Intervention de Patricia Colson

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 15h30
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Patricia Colson, secrétaire générale du Syndicat national des médecins de santé publique de l'éducation nationale (SNAMSPEN/Sgen-CFDT) :

Je suis un peu gênée de devoir répondre à l'ensemble de ces questions. Vous savez en effet que la crise de la médecine scolaire est telle que les pratiques des médecins de l'Éducation nationale sont extrêmement diverses et variées selon les départements.

Les propos qui seront tenus le seront en tant que médecin de l'éducation nationale exerçant depuis 20 ans en médecine scolaire, et en tant que secrétaire générale du deuxième syndicat représentatif des médecins de l'Éducation nationale.

Les pratiques sont très hétérogènes dans chaque département en matière de santé scolaire et le nombre de médecins scolaires est très variable, avec des secteurs qui comptent encore 8 000 élèves par médecin et d'autres plus de 20 000, voire plus. En conséquence, mes propos ne seront que cas particuliers ou grandes généralités.

En l'absence de vrai service de santé scolaire, il nous semble impossible de fournir des données concertées entre médecins, infirmiers, assistants sociaux et psychologues. Chacun ignore ce que les uns et les autres ont fait et ce, d'un département à l'autre. En conséquence et j'en suis gênée, mes propos se limiteront à des généralités et à des retours très partiels de mes collègues. Il est difficile d'évoquer de façon vraiment rigoureuse les conséquences de la crise covid sur nos élèves dans ces conditions.

En ce qui concerne la crise sanitaire du covid, la période de confinement a été marquée par un sentiment d'abandon et d'inutilité pour les médecins de l'Éducation nationale. Rien n'était prévu, nous n'avions pas de place visible dans les dispositifs de continuité de la santé des élèves. Chacun a agi en son âme et conscience et suivant les cas préoccupants qu'il avait à sa charge. Chacun à sa manière a cherché à se rendre utile.

Dans le paysage sanitaire, notre expertise est illisible alors que nous sommes les seuls médecins formés en même temps à la prévention individuelle et collective grâce à notre formation statutaire de l'École des hautes études en santé publique (EHESP). Ainsi, les médecins de l'Éducation nationale qui ont pu être employés sur des plateformes de coordination ou dans le suivi de patients covid ont vu leur expertise reconnue et appréciée.

Il faut également prendre conscience que les médecins de l'Éducation nationale peuvent exercer deux métiers, ce qui conduit à des regards complètement différents.

Il y a tout d'abord les médecins conseillers techniques dans les administrations, des médecins relevant de la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), des médecins rectoraux dans les académies, des médecins départementaux dans les inspections départementales. Ils sont une centaine.

Ces médecins ont été et sont toujours très sollicités voire débordés par la crise du covid. Ils sont seuls aux côtés de l'administration, avec un conseiller adjoint, et font face aux inquiétudes et aux questionnements de l'administration, des chefs d'établissement, des inspecteurs et des recteurs. À ce jour, ils ont pu voir leur expertise accompagnée dans les inspections de quelques médecins, soit volontaires, soit désignés d'office, et être associés à la gestion de cette crise sanitaire.

Il y a ensuite les médecins de secteur, en face des élèves, des familles et des établissements scolaires. L'expertise est parfois remise en question – nous ne sommes que des conseillers – et parfois absolument pas utilisée. Nous n'avons pas été associés systématiquement au plan sanitaire et aux mesures sanitaires, et les collègues infirmières sont nombreuses à ne pas l'avoir été non plus.

Les personnels ont demandé conseil (ou non) quant au plan et aux mesures sanitaires à mettre en place. Les pratiques sont donc extrêmement hétérogènes d'un département à un autre. Elles dépendent finalement de la reconnaissance de chaque professionnel au sein de son bassin d'exercice.

Aucune coordination n'existe au niveau local entre médecins, infirmières, assistantes sociales et psychologues. L'activité des uns par rapport aux autres dépend du bon vouloir de chacun. Lors du retour du confinement, les directeurs d'école ont pu recevoir trois e-mails différents : un e-mail du médecin, un e-mail de l'infirmière, un e-mail de la psychologue scolaire. Chacun dans son couloir, avec sa responsabilité propre, s'inquiétait de ce qui se passait à l'école.

Parmi les éléments consensuels au niveau des apprentissages, nous avons remarqué l'augmentation des écarts. L'absence de continuité pédagogique exacerbe les fragilités sociales. Or, comment assurer cette continuité dans des familles qui ne parlent pas français et où la priorité est plutôt de se nourrir et de travailler ?

Nous avons également constaté des difficultés à se remettre dans le statut d'élève, et notamment des difficultés d'attention et des prises de parole intempestives. Nous avons aussi remarqué des retards qui se sont creusés du point de vue des apprentissages. Des dossiers relevant des MDPH (maisons départementales des personnes handicapées) n'ont pas pu être finalisés, malgré les efforts des médecins de l'Éducation nationale.

Il faut dire que selon les secteurs, ces médecins de l'Éducation nationale sont complètement mobilisés par la crise sanitaire. Ils sont amenés à remplacer les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) et les agences régionales de santé (ARS), et au titre de ces missions, ils font part des dossiers et remplissent les formulaires. En conséquence, dans beaucoup de départements, ces médecins ne remplissent plus leurs missions relatives à l'école inclusive et pour les enfants les plus fragiles. Ils ont abandonné ces missions.

D'un point de vue purement sanitaire, nous avons pu remarquer un rebond du surpoids. La situation est néanmoins complètement différente entre zones urbaines et zones rurales, et selon que l'activité physique ait été permise ou non.

Les troubles anxieux par rapport à l'épidémie sont par ailleurs majorés par le ressenti des familles. Il semblerait que les filles soient plus inquiètes et qu'elles aient peur de transmettre la maladie. Ce sont néanmoins des éléments livrés par une collègue, qui ne peuvent être généralisés.

Le rythme de vie compatible avec l'école est difficile à retrouver pour certains. Pendant le confinement, les jeunes ont changé de rythme scolaire.

L'utilisation des écrans s'est accrue. Une collègue qui a interrogé une cinquantaine de jeunes lors de visites médicales d'aptitude aux travaux réglementés a relevé une majoration moyenne de 45 minutes par jour. N'oublions pas qu'en général, les jeunes ont tendance à minimiser l'utilisation des écrans dans leurs déclarations.

Il y a aussi une difficulté de mise en place ou de remise en place des soins (orthophonie, consultation médico-psychologique, etc.) lorsque des consultations en présentiel sont nécessaires.

Nous avons par ailleurs constaté l'aggravation des délais d'attente. À Aix-Marseille, il est de deux ans pour une consultation en centre médico-psychologique (CMP). Les difficultés que connaissait déjà le soin psychique se sont aggravées. Cela s'explique notamment par l'apparition de troubles anxieux. Ainsi, des élèves ne sont pas revenus en cours. La période de confinement a d'ailleurs apaisé tous ceux qui étaient en difficulté avec l'école.

Nous avons aussi pu observer que pendant le confinement, des enfants en adéquation avec l'école ont pu approfondir les programmes. En revanche, les élèves en difficulté se sont retranchés et ont mis de la distance avec les apprentissages, malgré le suivi pédagogique des professeurs. Nous avons perdu des enfants qui ne reviennent pas à l'école. Il faut aller les chercher.

Malgré tout, les enfants sont majoritairement très heureux de retourner à l'école.

Concernant les gestes barrières, ils sont à peu près bien respectés dans les collèges. Le port du masque est plutôt bien accepté. Je rappelle que les médecins ne se rendent pratiquement plus dans les lycées et se concentrent sur les écoles maternelles, primaires et les collèges.

La situation se complique à la porte des lycées où les élèves semblent ne pas avoir compris qu'il fallait également respecter les gestes barrières.

Il convient par ailleurs d'insister sur la situation des familles fragilisées, pour lesquelles les enfants ont eu à faire appel à de nombreuses reprises au 119. Des familles d'accueil n'ont pas pu garder les enfants et des enfants ont été remis à leur famille. Certaines ont craqué pendant le confinement.

Actuellement, les médecins de l'Éducation nationale qui sont sur le terrain connaissent des situations très diverses selon les territoires. Des médecins parviennent encore à remplir leurs missions tandis que d'autres n'y arrivent plus du tout.

Des collègues dans les Vosges ne sont plus que trois médecins pour plus de 20 000 élèves. Elles sont obligées de faire les travaux réglementés, elles gèrent la situation de l'épidémie de covid, elles remplissent les dossiers des cas contacts, elles doivent en plus assurer des permanences sept jours sur sept, on leur a refusé un téléphone professionnel. C'est très difficile.

La parole du médecin est plus ou moins entendue. Ainsi sur certains secteurs, l'inspecteur a décidé de les faire remonter à l'inspection plutôt que de les laisser sur les secteurs car seule la parole de l'inspection est retenue et fait foi.

Les médecins conseillers techniques et les médecins de secteur exercent deux métiers différents. La parole du médecin de secteur n'est pas toujours prise en compte. Les médecins de secteur ne sont pas systématiquement invités à faire part de leurs réflexions sur le plan sanitaire ou sur les mesures à tenir dans un établissement scolaire. C'est aléatoire, nous sommes de simples conseillers. Nous n'avons pas de véritable place.

Enfin, la santé scolaire pourra être améliorée lorsque des liens fonctionnels existeront avec nos collègues et que la coordination s'effectuera au plus près de secteurs de vie, et non pas dans les inspections et les rectorats. Nous avons besoin d'une concertation locale.

Il n'y a pas de hiérarchie avec un pôle médical et le reste du monde. Il y a des professionnels qui doivent travailler ensemble pour être efficaces. Les expertises des uns et des autres sont complémentaires et il n'est pas possible de travailler seul.

Bien évidemment, une revalorisation de tous les professionnels de la santé scolaire est nécessaire. Les médecins internes ont été revalorisés dans le cadre du Ségur de la santé, et en conséquence, les médecins de l'Éducation nationale affichent à nouveau des rémunérations inférieures à ces derniers. Même si le directeur de la DGESCO considère qu'une telle comparaison n'est pas pertinente puisque les médecins de l'Éducation nationale n'appartiennent pas au ministère de la santé, c'est intolérable. Il est regrettable que rien n'oblige l'Éducation nationale à valoriser ses professionnels de santé. Nous ne sommes pas un sous-service. Nous avons pourtant une expertise propre qu'il faut savoir reconnaître.

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