Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 9h00

Résumé de la réunion

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  • défenseur
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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jeudi 29 octobre 2020

La séance est ouverte à neuf heures.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

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Comme vous le savez, le très fort rebond épidémique que nous constatons depuis plusieurs semaines a conduit à ce que de nouvelles mesures restrictives soient annoncées hier soir. La crise sanitaire est très loin d'être finie, nous le savions en débutant nos travaux mais malheureusement, elle traverse à nouveau une phase aigüe, dont nous ne connaissons encore pas le terme. Cette évolution ne doit toutefois pas interrompre nos travaux, mais au contraire les rend d'autant plus nécessaires, pour évaluer et mieux prévenir les effets de la crise au fil de son évolution.

Nous auditionnons ce matin Mme Geneviève Avenard, adjointe au défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l'enfant jusqu'au 16 juillet 2020. Votre engagement en faveur de l'enfance constitue le fil rouge de votre parcours jusqu'à votre nomination en 2014 à la fonction d'adjointe au défenseur des droits. Vous étiez à la manœuvre durant le premier confinement.

Plusieurs personnes auditionnées ont souligné que les enfants et leurs droits devraient être davantage pris en compte par nos politiques publiques et qu'ils ont été peu pris en considération dans la gestion de la crise sanitaire, si ce n'est au début de l'épidémie pour pointer leur rôle de vecteur. Ce postulat s'est d'ailleurs avéré inexact par la suite. Nous avons été très surpris d'apprendre que le conseil scientifique sur le covid 19 ne comptait pas dans ses rangs de spécialistes de l'enfance. Nous souhaiterions que vous vous exprimiez sur la place de l'enfant dans cette crise sanitaire majeure, ainsi que sur les conséquences de celle-ci pour les enfants et adolescents, notamment les plus vulnérables d'entre eux. Il peut s'agir des enfants en situation de handicap, des enfants pris en charge par l'aide sociale à l'enfance ou encore des mineurs isolés. Hors crise, la première cause de saisine du défenseur des enfants était la maltraitance. Nous souhaiterions savoir comment vous avez été saisie durant la crise sanitaire par les familles, par les associations, voire par les enfants eux-mêmes. Quelles ont été les principales difficultés identifiées et quelles actions avez-vous engagées ?

Quelques mois avant la pandémie, un site internet a été mis en place, destiné à recueillir la parole des enfants. Il nous serait extrêmement utile de nous appuyer sur ces travaux et de comparer les situations avant, pendant et après la crise. Il est en tout état de cause nécessaire de poursuivre ce travail de recueil de la parole de l'enfant qui fait largement défaut dans notre société et nos politiques publiques aujourd'hui.

Enfin, vous aviez appelé tous les acteurs à travailler en réseau autour de l'enfant. Cette crise est peut-être une occasion cruciale de passer à l'acte. La demande de cohésion est très forte entre la justice, le social, le médical et le médico-social. Or, elle reste étonnamment un vœu pieux. L'école ne doit-elle pas devenir le pivot de la vie de l'enfant dans tous les domaines ? Avant de vous laisser la parole, je rappelle une petite formalité : l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire « je le jure » avant votre propos. Merci beaucoup.

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Geneviève Avenard, adjointe au défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l'enfant jusqu'en juillet 2020

Je le jure. Bonjour à toutes et à tous. Je vous remercie vivement de m'avoir invitée à intervenir sur des sujets qui m'ont en effet beaucoup occupée durant le premier semestre de cette année. Dans le cadre de ma fonction d'adjointe au défenseur des droits, M. Jacques Toubon, j'ai établi avec ce dernier une synthèse de nos travaux, qui figure toujours sur notre site. J'ai également été vice-présidente du réseau européen des défenseurs des enfants, qui compte quarante-quatre membres, de 2018 à 2019. J'ai notamment porté un rapport sur la santé mentale des enfants et des adolescents dans ce cadre. Nous avons beaucoup travaillé sur les conséquences du covid 19 sur les droits des enfants et sur leur intérêt supérieur. Le réseau travaille cette année sur le thème suivant que j'avais proposé : Covid 19, quelles leçons pour l'avenir, notamment pour les défenseurs des enfants ?

Mon mandat de défenseur des enfants s'étant achevé le 16 juillet dernier, je me limiterai dans mon propos aux constats que j'ai formulés au premier semestre de l'année. Durant la première phase de la crise sanitaire, j'ai été en contact permanent avec les institutions et les associations non seulement au niveau national, mais aussi et surtout au niveau local. Il est en effet très important de pouvoir apprécier de près les difficultés rencontrées par les enfants et leurs familles. Il appartiendra au prochain défenseur des enfants d'enrichir et de mettre à jour les observations que je m'apprête à formuler.

Mais je souhaiterais d'abord saluer la création de votre commission d'enquête. Elle jouera un rôle d'autant plus important que les enfants n'ont pas forcément été considérés comme il aurait fallu. Il y a à cela au moins deux raisons : le contexte inédit et la nécessité de prendre des décisions en urgence. Néanmoins, le virus n'a pas discriminé, il a touché l'ensemble de la population, y compris les enfants. Ces derniers ont été fortement impactés dans leur vie quotidienne, qu'il s'agisse de l'école, des loisirs, des activités physiques ou des relations amicales. Le contexte sanitaire hautement anxiogène a pesé sur leur entourage familial, leurs parents et leurs grands-parents. Le confinement a influé sur leur bien-être physique et mental. Lorsqu'on les interroge, les enfants disent tous avoir éprouvé de vives inquiétudes pour leur famille et pour eux-mêmes. Par ailleurs, le confinement a accru la précarité et l'isolement de certaines familles, entraînant un renforcement des inégalités sociales et territoriales. Il a également pu exacerber les risques de violence. Avec la fermeture des écoles et des lieux de vie, on ne disposait plus du regard extérieur nécessaire permettant de se soustraire au huis clos familial et de protéger les enfants. Dès 2005, l'Organisation mondiale de la santé établissait un lien entre les épisodes de catastrophes naturelles et la hausse des violences, notamment celles exercées sur les enfants. De manière générale, cette crise sanitaire nous renseigne sur la place que nos sociétés accordent aux plus fragiles. Or, la valeur d'une société se mesure à la place faite à ses membres les plus vulnérables.

Dans le contexte inédit de la pandémie, l'enfant et l'adolescent sont insuffisamment pris en considération dans leurs besoins, dans leurs droits et dans leur intérêt supérieur. Ce constat n'est malheureusement pas nouveau. Durant les six années qu'a duré mon mandat de défenseur des enfants, je me suis employée à informer et à sensibiliser aux droits et à l'intérêt supérieur de l'enfant. J'ai tâché de faire comprendre ce que la Convention internationale des droits de l'enfant impose aux pays qui en sont signataires. Comme vous le savez, la quasi-totalité des pays a ratifié la convention. Or, plus de trente ans après l'adoption de la convention, les enfants ne sont toujours pas considérés comme des membres à part entière de la cité. La crise a selon moi mis en lumière cette lacune. J'en prendrai un exemple clair : au tout début du confinement, l'accès à certains supermarchés était refusé à des parents au motif qu'ils étaient accompagnés d'enfants, alors perçus comme des vecteurs de contamination. Les dispositions prises étaient totalement contraires aux droits des enfants. Il était demandé aux parents de laisser leurs enfants parfois très jeunes à l'entrée du magasin sous la surveillance de personnes qu'ils ne connaissaient pas. Ces mesures traduisent une totale méconnaissance des besoins de l'enfant.

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Geneviève Avenard, adjointe au défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l'enfant jusqu'en juillet 2020

Exactement. Ces situations sont contraires aux droits des enfants et à leur besoin de sécurité physique et affective. Elles reflètent également l'absence de communication à l'attention des enfants et des adolescents sur le coronavirus et ses conséquences. Une information claire et précise, adaptée à l'âge et aux situations de vulnérabilité, aurait été souhaitable. En l'occurrence, les enfants ont été confrontés aux spots destinés aux adultes, qui pouvaient s'avérer extrêmement angoissants pour eux. Ces mêmes spots figurent encore dans les programmes de jeunesse. Ils peuvent même être diffusés entre deux dessins animés destinés aux enfants en bas âge. Ce problème renvoie au droit des enfants à recevoir une information appropriée, c'est-à-dire précise, exacte et accessible. Cela permettrait notamment de lutter contre les fausses informations, auxquelles sont notamment confrontés les adolescents.

L'enquête menée au mois de mai par la commissaire suédoise aux droits des enfants montre que 70 % d'entre eux ont besoin d'une information adaptée. Les enfants ont un autre droit, consubstantiel à leur position de sujets de notre société et reconnu à l'article 12 de la convention internationale des droits de l'enfant : il s'agit du droit de l'enfant à émettre un avis sur toute question qui le concerne. Ce droit vaut à la fois pour les questions individuelles et pour les questions plus collectives. Une fois encore, la crise sanitaire a mis en lumière les freins au respect de ce droit, communément appelé droit à la participation, dont l'enjeu est la prise au sérieux de la parole de l'enfant. J'en prendrai deux exemples. Le premier porte plutôt sur l'aspect individuel. S'agissant de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 qui prévoit à titre dérogatoire la possibilité pour le juge des enfants de se prononcer sans audience et sans recueil des observations des parties, nous avions souligné que l'opinion des enfants doit en tous les cas pouvoir être recueillie. Lorsqu'il a validé l'ordonnance, le Conseil d'État a souligné que ses dispositions ne faisaient pas obstacle à ce que le mineur capable de discernement puisse préalablement exprimer son opinion. Nous n'aurions pas été amenés à nous exprimer sur ce point si nous n'avions pas constaté une difficulté. Je ne dispose pas aujourd'hui de données permettant de savoir si ce point a été respecté dans la mise en application de l'ordonnance.

Sur le plan collectif, depuis le mois de mai, plusieurs Etats européens ont missionné leurs défenseurs des enfants pour conduire des enquêtes afin de recueillir la perception de la situation par les enfants et les adolescents. Outre l'enquête suédoise que j'ai déjà mentionnée, la Belgique flamande a conduit une enquête auprès de 44 000 jeunes qui a donné lieu à un rapport transmis au Parlement. Dans les deux cas, c'est l'institution de défense des droits des enfants qui est intervenue. En France, le Haut conseil à la famille, de l'enfance et de l'âge compte un conseil de l'enfance et de l'adolescence comportant un collège composé de douze enfants. Lors du confinement, il a proposé à ce collège de réfléchir aux conséquences du confinement sur la scolarisation, les relations familiales, les écrans, l'hygiène et la santé notamment. Le travail des enfants a été présenté fin avril en séance plénière du conseil. J'ai proposé que cette contribution soit adressée aux pouvoirs publics. La présidente du conseil de l'enfance et de l'adolescence du Haut conseil, Sylviane Giampino, l'a transmise au Président de la République. Je ne sais pas, en revanche, si le Sénat et l'Assemblée nationale en ont été destinataires.

De manière générale, il me semble que l'intérêt supérieur des enfants, prévu à l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, n'a pas été une priorité dans les décisions prises face à la crise sanitaire. Cela ne signifie pas qu'on ne s'en est pas préoccupé, mais le respect des droits des enfants n'a pas été intégré en tant que tel à l'ensemble des réflexions menées. Comme vous l'avez indiqué, on ne compte pas de représentants des professionnels de l'enfance au sein du conseil scientifique du covid-19. La présence d'une institution de la République en son sein pourrait permettre de défendre la vision du droit des enfants. Le Président de la République a annoncé hier soir que les écoles resteraient ouvertes. C'est une bonne chose. Dès la fin du mois d'avril, plusieurs sociétés de médecine et de pédiatrie avaient appelé au retour des enfants dans leur établissement scolaire. En tout état de cause, le premier confinement a entraîné des difficultés et a augmenté les risques de décrochage scolaire. Ce faisant, il a porté atteinte au droit à l'éducation, comme il a porté atteinte au droit à l'alimentation et à la santé, en raison de la fermeture des cantines. Il a également porté atteinte au droit à la sécurité, comme je l'ai évoqué.

En ce qui concerne la scolarité toujours, le protocole de retour à l'école mis en place lors du déconfinement comportait des consignes très strictes, restrictives et plutôt contre-productives. Nous avons été saisis par des parents et des associations qui ont souligné le ton excessivement anxiogène de certaines consignes. Certes, elles n'émanaient pas directement du ministère de l'Éducation nationale, mais il y a eu sans doute ici ou là des excès de zèle. Par ailleurs, un certain nombre d'adultes ont manifesté une inquiétude très forte face au déconfinement. En somme, les consignes n'ont pas favorisé le retour des enfants à l'école dans de bonnes conditions.

Sur le plan de l'organisation entre acteurs, j'ai constaté à plusieurs reprises au cours de la crise le manque de coordination entre les acteurs, ainsi qu'un fonctionnement en silo des institutions. J'ai notamment eu connaissance d'un certain nombre de difficultés de coopération entre les agences régionales de santé (ARS), les départements et l'éducation nationale pour les enfants en situation de handicap. Des problèmes se sont également posés entre la justice et les conseils départementaux autour de la protection de l'enfance. Cela nous a conduits à proposer avec Jacques Toubon que les cellules de crise opérationnelles soient placées sous la houlette des préfets dans les départements. L'objectif était de favoriser le dialogue entre les acteurs.

Quand je dis que l'intérêt supérieur de l'enfant n'a pas été une préoccupation primordiale, je veux dire que les institutions sont restées centrées sur leurs propres difficultés de fonctionnement. Cette posture est légitime, mais elle peut entraîner des effets sur les enfants. En février 2016, le comité des droits de l'enfant de l'ONU avait déjà recommandé à la France de redoubler d'efforts pour que le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant fût appliqué de manière cohérente partout, et en particulier dans les programmes et projets politiques concernant les enfants.

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Merci pour ce propos introductif très riche, dans lequel vous avez évoqué plusieurs sujets qui n'ont pas encore été abordés au sein de notre commission. Je laisse maintenant la parole à notre rapporteure.

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Je partage pleinement le constat que le droit des enfants n'a pas constitué une priorité. Je trouve très intéressante votre proposition que le défenseur des enfants soit associé au conseil scientifique, afin que les droits des enfants soient pris en compte à tout moment de la discussion pour la bonne gestion de la crise à laquelle nous sommes confrontés. Je reprendrai donc cette proposition qui sera rapidement transmise au ministre de l'éducation. Vous avez en outre évoqué les spots officiels. Ils ont en effet été très traumatisants pour les enfants et les jeunes. Durant la première partie de la crise, il était admis que c'étaient les enfants qui transmettaient le virus. On a répété ensuite que les jeunes, par leur conduite inconséquente, étaient les principaux responsables de la diffusion de ce virus. Il est temps de redonner aux enfants et aux jeunes leur place dans notre société.

Lorsqu'en tant que députée, je me rends dans une classe de CM2 pour discuter de la proposition de loi élaborée pour les enfants, je suis frappée de voir que les enfants sont capables de mener un débat, de poser des questions et de formuler des propositions. En cette période de pandémie, ne devrait-on pas rendre un temps de débat obligatoire dans l'ensemble des établissements scolaires, du primaire à l'université, afin que les enfants puissent s'exprimer et donner leur vision des choses ?

Vous avez également indiqué que les administrations travaillent de façon verticale. J'ai moi-même interrogé à ce propos le ministre de l'Éducation nationale. Il m'a répondu que la verticalité était nécessaire afin que l'école de la république fût présente partout, mais qu'il était néanmoins souhaitable de s'ouvrir à plus d'horizontalité. Que pourriez-vous proposer en ce sens en tant que défenseur des enfants ? Nous avons eu connaissance de nombreuses expériences intéressantes menées sur ce sujet. Par exemple, à l'académie de Rennes, des pédiatres s'organisent en réseaux pour s'adresser à l'éducation nationale. Ils se rendent dans les familles pour examiner la situation des enfants.

Enfin, vous avez ouvert un site internet. Quel est le taux de sollicitation des enfants et des adolescents ? Pourriez-vous préciser la typologie des appels reçus ? Comment la fréquentation du site a-t-elle progressé depuis sa mise en place ?

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Geneviève Avenard, adjointe au défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l'enfant jusqu'en juillet 2020

Merci pour vos questions. Je crois profondément à l'intérêt d'un temps de débat avec les enfants. Je suis intimement convaincue que si nous donnons aux enfants la possibilité de s'exprimer, et à condition que nous leur ayons communiqué les informations nécessaires à une connaissance minimale du sujet, nous sommes surpris par la richesse de leurs idées et par leur enthousiasme. Cela va à l'encontre de ce que nous pouvons entendre sur le manque d'engagement des jeunes. Je n'ai rien observé de tel durant mes échanges avec les enfants et ils ont été nombreux, car ces rencontres étaient une priorité pour moi.

C'est en me fondant sur cette conviction que j'ai proposé à Jacques Toubon de nous appuyer sur la parole des enfants pour approfondir et éclairer notre travail. Nous avons alors lancé en 2019 une consultation auprès de 2 200 enfants âgés de quatre à dix-huit ans, en lien avec une cinquantaine d'associations ou d'institutions. La consultation s'intitulait « j'ai des droits, entends-moi ». Elle a permis aux enfants interrogés de s'exprimer, de témoigner et d'émettre des propositions d'amélioration quant à leurs droits. Nous avons recueilli au total 276 propositions qui ont été rassemblées en un rapport. Etant donné que nous souhaitions nous adresser en priorité aux enfants les plus vulnérables, nous avons interrogé une proportion importante d'enfants qui relevaient de la protection de l'enfance, des enfants roms et des enfants en situation de pauvreté. La consultation s'est déroulée sous forme d'ateliers débats. Nous avons formé en amont les accompagnateurs des enfants interrogés. Nous avons été bluffés par la qualité, la pertinence et la justesse de leurs propos. Nous avons également été émus par ce qu'ils disaient, parfois aux larmes, car certains témoignages nous renvoyaient à nos responsabilités d'adultes et aux défaillances de notre action. 70 % des enfants que nous avons consultés n'avaient jamais entendu parler de leurs droits. Beaucoup d'entre eux pensaient que leur demander leur avis était une plaisanterie.

Créer les conditions d'un dialogue entre adultes et enfants est un enjeu crucial, la marge de progression étant immense dans ce domaine. L'école est évidemment un lieu important pour accueillir ces dialogues. Cela étant, une telle démarche ne s'improvise pas. Par exemple, nous devrons tenir parole par rapport à ce que nous disons aux enfants. Nous avons notamment travaillé à l'élaboration d'une charte éthique. L'organisation de dialogues avec les enfants à l'école pourrait être un moyen d'ouvrir l'école à d'autres acteurs. Le défenseur des droits compte des ambassadeurs des droits qui sensibilisent chaque année entre 40 000 et 50 000 enfants à leurs droits. Étant donné que ces ambassadeurs n'existent pas dans tous les départements, le défenseur des droits a créé il y a trois ans un programme nommé « Educadroit » qui vise à sensibiliser les enfants non seulement à leurs droits, mais au droit en général. Il explique notamment comment le droit permet de régir les relations entre les membres de la société sans recourir à la violence. Le projet Educadroit est mené sur l'ensemble du territoire national avec un certain nombre de partenaires associatifs, en particulier des juristes et des associations de défense des droits des enfants. L'éducation nationale pourrait s'appuyer sur ces acteurs. Cela se fait déjà lorsque des avocats sont accueillis dans des écoles, par exemple. La démarche doit se renforcer. Dans un communiqué de presse publié à la suite de l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine, Claire Hédon, actuelle défenseure des droits, a indiqué qu'elle était à la disposition de l'éducation nationale pour avancer sur le sujet.

Nous pouvons donc envisager à la fois une action directe du défenseur des droits et de ses équipes et une action plus collective et partenariale. Cette ouverture me semble indispensable, notamment pour les personnels de l'éducation nationale qui ne peuvent opérer sur tous les fronts et ne sont pas compétents dans tous les domaines.

Le site internet a été mis en place dans le cadre de la consultation « j'ai des droits, entends-moi ». Nous ne l'avons pas ouvert à l'époque à une consultation plus générale ou à des saisines. La question de son ouverture était en discussion lorsque je suis partie. Je n'en sais donc pas plus sur ce point. Je n'ai pas souvenance de saisines ou d'appels d'enfants durant la pandémie. En revanche, s'agissant du mode de fonctionnement, les enfants peuvent nous saisir soit en remplissant un formulaire sur le site, soit par téléphone. Le taux de saisine est pour le moment assez modeste. Il s'agit donc de mieux faire connaître l'institution aux enfants et de leur expliquer qu'ils peuvent la saisir. Les demandes recueillies ont généralement trait à la protection de l'enfance. Elles peuvent concerner par exemple un changement de famille d'accueil ou les droits de visite.

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La communication est un enjeu très important. Par exemple, comment les enfants connaissent-ils le numéro 119 ? Nous avons suggéré au ministre de l'Éducation nationale que ce numéro figure dans les carnets scolaires. Peut-être serait-il également souhaitable que la possibilité pour l'enfant de saisir le défenseur des droits apparaisse dans les carnets scolaires afin que les enfants en soient informés.

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Geneviève Avenard, adjointe au défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l'enfant jusqu'en juillet 2020

Je crois que c'est une excellente idée, car nous percevons très bien les limites de l'affichage. Quand je parlais du 119 ou du 3620 aux enfants, ils me répondaient soit que ces numéros n'étaient pas affichés, soit qu'ils ne regardaient pas les affiches de communication, car elles n'étaient pas placées dans des endroits adaptés. L'inscription de l'institution du défenseur des enfants dans les cahiers de liaison me semble effectivement un bon moyen de mieux la faire connaître. Il va sans dire que les 70 % des enfants qui ne connaissaient pas leurs droits ne connaissaient pas non plus le défenseur des enfants. En revanche, ils ont compris très rapidement l'intérêt pour eux de disposer d'un interlocuteur dédié.

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La parole de l'enfant est précieuse en soi parce qu'elle exprime son point de vue et une pertinence propre à son âge. En outre, dès lors qu'elle est entendue, elle le responsabilise.

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Geneviève Avenard, adjointe au défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l'enfant jusqu'en juillet 2020

On peut aisément céder au sentiment de mieux savoir que les enfants ce qu'ils ressentent. Or, c'est absolument faux. Il faut au moins les entendre. Un proverbe touareg qui m'a portée tout au long de ma vie professionnelle dit : « Ce qui se fait pour les autres, mais sans les autres, se fait contre les autres ». Je pense qu'il s'applique tout à fait aux enfants. Il est particulièrement important de prendre en compte la parole des enfants, car ils sont « experts » de leur propre vie. Je n'idéalise pas pour autant leur expression, qui doit bien entendu être mise en perspective en fonction de leur âge et de leur situation. Quoi qu'il en soit, ils doivent sentir que leur parole vaut quelque chose, car en ce cas, ils sauront qu'ils valent eux-mêmes quelque chose. L'estime de soi est un élément déterminant pour eux.

A l'issue de la consultation, nous avons établi un bilan avec l'ensemble des partenaires. Nous pouvons retenir en particulier les changements que la consultation a induits chez les enfants. Certains enfants de la protection de l'enfance n'étaient plus les mêmes lorsqu'ils étaient revenus dans leur structure. Les éducateurs ont noté des évolutions positives, telles qu'une meilleure estime de soi et la volonté de s'engager. La démarche consistant à recueillir l'avis des personnes concernées ne peut être que bénéfique, à la fois dans le cadre des politiques publiques et pour les enfants eux-mêmes, car cela concourt au processus d'éducation. Le droit à l'éducation, tel qu'entériné dans la Convention internationale des droits de l'enfant, doit permettre à l'enfant de devenir un adulte accompli. L'accompagnement devra être bien préparé, assuré par des professionnels formés à l'écoute des enfants et capables de transmettre des matériaux afin de nourrir leur réflexion. Ce n'est pas si compliqué si l'on se met à leur hauteur.

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Comment défendre le respect de l'enfant ? Un certain nombre d'enfants en France sont en manque d'écoute et de considération. Il faudrait faire en sorte que le respect devienne le principal moyen de défense de l'enfant. Cela résoudrait bien des problèmes.

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Geneviève Avenard, adjointe au défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l'enfant jusqu'en juillet 2020

Je suis pleinement d'accord. Le problème est que les professionnels en contact avec les enfants, qu'ils soient enseignants, médecins, animateurs ou autres, ne sont pas formés au recueil de la parole de l'enfant et au respect de ses droits. Janusz Korczak, médecin polonais et père spirituel de la Convention internationale des droits de l'enfant, écrivait à propos de l'adulte et de l'enfant : « C'est comme s'il y avait deux personnes, une personne qu'on respecte, l'adulte, et une personne négligeable ». Nous en sommes malheureusement parfois encore là dans certaines situations. Si certaines évolutions ont été obtenues ces dernières années, elles sont trop lentes et il y a urgence à agir.

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Comment tirer parti de la crise ? Elle pourrait être une opportunité d'accélérer la démarche. Nous avons besoin de nos jeunes et il sera nécessaire de les entendre. Il convient également de veiller à ne pas retomber dans des logiques reléguant les enfants au second plan.

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Geneviève Avenard, adjointe au défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l'enfant jusqu'en juillet 2020

La consultation a commencé en 2019. Elle doit absolument être poursuivie. Lorsque nous sommes partis avec Jacques Toubon, nous avions fait le nécessaire pour que la consultation fût pérenne. La question portera plutôt sur les moyens dont dispose l'institution pour développer la consultation.

L'audition s'achève à dix heures quinze

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 9 heures

Présentes. – Mme Marie-George Buffet, Mme Sandrine Mörch

Excusé. - M. Bertrand Sorre