Intervention de Geneviève Avenard

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Geneviève Avenard, adjointe au défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l'enfant jusqu'en juillet 2020 :

Exactement. Ces situations sont contraires aux droits des enfants et à leur besoin de sécurité physique et affective. Elles reflètent également l'absence de communication à l'attention des enfants et des adolescents sur le coronavirus et ses conséquences. Une information claire et précise, adaptée à l'âge et aux situations de vulnérabilité, aurait été souhaitable. En l'occurrence, les enfants ont été confrontés aux spots destinés aux adultes, qui pouvaient s'avérer extrêmement angoissants pour eux. Ces mêmes spots figurent encore dans les programmes de jeunesse. Ils peuvent même être diffusés entre deux dessins animés destinés aux enfants en bas âge. Ce problème renvoie au droit des enfants à recevoir une information appropriée, c'est-à-dire précise, exacte et accessible. Cela permettrait notamment de lutter contre les fausses informations, auxquelles sont notamment confrontés les adolescents.

L'enquête menée au mois de mai par la commissaire suédoise aux droits des enfants montre que 70 % d'entre eux ont besoin d'une information adaptée. Les enfants ont un autre droit, consubstantiel à leur position de sujets de notre société et reconnu à l'article 12 de la convention internationale des droits de l'enfant : il s'agit du droit de l'enfant à émettre un avis sur toute question qui le concerne. Ce droit vaut à la fois pour les questions individuelles et pour les questions plus collectives. Une fois encore, la crise sanitaire a mis en lumière les freins au respect de ce droit, communément appelé droit à la participation, dont l'enjeu est la prise au sérieux de la parole de l'enfant. J'en prendrai deux exemples. Le premier porte plutôt sur l'aspect individuel. S'agissant de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 qui prévoit à titre dérogatoire la possibilité pour le juge des enfants de se prononcer sans audience et sans recueil des observations des parties, nous avions souligné que l'opinion des enfants doit en tous les cas pouvoir être recueillie. Lorsqu'il a validé l'ordonnance, le Conseil d'État a souligné que ses dispositions ne faisaient pas obstacle à ce que le mineur capable de discernement puisse préalablement exprimer son opinion. Nous n'aurions pas été amenés à nous exprimer sur ce point si nous n'avions pas constaté une difficulté. Je ne dispose pas aujourd'hui de données permettant de savoir si ce point a été respecté dans la mise en application de l'ordonnance.

Sur le plan collectif, depuis le mois de mai, plusieurs Etats européens ont missionné leurs défenseurs des enfants pour conduire des enquêtes afin de recueillir la perception de la situation par les enfants et les adolescents. Outre l'enquête suédoise que j'ai déjà mentionnée, la Belgique flamande a conduit une enquête auprès de 44 000 jeunes qui a donné lieu à un rapport transmis au Parlement. Dans les deux cas, c'est l'institution de défense des droits des enfants qui est intervenue. En France, le Haut conseil à la famille, de l'enfance et de l'âge compte un conseil de l'enfance et de l'adolescence comportant un collège composé de douze enfants. Lors du confinement, il a proposé à ce collège de réfléchir aux conséquences du confinement sur la scolarisation, les relations familiales, les écrans, l'hygiène et la santé notamment. Le travail des enfants a été présenté fin avril en séance plénière du conseil. J'ai proposé que cette contribution soit adressée aux pouvoirs publics. La présidente du conseil de l'enfance et de l'adolescence du Haut conseil, Sylviane Giampino, l'a transmise au Président de la République. Je ne sais pas, en revanche, si le Sénat et l'Assemblée nationale en ont été destinataires.

De manière générale, il me semble que l'intérêt supérieur des enfants, prévu à l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, n'a pas été une priorité dans les décisions prises face à la crise sanitaire. Cela ne signifie pas qu'on ne s'en est pas préoccupé, mais le respect des droits des enfants n'a pas été intégré en tant que tel à l'ensemble des réflexions menées. Comme vous l'avez indiqué, on ne compte pas de représentants des professionnels de l'enfance au sein du conseil scientifique du covid-19. La présence d'une institution de la République en son sein pourrait permettre de défendre la vision du droit des enfants. Le Président de la République a annoncé hier soir que les écoles resteraient ouvertes. C'est une bonne chose. Dès la fin du mois d'avril, plusieurs sociétés de médecine et de pédiatrie avaient appelé au retour des enfants dans leur établissement scolaire. En tout état de cause, le premier confinement a entraîné des difficultés et a augmenté les risques de décrochage scolaire. Ce faisant, il a porté atteinte au droit à l'éducation, comme il a porté atteinte au droit à l'alimentation et à la santé, en raison de la fermeture des cantines. Il a également porté atteinte au droit à la sécurité, comme je l'ai évoqué.

En ce qui concerne la scolarité toujours, le protocole de retour à l'école mis en place lors du déconfinement comportait des consignes très strictes, restrictives et plutôt contre-productives. Nous avons été saisis par des parents et des associations qui ont souligné le ton excessivement anxiogène de certaines consignes. Certes, elles n'émanaient pas directement du ministère de l'Éducation nationale, mais il y a eu sans doute ici ou là des excès de zèle. Par ailleurs, un certain nombre d'adultes ont manifesté une inquiétude très forte face au déconfinement. En somme, les consignes n'ont pas favorisé le retour des enfants à l'école dans de bonnes conditions.

Sur le plan de l'organisation entre acteurs, j'ai constaté à plusieurs reprises au cours de la crise le manque de coordination entre les acteurs, ainsi qu'un fonctionnement en silo des institutions. J'ai notamment eu connaissance d'un certain nombre de difficultés de coopération entre les agences régionales de santé (ARS), les départements et l'éducation nationale pour les enfants en situation de handicap. Des problèmes se sont également posés entre la justice et les conseils départementaux autour de la protection de l'enfance. Cela nous a conduits à proposer avec Jacques Toubon que les cellules de crise opérationnelles soient placées sous la houlette des préfets dans les départements. L'objectif était de favoriser le dialogue entre les acteurs.

Quand je dis que l'intérêt supérieur de l'enfant n'a pas été une préoccupation primordiale, je veux dire que les institutions sont restées centrées sur leurs propres difficultés de fonctionnement. Cette posture est légitime, mais elle peut entraîner des effets sur les enfants. En février 2016, le comité des droits de l'enfant de l'ONU avait déjà recommandé à la France de redoubler d'efforts pour que le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant fût appliqué de manière cohérente partout, et en particulier dans les programmes et projets politiques concernant les enfants.

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