Intervention de Christine Teixeira

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 14h15
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Christine Teixeira, directrice générale adjointe en charge du développement des solidarités humaines au sein du département des Alpes-Maritimes :

Comme je l'évoquais tout à l'heure, les Alpes-Maritimes sont frontalières de l'Italie. Elles constituent une des principales voies d'entrée des mineurs non accompagnés sur le territoire métropolitain. Nous tenons cette information des services de la police de l'air et des frontières, qui assure le contrôle aux frontières à la base de Menton-Vintimille.

La très grande majorité des entrées qui se font à l'aide sociale à l'enfance (ASE) concernant les mineurs non accompagnés ont pour point d'entrée cette police de l'air et des frontières. Depuis 2015, nous avons mis en place un dispositif articulé avec les services de l'État pour assurer la prise en charge de ces jeunes que nous allons chercher physiquement au poste-frontière de Menton pour les mettre à l'abri.

Pour vous donner quelques éléments chiffrés, 2018 a été une année record avec un flux entrant de 2 238 jeunes accueillis et mis à l'abri par le département. Le « millésime » 2020 s'approche fortement du millésime 2018, puisque nous en sommes à la date d'hier à 2 171 jeunes déjà mis à l'abri.

La crise du Covid a entraîné une baisse de la prise en charge du nombre de mineurs non accompagnés mis à l'abri sur la période de mars à juin. Sur cette période, le département avait accueilli en 2019 un peu moins de 500 jeunes en flux entrant, alors que ce chiffre s'élève à peine à 200 jeunes en 2020.

Pour autant, il est observé depuis le mois de juin, et particulièrement depuis le mois d'août, une augmentation très significative du nombre de jeunes qui entrent sur le territoire national à travers les Alpes-Maritimes. Ce chiffre est de 350 à 450 jeunes entrant chaque mois sur notre territoire, principalement en provenance de la frontière franco-italienne.

Malgré le renforcement des contrôles aux frontières, 52 jeunes sont arrivés au mois de mars, 19 au mois d'avril et 61 au mois de mai. Pendant la période de confinement, le département n'a pas été en difficulté pour mettre à l'abri des mineurs. Notre dispositif étant organisé pour accueillir un flux très important de mineurs, nous avons été en capacité de tous les mettre à l'abri.

Dans ce cadre, la prise en charge s'est faite de manière satisfaisante sur les dispositifs existants. Le point d'attention que nous avons eu en février concernait des jeunes qui se sont adressés à la police de l'air et des frontières pour une prise en charge et qui présentaient des symptômes du Covid avec de la fièvre et de la toux. Le département avait demandé aux services de l'État la mise en place d'un poste sanitaire avancé, à la fois pour protéger les jeunes eux-mêmes (à l'époque, nous ne savions pas qui pouvait faire les tests) et pour les agents qui allaient les chercher.

A l'époque, la consigne générale était d'appeler le 15 et d'emmener tout le monde aux urgences. Or l'établissement de référence est basé à Nice, situé à 45 kilomètres de Menton. La consigne était de ne pas amener les jeunes à l'hôpital de Menton, ce qui produisait des anomalies sur la prise en charge et a conduit le département à demander la mise en place d'une unité sanitaire avancée.

Cette demande n'a pas pu être satisfaite. En revanche, un poste arrière a pu être installé. Quand les jeunes arrivaient, ils passaient dans un sas de précaution avec un renforcement du contrôle de leur santé, afin d'éviter qu'ils ne soient potentiellement contaminants et mettent d'autres personnes en fragilité.

Ce point reste important aujourd'hui car l'Italie est en train d'exiger la présentation de tests négatifs pour les réadmissions, qui concernent les jeunes évalués majeurs par le département. Ceux-ci sont raccompagnés par la police de l'air et des frontières à la frontière franco-italienne.

Le département fait tester, dans ce cadre, l'intégralité des jeunes qui passent par la mise à l'abri. Nous pouvons être en situation de fragilité pour les jeunes qui fuguent. Ce sont d'ailleurs souvent des jeunes que nous présumons être majeurs. Ils peuvent être récupérés par les forces de l'ordre qui se retrouvent elles-mêmes en fragilité, car ces jeunes n'auraient pas dû passer la frontière, faute de tests de réadmission côté italien.

S'agissant du vécu de la crise par ces jeunes, cela s'est bien passé pour ce qui nous concerne. Le temps a été long pour les MNA comme pour les autres enfants de l'aide sociale à l'enfance. Ils ont eu l'occasion de développer des relations plus importantes avec les éducateurs et avec les équipes qui les accompagnaient.

Ils ont eu une bonne compréhension, même si cela a été difficile dans les premiers temps, de la nécessité de rester afin d'assurer leur sécurité. Au regard de l'immensité des défis qu'ils avaient dû relever pour arriver jusqu'à nous, ils ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas continuer leur parcours de migration. Pour nombre d'entre eux, leur volonté était, notamment pour les anglophones, de rejoindre d'autres destinations pour retrouver leur communauté. Leur arrêt forcé a été source de frustrations mais nous n'avons pas rencontré de difficulté majeure, même si certains jeunes ont pu fuguer au gré des allers-retours des équipes allant chercher d'autres mineurs non accompagnés au poste-frontière.

Sur la question des évaluations, le département a repris cette compétence en régie depuis plusieurs années. Elles ont été effectuées en visioconférence pendant la période de confinement, de manière à respecter à la fois les consignes et les droits des présumés mineurs concernés. Le retour d'expérience est que l'évaluation en visioconférence prend davantage de temps, d'autant qu'il faut recourir à des interprètes.

Nous avons enregistré 23 auditions repoussées par le juge des enfants au regard de cette situation. Nous avons été en contact permanent avec les juges des enfants dans le cadre du suivi de tous les jeunes de l'aide sociale à l'enfance.

Les juges des enfants voulaient avoir un bilan quasi quotidien de ce qu'il se passait. Nous leur avons expliqué qu'au vu de la volumétrie du nombre d'enfants confiés au département des Alpes-Maritimes, l'effectif était sous-dimensionné pour répondre à cette demande. Notre priorité était de nous assurer que tout le monde allait bien. Elle était également de suivre les consignes données régulièrement par le ministre et le secrétaire d'État.

Nous nous sommes donc mis d'accord sur un modus operandi pour signaler les problèmes. En revanche, nous ne pouvions pas faire du sur-mesure lors de cette situation exceptionnelle. L'investissement des équipes a déjà été très intense pendant toute la durée du confinement. Un niveau d'exigence supérieur aurait menacé le bon fonctionnement des équipes de l'aide sociale à l'enfance, qui a fait un suivi multi-journalier de l'intégralité des établissements et des assistantes familiales, qui ont fait un travail remarquable.

Nous avons été très en attente de la reprise de l'activité de la cellule nationale de la PJJ, puisque nous avons eu dans le cadre de notre prise en charge des jeunes très franchement majeurs, c'est-à-dire de largement plus de 25 ans. La coexistence entre ces majeurs et les mineurs n'est pas évidente.

Dans le département des Alpes-Maritimes, nous constatons une évolution des âges des jeunes qui nous arrivent. Nous avons moins d'enfants de 8-9 ans et plus d'enfants de 15 ans et plus. Naturellement, nous veillons à bien assurer leur protection.

Aujourd'hui, notre mission de protection de l'enfance est perturbée par la prise en charge d'adultes qui arrivent dans nos dispositifs depuis la police de l'air et des frontières. Nous aurons l'occasion d'observer l'effet des mesures de confinement et du passage en vigilance alerte attentat, qui aura des incidences sur le contrôle aux frontières.

Nous sommes très soucieux du fait qu'un public nombreux utilise le canal de la protection de l'enfance pour passer. Quand nous allons chercher ces « jeunes » au poste-frontière, nous pourrions ne pas les embarquer dans notre voiture pour les mettre à l'abri et les évaluer sachant qu'ils ont 40 ans. Cependant, nous le faisons par respect des obligations légales. Franchement, nous ne sommes plus dans notre rôle. On est en train de dévoyer l'action des départements.

La conséquence est que certains publics rentrent sur le territoire national ou fuguent après avoir passé une nuit à l'abri dans nos dispositifs, ce qui fait qu'on ne sait plus trop qui rentre sur le territoire. J'aimerais éviter de devoir un jour répondre à une commission ou à un parquet, qui m'expliquerait que telle personne qui a été interpellée à tel endroit dans le cadre d'actes de terrorisme, a bien été prise en charge pendant trois jours par l'aide sociale à l'enfance départementale, qu'elle a bien été mise à l'abri et qu'elle a bien été évaluée majeure. C'est pour moi une source de préoccupation importante. Il y a tant à faire avec les enfants.

Je souhaitais aborder ce point, car c'est une réalité du terrain qui a été confirmée pendant la phase de covid, puisque nous avons accueilli 14 majeurs qui sont restés dans notre dispositif pendant l'intégralité du confinement. Leur sortie du dispositif a été anticipée avec les services de l'État et la direction départementale de la cohésion sociale, où un dispositif passerelle a été mis en œuvre dans le cadre des actions menées par nos soins sur le plan pauvreté et sur la prévention des sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance.

Nous n'abordons pas la nouvelle phase de confinement de la même manière qu'auparavant. Les flux ont repris de manière très intense avec l'arrivée de 400 jeunes par mois, contre 50 auparavant, ce qui conduit à ouvrir quelques dispositifs hôteliers, ce que nous avions supprimé depuis plusieurs années. Notre volonté est de refermer ces dispositifs pour pouvoir garder uniquement les dispositifs de droit commun nous permettant d'assurer une prise en charge 24 heures sur 24 de ces jeunes comme nous le faisons habituellement.

Au-delà des annonces faites hier par le Président de la République et du passage en vigilance attentat, nous verrons quels seront les impacts de la régulation ou non du flux entrant sur le territoire départemental, et donc national, sur le nombre d'arrivées de mineurs non accompagnés. Si ce flux entrant se tarit un peu, cela nous aidera grandement à assurer le cœur de notre mission, qui est d'accueillir des mineurs.

Je souhaite souligner l'importance de la préparation vers la sortie de la majorité et du travail qui est fait avec les services de la préfecture. Cela nécessite que ces jeunes ne soient pas sans titre de nationalité sur le territoire.

Nul ne connaît la durée de la période de confinement dans laquelle nous entrons. Pour autant, le nombre de mineurs non accompagnés que nous continuerons d'accueillir sera constant, voire croissant. Il serait dommageable que le département ne soit pas en capacité de donner toutes leurs chances à ces jeunes en raison de démarches administratives rendues plus difficiles dans leur quotidien.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.