Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du jeudi 22 octobre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports :

Merci, madame la rapporteure. Votre question sur le processus de décision est importante et elle n'est pas simple. La France, comme les autres pays du monde, a découvert un virus, dont les caractéristiques complètes sont encore méconnues et nous n'avons pu tirer les conclusions qui s'imposaient que progressivement. Nous devons collectivement, c'est-à-dire à l'échelle de l'humanité, assumer cette situation. Les incertitudes portant sur la contagion des enfants ont d'ailleurs conduit à une certaine prudence, ce qui a conduit à un confinement généralisé.

Je vous rappelle qu'avant le 15 mars 2020, la doctrine sanitaire, élaborée par les autorités de santé au début des années 2010, prévoyait la théorie des clusters et un confinement par territoire. D'ailleurs, au mois de mars 2020, l'Oise, le Morbihan, le Haut-Rhin ont été partiellement confinés, ce qui a permis à l'Education nationale de bénéficier d'un premier entraînement sur ces enjeux. Il est certain qu'avant le 15 mars 2020, j'ai dit qu'un confinement généralisé ne serait pas mis en place. Je traduisais alors cette doctrine qui était partagée par tous et qui ne prévoyait un confinement que par territoire.

Chacun le sait, le confinement généralisé a été prôné par le Conseil scientifique comme une mesure lourde et forte, pour arrêter l'accélération de la transmission du virus. Nous avons alors pu observer les effets de ce confinement sur la population générale et sur les enfants, en accueillant notamment ceux des personnels soignants. Nous n'avons pas constaté de phénomènes sanitaires particulièrement alarmants. Dans le même temps, les études se sont succédé et ont toutes conclu à la faible contagiosité des enfants entre eux et envers les adultes, ce qui impacte, de facto, le processus de décision. Désormais, nous pensons que l'école est le dernier endroit à fermer. Nous savons que les dégâts sociaux, psychologiques et pédagogiques sont très importants lorsque l'école est fermée, quelle que soit la qualité de l'enseignement à distance. Il ne s'avère donc pas souhaitable de fermer les écoles.

Néanmoins, nous en sommes capables. Le protocole sanitaire, élaboré au mois de juillet 2020 à la lumière de notre expérience, prévoit un scénario sanitaire et un protocole de continuité pédagogique. Ce protocole a été rendu public au mois de juillet 2020, même s'il a depuis connu quelques évolutions pour tenir compte de l'avis du Haut conseil de la santé publique. Pour en résumer la philosophie, nous avons tout d'abord décidé de fermer les classes ou les établissements à partir de trois cas positifs avérés. Il revient toutefois aux autorités sanitaires locales de réaliser une analyse qui conditionne la décision, et c'est pourquoi la situation peut varier d'un endroit à l'autre. Depuis la rentrée, nous demeurons relativement agiles sur ces fermetures et aujourd'hui 0,14 % des classes sont fermées. Ce système, selon moi, a plutôt bien fonctionné. Nous avons ainsi su fermer une classe ou un établissement lorsque la situation le nécessitait, mais également limité les fermetures, ce qui permet une continuité du service public de l'éducation depuis le mois de septembre 2020. Le processus de décision relève, par conséquent, de protocoles clairs et publics et de décisions locales, et j'espère qu'elles le resteront. Bien évidemment, je ne m'aventurerai pas à dire qu'un confinement généralisé ne sera pas de nouveau mis en place. Pour autant, nous continuons la stratégie mise en œuvre consistant à fermer les classes et les établissements de manière ciblée.

Par ailleurs, la question du présentiel est essentielle. Je partage vos interrogations, notamment celles portant sur les outils numériques. Indépendamment de la crise, nous devons de toute façon transmettre la culture numérique aux élèves. Ainsi, la programmation relève des apprentissages à l'école primaire et au collège, dans l'idée d'avoir une relation non superficielle au numérique. Je sais que ce sujet fait l'objet d'un grand nombre d'illusions. Ce n'est pas parce que nos enfants savent parfaitement utiliser un téléphone portable qu'ils sont des informaticiens. Nous devons donc être sérieux, rigoureux et exigeants sur le plan technique, pédagogique, éthique et déontologique. Nous avons, en parallèle, créé dans le cadre de la réforme du lycée, une nouvelle discipline « Informatique et Sciences du numérique » et l'enseignement informatique est systématique pour les élèves de seconde. Tout ceci a été accompagné de la création du CAPES en informatique et d'ici deux ou trois ans, nous créerons l'agrégation en informatique, pour que cette science devienne une discipline du système scolaire à part entière.

Dans le cadre de la crise, nous avons apporté des réponses immédiates, empiriques et je le sais, imparfaites. Nous avons ainsi distribué des ordinateurs, car nous savons très bien, en effet, qu'il existe une fracture numérique lorsque les familles ne disposent pas de matériel. Pour autant, en parallèle, nous devons former les élèves. C'est pourquoi nous avons lancé une expérimentation dans le Val d'Oise et dans l'Aisne, appelée « Territoire 100 % numérique ». Nous avons ainsi déployé des ordinateurs dans plusieurs écoles de ces deux départements en formant les professeurs et les élèves. Les parents n'ont pas été associés à cette formation et nous devrons probablement travailler davantage sur ce sujet. Ces expérimentations s'inscrivent dans les investissements d'avenir (PIA) ; elles s'accompagnent d'un système d'évaluation. De nouveaux départements devraient prochainement participer à cette expérimentation. Nous organisons d'ailleurs les 4 et 5 novembre 2020, les États généraux du numérique à Poitiers et en visioconférence qui permettront de faire des retours d'expérience, d'approfondir tout ce que je viens de vous dire et d'élaborer la stratégie future.

Par ailleurs, l'accusation envers l'Éducation nationale consistant à lui reprocher sa verticalité s'avère relativement classique. Pour vous répondre, je citerai une phrase d'Alain Touraine : « le technocrate est le technicien que l'on n'aime pas ». La verticalité est souvent évoquée lorsqu'il s'agit de critiquer un élément positif, comme le service public national. Je ne souhaite pas me faire l'avocat de la verticalité, car j'estime qu'elle est nécessaire tout comme l'horizontalité. Il est néanmoins possible que l'équilibre entre les deux ne soit pas parfait aujourd'hui au sein de l'Éducation nationale. Pour autant, nous devons conserver une certaine prudence lorsque nous évoquons la verticalité. En effet, nous sommes bien contents de bénéficier de programmes nationaux communs à tous les élèves et d'un système institutionnel qui fonctionne et qui résiste aux crises que nous traversons. Malgré les attaques sanitaires et terroristes, cette maison tient et j'en suis fier. Il est certain que davantage d'horizontalité s'avère nécessaire. D'ailleurs, le député Gaël Le Bohec a récemment réalisé une consultation intéressante qui montre bien ce besoin. Je l'entends et je l'appelle de mes vœux. Concrètement, cette horizontalité se traduit par plus d'autonomie, des collectifs pédagogiques qui disposent du temps nécessaire et d'un pouvoir de décision. Dans le cadre de la réforme du lycée, les collectifs pédagogiques sont amenés à opérer des choix sur les spécialités enseignées, les options et le nombre d'élèves par classe ; le lycée se prête davantage à l'horizontalité que le collège. Nous envisageons toutefois d'aller plus loin, car la verticalité et l'individualisme constituent des points faibles du système scolaire, qui ne facilitent pas le travail d'équipe. Nous ouvrons cet après-midi le Grenelle de l'Éducation, sachant que la date était prévue depuis longtemps. J'ai dû décider s'il fallait, ou non le maintenir face au drame que nous venons de vivre. Il m'a semblé que nous devions le maintenir pour ne pas nous laisser infléchir par ce drame et pour répondre à toutes les questions que vous vous posez, mais aussi les questions de protection des professeurs et de leur rémunération. J'espère que dans le cadre de ce Grenelle de l'Éducation, nous pourrons définir ce collectif pédagogique. Je rappelle les trois mots clés qui prévalent : reconnaissance, ouverture et coopération.

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