Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du jeudi 22 octobre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je répondrai, bien évidemment, dans un instant, à toutes les questions que vous me poserez.

Cette audition a lieu dans un moment très particulier, comme j'ai pu le dire, hier, au sein de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée. Ces circonstances particulières nous obligent, du fait du sursaut national qui s'impose, à un important consensus, au-delà des clivages politiques habituels. Il est de notre devoir de nous inscrire dans une telle logique.

Depuis le début, comme l'a déjà indiqué le Président de la République, nous devons avancer sur deux pieds, un pied social et un pied républicain. Nous parlerons longuement du pied social aujourd'hui, car l'enjeu consiste à scolariser réellement tous les enfants, ce qui relève également du pied républicain. Pour ma part, j'ai toujours considéré, même avant d'être ministre, que l'école était indispensable. Pas un enfant, sur le territoire français, ne doit se trouver hors de l'école et ce principe ne se discute pas. Il constitue l'un des corollaires les plus importants de la République et il est autonome et indépendant des sujets de statuts qui peuvent concerner les familles. D'autres règles doivent également s'appliquer en matière de droit de séjour et des différentes règles qui régissent la vie en société. Cependant, un enfant doit aller à l'école et il s'agit là d'une de mes plus grandes convictions. Elle est tellement forte qu'elle m'a conduit à me battre, en Guyane, pour la scolarisation d'enfants non scolarisés, car ils se trouvaient, en quelque sorte, dans la nature. De la même façon, j'ai été, durant le confinement, un avocat du retour à l'école et pour la rentrée de septembre 2020, l'avocat de la scolarisation de tous. Nous savons bien que lorsque nous perdons du temps ou des enfants, nous perdons les plus fragiles et les plus défavorisés, ceux qui n'ont que l'école pour eux.

Ces éléments peuvent sembler basiques, mais il me paraît fondamental de les mentionner en préambule. Ils réunissent l'ensemble des forces républicaines, de gauche, du centre et de droite dès lors que nous savons bien distinguer les sujets et bien les articuler. J'ai toujours pensé qu'être républicain et social ne positionnait pas une personne sur l'échiquier politique habituel. Je le dis avec force parce que, dans les circonstances actuelles, nous ne devons oublier aucun des enjeux qui vont être évoqués aujourd'hui et qui s'inscrivent en arrière-plan du drame que nous venons de vivre. J'aimerais réellement aboutir à un consensus politique. Je sais qu'il s'agit peut-être d'un rêve, mais un consensus politique nous permet d'être sans faille dans les discours tenus et d'être lucides face aux dangers de la radicalité. D'ailleurs, toute personne qui se montre complaisante vis-à-vis des dangers de la radicalité, en réalité, de près ou de loin, est complice de ce que nous vivons.

Je suis très clair sur ce point et je profite de ma présence ici aujourd'hui pour le répéter. Au cours des trois dernières années, j'ai subi des accusations et des quolibets pour avoir défendu les valeurs républicaines. Je souhaite, par conséquent, me montrer aujourd'hui extrêmement ferme, sachant que de telles accusations et de tels quolibets ne doivent plus exister. Je serai, de fait, implacable sur le sujet social et sur le sujet républicain qui sont complémentaires l'un de l'autre. Chacun doit maintenant prendre ses responsabilités, car derrière ce crime, se cachent des assassins intellectuels. L'atmosphère politique et intellectuelle, qui les entoure, rend complices ceux qui estiment que le danger de la radicalité n'existe pas et peut conduire au divorce avec les Français sur le terrain.

Vous devez donc savoir qu'être républicain et social m'anime au regard des mesures sociales que nous devons prendre et des principes républicains que nous devons rappeler dans le quotidien scolaire, et plus généralement dans le quotidien de notre société.

J'en viens maintenant aux points que vous avez soulevés et qui sont totalement conditionnés à mes propos précédents. Nous avons, évidemment, été très attentifs aux impacts psychiques, pédagogiques, économiques et sociaux des événements qui sont survenus depuis le mois de mars 2020. Dès le 16 mars 2020, soit le jour même de la fermeture des écoles et des établissements, nous avons ainsi mis en place un dispositif d'accueil des enfants des personnels essentiels à la gestion de la crise. Nous oublions parfois de mentionner ce point, mais il revêt une grande importance, car il a permis de nous forger une opinion sur la contagiosité des enfants, qui s'avère faible. Nous n'avons pas, en effet, noté de problèmes particuliers pendant le confinement alors même que ces enfants étaient, par définition, plus à risques du fait de la profession de leurs parents. Grâce au travail du personnel de l'Éducation nationale, de celui des collectivités locales et des bénévoles, nous avons ainsi pu accueillir 30 000 enfants par jour, sept jours sur sept pendant toute la durée du confinement.

L'enseignement à distance a également été mis en place. Je ne reviens pas sur ce sujet, car il a été longuement évoqué. Pour autant, vous savez que grâce au Centre national d'enseignement à distance (CNED), nous avons pu développer « ma classe à la maison ». En quelques jours, les recteurs, les corps d'inspection, les chefs d'établissement, les directeurs d'école, les professeurs et l'ensemble des personnels de l'Éducation nationale ont été à la hauteur des valeurs du service public en réinventant l'école à distance. De véritables réussites ont été constatées. En effet, plus de deux millions d'élèves ont été inscrits au CNED et moins de 5 % des élèves n'ont pas répondu aux sollicitations de leurs professeurs. Certes, ce chiffre peut sembler élevé, mais il demeure moindre que dans la plupart des pays auxquels nous pouvons nous comparer. Je souhaite également souligner que toutes les enquêtes montrent qu'environ 75 % des parents d'élèves sont satisfaits de l'enseignement à distance. Il a certes pu conduire à une accentuation des inégalités sociales, les difficultés familiales surdéterminant les difficultés sociales, mais il a permis de souligner très fortement le rôle profondément social de l'école de la République. Comme vous l'avez mentionné, madame la présidente, ce rôle social porte sur des sujets tels que la cantine. Cependant et plus simplement, le fait d'aller à l'école et de se retrouver physiquement dans l'espace scolaire relève également de ce rôle social, ce qui permet de faire taire certaines idées théoriques sur la fin de l'école et sur le fait que tout pourrait être fait à domicile dans un futur technologique.

En France, comme ailleurs, l'enseignement à distance a donc induit un risque d'accentuation des inégalités sociales. Nous devons toutefois noter que le sujet n'est pas si schématique. Nous avons, en effet, des exemples d'enfants, issus de milieux défavorisés ou de l'aide sociale à l'enfance, vivant en foyer, qui ont plutôt bien vécu la situation. Ils ont ainsi pu étudier dans des conditions différentes, notamment lorsqu'ils présentaient une phobie scolaire ou des craintes diverses vis-à-vis de l'école. D'ailleurs, les acteurs de l'aide sociale à l'enfance en témoignent : la forte mobilisation des adultes autour de ces enfants et la concentration sur les enjeux pédagogiques ont été bénéfiques pour une partie d'entre eux. Le retour d'expérience qui en découle doit nous permettre de mieux accompagner les enfants présentant ces caractéristiques et de mieux personnaliser le parcours des élèves.

Nous avons, au cours de cette période, lutté contre le décrochage scolaire. Je le redis, nous pouvons être fiers de disposer d'un service public de l'Éducation nationale. Cette notion de service public est profondément républicaine et constitue un atout pour la France. Nous le constatons bien dans de telles circonstances, car il me permet, en tant que ministre de l'éducation, de bénéficier de véritables leviers dans le pays. J'ai ainsi organisé des visioconférences avec tous les recteurs quotidiennement, même le week-end. Ils étaient en contact permanent avec les inspecteurs d'académie et les chefs d'établissement, qui eux-mêmes étaient en lien avec les professeurs, et nous avions ainsi accès aux familles. Or ce lien n'a pas pu être établi dans les pays où la décentralisation du système éducatif est très forte. Nous avons souvent tendance à critiquer la centralisation en France, mais nous constatons bien, en de telles circonstances, qu'un service public de l'Éducation nationale s'avère relativement important pour l'unité du pays, pour les enjeux sociaux et particulièrement pour les enjeux d'égalité.

Notre partenariat avec la Poste a, par ailleurs, permis l'envoi quotidien de 10 000 devoirs. Il s'agit là d'une innovation technologique qui a permis à des professeurs d'imprimer et d'envoyer des devoirs aux familles qui ne disposaient pas d'ordinateur. Afin d'accompagner les élèves et leurs familles, nous avons également produit avec France 4 et d'autres chaînes, des cours de 9 heures à 16 heures, appelés « la nation apprenante ». Ce label nous permet de mettre en œuvre une politique renouvelée d'enrichissements des contenus éducatifs de l'ensemble des médias. Nous avons, en outre, distribué des ordinateurs avec l'aide d'associations.

Le déconfinement a été l'occasion d'un retour en classe progressif des élèves dès le mois de mai 2020. Vous vous souvenez à quel point ce retour a nécessité du volontarisme. Il a été difficile pour les acteurs, du fait du protocole sanitaire très strict mis en place. Même s'il a parfois été critiqué, il était issu des obligations fixées par les autorités de santé, à juste titre. En tout cas, nous n'avons pas fléchi devant cette difficulté et nous avons pu permettre, à la fin du mois de juin 2020, le retour de tous les élèves des écoles primaires, des collèges et pour partie, des lycées. Ce retour a été bénéfique, car il n'est pas bon que les enfants demeurent trop longtemps sans aller à l'école et il a permis de préparer la rentrée scolaire du mois de septembre 2020. Les élèves de France sont pratiquement tous retournés à l'école à la rentrée, car le lien avec l'école n'avait pas été rompu aux mois de mai et de juin 2020.

L'ensemble des stratégies que j'ai suivies sont cohérentes avec les propos des sociétés de pédiatrie française et de l'ensemble des professionnels. Je dois toutefois dire que sur ce sujet, comme sur d'autres, je n'ai pas toujours rencontré de consensus et j'ai parfois dû avancer dans la mitraille. Néanmoins, quand je regarde derrière, je ressens plutôt une fierté collective pour tout ce qui a été accompli.

L'été 2020 a été relativement spécifique et je pense qu'il marquera longtemps les esprits. Nous avons mis en place les vacances apprenantes qui constituent une nouvelle étape et des legs de cette période. J'espère que nous continuerons en 2021 et au cours des prochaines années à mettre en œuvre des formules de vacances à visée sociale et à contenus très riches pour que les vacances de ces enfants aient un effet bénéfique sur leur scolarité ultérieure. Nous avons débloqué 200 millions d'euros dans le cadre du soutien de l'État aux vacances d'été qui ont été versés aux collectivités locales et aux associations. Nous avons ainsi pu avoir un été le plus normal possible, ce qui n'a pas été le cas d'un grand nombre d'autres pays.

Le contexte de la rentrée de septembre 2020 a été exceptionnel. Du volontarisme s'est avéré nécessaire alors que certaines voix se sont élevées pour demander le report de la rentrée, notamment dans d'autres pays. Nous n'avons pas reporté cette rentrée et nous n'avons pas à le regretter, car elle a permis la scolarisation de l'ensemble des élèves. Nous avons réalisé un effort important pour estimer les difficultés dans le cadre d'évaluations effectuées en début d'année. Je serai en mesure de communiquer les résultats de ces évaluations d'ici quelques jours, notamment pour le CP, le CE1 et la 6e. Nous avons également réalisé un effort massif pour l'accompagnement personnalisé. En plus des postes que nous avons créés, nous avons dégagé 1,5 million d'heures supplémentaires et 130 000 heures pour les assistants d'éducation dans le cadre de l'opération « devoirs faits » et des stages de réussite. Ce soutien scolaire se poursuivra après les vacances actuelles, en tenant compte de la particularité de chaque élève. Nous avons, en outre, traité la question de la scolarisation effective des élèves en situation de handicap. Je vous rappelle que nous avons créé 8 000 postes supplémentaires d'accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et que depuis 2017, nous avons augmenté de 60 % le budget dédié à la scolarisation de ces élèves.

Enfin, nous avons pris des mesures pour la jeunesse avec le plan « Un jeune, une solution » de 6,5 milliards d'euros, mis en œuvre conjointement avec le ministère du travail. Il se traduit par la création de 100 000 postes de service civique. Notre stratégie consiste à aider les jeunes à trouver un travail et à mieux s'insérer. Nous avons débloqué une aide de 200 euros pour 800 000 jeunes, destinée à compenser la perte de revenus liée à l'arrêt temporaire d'un stage, d'un apprentissage ou d'un emploi étudiant, soit un montant global de 150 millions d'euros. Que ce soit pour nos enfants ou pour nos jeunes, l'État a pris conscience des effets collatéraux de la crise sanitaire. Comme l'a mentionné le Président de la République, l'enfance et la jeunesse constituent la priorité des priorités. Nous portons, en outre, une attention à ceux qui seraient en marge du système scolaire et qui courent un grand risque de déscolarisation, en luttant contre le décrochage scolaire et en ayant un devoir de formation des 16-18 ans avec la participation des lycées professionnels.

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