Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Jeudi 29 octobre 2020
La séance est ouverte à quinze heures quarante-cinq.
Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente
Nous achevons les auditions de cette journée en recevant deux anciens mineurs non accompagnés (MNA). Je dis « anciens » parce qu'il était difficile, ici, à l'Assemblée nationale, d'auditionner des mineurs. Leurs aînés seront donc leurs porte-parole. Leur histoire n'est pas si lointaine et ils ont sensiblement les mêmes parcours. Ils pourront détailler comment les MNA ont vécu cette crise venue compliquer très fortement des conditions de vie déjà précaires. Plusieurs associations intervenant dans l'accompagnement de ces mineurs pourront également nous éclairer sur l'avenir immédiat de ces jeunes la plupart du temps innovants, vaillants, courageux, ambitieux et avec un passif de crise autrement plus lourd que le nôtre. J'ai le plaisir de recevoir Kouamé Adjoumani, auteur de « Revenu des ténèbres » et « Le peuple des ombres, itinéraire d'un enfant migrant », Seydina Boiro, ancien mineur isolé également, Carine Rolland, secrétaire générale du conseil d'administration de Médecins du monde, Corinne Torre, cheffe de la mission France de Médecins sans frontières, Hervé Lecomte, membre du Réseau Éducation sans frontières (RESF) et Aurélie Guitton, coordinatrice de l'association InfoMIE. Je vous demanderai de traduire les sigles que vous utilisez car, ces auditions étant diffusées sur le site de l'Assemblée nationale, chacun doit pouvoir comprendre nos jargons respectifs. Je propose la parole à Kouamé Adjoumani pour commencer.
Je jure de ne dire rien que la vérité. Je m'appelle Kouamé, je prends la parole aujourd'hui en tant qu'ancien mineur isolé. Quand je suis venu en France, en 2015, j'étais mineur et j'ai été placé en foyer sur décision du juge des enfants dès mon arrivée. L'accompagnement a beaucoup évolué depuis cette période. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus compliqué. Les jeunes sont dans un premier temps orientés vers le Dispositif départemental d'Accueil, d'Évaluation et d'Orientation des Mineurs Isolés (DDAEOMI) et il faut beaucoup de temps avant que la décision du juge des enfants leur permette d'être hébergés dans un hôtel. En attendant, ils doivent se prendre seuls en charge et certains dorment dans la rue.
Votre parcours est symbolique de ce que vivent beaucoup de mineurs isolés étrangers lorsqu'ils arrivent en France. Cette table ronde sera axée sur la période Covid, autrement dit sur la manière dont ces jeunes ont vécu cette période qui a rendu leur parcours encore plus complexe. Pouvez-vous résumer brièvement votre parcours, qui est représentatif de celui de ces jeunes que nous n'entendrons pas, ces jeunes qui étaient confinés et qui vivent le Covid -19 sur notre territoire actuellement ?
J'ai expliqué dans mon livre que je n'ai jamais rêvé de venir en France, ce n'était pas mon objectif. J'ai grandi dans une famille dont la situation était confortable. Mon père assumait mon éducation pour me permettre de terminer mes études et de travailler dans le pays. Ma situation a basculé lorsque mes parents ont été assassinés et que j'ai été contraint de prendre mon destin en main. C'est cet événement qui m'a poussé à fuir mon pays et à rejoindre la Libye. J'ai essayé de trouver une solution pour pouvoir vivre dans ce pays mais la guerre a éclaté en Libye également, ce qui m'a contraint à fuir de nouveau. J'ai traversé l'Algérie et le Maroc, d'où j'ai pu rejoindre l'Espagne, puis la France. En France, j'ai été rapidement accueilli par l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) et j'ai suivi une formation de tourneur-fraiseur. J'ai obtenu mon CAP, à la suite de quoi j'ai été embauché par un sous-traitant d'Airbus. Je travaille depuis 2017 et je n'ai jamais été au chômage depuis. J'ai fait tout mon possible pour réussir car j'ai décidé de vivre ici. Depuis 2017, je travaille, ma situation est stable et j'ai un appartement, ce qui me permet de vivre décemment. Aujourd'hui, tout va bien pour moi.
Merci pour votre témoignage. Je donne la parole à Seydina Boiro. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez vécu cette période de confinement, quel regard vous portez sur la prise en charge des MNA et la façon dont ils sont mis à l'abri ? De quelle manière traversez-vous la crise, comment ces mineurs la traversent-ils et en termes de logement, de nourriture, de survie psychologique, etc. ?
Je suis originaire de Guinée Conakry. Je suis arrivé en France en 2017. J'avais 15 ans, j'ai attendu 8 mois avant d'être scolarisé. Actuellement, je prépare un bac pro en électricité. Ma prise en charge a pris fin lors de mes 18 ans, le 30 octobre dernier. J'ai eu la chance d'obtenir un contrat jeune majeur de 9 mois. J'étais hébergé dans un hôtel à Paris, dans le 13e arrondissement, où j'ai passé le confinement. Je suis membre actif du collectif « École pour tous » regroupant des mineurs non accompagnés, des jeunes vivant en bidonville, en squat et hôtels sociaux, des gens du voyage mais également des jeunes de Guyane et de Mayotte qui ont tous rencontré des difficultés pour accéder à l'école en France. Nous avons décidé de prendre notre destin en main et de nous mobiliser pour que tous les jeunes puissent aller à l'école sans distinction, puissent rester en France et avoir une chance de réaliser leur rêve. Dans le cadre des travaux du collectif, j'ai eu l'occasion de travailler avec Mme Sandrine Mörch dont je tiens à remercier l'engagement à nos côtés. Pour venir au cœur du sujet, je vais vous parler de mon vécu et de celui de nombreux jeunes qui m'entouraient durant le confinement. Je l'ai traversé dans la chambre de 9 mètres carrés d'un hôtel social. Ces quatre murs sont devenus, pour moi, ma chambre à coucher, ma cuisine, mon bureau pour travailler. À ma solitude physique s'est ajoutée la solitude morale : je me suis senti abandonné par mes éducatrices, qui n'ont presque pas pris de mes nouvelles et ne m'ont apporté aucun soutien durant cette période. Le contexte anxiogène, l'isolement physique, l'absence de soutien moral ont été très durs à vivre pour moi comme pour beaucoup de jeunes de mon entourage. À ce stress se sont ajoutées les difficultés à pouvoir continuer de suivre mes cours. Je ne disposais ni d'un ordinateur, ni d'une imprimante, ni d'un accès à internet, celui-ci étant payant dans l'hôtel où je me trouvais. Dans ces conditions, la continuité pédagogique était quasiment impossible.
Les dispositifs mis en place pour venir en aide aux jeunes durant l'épidémie ne nous sont pas parvenus. Les plus précaires sont restés dans l'angle mort, et nous y sommes toujours. Je me tiens prêt à répondre à vos questions et à participer dans un second temps à l'élaboration de solutions avec d'autres jeunes dans ma situation. En effet, je pense qu'il est essentiel de prendre en compte l'expertise des personnes concernées dans cette démarche.
Nous allons maintenant entendre les associations présentes. Comment ce confinement s'est-il passé, selon vous, concernant le suivi des MNA et surtout, comment appréhendez-vous la nouvelle période de confinement qui s'ouvre ? Des enseignements ont-ils pu être tirés de la phase du printemps pour éviter que les mêmes difficultés ne ressurgissent ?
Médecins du monde s'appuie sur des centres d'accueil, de soins et d'orientation répartis sur l'ensemble du territoire français et gère des programmes dédiés à l'accueil de MNA dans trois villes : Paris, Nantes et Caen. Nous avons reçu entre 1 500 et 2 000 MNA en 2019. Nous nous occupons principalement des grands exclus. Le Covid-19 est un révélateur de l'ensemble des dysfonctionnements antérieurs. De nombreuses associations se sont mobilisées auprès de ces jeunes qui sont, pour nous, les exclus parmi les exclus. La situation des migrants en France est très difficile. Ils ont des parcours très traumatiques. Ils ont des besoins en santé énormes. En plus, lorsqu'ils sont mineurs, ils subissent une sorte de double peine : il y a un jeu permanent entre les départements et l'État, beaucoup d'enjeux autour de leur reconnaissance de minorité. Leur situation, déjà déplorable d'ordinaire, a empiré durant la période du Covid-19 de la même manière que celle de tous les grands précaires en France.
Le parcours des mineurs comporte plusieurs étapes, à commencer par le recueil provisoire d'urgence (RPU). Durant cette période, qui correspond au moment où les jeunes se présentent en se déclarant mineur, ils devraient tous être hébergés, bénéficier de soins tels que des examens de dépistage et être mis à l'abri ; or, ils ne le sont pas systématiquement. De manière générale, nous constatons que cette période est mal prise en charge. Avec le Covid-19, les structures d'accueil étaient fermées dans de nombreux endroits en France. Les associations ne savaient pas comment agir. Il fallait parfois réorienter les jeunes vers les commissariats, qui n'étaient pas toujours au courant non plus et qui, de surcroît, ne sont pas nécessairement des lieux très sécurisants pour les jeunes qui demandent une protection. La Convention internationale des droits de l'enfant prévoit pourtant qu'un enfant en danger soit protégé, qu'il soit migrant ou pas. Après le RPU, le mineur doit se soumettre à l'évaluation de l'âge, qui repose sur des méthodes aléatoires telles que les tests osseux. Nous dénonçons ces pratiques, que nous jugeons aberrantes et totalement subjectives. L'emploi de ces critères subjectifs permet, in fine, de dire à un jeune qu'il n'est pas mineur. Les jeunes jugés non mineurs ne sont pas protégés et se retrouvent à la rue. Depuis cinq ans, nous observons que les associations se mobilisent et qu'il y a énormément de collectifs de citoyens, par exemple des collectifs d'hébergeurs. Une partie de la complexité de la situation vient du fait que des droits sont associés aux mineurs, d'autres aux majeurs, mais qu'une zone de non-droit subsiste entre les deux, une zone dans laquelle on n'a droit à rien. Pour l'accès à la santé, pour pouvoir ne serait-ce qu'avoir une couverture maladie, c'est extrêmement compliqué. Nous avons donc vu des jeunes dehors, dans des squats. Pour ceux qui avaient été mis à l'abri, nous n'avons pas observé de sortie sèche des dispositifs durant le confinement. En revanche, lors du déconfinement, ils ont tous été sortis des dispositifs et se sont retrouvés à la rue. Actuellement, les occupants de squats sont expulsés dans de nombreuses villes en France.
Nous ne savons plus ce que nous devons dire ni comment nous devons le dire. Les mineurs très précaires n'ont pas du tout été protégés pendant cette période épidémique. Ils n'avaient pas la possibilité de respecter les gestes barrières, pas la possibilité de se protéger du virus puisqu'ils vivaient dans des habitats collectifs. Tout ce qui dysfonctionnait déjà avant, tout ce qui était déjà très grave avant, l'est encore plus. Une fois majeurs, à leurs 18 ans, la préfecture leur envoie une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ce traitement est aberrant pour les départements qui les ont parfois hébergés, nourris, accompagnés vers une formation durant plusieurs années et qui voient ces jeunes recevoir subitement une obligation de quitter le territoire parce qu'ils ont 18 ans. Cette situation est terrible. Les jeunes devraient être tous mis à l'abri lorsqu'ils arrivent en France. Tous, sans exception. Nous employons des méthodes tellement aléatoires et subjectives pour évaluer leur minorité qu'ils devraient pouvoir être protégés durant l'ensemble de la période, jusqu'au dernier recours effectif. Il faudrait que la protection s'étende davantage aux jeunes majeurs, jusqu'à 21 ans voire 25 ans. Il faudrait qu'en France, cette grande précarité soit prise en compte. J'ai entendu hier soir, par exemple, que les associations allaient être mobilisées pour aider les grands précaires, mais les associations arrivent au bout de ce qu'elles peuvent faire. Les hébergeurs ne sont pas en capacité de les garder pendant des mois et des mois. Ces jeunes doivent pouvoir être hébergés, soignés et régularisés. Un enfant doit être protégé en France.
Je donne la parole à Corinne Torre, cheffe de la mission France à Médecins sans frontières, pour compléter ces propos.
Comme indiqué par Mme Carine Rolland, les mineurs non accompagnés ne sont - pour la plupart - pas reconnus mineurs. Ils se retrouvent, de ce fait, dans une situation de précarité, à la rue, dans ce fameux no man's land « ni mineur ni majeur », en attendant de rencontrer un juge pour enfants. Les délais sont plus ou moins longs en fonction des départements.
Je vous interromps car nous venons d'entendre les départements évoquer le cas de vrais majeurs qui se font passer pour des mineurs. Pouvez-vous expliquer plus précisément cette situation d'entre-deux à laquelle vous faites référence ?
Cette situation d'entre-deux se présente pour de nombreux jeunes au terme d'une évaluation, réalisée de manière disparate en fonction des départements. En l'occurrence, à Paris, elle peut être conduite en l'espace d'une heure, voire d'un quart d'heure. Nous observons d'ailleurs la résurgence de pratiques qui n'avaient plus cours, et ce en raison de l'arrivée importante de mineurs à Paris depuis le premier déconfinement. Certaines évaluations de minorité sont parfois conduites très rapidement, sans interprète, sans consultation médicale. Ces jeunes ne s'expriment pas suffisamment bien du point de vue des autorités qui sont, pour la plupart, des associations nommées par les conseils départementaux. Au terme de cette évaluation, ces jeunes se voient « déboutés » de leur minorité sur la base de motifs de refus souvent similaires, indiquant que leur parcours et leur histoire ne sont pas cohérents. À Paris, ces évaluations sont réalisées par le Dispositif de l'Évaluation des Mineurs Isolés Etrangers (DEMIE). La plupart du temps, les jeunes sont accueillis à la sortie par des associations, qui tentent de savoir s'ils veulent dénoncer cette pratique et faire reconnaître leur minorité. À Paris, nous les prenons en charge dans notre centre de jour à Pantin. Les conditions pour accéder à notre centre sont définies de la manière suivante : vous vous déclarez mineur (nous ne le vérifions pas, ce n'est pas notre rôle), vous avez fait l'objet d'une évaluation négative, vous voulez aller devant un juge pour enfants, vous avez besoin de soins médicaux et d'une attention sociale. À partir de là, les jeunes sont reçus par une assistante sociale, un infirmier et, si l'on diagnostique rapidement un besoin de soutien en santé mentale, par des psychologues. Ces jeunes-là, en particulier sur Paris, peuvent attendre pendant des mois pour être entendu par un juge. Durant cette période, ils ne sont pris en charge ni par l'ASE, car ils ne sont pas reconnus mineurs, ni par les dispositifs pour adultes puisqu'ils se déclarent mineurs. Une présomption de minorité devrait s'appliquer jusqu'au dernier recours devant le juge pour enfants, mais ce n'est pas le cas. Les juges pour enfants, qui sont des juges indépendants, ont toujours un peu de mal à savoir comment s'y prendre pour reconnaître si un jeune est mineur ou pas. Certains décident de faire certifier les documents d'identité, d'autres recourent à l'utilisation de tests osseux, une pratique peu fiable dont la marge d'erreur est de 18 mois a minima. Ces jeunes, pour la plupart entre 16 et 17 ans, viennent en France pour apprendre, aller à l'école, être protégés. Mais une fois qu'ils sont arrivés sur le territoire, tout est fait pour qu'ils soient déclarés majeurs. La complexité de leur parcours en France est telle qu'on les plonge dans une grande précarité et, sans l'action des associations, la situation serait encore plus dramatique qu'elle ne l'est déjà.
Pour en revenir au Covid -19, nous avons été un acteur actif pendant la première vague à Paris, en particulier pour les précaires. Nous avons fait partie des rares acteurs encore disponibles pour intervenir. Cela a été très difficile pour tout le monde en raison du confinement : des acteurs médicaux ont dû s'arrêter, ainsi que des associations qui reposaient en grande partie sur le travail de bénévoles âgés, à risque. Nous sommes intervenus en clinique mobile pour les personnes à la rue, dans les centres d'hébergement d'urgence et pour les mineurs non accompagnés que nous hébergeons, selon un dispositif d'urgence, dans des hôtels. À Paris, nous avons hébergé plus de 96 mineurs, et ce dès le mois de décembre. Nous voulions en fait dénoncer, dès la sortie de la trêve hivernale, la déficience de l'État dans sa mission consistant à garantir un hébergement inconditionnel pour tous, a minima pendant la trêve hivernale. Ces mineurs n'avaient pas été mis à l'abri par l'État. Avec l'arrivée du confinement, en mars, nous avons été contraints de prolonger l'accueil de ces jeunes jusqu'à fin juin. Nous l'avons fait à Marseille, à Montpellier, à Bordeaux et à Paris. Les mineurs qui n'ont pas été pris en charge pendant le Covid-19 sont ceux qui l'étaient déjà par les associations ou par les familles d'accueil suite à la carence de l'État. Nous nous sommes donc retrouvés à devoir accompagner ces jeunes durant le confinement, qu'ils ont traversé dans des chambres d'hôtel à un ou deux. Certains sont d'ailleurs tombés malades. Leur orientation vers un centre de desserrement a été très complexe en raison du débat persistant sur leur minorité. Cette situation est déplorable : il s'agissait avant tout de jeunes en grande précarité, qui avaient besoin de soins.
Le centre de desserrement est un centre vers lequel les malades sont déplacés pour éviter qu'ils contaminent les autres résidents des hôtels sociaux.
Ces centres avaient initialement été ouverts pour les personnes à la rue qui ne pouvaient pas s'isoler. Lors du démantèlement du dernier camp d'Aubervilliers pendant le confinement, le 23 mars, près de 1 600 personnes ont été mises à l'abri dans des gymnases et des hôtels. Ces lieux sont devenus des clusters du fait de l'impossibilité de respecter la distanciation, de l'absence de matériel de protection (masques et gel notamment) et d'acteurs médicaux aptes à intervenir, du moins au début de la crise. Les opérateurs d'hébergement étaient réduits à leur effectif minimum durant la période et étaient amenés à surveiller les personnes plutôt qu'à les aider. C'est le constat du confinement que nous dressons pour les personnes précaires.
En ce qui concerne les MNA, nous avons longuement discuté avec la mairie de Paris pour les faire prendre en charge. Nous étions nous-mêmes en difficulté pour assurer, sur quatre hôtels différents, le quotidien de ces jeunes confinés dans des chambres de cinq mètres carrés pour certains. La situation était terrible. Pendant le confinement, nous avons conduit très exactement 457 consultations en santé mentale avec deux psychologues, l'équivalent de 2 707 consultations médicales en deux mois, et nous avons suivi 1 680 patients, dont les MNA. Pour répondre à votre question relative au deuxième confinement, aucune action spécifique n'a été déployée. Il ne se passe rien du tout. Nous n'avons pas appris de nos leçons malgré les rapports qui ont été édités, dont celui de MSF sur les taux de séroprévalence parmi les populations précaires. Dès le déconfinement, le 11 mai, nous avions appelé à ne pas vider les centres d'hébergement d'urgence en expliquant que la crise sanitaire se poursuivait et qu'il était indispensable d'assurer une surveillance épidémique. Notre alerte n'a pas été entendue et les personnes présentes dans ces centres ont été expulsées. À Paris, un nouveau campement s'est formé au Stade de France depuis un mois et demi ou deux. Il regroupe plus de 1 900 personnes qui vivent sous tente, ou parfois même pas, et parmi lesquelles sont présents des mineurs. Ce campement n'a pas été démantelé et accueille chaque jour de nouveaux mineurs « déboutés » de leur minorité par la DEMIE. De ce fait, actuellement, 132 mineurs que nous suivons vivent à la rue. Nous avons sollicité la mairie de Paris et les préfets pour leur demander ce qu'ils prévoient pour les personnes à la rue en cette période de confinement. Nous n'avons pas obtenu de réponse. Il semblerait qu'un démantèlement du campement de Saint-Denis soit prévu mais aucune allusion n'est faite aux mineurs et nous constatons qu'aucun dispositif n'est prévu dans le respect de leur minorité. Le jour du démantèlement de ce camp, les mineurs seront « mis à l'abri » avec des adultes dans des gymnases, ou dans des hôtels insalubres, sans accompagnement, sans éducateur et sans accès à la scolarité. Nous assisterons probablement de nouveau à des arrestations de mineurs se rendant à une distribution alimentaire parce qu'ils ne seront pas autorisés à être dehors. Ils vont devenir fous. Nous en sommes là. Une réunion interassociative s'est tenue il y a deux heures. Nous partageons ce constat et nous tenterons de nous mobiliser pour alerter les pouvoirs publics sur cette situation, qui est malheureusement la même situation qu'il y a six mois. Nous nous sommes peut-être améliorés sur les équipements, pour assurer la sécurité des soignants et celle des patients, mais nous n'avons pas avancé sur la prise en charge médicale, sur la protection de ces mineurs ni sur cette notion de présomption de minorité qui est pourtant centrale.
Je vous remercie pour cette invitation et je profite aussi de l'occasion pour excuser Madame Françoise Dumont, présidente d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), qui est souffrante et n'a pas pu se joindre à cette audition. La Ligue des droits de l'homme étant membre du conseil d'administration d'InfoMIE et madame Dumont en étant vice-présidente, nous avons pu échanger sur cette audition. Les éléments que je vais vous présenter recueillent donc l'accord de la LDH.
Dans ce propos liminaire, je tenterai de vous présenter les constats que nous avons réalisés sans revenir sur ce qui a été présenté précédemment. InfoMIE ne faisant que du droit, mon propos sera axé uniquement de la question de l'accès aux droits. Je vous présenterai les difficultés, les angles morts que nous avons pu identifier lors du premier confinement, donc lors de la mise en place de l'état d'urgence sanitaire. Ces derniers pourront être mis en parallèle avec ce qui va suivre, puisque nous identifions déjà quelques difficultés. Il est évident que lorsqu'InfoMIE est saisie, nous avons affaire à une situation dans laquelle l'accès aux droits des mineurs isolés et jeunes majeurs n'est pas respecté. Nous avons donc un biais certain dans notre approche. Cependant, loin de nous l'idée d'être négatif en vous présentant nos constats. Nous souhaitons nous inscrire dans une démarche constructive en identifiant ces points de difficulté pour anticiper les conséquences, dont certaines produisent encore des effets juridiques. Dans le cadre de nos activités, nous avons une permanence juridique nationale dématérialisée qui nous permet de suivre à l'instant T ce qui se passe sur tout le territoire national, y compris en outre-mer, et aux différentes étapes du parcours des mineurs isolés étrangers. Cette permanence juridique est sollicitée de manière accrue pendant le confinement et l'état d'urgence sanitaire, à la fois par les travailleurs sociaux de départements, d'associations gestionnaires, par les professionnels de protection de l'enfance, par les associations d'accès au droit, par les avocats et par les mineurs et jeunes majeurs eux-mêmes. Je prends le temps de préciser cela pour vous puissiez comprendre la suite de mes propos et d'où nous viennent toutes ces informations. Dans mon propos liminaire, je vais essayer de suivre le parcours des jeunes pour vous indiquer à chaque étape les difficultés que nous avons identifiées, et celles que nous voyons poindre.
La première étape, évidemment, est la question de l'entrée en protection de l'enfance des mineurs isolés. Je parle volontairement d'« entrée en protection de l'enfance » et de « détermination de la minorité », ce qui va comprendre plusieurs étapes. Mesdames Rolland et Torre ont beaucoup insisté sur la question de l'évaluation de minorité, je ne m'y attarderai donc pas. Néanmoins, la première étape du parcours est bien le RPU, conformément à l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, qui constitue la première mesure de protection de l'enfance pour tout enfant en danger en France et qui normalement doit être mise en place dès le repérage d'un mineur en danger, notamment d'un mineur isolé. Pendant le confinement, dès que l'état d'urgence sanitaire a été déclaré, nous avons déjà identifié des difficultés à ce niveau. Certains départements ont permis une continuité de service - donc la procédure n'a pas été modifiée - mais très vite, dans d'autres, la porte d'entrée pour accéder à l'accueil provisoire d'urgence a soit été fermée (par exemple dans les Bouches-du-Rhône), soit été momentanément suspendue (cela a été le cas à Paris), ou alors la procédure a été modifiée. Par exemple, dans le Nord, l'entrée se fait normalement via la préfecture pour accéder à l'accueil provisoire d'urgence (APU). Les préfectures ayant fermé le 17 mars 2020, une procédure spécifique a été mise en place pour orienter par téléphone auprès des services du département. InfoMIE s'est donc heurté à une première difficulté pour orienter les mineurs qui se déclaraient isolés sur le territoire et ne faisaient pas l'objet d'une mise à l'abri. La deuxième difficulté a consisté à comprendre, département par département, ce qui était mis en place pour l'accueil provisoire d'urgence.
Ensuite, après l'APU, la première étape de la détermination de minorité intervient. Il s'agit de l'évaluation de minorité réalisée par les départements. Là encore, dans le cadre du premier confinement et de l'état d'urgence sanitaire, nous avons fait plusieurs constats, correspondant à différentes situations : dans certains départements, l'évaluation de minorité est gelée, ce qui est à corréler avec la fermeture des préfectures. En ce cas, l'accès au fichier d'appui à l'évaluation de minorité (AEM) étant rendu impossible, les évaluations en cours ont été gelées et aucune n'a été entamée pendant la durée du confinement. D'autres, en revanche, choisissent de réaliser des évaluations en mode dégradé, notamment par visioconférence, comme j'ai pu le voir dans les Alpes-Maritimes, mais celles-ci ne permettent pas de prendre en compte correctement la question de la santé. Les interventions en mode dégradé prennent aussi la forme d'évaluations réalisées sur les lieux de mise à l'abri, et donc dans un contexte d'hébergement collectif ou en hôtel ; ce sont les évaluateurs qui se rendent sur place, mettant d'ailleurs en difficulté les animateurs comme les mineurs isolés.
Après l'évaluation de minorité, lorsque le département a prononcé la décision administrative de refus d'accès à la protection de l'enfance, se pose déjà en temps normal la question de la poursuite de la prise en charge. À ce titre, Mesdames et Messieurs les députés, je tenais vraiment à attirer votre attention sur les dernières décisions du Comité des droits de l'enfant contre l'État espagnol, rendues en 2019 et 2020 : il s'agit de quatorze décisions qui le condamnent pour son système d'évaluation de minorité et d'isolement, système peu ou prou similaire au nôtre. Il est notamment condamné sur la question de la présomption de minorité, c'est à dire, selon la définition du comité, le fait d'être traité comme un enfant jusqu'à la fin du processus de détermination de la minorité, et donc jusqu'à l'intervention d'une décision de justice ayant l'autorité de la chose jugée. Le Comité énonce cela clairement et, surtout, condamne l'État espagnol pour violation de l'article 8 de la Convention internationale des droits de l'enfant, relatif au droit à l'état civil. La question de l'analyse documentaire a été largement abordée au cours des précédentes auditions. On pourrait évidemment développer davantage mais, au stade de l'évaluation de minorité réalisée par les départements, les documents d'état civil présentés par les mineurs ne sont pas toujours pris en compte. Pendant le Covid, les pratiques n'ont pas évolué en la matière mais le secrétaire d'État avait invité les départements à ne pas remettre à la rue les jeunes évalués « non mineurs » et à attendre la fin du confinement. Malheureusement, cette invitation n'a pas été entendue, malgré l'alerte d'un groupe d'associations, dont Médecins du Monde, Médecins sans frontières et Unicef France. La situation d'un jeune remis à la rue après évaluation de minorité, en plein confinement, est remontée à la Cour européenne des droits de l'homme qui, en application de l'article 39 de son règlement, a ordonné à la France de prendre à son égard des mesures provisoires de mise à l'abri. Un autre cas emblématique se situe dans le Morbihan où on a assisté à une sortie de mineur, confié sur décision de justice à un département, après réévaluation de sa situation en plein confinement. Ces pratiques, dont on a connaissance déjà en temps normal, se sont manifestées de façon singulière pendant cette période de Covid-19 où les mineurs isolés ont été exposés à des risques sanitaires accrus.
Non, car le seul chiffre fiable documenté dont dispose InfoMIE est le chiffre de la mission MMNA du ministère de la justice sur le nombre de décisions de justice aboutissant à confier un mineur isolé à l'ASE. Nous nous heurtons aujourd'hui à de grandes difficultés pour connaître de manière officielle, fiable et vérifiable le nombre d'évaluations réalisées, auquel nous n'avons pas accès en tant que donnée publique. Nous n'avons pas non plus accès au « taux de reconnaissance » par les magistrats en première instance puis en appel. Ces statistiques ne sont pas élaborées car elles nécessiteraient de suivre le dossier d'un mineur pendant environ deux ans, soit le temps du recours devant le juge des enfants puis devant la Cour d'appel. À l'heure actuelle, un tel suivi n'est pas réalisé. Les chiffres de l'ASE relatifs aux mesures de protection prononcées par les juges, issus de l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS) et de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DRESS), sont par ailleurs produits avec un décalage de deux ans. Ainsi, nous avons seulement accès, en 2020, aux chiffres du nombre total de placements judiciaires sur l'année 2017. Ce décalage considérable illustre la difficulté d'obtenir des statistiques. Le seul chiffre dont nous disposons aujourd'hui est celui de la mission MNA, publié sur le site internet du Ministère de la Justice. En revanche, nous avons accès à d'autres indicateurs. Les avocats d'enfants tiennent, par exemple, des statistiques par barreau. Ces données sont axées uniquement sur les recours qu'ils suivent en tant que conseils de mineurs, ce qui suppose au préalable que le mineur ait connaissance qu'il peut saisir le juge des enfants. L'Antenne des Mineurs du Barreau de Paris avait présenté ces statistiques devant la mission bipartite de réflexion sur les mineurs non accompagnés, mandatée en 2017 par le Premier Ministre et le Président de l'Assemblée des départements de France (ADF). Elle avait expliqué qu'un dossier sur deux était repris par le juge des enfants et qu'un dossier sur deux était envoyé en Cour d'appel. Ces chiffres illustrent la temporisation qui s'opère sur la question des évaluations de minorité.
L'entrée en protection de l'enfance est déterminante, nous l'avons vu, puisqu'elle déclenche l'accès aux droits et notamment au droit de séjour. Au-delà de cette première étape, je voudrais vous confier les difficultés que nous avons observées en ce qui concerne les mineurs isolés confiés sur décision judiciaire à l'ASE, autrement dit les mineurs qui étaient pris en charge par les départements. Tout d'abord, nous avons observé un gel des orientations nationales par la mission jusqu'au 29 juin 2020. Les mineurs confiés sur décision de justice mais en attente d'orientation vers un autre département ont été maintenus dans des dispositifs d'APU. Durant cette période, ils n'ont pas été véritablement pris en charge et ont bénéficié d'un moindre accompagnement socio-éducatif (scolarité, bilan de santé, etc.). La prise en charge des mineurs s'est donc faite « en pointillé » le temps que ceux-ci soient orientés. Ensuite, et ce point a été abordé notamment par le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis tout à l'heure, nous avons identifié des difficultés concernant les mineurs et jeunes majeurs qui étaient placés dans des dispositifs dits de semi-autonomie ou d'autonomie, autrement dit en hôtel ou en appartement partagé. En temps normal, ces dispositifs proposent une prise en charge éducative beaucoup plus légère qu'un placement collectif ou un placement auprès d'un assistant familial. Le seul contact de ces jeunes avec l'extérieur passe souvent par la scolarité ; or, durant le confinement, ils ont été coupés de l'environnement scolaire et, plus largement, de l'environnement éducatif. Force est de constater que la continuité scolaire n'a pu être assurée. Les jeunes en hôtel n'avaient pas nécessairement accès à une connexion internet ni à un ordinateur pour faire leurs devoirs. Au-delà de cette incapacité à garantir un accompagnement éducatif de qualité durant la période, d'autres problèmes se sont ajoutés pour ces jeunes dans certains départements. Eu égard à la restriction des déplacements autorisés, certains nous ont confié une difficulté à accéder aux repas ou au pécule qui leur sont ordinairement distribués. Il était apparemment question que cette situation soit résolue en l'espace d'une semaine mais elle s'est prolongée au-delà. Ainsi, certains jeunes nous ont rapporté que, durant le premier mois de confinement, ils ne pouvaient pas faire trois repas par jour. J'ose espérer que cette situation n'a concerné qu'une infime partie de ces mineurs ou jeunes majeurs. Cette réalité doit être prise en compte et permettre d'anticiper en prévision du prochain confinement, d'autant plus que les dispositifs de semi-autonomie ou d'autonomie ne changeront pas. L'encadrement éducatif est, par défaut, très léger dans ces dispositifs.
S'agissant de cette prise en charge par l'ASE, les difficultés communes remontées par les travailleurs sociaux (quel que soit le dispositif de placement) et qui, aujourd'hui, continuent à produire des effets juridiques, sont diverses. Pour les mineurs isolés ou les jeunes majeurs qui n'étaient pas scolarisés avant le confinement, l'état d'urgence sanitaire a mis les équipes dans l'impossibilité d'avancer sur leurs dossiers. Or, l'accès au séjour des mineurs isolés est conditionné non seulement par leur prise en charge par la protection de l'enfance, mais aussi par le suivi d'une formation qualifiante, notamment pour les jeunes qui arrivent tardivement en protection de l'enfance. Certains jeunes ont traversé une année scolaire vierge. Par ailleurs, nous avons été dans l'impossibilité de travailler sur la reconstitution de l'état civil puisque les ambassades étaient fermées. Or, toute équipe éducative qui suit correctement un mineur sait pertinemment que, pour anticiper l'accès au séjour, il faut anticiper ces questions de documents d'état civil ; certains mineurs doivent être accompagnés à l'ambassade, que ce soit pour légaliser des documents quand c'est nécessaire ou pour essayer de reconstituer une carte consulaire, un passeport, etc. En l'occurrence, ce n'était pas possible. Cela a mis en difficulté des dossiers. Un autre problème concernait les autorisations provisoires de travail (APT) pour les jeunes en apprentissage. Cette autorisation est accordée de droit pour tout mineur isolé souhaitant entrer en apprentissage mais la continuité de cette autorisation se pose à partir de 18 ans. Si nous avons pu nous satisfaire de textes adoptés concernant la prorogation de titres de séjour, de récépissés, ou de l'attestation de demande d'asile, la situation s'est révélée plus complexe pour l'obtention des APT. Nous avons dû aller au contentieux pour démontrer que l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-306 concernait les APT et que celles-ci pouvaient être prorogées de plein droit dans un délai de trois mois à l'issue de la fin de la période juridiquement protégée. Cette démarche n'était pas évidente.
Ensuite, des questions se sont posées concernant l'accès au séjour, mais là je voudrais dissocier les premières demandes de titre de séjour des questions de renouvellement. Sur les premières demandes, hors demande d'asile, les mineurs isolés ont trois voies réservées d'accès au séjour lors de leur arrivée en France. Elles sont conditionnées par l'âge qu'ils ont lorsqu'ils rentrent en protection de l'enfance. Un mineur isolé pris en charge avant l'âge de 15 ans en protection de l'enfance, et qui justifie de trois ans révolus de prise en charge, peut effectuer ce qu'on appelle une « déclaration de nationalité » (article 21- 12 du code civil). Un mineur isolé pris en charge avant l'âge de 16 ans, s'il suit de manière réelle et sérieuse une formation, peut avoir accès de plein droit à un titre de séjour « vie privée et familiale ». Enfin, les jeunes qui sont pris en charge après l'âge de 16 ans ne justifient pas d'un accès de plein droit au séjour. Ils bénéficient d'une disposition qui leur permet une admission exceptionnelle au séjour à condition de justifier de 6 mois de formation qualifiante (article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile). Des délais sont fixés pour déposer ces demandes de titre de séjour ou pour effectuer ces déclarations de nationalité. La déclaration de nationalité doit se faire avant 18 ans. La demande de titre de séjour, que ce soit un titre « vie privée familiale » ou « salarié travailleur temporaire », doit se faire avant l'âge de 19 ans.
Or, le 17 mars 2020, les préfectures ont été fermées, le sont longtemps restées et les réouvertures ont pris du temps. La formation est primordiale mais même pour les meilleurs dossiers, ceux dans lesquels une formation était prévue, nous avons eu des problèmes d'accès aux préfectures et aux ambassades pour obtenir des documents d'état civil. L'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, et notamment son article 2, prévoyait une prolongation des délais. Nous avions jusqu'au 24 août 2020 pour introduire les premières demandes de titres de séjour. Passée cette date, la déclaration de nationalité ou la demande de titre de séjour n'était pas réputée être déposée dans les temps. Nous disposions donc d'une petite marge de temps mais, et cela a été mentionné par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis et par celui de la Loire-Atlantique, les associations comme la LDH, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), la Cimade, ont alerté le 24 juin 2020 sur le fait que les procédures de réouverture des préfectures prenaient trop de temps, que les procédures dématérialisées de prise de rendez-vous n'étaient pas efficientes et qu'il n'y avait aucune file prioritaire pour les mineurs isolés. Aujourd'hui, des jeunes qui ont été confiés à l'ASE avant ou après l'âge de 16 ans n'ont pas pu déposer leur demande de titre de séjour avant leurs 19 ans ou avant le 24 août 2020. À ce jour, des situations ne sont pas réglées et des déclarations de nationalité ont été manquées parce que non déposées dans les temps. Pour faire une déclaration de nationalité française, il faut avoir un acte de naissance original et le faire légaliser, ce qui est impossible dans un contexte de fermeture des autorités compétentes. On voit poindre ce problème pour le deuxième confinement. La question qui nous interpelle surtout est celle des renouvellements de titre de séjour pour les jeunes majeurs isolés (anciens mineurs isolés), surtout celles et ceux qui relèvent de la mission exceptionnelle au séjour (article L 313-15) et qui ont obtenu un premier titre de séjour en tant que salarié ou travailleur temporaire. Pour le renouveler, il faut présenter un contrat de travail ; or, nous voyons aujourd'hui toute une génération de mineurs isolés travaillant dans des secteurs qui ferment (restauration, vente, etc.) et qui rencontrent des difficultés pour signer un contrat de travail ou demander un renouvellement. Dans ce contexte, nous prévoyons une vague de jeunes qui ne seront pas en capacité de renouveler leur titre de séjour, en dépit des efforts engagés par les équipes éducatives.
Je conclurai en évoquant la question des aides provisoires pour les jeunes majeurs. L'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles prévoit, pour tout jeune de moins de 21 ans éprouvant des difficultés faute de ressources familiales et de ressources financières suffisantes, la possibilité de demander au président du conseil départemental de poursuivre sa prise en charge à l'ASE. C'est ce que l'on nomme les « contrats jeune majeur ». En temps normal, on observe malheureusement depuis de nombreuses années que, soit les mineurs isolés ne sont pas informés de cette possibilité, soit on leur octroie des aides provisoires jeune majeur de courte durée. La rupture de prise en charge en cours d'année scolaire ou universitaire engagée a été interdite en 2016 (article L. 222-5), mais cette disposition n'est pas respectée. En période de Covid-19, nous avons été témoins des premières sorties sèches avant même le délai légal imposé par les ordonnances, donc à partir du 11 mai. Certains départements lient par ailleurs la question du contrat jeune majeur à la question d'accès au séjour. Pourtant, légalement, il n'y a aucune condition de séjour pour obtenir un contrat jeune majeur. Malgré cela, nous avons observé une vague de jeunes sans contrat jeune majeur ni titre de séjour, qui étaient pris en charge pendant le premier confinement et ont expérimenté une rupture de prise en charge en cours d'année scolaire ou universitaire. Nous redoutons de voir cette situation perdurer durant le deuxième confinement au vu des difficultés de ces jeunes de trouver, dans le contexte actuel, des contrats d'apprentissage et des formations qualifiantes.
Je donne maintenant la parole à Hervé Lecomte, membre du Réseau éducation sans frontières (RESF).
(M. Hervé Lecomte prête serment)
Je remercie les membres de la commission d'avoir fait une place aux mineurs non accompagnés dans la question de la crise sanitaire et de la jeunesse, cette population étant parmi les plus vulnérables. La crise sanitaire a décuplé les difficultés qu'ils rencontraient déjà auparavant. Elle les a sans doute également mises en lumière, si cela était nécessaire, en exposant les défaillances de la prise en charge. Dans le cadre de mon intervention, je m'appuierai essentiellement sur le constat qui a été fait dans le département des Hauts-de-Seine. Il s'agit d'un département que je connais bien et dont la situation est, me semble-t-il, représentative de ceux qui accueillent le plus de mineurs isolés étrangers. Ce département est d'autant plus intéressant qu'il ne peut se cacher derrière des problèmes financiers pour expliquer les difficultés de prise en charge, comme c'est parfois le cas. Je vais revenir sur la période de confinement et la manière dont celle-ci a pu être vécue par les jeunes que nous accompagnons.
En ce qui concerne les nouveaux arrivants, les Hauts-de-Seine font partie des départements dans lesquels la cellule MNA a d'abord totalement fermé. Durant cette période, il était donc impossible d'être reçu et mis à l'abri. Suite à l'intervention des associations et à une réorganisation probablement nécessaire, elle a fini par rouvrir. En revanche, nous avons été surpris de l'interruption d'activité du tribunal pour enfants de Nanterre. Nous avions compris qu'en cas d'urgence, il serait possible d'accéder au tribunal et que des audiences pourraient avoir lieu, ou que des jugements pourraient se tenir sans audience pour répondre à l'urgence des situations. En réalité, la prise en charge par l'ASE et le placement à l'ASE des MNA n'ont pas été considérés comme une urgence alors que des mineurs étaient à la rue. Ce seul fait nous semblait pourtant suffire à caractériser l'urgence de la situation. Dans ce contexte, les collectifs de citoyens et d'associations ont donc été amenés à prendre en charge financièrement les nouveaux arrivants en nuitées d'hôtel, grâce à des dons collectés auprès de citoyens, ce qui a permis à quelques mineurs isolés d'éviter la rue. Nous avions interpellé la préfecture sur cette situation mais n'avons obtenu aucun retour, pas même un accusé de réception. Pour les mineurs déjà pris en charge dans les Hauts-de-Seine, une partie d'entre eux a été transférée vers des associations qui assurent un suivi socio-éducatif satisfaisant, prouvant au passage que cela est possible quand on s'en donne les moyens. En revanche, pour les « mineurs des hôtels » - ceux qui ont été purement et simplement laissés à l'abandon dans des chambres d'hôtel -, la situation est rapidement devenue catastrophique. Toutes les difficultés surmontées d'ordinaire lorsque le jeune est scolarisé, qu'il a la possibilité de sortir, de rencontrer des associations, d'accéder à des activités de loisir, ne pouvaient plus l'être en raison de l'enfermement qu'ils ont vécu, et ce dans un cadre très souvent insalubre. En effet, les hôtels dans lesquels les mineurs isolés ont été placés dans les Hauts-de-Seine étaient souvent insalubres, avec des chambres infestées d'insectes, pas de savon, pas de lessive pour laver les vêtements, des carences en termes de nourriture, pas d'ordinateur ou de tablette numérique ni de connexion permettant de bénéficier de la continuité pédagogique pour ceux qui étaient scolarisés. Une campagne de distribution de tablettes numériques a été lancée par le département des Hauts-de-Seine, à grand renfort de communication, mais elles ne sont pas arrivées jusqu'à eux. Les jeunes que nous suivons et qui nous donnaient des nouvelles n'en ont pas bénéficié.
Par ailleurs, pour ceux qui ont eu des soucis de santé durant la période, beaucoup n'ont pas pu accéder aux services de santé en l'absence d'un adulte référent pour les accompagner aux rendez-vous médicaux. Les mineurs des hôtels n'ont pas d'éducateur mais un référent symbolique qui n'a pas les moyens de faire ce type d'accompagnement. Cette situation n'a pas été sans conséquence sur la santé mentale de certains mineurs, dont ceux qui ont été contraints par les gérants d'hôtel à rester dans leur chambre et qui n'avaient pas le droit d'en sortir sauf pour prendre leurs repas. Durant le confinement, ils ont passé de très longues journées enfermés dans leur chambre, sans quasiment aucun contact avec l'ASE qui n'a pas informé les jeunes sur la situation, les décisions qui étaient prises, les gestes barrières, la nécessité de prendre soin de soi et des autres. Il y a eu peu voire pas de contact entre les jeunes et les référents de la cellule MNA de Nanterre.
Comme cela a été indiqué précédemment, cette période de confinement a provoqué le gel de l'ensemble des démarches : pour obtenir les passeports, les cartes consulaires, légaliser les actes de naissance, être scolarisé (via les évaluations du CIO) ou chercher un contrat d'apprentissage, les centres de formation d'apprentis (CFA) étant fermés et les employeurs potentiels peu disponibles. Il avait été dit qu'on tiendrait compte de cette période de gel des démarches pour juger de la possibilité d'obtenir un contrat jeune majeur pour ceux qui deviendraient majeurs en 2020. Malheureusement, cela n'a pas eu lieu. Des prolongations de quelques semaines seulement ont été accordées. Un maintien des jeunes dans la protection de l'ASE a été opéré jusqu'à mi-juillet, après quoi nous nous sommes retrouvés – et nous en sommes toujours là – avec une vingtaine de très jeunes majeurs (18 ans) à la rue, alors qu'ils sont apprentis et lycéens. Je tiens d'ailleurs à insister sur le courage et la persévérance de ces jeunes qui, malgré les conditions qu'ils ont subies, ont réussi pour la plupart, et malgré les congés d'été, à trouver des contrats d'apprentissage une fois le confinement terminé ou à poursuivre leur formation. Malgré cela, après les avoir gardés deux ou trois semaines, le département des Hauts-de-Seine a décidé de les remettre à la rue. Dans ce contexte, l'incapacité d'obtenir un simple rendez-vous en préfecture pour déposer un dossier a contribué à empirer les situations. Le déconfinement a eu lieu le 11 mai mais il a fallu attendre le 15 juin, par exemple, pour accéder de nouveau à des rendez-vous sur internet pour la mission exceptionnelle de séjour des jeunes pris en charge après 16 ans à la préfecture de Nanterre. Le nombre de rendez-vous étant très insuffisant, certains jeunes ont dépassé 19 ans sans avoir la possibilité de déposer un dossier en préfecture et d'obtenir une régularisation alors qu'ils satisfaisaient à tous les critères. Cette situation de blocage perdure actuellement. Les délais pour obtenir des rendez-vous sont totalement impossibles et l'attitude de la Préfecture est devenue très rigide. Les jeunes perdent leurs contrats d'apprentissage car les employeurs ne peuvent attendre indéfiniment. Les renouvellements d'autorisation de travail sont impossibles dès lors que le jeune est devenu majeur. Si des marges de manœuvre existent dans certaines préfectures ou dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), ce n'est pas le cas dans les Hauts-de-Seine. Dès que le jeune a 18 ans, s'il n'a pu avoir un rendez-vous en préfecture pour obtenir un titre de séjour, il lui est impossible d'obtenir le renouvellement de son autorisation de travail. Certains jeunes sont contraints d'abandonner leur formation entre la première et la deuxième année. Je confirme également les difficultés de renouvellement pour ceux qui ont des titres « travailleurs temporaires et salariés ». Nous avons appelé les préfectures à la bienveillance dans l'examen des situations mais cette bienveillance, pourtant encouragée au travers des circulaires, n'existe pas. Nous craignons que de nombreux jeunes perdent le titre de séjour qu'ils ont obtenu un an plus tôt, faute de pouvoir obtenir un nouveau contrat ou une inscription à Pôle Emploi.
Nous avons observé des comportements hétérogènes de la part des départements. J'entends bien ce qui se dit sur celui des Hauts-de-Seine, mais nous avons auditionné durant l'heure précédente d'autres départements qui ont tenu compte de l'état de crise en évitant des sorties sèches pour des jeunes de 18 ans, en fournissant du matériel sanitaire pour que ces jeunes puissent se protéger et en créant les conditions d'un contact régulier avec eux. Dans certains départements, les services de l'enfance se sont mobilisés en prenant vraiment en compte cette période de crise.
À titre personnel, je m'interroge surtout sur le rôle de l'État : prend-il bien en compte les conséquences de la crise pour ces jeunes mineurs non accompagnés ? Vous avez souligné les problèmes de suivi scolaire, le risque de ne pas pouvoir obtenir ou renouveler des papiers faute de contrat, celui de ne pas pouvoir, faute de papiers, poursuivre des études. Nous pourrions émettre, en tant que commission d'enquête, une recommandation visant à ce que, à situation exceptionnelle, l'Etat puisse prendre toute une série de dérogations permettant que ces jeunes aient accès à leurs droits. Cette demande de dérogation exceptionnelle me paraît importante.
Ensuite, j'entends ce qui est dit sur la présomption de minorité et je partage cette exigence. La mission des mineurs non accompagnés du ministère de la justice nous a indiqué qu'un guide était sorti pour améliorer les évaluations. Que pensez-vous de ce guide ? Peut-il être efficace pour améliorer ces évaluations, pour les rendre plus exigeantes et plus crédibles ? Enfin, sur la question du numérique, notamment pour les lycées, comment les départements répondent-ils aux besoins, dans un contexte où certains cours pourront être donnés en visio ?
N'ayant pas prêté serment lors de ma première prise de parole, je jure solennellement de dire toute la vérité. Je me suis exprimée au nom de Médecins du monde mais je suis par ailleurs médecin généraliste à Nantes, en Loire-Atlantique. Il y a plusieurs populations de mineurs. De mon point de vue, les jeunes qui sont reconnus mineurs et pris en charge par le département sont correctement accompagnés. Des efforts sont poursuivis à ce niveau.
Le problème absolument étonnant et dont on ne sort pas, c'est vraiment cette histoire d'estimation de l'âge, sont-ils mineurs ou majeurs ? Malheureusement, il n'y a aucune façon de l'estimer de façon scientifique et sûre. On sait que les tests osseux ne sont pas fiables et que l'observation physique ne l'est pas davantage. Nous voyons beaucoup de jeunes, évalués non mineurs en l'espace d'une heure ou même moins, sur des critères très subjectifs, qui se retrouvent à la rue ou chez des hébergeurs solidaires pour de longs mois. En tant que médecin, dans le cadre d'une consultation, j'ai par exemple reçu il y a quinze jours un jeune homme arrivé en France à 16 ans. Il a été reconnu mineur et pris en charge après plus de 18 mois de procédure, à quinze jours de sa majorité. En 2018, j'étais responsable d'un programme à Médecins du Monde, en tant que bénévole, à Nantes. Nous avions accompagné environ 300 jeunes dans l'année. Parmi ceux qui avaient saisi le juge des enfants pour une reconnaissance de minorité, 60 % étaient in fine reconnus mineurs. Ce sont donc des enfants qu'on laisse à la rue pendant de très nombreux mois, ce qui soulève de graves problèmes en termes d'accès à la santé par exemple. Si on est mineur, il faut un référent légal majeur ; à Rouen, actuellement, il m'a été rapporté que les jeunes ne peuvent même pas faire de test Covid -19. Cette population, qui vit actuellement dans les rues, dans des squats ou chez des citoyens mobilisés, est une population de jeunes personnes qui n'ont pas accès aux soins, ne s'alimentent pas correctement et sont dans des conditions de vie infâmes, en France, sixième puissance économique mondiale.
Il y a effectivement un bras de fer permanent entre les départements et l'État. Ils relèvent de l'ASE car ce sont des enfants mais pour les départements, ce sont avant tout des migrants et, à ce titre, ils estiment que c'est à l'Etat de les prendre en charge. Ce sont les mineurs qui payent les conséquences de ce bras de fer. Ce sont eux qui sont dans des situations ubuesques, absolument indignes de notre pays. Il faut qu'on trouve des solutions. Un nouveau confinement arrive et il faut vraiment que l'on avance, on ne peut pas les laisser dans cette situation. Il est très important qu'État et départements prennent conscience de cette population extrêmement vulnérable et fassent quelque chose pour eux. Ils ne sont rien chez nous : pas majeurs, pas mineurs. On ne peut pas les laisser en marge du monde.
Madame Buffet, je crois, mentionnait un guide créé pour améliorer les conditions des évaluations. Cette démarche est positive mais n'est pas suffisante. La présomption de minorité reste l'élément déterminant pour que des jeunes qui arrivent en France ne perdent pas du temps avant d'accéder à la scolarité, ou ne perdent pas leurs droits. Lorsqu'un jeune arrive en France à 16 ans, son évaluation peut prendre des mois. Il aura peut-être 17 ans lorsque le juge reprendra son dossier ; or, passé 16 ans, l'aide sociale ne le considère plus comme prioritaire pour aller à l'école. Les jeunes qui n'ont pu bénéficier de la présomption de minorité se retrouvent donc, pour certains, sans formation à 17 ans. À 18 ans, lorsqu'ils sont mis dehors sans diplôme et sans carte de séjour, ils deviennent automatiquement des sans-abri. Ils ne reçoivent aucune aide. C'est la raison pour laquelle la présomption de minorité est très importante. Lorsque les jeunes se présentent, ils doivent pouvoir se rendre à l'école en attendant que leur évaluation soit tranchée. Cela leur permet de ne pas perdre de temps. Une fois encore, ils ne seront plus jugés prioritaires par les aides sociales une fois qu'ils auront atteint 16 ans ou 17 ans.
Personnellement, je suis arrivé à 15 ans et j'ai attendu huit mois avant de pouvoir aller en classe. Le juge m'a confirmé quatre ou six mois plus tard que je n'étais plus une priorité. J'ai fait des démarches moi-même pour pouvoir obtenir ce droit, notamment en me rendant à la rencontre d'associations. Je tiens d'ailleurs à préciser que les associations nous aident davantage que les éducateurs. Les volontaires de ces associations font plus que les éducateurs pour nous : ils nous accompagnent à la préfecture, dans les ambassades ou pour faire des tests. Ce n'était pas le cas des éducatrices. Je n'ai personnellement pas reçu beaucoup d'accompagnement de leur part. La présomption de minorité est donc centrale pour l'avenir des jeunes, pour éviter qu'ils ne se retrouvent perdus à 18 ans, sans formation. Actuellement, en France, 25 % des SDF ont moins de 25 ans et sont issus de l'ASE. Ce chiffre illustre que le suivi réalisé au niveau de l'ASE n'est pas suffisant. Cette mission est pourtant essentielle car les jeunes ne sont pas en capacité de se prendre en main comme des adultes. Ils ont besoin d'être guidés, d'être accompagnés. Ils ne peuvent être abandonnés à leur propre sort. À 18 ans, la plupart ne sont pas encore matures. À 18 ans, 80 % des jeunes qui sont à l'ASE ne savent pas encore ce qu'ils veulent faire. L'absence de suivi fabrique des sans-abri.
Je suis également choqué, en France, de la disparité des aides sociales entre les départements. Alors que j'ai obtenu un contrat jeune majeur de neuf mois, un ami résidant dans le 77 ne peut accéder qu'à des contrats de trois semaines. Alors que je suis en train de préparer mon avenir, il perd le sien. Nous étions pourtant dans la même classe. Il me semble important qu'une politique similaire soit menée partout en France et que les aides soient accordées uniformément à tous sur le territoire. Je trouve cela très injuste que certains puissent bénéficier de contrats jeune majeur tandis que d'autres se retrouvent dehors à 18 ans, le jour de leur anniversaire, alors qu'ils ne connaissent personne, qu'ils n'ont pas de famille dans le pays. Cet événement est traumatisant pour la personne qui le vit et la plonge dans le plus grand désespoir. Il ne faut pas jouer avec l'avenir des jeunes. Il faut s'engager sur ce point. Il faut revoir la politique de l'ASE pour que des jeunes puissent s'en sortir. Actuellement, ces aides créent plus de sans-abri que de salariés et de futurs jeunes autonomes. L'ASE estime que si le jeune est hébergé et a accès aux repas, le problème est réglé. Pourtant, l'hébergement et la nourriture ne sont pas suffisants. Les jeunes ont besoin d'être accompagnés pour s'en sortir. Je regrette d'avoir eu peu de suivi jusqu'à mes 18 ans. Une fois mon contrat d'apprentissage signé, ce suivi s'est encore davantage estompé. Nous passons trois à quatre mois sans nous parler. Je travaille, j'ai un petit salaire : pour eux, ce suivi n'est probablement plus nécessaire. Je ne vous cache pas que cela a été compliqué à vivre.
Le fait de casser à la racine l'élan vital vers l'école, l'envie qu'un jeune ressent de s'éduquer à 14 ou 15 ans, aura un coût pour la société plus tard. Il faudrait que nous parvenions à calculer le coût de cet abandon, que nous parvenions à mesurer combien cela coûte que l'école ne soit pas suffisamment accueillante pour ces enfants.
Il me semble que nous avons, au travers de l'ensemble des interventions, un aperçu complet de la complexité de la prise en charge de ces mineurs ou jeunes majeurs. Je partage l'avis exprimé par Monsieur Seydina Boiro concernant la nécessité d'uniformiser les aides sociales en France. Nous devons faire en sorte qu'elles soient identiques dans l'ensemble des départements. Ces derniers sont plus ou moins en difficulté, pour des raisons variables dont je n'ai pas nécessairement connaissance. En tout état de cause, la faute ne doit pas être rejetée entièrement sur l'ASE. Ce service est lui-même en difficulté, probablement par manque de moyens financiers. Dans ce contexte, je pense que l'État a un rôle à jouer. Cette affirmation fait en général l'objet de polémiques car elle sous-tend que le conseil départemental, qui est en charge de la protection de l'enfance, risquerait de se voir dépossédé de cette fonction de protection au profit du ministère de l'intérieur, ce qui n'est absolument pas la volonté de qui que ce soit. Cependant, une remise à plat de notre système de prise en charge des mineurs s'avère nécessaire. Il serait par ailleurs souhaitable de dépasser la notion de « mineur » en envisageant un accompagnement scolaire de ces jeunes, quel que soit leur âge, jusqu'à ce qu'ils obtiennent un métier. Aujourd'hui, c'est ce qu'ils souhaitent. Nous ne pouvons pas les laisser dans l'incertitude, dans cette forme de malveillance qui les entoure. Nous ne pouvons pas les laisser dans cette maltraitance dont les associations héritent, puisque ce sont avant tout les associations qui pallient cette souffrance.
Pour répondre à Madame Marie-George Buffet concernant ce fameux guide qui a été rédigé, je le considère personnellement comme un premier jet. Ce document est pour moi une base de travail qui nécessite d'être alimentée en continuant à écouter les associations œuvrant sur le sujet. Je vous invite autant que possible à encourager la poursuite de ce travail et à continuer d'organiser des sessions comme vous le faites aujourd'hui. J'espère que vous pourrez continuer à porter ce débat. Je pense qu'une seule session ne sera pas suffisante compte tenu de son immense complexité. Nous devons continuer à échanger sur le sujet et à débattre, à rentrer dans les détails afin d'avoir une meilleure connaissance de la situation.
Ce sont précisément ces détails que nous recherchons afin de les transformer en préconisations.
Je souhaite rebondir sur trois points évoqués par Madame la rapporteure. Effectivement, une situation exceptionnelle appelle des recommandations exceptionnelles et des compétences de l'État en termes d'accès au séjour. Il serait intéressant d'avoir une délivrance de titre de séjour pour tous les jeunes confiés à l'ASE quel que soit leur âge, une prolongation des APT, une action sur la scolarité et une action sur les demandes de renouvellement d'anciens mineurs isolés qui avaient un premier titre de séjour et qui vont être en difficulté pour le renouveler. Je vous rejoins également sur la question du numérique à l'école : pour nous, il est urgent d'anticiper sur tous les dispositifs, en semi-autonomie ou en autonomie, car la question du manque d'ordinateurs et d'accès à internet va de nouveau se poser pour le second confinement. Il s'agit là encore d'une compétence étatique.
Sur la présomption de minorité, je me joins aux remarques de Monsieur Boiro et de Madame Torre. Il ne faut pas confondre la présomption de minorité et ce guide, qui a été établi par la mission MNA et qui concerne uniquement la mission d'évaluation de minorité par les départements. La présomption de minorité comprend tout le processus et suppose pour le jeune d'être traité comme un mineur – donc d'être pris en charge comme un mineur par l'ASE – jusqu'à une décision définitive de la justice. De surcroît, ce guide ne comportera un intérêt que s'il est appliqué. Aujourd'hui, les arrêtés du 17 novembre 2016 et du 20 novembre 2019 régissent l'évaluation de minorité ; or, nous constatons malheureusement que ces textes ne sont pas appliqués partout. Je partage également le constat de Monsieur Boiro sur la disparité de pratiques entre les départements, y compris au niveau des évaluations. J'ajouterai simplement que la seule piste qui n'a jamais été creusée, au stade de l'évaluation de minorité, est celle du droit à l'état civil. C'est la raison pour laquelle j'attirais tout à l'heure votre attention sur les décisions du Comité des droits de l'enfant. Les documents d'état civil présentés par les jeunes sont parfois refusés dans les décisions d'évaluation pour des motifs tels que l'absence de photo sur un acte de naissance, alors que la loi étrangère applicable n'impose pas de photo sur l'acte de naissance.
S'agissant de l'aide provisoire jeune majeur, nous pourrions recommander - dans le contexte de situation exceptionnelle que nous traversons - la mise en place de contrats jeune majeur sur tout le territoire pour tous les jeunes jusqu'à 21 ans, a minima jusqu'à la fin décembre 2020, voire jusqu'à la fin de l'année 2021. Cette demande a été portée par des collectifs dont, il me semble, #ÉcolePourTous fait partie, pour l'ensemble des publics de l'ASE (mineurs isolés ou pas). Cette proposition constitue à mon sens une piste de recommandation. Elle serait mise en place grâce à l'appui financier du département, via un abondement du Fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNPE).
La question de la prérogative de l'État se pose effectivement en situation exceptionnelle, notamment en ce qui concerne les titres de séjour. En l'occurrence, Monsieur Darmanin, ministre de l'Intérieur, a adressé aux préfets une circulaire supposée faciliter l'accès aux titres de séjour. Sa prise d'effet ne sera toutefois pas immédiate et elle ne résout pas le problème des jeunes majeurs n'ayant pas eu accès au titre de séjour. De manière transitoire et exceptionnelle, il serait pourtant tout à fait possible de prendre des décisions simples pour améliorer la situation. S'agissant de l'accueil en préfecture, par exemple, la mise en place de plannings de rendez-vous ne me semble pas insurmontable si tant est que la volonté de le faire soit présente.
J'ai l'impression que tout le monde, aujourd'hui, considère les migrants comme un problème. Essayons de voir la valeur de ces migrants. Je suis un exemple concret. Aujourd'hui, j'ai 23 ans. Je travaille dans une entreprise depuis 2017. Je ne bénéficie d'aucune aide. Je paye mon loyer et mes impôts en France. Je contribue au développement. Nous avons également des valeurs, que nous pouvons apporter à ce beau pays. Avant de présenter les migrants comme une charge pour l'État, il faudrait mesurer la valeur qu'ils apportent.
Concernant les majeurs qui se prétendent mineurs, je pense qu'il est nécessaire de distinguer l'asile politique et l'asile économique. L'asile politique concerne les jeunes qui fuient la guerre. Lorsqu'ils arrivent en France, ces derniers sont pris en charge. Ce n'est pas le cas des demandeurs d'asile économique, pour qui rien n'est proposé. S'ils sont majeurs, ils se retrouvent donc contraints de prétendre qu'ils sont mineurs. Essayons de mettre en place une politique pour accompagner les demandeurs d'asile économique, et non pas uniquement les demandeurs d'asile politique. Pour certains jeunes, les évaluations de minorité sont réalisées en quinze minutes sur la base des rapports transmis par les éducateurs au juge des enfants. Si l'éducateur ayant suivi le jeune stipule dans son rapport que celui-ci est majeur, le juge ne cherchera pas à aller plus loin. J'appelle les éducateurs à ne pas jouer le rôle des juges, sans quoi ils se retrouvent ensuite dans une posture de pompier pyromane au lieu d'apporter une aide à ces jeunes tout au long de leur parcours.
Aujourd'hui, j'ai un CAP, je travaille et, grâce à mon salaire, je contribue à aider les autres. Les migrants ne se déplacent pas en France pour venir chercher des aides mais simplement parce qu'ils aspirent à une vie meilleure. Essayons de leur donner une autorisation de travailler, qu'ils soient majeurs ou mineurs. Lorsqu'ils ont cette autorisation, il me semble que ces jeunes n'ont pas besoin de tendre la main à la fin du mois pour pouvoir vivre. Je souhaite insister sur le fait qu'une fois majeurs, ces jeunes ne sont plus protégés. Je suis arrivé en France à 17 ans et demi. À 18 ans, j'ai reçu une OQTF. Il me fallait prouver que je voulais réellement rester en France pour éviter l'expulsion. Pour obtenir un contrat de travail, mon patron me demandait une autorisation. Mais lorsque je me suis rendu à la préfecture pour obtenir une autorisation, ils m'ont demandé de fournir un contrat de travail. J'étais dans une situation où je ne pouvais obtenir aucun des deux alors que j'avais suivi une formation en France, qui m'avait été financée. Pour conclure, il me semble indispensable qu'une autorisation de travail soit accordée à tous les jeunes même s'ils sont demandeurs d'asile économique, qu'ils soient majeurs ou non, car elle leur permet d'accéder à l'autonomie.
Je vous remercie. Nous conclurons donc sur ces paroles : la valeur de la personne migrante, la valeur du jeune et l'importance de voir ce que vous donnez plutôt que ce que vous prenez. Ce temps de pandémie pourra aussi être une opportunité car nous aurons besoin de jeunes comme vous. Vous faites preuve de la résilience, de la résistance, du courage et de l'entêtement nécessaires pour surmonter cette crise.
La table ronde s'achève à dix-sept heures trente-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 15 heures 45
Présentes. – Mme Marie-George Buffet, Mme Sandrine Mörch
Excusé. – M. Bertrand Sorre