu'avait connus la Guadeloupe. Elle aurait aussi permis de préparer la rentrée. Si la rentrée a été réussie dans la plupart des académies de France, c'est parce que les élèves sont retournés à l'école en juin. C'était la meilleure manière de préparer la rentrée et je regrette beaucoup ce positionnement qui nous a handicapés et dont nous voyons aujourd'hui les conséquences.

Sur le plan du numérique, je pense que nous avons des enseignements à tirer en termes d'équipement, d'où le sens des états généraux du numérique lancés par le ministre de l'Éducation nationale et que nous avons déclinés au niveau des académies. Les états généraux au niveau national se tiendront les 4 et 5 novembre et le ministre en tirera les conclusions qui s'imposent. En ce qui nous concerne, nous avons déjà de nombreuses informations qui remontent du terrain.

Je souhaiterais par ailleurs préciser que pour cette rentrée, qui s'est très bien passée malgré le contexte, deux phénomènes doivent attirer notre attention dans l'académie de Toulouse.

Le premier phénomène correspond à l'absentéisme des gens du voyage. Nous l'avons relevé dans tous les départements. J'ai d'ailleurs lancé un appel auprès des maires et des associations qui travaillent auprès des gens du voyage pour assurer la scolarisation de ces enfants. Nous sommes inquiets car comme vous le savez, cette population a connu un drame lié au covid du côté de Perpignan, qui a pu traumatiser cette communauté au niveau national. C'est une préoccupation très importante pour nous. Nous avons par ailleurs constaté une augmentation des demandes d'instruction dans la famille. Le covid a pu y contribuer, mais ce n'est pas la seule explication.

(M. Pascal Jan prête serment.)

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Pascal Jan, recteur de l'académie de Martinique

Madame la présidente a introduit son propos sur la Martinique en utilisant un terme tout à fait juste. La situation est préoccupante, en raison évidemment du conflit social qui a particulièrement affecté les collèges et lycées, et dans une moindre mesure les écoles primaires.

Ce conflit n'était pas lié à l'Éducation nationale mais elle s'est retrouvée otage des manifestations et de la contestation de la réforme des retraites. C'est la réforme des retraites, plus que la réforme du lycée, qui a provoqué ces mouvements sociaux en Martinique.

Pour être tout à fait transparent, il faut signaler que les difficultés sociales et les blocages des établissements étaient moins dus aux personnels enseignants qu'aux personnels des collectivités territoriales, et notamment de la collectivité territoriale de Martinique. C'est ce personnel qui bloquait les établissements et malgré l'intervention des forces de l'ordre et la bonne volonté des chefs d'établissement qui essayaient de négocier, la fermeté et la détermination parfois violente de certains bloqueurs ont conduit à une détérioration de la situation.

Cette situation a été très dure, d'autant plus qu'elle était liée à un mouvement autonomiste dit « rouge-vert-noir » et qui a revendiqué un certain nombre d'actions cette dernière année.

La situation était totalement bloquée et a pu être rétablie grâce à la signature d'un accord fin février, juste avant le confinement. Nous nous sommes donc retrouvés avec des établissements fermés du 5 décembre jusqu'en juin, voire tout début juillet – certains n'ont rouvert qu'une semaine. Cela représente six mois effectifs sans cours, trois mois de conflits sociaux et trois mois liés à la crise sanitaire.

Un point positif mérite cependant d'être signalé. La rentrée 2020 s'est extrêmement bien déroulée. Le retour des enseignants et des élèves s'est effectué dans des conditions correctes et aucune « déperdition » par rapport à la période précédente n'a été observée.

Par ailleurs, les agents territoriaux ont été repris en main par la collectivité territoriale, notamment en ne rémunérant plus les jours non travaillés. L'impact de cette décision a été significatif et depuis la rentrée, les conditions sont correctes, voire excellentes dans certains cas.

Dans ce propos liminaire, j'aimerais insister sur deux points.

Tout d'abord, la Martinique est un territoire pour moitié en zone d'éducation prioritaire. 34 % de la population se situe en dessous du seuil de pauvreté et la moitié des collèges et des écoles sont en éducation prioritaire. Les déséquilibres territoriaux sont en outre très importants entre le nord, le centre et le sud.

Le confinement a multiplié les inégalités déjà existantes sur le territoire. En termes de décrocheurs, la proportion atteint 15 % en Martinique et concerne plus particulièrement les lycées professionnels. Les enfants des catégories sociales défavorisées sont plus durement touchés.

La précarité numérique affecte surtout les territoires du nord, qui sont les moins bien équipés et ne possèdent aucun point d'accès à internet. Cette difficulté a pu être surmontée grâce à Orange, SFR Caraïbes et La Poste. Nous avons très tôt mis en place un accord de distribution du courrier avec le préfet. Nous avons également négocié avec les mairies pour qu'elles servent de point relais en plus des points Poste. Un certain nombre de ces points Poste étaient en effet bloqués en raison d'un manque de personnel.

Globalement, pendant les deux premières semaines avant les vacances de Pâques, la situation était plutôt correcte. Nous nous sommes néanmoins aperçus que malgré les efforts, les photocopies et les déplacements des agents dans les centres de poste voire les mairies, les familles ne venaient pas chercher les documents. En conséquence, les enfants ne travaillaient pas.

Une partie importante de la jeunesse, notamment en primaire, s'est mise à côté de l'école. Lorsqu'il a fallu reprendre le 11 mai, les enfants des classes favorisées sont retournés à l'école. Les enfants des classes défavorisées ont éprouvé beaucoup plus de difficultés à revenir. Le fait que les agents territoriaux ne souhaitaient pas reprendre le travail a par ailleurs été un facteur aggravant. Les collèges, les lycées et les écoles n'ont rouvert dans leur grande majorité qu'à compter de la deuxième voire de la troisième semaine de juin. Cela a provoqué un nouveau décrochage et il est apparu que l'école était fondamentale pour les familles favorisées alors qu'elle était considérée comme une contrainte pour les autres familles.

En Martinique, le confinement et le déconfinement ont fortement accentué les inégalités, au moins jusqu'à cette rentrée. Ces inégalités sont sociales, numériques, voire alimentaires. Il n'y a pas eu de cantine pendant le confinement et nous avons conventionné avec la CAF pour qu'un suivi soit organisé sur ce point. Malgré tout, ce n'est pas une solution satisfaisante.

J'aborderai pour finir le sujet de la maltraitance des élèves. Nous avons pu constater un léger frémissement des signalements au sortir du confinement. C'est une situation préoccupante, qui constitue une véritable alerte pour nous, même si elle ne s'est pas confirmée à la rentrée.

Il faut savoir enfin que face à la démobilisation des équipes, y compris du rectorat, et face à la situation dramatique des élèves – il suffit de penser qu'un enfant de CP est passé en CE1 avec trois mois de cours – il y a la condamnation d'une génération.

J'ai donc demandé aux équipes la mise en place d'un plan de mise à niveau renforcée (MINIRE). Il consiste à se recentrer du primaire à la terminale sur l'acquisition des fondamentaux en mathématiques, français et anglais. Les syndicats étaient plutôt réticents à cette initiative mais après discussion, cette orientation a été acceptée. Le plan MINIRE est particulièrement bien suivi par les parents d'élève et à notre grande surprise, les enseignants y adhèrent assez largement. Je précise que ce plan est en déploiement depuis une quinzaine de jours.

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Je vous remercie. Je donne maintenant la parole à Marie-George Buffet, en vous rappelant que nous souhaitons que ce rapport serve de point d'appui pour diffuser les bonnes pratiques ou identifier les écueils à éviter.

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Je m'associe à l'hommage qui a été rendu à l'ensemble des personnels de l'Éducation nationale et des collectivités territoriales, qui ont tous fait preuve de créativité et de mobilisation.

Cependant, s'ils sont heureux de retrouver leur école, de retrouver leurs classes, ce n'est pas une rentrée comme les autres. Ils nous l'ont dit avec force ce matin. Les uns et les autres, enseignants et enfants, sont souvent stressés, parfois fatigués.

Ce n'est pas une rentrée comme les autres parce que la continuité pédagogique n'a pas pu être assurée de la même façon pour tous les enfants. Le problème de la fracture numérique a également été mentionné.

Il y a aussi des familles populaires qui n'ont pas accès à la formation à l'utilisation du numérique ou qui, pendant toute la période de confinement, ont parlé leur langue d'origine. Cela a pu créer une rupture avec la langue française pratiquée à l'école.

Le numérique suscite des inquiétudes et des critiques, notamment sur l'absence de stabilité dans les outils utilisés. Cet aspect a été souligné par M. Auverlot. Il y a aussi la crainte d'aller trop vite vers une réponse numérique alors que la coopération dans la classe entre l'enseignant et les élèves est essentielle.

Les états généraux sur le numérique, prévus en novembre, inquiéteraient presque. Je souhaiterais donc votre opinion sur la place du numérique en cas de crise mais aussi dans cette année scolaire et les prochaines. Quelle est la place du numérique dans la pédagogie, dans l'enseignement, dans les apprentissages ?

Ce n'est pas une rentrée comme les autres en raison des ruptures pédagogiques observées. Pourquoi les programmes et les examens ne sont-ils pas adaptés pour se donner le temps de rattraper les retards, mais aussi de conforter et de remotiver les élèves ? Ils ont l'impression qu'il faut recommencer comme si rien ne s'était passé.

Ne faudrait-il pas donner un temps aux enseignants pour qu'ils mesurent les rattrapages et les adaptations de programmes nécessaires ?

Beaucoup d'enseignants et de parents demandent un temps de préparation collectif plus important. Dans l'année qui vient et avec une pandémie qui se poursuit, les équipes pédagogiques s'interrogent sur le temps qui leur sera accordé pour débattre entre eux et analyser les pratiques mises en œuvre pendant le confinement et après. Il s'agit d'en tirer les enseignements nécessaires.

À travers l'expérience de cette crise, beaucoup d'acteurs associatifs, de médecins et de personnel médico-social, ont travaillé de façon nouvelle avec l'Éducation nationale. J'avais notamment évoqué dans d'autres lieux les pédiatres et les pédopsychiatres de l'académie de Rennes qui ont créé un réseau et ont travaillé avec les écoles. Des associations caritatives se sont aussi mises en rapport avec des écoles, afin de voir si les enfants étaient correctement nourris. Quelles sont vos pistes pour pérenniser ces réseaux qui se sont créés entre l'Éducation nationale et ces nouveaux acteurs ?

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Daniel Auverlot, recteur de l'académie de Créteil

Concernant la place du numérique, la crise sanitaire s'est accompagnée d'évolutions importantes. Par exemple, certaines collectivités avaient choisi de doter les élèves d'équipements individuels depuis plusieurs années ou bien plus récemment. Ainsi, le conseil départemental du Val-de-Marne met à la disposition de tous les élèves des collèges un Ordival. Le conseil régional avait également choisi l'année dernière de donner des ordinateurs individuels aux élèves de seconde et des tablettes aux élèves de seconde professionnelle.

Nous nous sommes parfois interrogés sur ces choix des collectivités. Force est de reconnaître que dans le cadre de cette crise sanitaire, le fait d'avoir été doté d'un équipement individuel a constitué un avantage certain.

Les états généraux du numérique qui se tiendront début novembre et que nous avons d'ailleurs préparés la semaine dernière dans l'académie de Créteil avec des témoignages très intéressants de tous les acteurs, confirment que nos pratiques sont amenées à évoluer. Désormais, la mission de l'enseignant sera d'être capable de s'adresser à des élèves qui ne sont pas là.

Auparavant, lorsqu'un élève était absent, ce n'était pas grave. Ses camarades devaient lui permettre de rattraper les cours. Je crois que les missions des enseignants évolueront et que le suivi des élèves qui ne sont pas en classe deviendra aussi important que celui des élèves en classe. Tout cours devra comporter des traces accessibles sous Pronote afin que les élèves absents puissent y accéder.

Au sujet de l'adaptation des programmes, j'explique à tous les enseignants que cette année sera difficile car les classes sont très hétérogènes. Trois groupes peuvent y être distingués : le groupe de ceux qui savent ; le groupe de ceux qui ont décroché mais sont près de savoir ; le groupe de ceux qui sont en retard.

Les écoles accueillent par ailleurs des élèves qui ont des problèmes d'apprentissage et d'autres qui ont un problème de codes scolaires. Je me suis rendu à Bondy il y a quinze jours et j'ai pu constater dans une classe de CP que des enfants se comportaient comme des enfants de grande section. Je rappellerai que nous avons aménagé les programmes afin que les compétences incontournables qui n'ont pas été acquises au printemps dernier le soient avant les vacances de Noël, en nous reposant sur les évaluations et les tests de positionnement.

Le sujet du temps de la réflexion qui a été évoqué est un sujet difficile. Si nous donnons du temps aux enseignants au détriment du temps consacré aux élèves, ce sera autant de moments de classe en moins. Je suis favorable à une réflexion collective sur le sujet, qui ne doit cependant pas empiéter sur le temps de classe des élèves.

Je crois enfin que les associations et les mairies ont parfois été formidables. Beaucoup d'établissements capitalisent sur ces liens qui se sont tissés et je pense qu'un cap a été franchi. Nous ne reviendrons pas en arrière.

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Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse

Je compléterai les propos de mon collègue en ajoutant que sur le numérique, cette crise a permis un saut. Ce n'était peut-être pas souhaité par tous mais je pense que le débat sur l'utilisation ou non du numérique est désormais en partie caduc. Si la pédagogie ressortit de la compétence des enseignants, le numérique est un moyen de transmettre cette pédagogie dans un contexte un peu particulier.

La vraie question est celle de l'équité, et je pense que la réponse à y apporter doit être collective. J'ai notamment discuté avec le président d'un département qui m'a assuré qu'il était prêt à équiper directement les élèves d'ordinateurs portables et de tablettes chaque année, au lieu d'équiper les collèges. Si chaque élève et chaque enseignant disposent d'un ordinateur, cela peut alors permettre de libérer des salles pour certains collèges contraints par le bâti scolaire.

Un autre sujet s'est révélé crucial, il s'agit des environnements numériques de travail (ENT). Si je prends l'exemple de l'académie de Toulouse, à l'échelle de la région, c'est le même équipement pour tous. Les parents et les professeurs sont familiers avec son utilisation. Au niveau des collèges, la situation est plus hétérogène mais la gestion de huit départements ne constitue pas un problème insurmontable.

Le vrai problème se situe au niveau du premier degré où la situation est très hétérogène. Nous avons à peu près 3 000 communes et même si toutes n'ont pas des écoles, il y en a quand même beaucoup. Or, certaines sont démunies de moyens. C'est la raison pour laquelle l'académie de Toulouse réfléchit à la possibilité de prendre en charge l'organisation d'un ENT du premier degré. J'ai demandé aux services d'en évaluer le coût. Si nous parvenons à un équipement à la hauteur pour le premier degré, un certain nombre de problèmes seront réglés.

À propos d'une éventuelle adaptation des programmes évoquée par madame la ministre, c'est un argument qui a également été utilisé par les syndicats en Guadeloupe. Ils refusaient de reprendre en mai-juin pour mieux préparer la rentrée de septembre. Il me semble que c'est plutôt un risque de pénaliser des élèves.

Je remarquerai par ailleurs que les vacances apprenantes ont pu aider des élèves à rattraper leur retard. Même si tous ne sont pas sur un pied d'égalité, des élèves de familles possédant les codes de la réussite scolaire n'ont pas pris de retard. Il n'est donc pas utile de stopper tous les élèves, il convient plutôt de s'interroger sur les moyens d'apporter une réponse adaptée aux élèves qui ont accumulé du retard.

Outre les vacances apprenantes, des évaluations ont été organisées à tous les niveaux à la rentrée. Elles ont bénéficié de moyens accrus, qui ont permis d'apporter des réponses adaptées aux difficultés de chaque enfant. J'ajoute que les vacances apprenantes sont relancées lors des vacances de la Toussaint, bien évidemment dans un contexte ludique. Il ne s'agit pas de fatiguer les enfants.

Je pense aussi à des opérations de mentorat menées par certaines associations à destination d'élèves issus de milieux défavorisés, en partenariat avec l'Éducation nationale.

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Je vous remercie pour toutes ces informations et comme vous, je remercie les personnes invisibles de l'Éducation nationale et tous les enseignants.

L'école doit être le berceau de l'égalité des chances. Or le covid a fortement accentué les inégalités, comme vous l'avez signalé à plusieurs reprises. En conséquence, quelles sont les mesures de lutte contre le décrochage scolaire qui pourraient être mises en œuvre ?

Concernant les élèves en situation de handicap, comment a été organisé le confinement de ces élèves et comment s'est déroulée leur rentrée ? Rencontrez-vous des difficultés particulières, dans l'accompagnement en classe ou dans l'insertion ?

Au sujet des enfants maltraités, je rejoins Monsieur le recteur de la Martinique. J'ai lu une étude du centre Hubertine Auclert de l'Observatoire des violences faites aux femmes qui note une augmentation des violences faites aux enfants. Ce constat est-il partagé par les rectorats autres que le rectorat de l'académie de Martinique ? Une prise en charge particulière a-t-elle été mise en place pour ces enfants ? Comment prévenir ces violences ?

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Pascal Jan, recteur de l'académie de Martinique

Le problème du confinement, c'est que les maltraitances sur les enfants peuvent difficilement être attestées. Nous avons donc particulièrement travaillé avec les élus et les associations pour qu'ils nous alertent et nous transmettent les éléments qui leur étaient remontés.

Je ne vous cache pas qu'il est extrêmement difficile d'obtenir des témoignages et d'obtenir que les élèves eux-mêmes parlent. Nous venons de lancer des enquêtes et les services sociaux travaillent de concert avec les services de la collectivité territoriale. L'idée est d'avoir d'ici la fin de l'année un panorama des difficultés, des manques de repères, en dépit du fait qu'il y ait eu des alertes sur les situations préoccupantes, voire des saisines du procureur de la République.

C'est un point sensible rarement abordé mais qui touche au cœur même du service public de l'éducation. Nous sommes face à des violences et à des comportements qui remettent en cause l'équilibre de l'enfant, et donc son intégration par la suite. De plus, ces violences et comportements s'accompagnent souvent de violences faites aux femmes. Je rappellerai par ailleurs que la monoparentalité est un phénomène massif à la Martinique, avec 70 % de familles monoparentales.

Concernant la lutte contre le décrochage scolaire, il faut reconnaître que la tendance était négative depuis plusieurs années.

L'analyse de la situation des décrocheurs révèle qu'un certain nombre d'entre eux sont pris en charge par des dispositifs ou sont inscrits à Pôle Emploi. Cependant, sur les 1 033 décrocheurs recensés en Martinique en 2019, 402 n'ont pas répondu aux sollicitations. La situation de ces « invisibles » sortis des radars est particulièrement préoccupante. Il semblerait malheureusement que nous n'ayons pas les moyens d'investiguer pour déterminer où sont ces jeunes.

Sur la place du numérique, je souscris à ce qu'ont dit mes collègues. Il me semble néanmoins que la question du numérique dans l'éducation n'a de sens qu'à condition que tous les enfants soient égaux devant le numérique. D'un point de vue pédagogique, la question de l'intérêt du numérique se posera lorsque tous y auront accès de façon cohérente et égale. L'égalité numérique constitue donc selon moi la priorité des priorités.

À titre d'information, j'ai demandé par l'intermédiaire des inspecteurs que tous les enseignants conservent dans leurs heures de cours quelques heures dédiées au distanciel. Ils pourront ainsi continuer à se former et à pratiquer l'enseignement à distance. Cela pourra également permettre de rattraper les élèves qui ont totalement échappé aux radars pendant le confinement. Enfin, les professeurs qui ne se sont pas encore familiarisés avec les outils numériques le pourront, dans un contexte favorable.

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Messieurs les recteurs ont proposé de réinventer la débrouillardise collective. Cela m'a rappelé qu'il y a quelques dizaines d'années, entre camarades, nous nous organisions pour aider ceux d'entre nous qui étaient en difficulté. Nous nous apportions les devoirs, les parents des uns pouvaient aider aux devoirs des autres, il y avait une notion d'entraide lorsque des camarades peinaient sur certains cours. Je me demandais donc comment nous pourrions aujourd'hui, au-delà du numérique, réenchanter cette débrouillardise individuelle et collective.

Vous avez également mis en avant un retour d'expérience positif, à savoir la coopération qui s'est mise en place au lendemain du déconfinement entre l'Éducation nationale, les collectivités et les associations. Très souvent, des responsables d'associations me disent qu'ils souhaiteraient collaborer avec l'école de la République. Est-ce un rêve ou ce souhait pourrait-il réellement s'incarner ?

Par ailleurs, il nous a été suggéré ce matin dans le cadre d'une audition de créer une cellule d'alerte au niveau de l'Éducation nationale pour détecter les élèves en difficulté et écouter les professeurs qui auraient besoin d'être accompagnés. Une telle cellule existe-t-elle déjà ? Qu'en pensez-vous ?

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Daniel Auverlot, recteur de l'académie de Créteil

Je renommerais plutôt la « débrouillardise collective » en « nouvelles formes de solidarité ». Dans une situation qui n'était pas une situation de crise, chacun restait de son côté. Avec la crise, nous avons vu réapparaître des formes de solidarité qui avaient dû exister à certaines époques. Elles se sont révélées extrêmement intéressantes et méritent d'être entretenues.

Pour ma part, j'ai modifié la nature de mon pilotage de l'académie de Créteil. J'ai désormais beaucoup plus de rapports avec les parents d'élèves. Au moment du confinement, j'ai en effet éprouvé le besoin d'organiser une réunion par semaine en visioconférence avec les représentants des parents d'élèves. À la sortie du confinement comme à la rentrée, les parents d'élèves ont souhaité poursuivre ces réunions.

À propos de la création d'une cellule d'alerte, nous avons déjà naturellement dans les rectorats des dispositifs souvent anonymes qui permettent à des professeurs d'exprimer leur mal-être et d'être accompagnés.

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Pendant la crise, l'Éducation nationale a dû faire preuve de souplesse et a laissé s'exprimer une certaine créativité au travers de tous ceux qui travaillent pour elle. Comment préserver cette souplesse et cette créativité ?

Les associations ont permis à l'Éducation nationale d'éviter de perdre contact avec des enfants. Dans certaines situations, malgré la hiérarchie traditionnelle, elles sont devenues presque aussi importantes que l'Éducation nationale. Comment dès lors soutenir, valoriser et renforcer le soutien scolaire et les activités associatives ? Je pense notamment au modèle de la Cité éducative, qui a connu un véritable essor pendant la crise et qui a favorisé la mise en place de binômes équilibrés entre l'Éducation nationale et les associations.

Concernant les gens du voyage qui ne renvoient pas leurs enfants à l'école parce qu'ils ont peur, je voudrais vous parler d'une expérience menée pendant le confinement. Lors d'une distribution alimentaire, les parents nous ont demandé quand recommençait l'école. En conséquence, avec l'aide d'étudiants volontaires et d'une association culturelle, nous avons monté une continuité scolaire pour des enfants Roms confinés dans leurs camps. À la rentrée, pour la première fois, tous ces enfants qui avaient bénéficié de cette continuité scolaire étaient présents.

Je peux vous assurer que ces enfants sont extrêmement motivés et qu'ils doivent nous inciter à aller chercher les décrocheurs. Cela donne d'autant plus de poids aux médiateurs scolaires. J'en profite également pour souligner que cette crise a rendu visibles beaucoup d'invisibles, tels les enfants logés dans les hôtels sociaux et les mineurs non-accompagnés. Ces derniers ont vécu complètement enfermés dans des squats et coupés du monde alors qu'ils sont dans des cursus scolaires. Que faisons-nous pour ces communautés d'enfants qui ont envie de rejoindre l'Éducation nationale ?

L'institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace de Toulouse (ISAE-SUPAERO) a énormément œuvré avec ses étudiants et avec les industriels pour pousser cette continuité pédagogique et travailler le tutorat. Cela semble être une des solutions les plus évidentes. Comment transformer ces initiatives en outillage de base pour éviter que chacun bricole dans son coin ?

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Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse

Comme vous le savez, les crises sont aussi des périodes pendant lesquelles les capacités des uns et des autres à être inventifs et à faire preuve de générosité se révèlent. C'est ce que nous avons rencontré sur le terrain pendant cette période de crise et de confinement.

Il existe une marge de manœuvre au niveau local pour autoriser des adaptations en fonction des contextes. Ainsi au niveau pédagogique, les professeurs sont autonomes et ils y tiennent beaucoup. Ce n'est pas pour autant que l'institution est indifférente par rapport à ces initiatives. Nous avons dans chaque académie des inspecteurs qui ont pour objectif de repérer les méthodes innovantes en pédagogie, en utilisation de matériels, et autres.

Nous repérons ces bonnes pratiques et nous les diffusons au sein de l'institution auprès des autres enseignants. Ce n'est pas une méthode verticale descendante mais plutôt une méthode qui provient du terrain. C'est exactement ce qui se passe concernant ce type d'initiatives. Quand les initiatives de terrain sont bonnes et qu'elles méritent d'être partagées, l'institution les prend en charge, sans cadenasser.

Tout ce qui relève des bonnes pratiques est à récupérer. L'initiative de l'ISAE-SUPAERO dans le cadre des cordées de la réussite en est un bon exemple, tout comme d'autres très belles initiatives prises ailleurs. Nous devons parvenir à les valoriser ensemble.

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Je vous propose de revenir sur les préconisations que la commission d'enquête pourrait définir. Selon vous, Monsieur Auverlot, que serait-il possible de cranter pour cette suite de crise ?

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Daniel Auverlot, recteur de l'académie de Créteil

Je pense qu'un sujet pourrait être traité dans le cadre du Grenelle de l'orientation, il s'agit de la mission des enseignants.

Il me semble qu'aujourd'hui, la crise a montré qu'il n'était pas possible de s'occuper uniquement des élèves présents. Il y a un autre type d'élèves qui a bénéficié du confinement, ce sont les élèves en phobie scolaire. Ils ont été très à l'aise dans le distanciel.

Il me semble que la mission des enseignants est de s'occuper à la fois de ceux qui sont là, et de ceux qui ne sont pas là. J'ai vu d'ailleurs de très belles réalisations à ce sujet. Grâce au tableau interactif, j'ai vu dans une classe une enseignante qui s'adressait à la fois aux élèves en présentiel et aux élèves en distanciel qui étaient connectés. Toutes les classes ne sont pas équipées d'un tableau interactif et tous les enseignants ne le maîtrisent pas. Cependant, il y a là une pratique qui est très intéressante.

La notion de classe avec tous les élèves présents m'apparaît aujourd'hui extrêmement limitée. Il faut la dépasser.

Cette crise a également renforcé l'autonomie des acteurs de terrain. La version descendante par la hiérarchie ne pouvait pas fonctionner pendant le confinement. Je ne pouvais pas m'occuper des 560 collèges et lycées et des 2 700 écoles de l'académie. Nous avons constaté que les acteurs de terrain ont pris beaucoup d'initiatives. Aujourd'hui, ils ne sont pas prêts à abandonner cette autonomie. Il va falloir les laisser faire.

Je pense qu'il faut faire confiance au terrain, qui nous demande d'exercer un rôle d'expert et d'accompagnant, plutôt qu'un rôle de contrôle.

Ce sont deux leçons à tirer de cette crise, qui sont utilisables pour la suite.

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J'ajouterai qu'une permanence de la négociation est aussi souhaitable, comme vous avez pu la mettre en place avec les parents d'élèves.

Je m'interroge néanmoins sur la nouvelle mission des enseignants que vous promouvez. Je comprends que le distanciel puisse permettre à l'enseignant de s'adresser aussi à des enfants en situation de phobie scolaire ou à des enfants absents pour d'autres motifs. Cependant, il ne faudrait pas que de plus en plus d'enfants quittent la classe. La classe en elle-même a un aspect pédagogique, un aspect de socialisation très important.

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Daniel Auverlot, recteur de l'académie de Créteil

Je suis tout à fait d'accord avec vous, Madame la ministre. J'envisageais vraiment les élèves en phobie scolaire, les élèves à besoins éducatifs particuliers qui ne peuvent pas se déplacer, et les élèves absents parce qu'ils sont malades.

La débrouillardise collective est envisageable mais la mission de l'enseignant consiste à prendre en compte tous les élèves, même ceux qui ne sont pas là.

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Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse

Je pense également que la socialisation des élèves en classe est indispensable. D'après les échanges que j'ai pu avoir avec les représentants syndicaux, il existe une peur par rapport au numérique qui tient au rôle du professeur dans cet environnement. Certains ont peur que le numérique se substitue aux enseignants et provoque une réduction de postes. À mon sens, ce risque n'est pas avéré. En revanche, la mission et le travail du professeur pourraient changer, d'où le rôle de la formation initiale et de la formation continue.

En faisant abstraction du sujet de l'accessibilité au numérique en matière d'équipement, les élèves sont très à l'aise avec les outils numériques. Ils vivent dedans. Pour l'enseignant, ce serait la formation continue qui pourrait lui permettre de s'adapter à ce contexte.

À mon avis, la classe dans son format classique est appelée à évoluer. La crise et l'enseignement à distance ont fait bouger le modèle traditionnel des élèves assis dans une classe qui regardent un tableau et écoutent un professeur qui détient la connaissance.

J'ai moi aussi pu assister à une classe hybride et j'ai pu apprécier la capacité de nos enseignants à s'adapter. Cela peut apporter une réponse à nos élèves qui sont hospitalisés, qui peuvent suivre des cours en direct avec leurs camarades. C'est très important car même s'ils sont à distance, ils créent un lien social avec leurs camarades.

J'ajouterai que le bâti scolaire devrait évoluer et s'adapter à ces nouveaux modes d'enseignement. Nous en sommes encore loin. En Guadeloupe ou dans d'autres départements ultramarins, la situation est dramatique. Nos établissements scolaires n'ont ni eau ni savon, c'est très difficile de faire évoluer les enseignements dans ce contexte. C'est un sujet très important.

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Pascal Jan, recteur de l'académie de Martinique

Je confirme les propos de Monsieur Fourar sur le bâti scolaire. Il y a des fondamentaux qu'il faudrait asseoir dans la problématique des outre-mer. La question de l'eau est fondamentale, tout comme celle du bâti. La question de la structure numérique l'est tout autant.

Concernant les préconisations, il faut reconnaître que cette crise a eu un effet bénéfique. Elle a montré que l'enseignement classique n'était pas forcément l'enseignement reçu par tout le monde.

Ainsi dans l'académie de Martinique, plusieurs enseignants nous ont signalé que des enfants qui étaient plus que discrets en classe l'étaient beaucoup moins en distanciel. Ils étaient libérés et osaient car ils étaient débarrassés de la pression de la classe.

Ce n'est pas un exemple isolé et c'est relativement intéressant puisque ce phénomène ne concerne pas uniquement les enfants de catégories sociales favorisées, mais plutôt les enfants qui sont en difficulté scolaire. Ils trouvent dans le numérique un moyen de s'exprimer qu'ils ne trouvent pas en classe.

L'hybridation dans la formation des professeurs est souvent évoquée. Je pense que parmi vos préconisations, il faudrait envisager l'hybridation dans la formation des élèves. Je pense qu'un peu de distanciel, dont la jauge serait à fixer en fonction des enseignants et des équipes pédagogiques, serait un moyen de renforcer une certaine égalité entre les élèves et de les préparer à l'usage du numérique. L'hybridation, qui consisterait à introduire un pourcentage de distanciel dans les enseignements classiques, serait un apport important.

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Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse

Je souhaiterais ajouter un point. Il ne faut pas avoir peur que le numérique remplace le professeur. Ce dernier reste fondamental et pendant cette crise sanitaire, les parents ont bien compris qu'enseigner était un métier. Ce n'est pas donné à tout le monde et il faut se former.

Le numérique apporte aussi une réponse à une problématique que nous rencontrons depuis plusieurs années, celle de la massification. De plus en plus d'élèves d'une génération accèdent à l'école et nous ne pouvons que nous en féliciter. Par contre, la massification a introduit une hétérogénéité difficile à prendre en charge par un enseignant dans une classe. L'enseignant ne peut s'adresser à tous et se concentre sur la moyenne, au détriment de ceux qui sont en avance et de ceux qui ont du retard.

Le numérique apporte l'individualisation. Chaque enfant pourrait avancer à son rythme. C'est là que la formation de nos enseignants devient pertinente, car elle peut permettre cette individualisation de l'enseignement.

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Je voudrais insister sur un aspect qui n'a plus rien à voir avec le numérique, l'approche de tous ces enfants qui souhaitent aller à l'école mais qui ne savent pas y aller, notamment les enfants des gens du voyage et les enfants Roms.

J'ai rencontré des professeurs à Toulouse qui plantaient des parasols à 300 mètres d'un bidonville et proposaient du soutien scolaire et du lien social aux enfants. Cette proximité et cette inventivité se sont révélées extrêmement fructueuses.

Nous avons par ailleurs très peu parlé des lycées professionnels et de votre constat sur la reprise et la non-reprise, ainsi que des écoles hors contrat. Auriez-vous des éléments sur ces sujets ?

Enfin, comment associez-vous les parents pour que les enfants se dégagent de leurs écrans et se couchent tôt ?

Je vous rassure, vous avez droit à des contributions écrites. Nous serions très heureux d'en recevoir sur les sujets que nous n'avons fait qu'effleurer, et qui pourront néanmoins être intégrées dans le rapport.

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Daniel Auverlot, recteur de l'académie de Créteil

J'insisterai sur un point, la scolarisation à domicile. Sur les trois départements de l'académie de Créteil, l'instruction à domicile progresse légèrement. Nous y serons attentifs car elle peut s'expliquer par la peur de revenir à l'école, mais aussi d'autres motifs qui n'ont aucun rapport avec la crise sanitaire.

En Seine-Saint-Denis, nous avons contribué à démanteler en un mois deux écoles clandestines. Cette situation nous inquiète beaucoup et il ne faudrait pas que derrière le prétexte sanitaire, des formes d'enseignement qui n'iraient pas vers l'école que nous souhaitons se développent.

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Mostafa Fourar, recteur de l'académie de Toulouse

Les lycées professionnels sont bien évidemment très concernés par le décrochage. C'est la raison pour laquelle le ministre a souhaité en priorité le retour des élèves des lycées professionnels à la fin du mois de mai et au début du mois de juin. Là encore, un travail de rattrapage a été engagé.

Pour ne rien vous cacher, nous n'avons pas mobilisé de moyens supplémentaires mais nous avons utilisé des moyens économisés pendant la période de crise. Des dispositifs n'ont pu être mis en œuvre et toute cette manne d'heures a été mobilisée à cette rentrée à destination de ces élèves.

Les écoles hors contrat sont bien évidemment une préoccupation majeure, particulièrement dans l'académie de Toulouse où nous avons des difficultés avec certaines écoles, avec des procédures devant les tribunaux. Nous regardons cela de très près.

Il existe là aussi un enjeu en matière d'innovation pédagogique. Certains établissements visent à endoctriner les élèves et nous continuerons à les combattre, mais d'autres sont à la recherche de méthodes alternatives parce qu'ils estiment que leurs enfants ne sont pas adaptés à l'école traditionnelle. Il appartient à l'institution d'apporter une réponse à ce besoin, auquel répondent des écoles privées hors contrat ou sous contrat. Il faut que nous soyons inventifs en matière d'innovation pédagogique. Nous nous y efforçons.

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Pascal Jan, recteur de l'académie de Martinique

Au sujet des parents, je voudrais signaler que nous avons mis en place un plan « Parents Plus ». Il associe les parents de façon volontaire à chaque niveau de question, que ce soit la vie scolaire, la pédagogie, le périscolaire, etc. Nous avons adopté une démarche concertée entre les chefs d'établissements, les directeurs d'école, les parents et les enseignants.

Ce plan fonctionne car il a installé une sorte de confiance. Le parent n'est pas là pour contrôler mais pour prendre conscience de la réalité du métier d'enseignant. L'enseignant va en retour accepter le regard du parent, qui n'est pas un jugement.

Ce plan a été mis en place en septembre 2019 et pendant trois mois, avant que ne commencent les conflits que vous connaissez. Cependant, les premiers retours qui nous sont parvenus sont extrêmement positifs. Les parents comme les syndicats nous ont d'ailleurs demandé de maintenir ce plan « Parent Plus » à la rentrée 2020, voire de l'accentuer.

Lorsqu'un maximum de partenaires sont associés dans le respect de la place de chacun – car le parent, ce n'est pas le professeur –, nous pouvons réintroduire les parents dans le fonctionnement de l'école. La discipline des élèves s'en trouve impactée. Nous n'en avons pas parlé mais le confinement a aussi eu comme conséquence un problème d'attitude des élèves lors du déconfinement. Or, nous nous sommes aperçus qu'en associant les parents, le climat scolaire s'apaisait. Dans une période où les moyens de la vie scolaire de l'académie de Martinique sont réduits, ce n'est pas négligeable.

Je pourrai vous rédiger une contribution écrite si vous le souhaitez.

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Très volontiers, oui. Je voudrais signaler que nous avons eu des réactions très positives de certaines écoles de Toulouse où au contraire les enfants étaient beaucoup plus tenus par leurs parents – par la peur aussi, forcément – et sont revenus plus respectueux à la rentrée.

Je conclurai en remerciant, Messieurs les recteurs. Nous avons hâte de vous lire.

La réunion se termine à quinze heures trente.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 14 heures

Présentes. – Mme Marie-George Buffet, Mme Albane Gaillot, Mme Sandrine Mörch, Mme Florence Provendier