Intervention de Carine Rolland

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 15h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Carine Rolland, secrétaire générale de Médecins du Monde :

Médecins du monde s'appuie sur des centres d'accueil, de soins et d'orientation répartis sur l'ensemble du territoire français et gère des programmes dédiés à l'accueil de MNA dans trois villes : Paris, Nantes et Caen. Nous avons reçu entre 1 500 et 2 000 MNA en 2019. Nous nous occupons principalement des grands exclus. Le Covid-19 est un révélateur de l'ensemble des dysfonctionnements antérieurs. De nombreuses associations se sont mobilisées auprès de ces jeunes qui sont, pour nous, les exclus parmi les exclus. La situation des migrants en France est très difficile. Ils ont des parcours très traumatiques. Ils ont des besoins en santé énormes. En plus, lorsqu'ils sont mineurs, ils subissent une sorte de double peine : il y a un jeu permanent entre les départements et l'État, beaucoup d'enjeux autour de leur reconnaissance de minorité. Leur situation, déjà déplorable d'ordinaire, a empiré durant la période du Covid-19 de la même manière que celle de tous les grands précaires en France.

Le parcours des mineurs comporte plusieurs étapes, à commencer par le recueil provisoire d'urgence (RPU). Durant cette période, qui correspond au moment où les jeunes se présentent en se déclarant mineur, ils devraient tous être hébergés, bénéficier de soins tels que des examens de dépistage et être mis à l'abri ; or, ils ne le sont pas systématiquement. De manière générale, nous constatons que cette période est mal prise en charge. Avec le Covid-19, les structures d'accueil étaient fermées dans de nombreux endroits en France. Les associations ne savaient pas comment agir. Il fallait parfois réorienter les jeunes vers les commissariats, qui n'étaient pas toujours au courant non plus et qui, de surcroît, ne sont pas nécessairement des lieux très sécurisants pour les jeunes qui demandent une protection. La Convention internationale des droits de l'enfant prévoit pourtant qu'un enfant en danger soit protégé, qu'il soit migrant ou pas. Après le RPU, le mineur doit se soumettre à l'évaluation de l'âge, qui repose sur des méthodes aléatoires telles que les tests osseux. Nous dénonçons ces pratiques, que nous jugeons aberrantes et totalement subjectives. L'emploi de ces critères subjectifs permet, in fine, de dire à un jeune qu'il n'est pas mineur. Les jeunes jugés non mineurs ne sont pas protégés et se retrouvent à la rue. Depuis cinq ans, nous observons que les associations se mobilisent et qu'il y a énormément de collectifs de citoyens, par exemple des collectifs d'hébergeurs. Une partie de la complexité de la situation vient du fait que des droits sont associés aux mineurs, d'autres aux majeurs, mais qu'une zone de non-droit subsiste entre les deux, une zone dans laquelle on n'a droit à rien. Pour l'accès à la santé, pour pouvoir ne serait-ce qu'avoir une couverture maladie, c'est extrêmement compliqué. Nous avons donc vu des jeunes dehors, dans des squats. Pour ceux qui avaient été mis à l'abri, nous n'avons pas observé de sortie sèche des dispositifs durant le confinement. En revanche, lors du déconfinement, ils ont tous été sortis des dispositifs et se sont retrouvés à la rue. Actuellement, les occupants de squats sont expulsés dans de nombreuses villes en France.

Nous ne savons plus ce que nous devons dire ni comment nous devons le dire. Les mineurs très précaires n'ont pas du tout été protégés pendant cette période épidémique. Ils n'avaient pas la possibilité de respecter les gestes barrières, pas la possibilité de se protéger du virus puisqu'ils vivaient dans des habitats collectifs. Tout ce qui dysfonctionnait déjà avant, tout ce qui était déjà très grave avant, l'est encore plus. Une fois majeurs, à leurs 18 ans, la préfecture leur envoie une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ce traitement est aberrant pour les départements qui les ont parfois hébergés, nourris, accompagnés vers une formation durant plusieurs années et qui voient ces jeunes recevoir subitement une obligation de quitter le territoire parce qu'ils ont 18 ans. Cette situation est terrible. Les jeunes devraient être tous mis à l'abri lorsqu'ils arrivent en France. Tous, sans exception. Nous employons des méthodes tellement aléatoires et subjectives pour évaluer leur minorité qu'ils devraient pouvoir être protégés durant l'ensemble de la période, jusqu'au dernier recours effectif. Il faudrait que la protection s'étende davantage aux jeunes majeurs, jusqu'à 21 ans voire 25 ans. Il faudrait qu'en France, cette grande précarité soit prise en compte. J'ai entendu hier soir, par exemple, que les associations allaient être mobilisées pour aider les grands précaires, mais les associations arrivent au bout de ce qu'elles peuvent faire. Les hébergeurs ne sont pas en capacité de les garder pendant des mois et des mois. Ces jeunes doivent pouvoir être hébergés, soignés et régularisés. Un enfant doit être protégé en France.

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