Intervention de Corinne Torre

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 15h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Corinne Torre, cheffe de la mission France à Médecins sans frontières :

Cette situation d'entre-deux se présente pour de nombreux jeunes au terme d'une évaluation, réalisée de manière disparate en fonction des départements. En l'occurrence, à Paris, elle peut être conduite en l'espace d'une heure, voire d'un quart d'heure. Nous observons d'ailleurs la résurgence de pratiques qui n'avaient plus cours, et ce en raison de l'arrivée importante de mineurs à Paris depuis le premier déconfinement. Certaines évaluations de minorité sont parfois conduites très rapidement, sans interprète, sans consultation médicale. Ces jeunes ne s'expriment pas suffisamment bien du point de vue des autorités qui sont, pour la plupart, des associations nommées par les conseils départementaux. Au terme de cette évaluation, ces jeunes se voient « déboutés » de leur minorité sur la base de motifs de refus souvent similaires, indiquant que leur parcours et leur histoire ne sont pas cohérents. À Paris, ces évaluations sont réalisées par le Dispositif de l'Évaluation des Mineurs Isolés Etrangers (DEMIE). La plupart du temps, les jeunes sont accueillis à la sortie par des associations, qui tentent de savoir s'ils veulent dénoncer cette pratique et faire reconnaître leur minorité. À Paris, nous les prenons en charge dans notre centre de jour à Pantin. Les conditions pour accéder à notre centre sont définies de la manière suivante : vous vous déclarez mineur (nous ne le vérifions pas, ce n'est pas notre rôle), vous avez fait l'objet d'une évaluation négative, vous voulez aller devant un juge pour enfants, vous avez besoin de soins médicaux et d'une attention sociale. À partir de là, les jeunes sont reçus par une assistante sociale, un infirmier et, si l'on diagnostique rapidement un besoin de soutien en santé mentale, par des psychologues. Ces jeunes-là, en particulier sur Paris, peuvent attendre pendant des mois pour être entendu par un juge. Durant cette période, ils ne sont pris en charge ni par l'ASE, car ils ne sont pas reconnus mineurs, ni par les dispositifs pour adultes puisqu'ils se déclarent mineurs. Une présomption de minorité devrait s'appliquer jusqu'au dernier recours devant le juge pour enfants, mais ce n'est pas le cas. Les juges pour enfants, qui sont des juges indépendants, ont toujours un peu de mal à savoir comment s'y prendre pour reconnaître si un jeune est mineur ou pas. Certains décident de faire certifier les documents d'identité, d'autres recourent à l'utilisation de tests osseux, une pratique peu fiable dont la marge d'erreur est de 18 mois a minima. Ces jeunes, pour la plupart entre 16 et 17 ans, viennent en France pour apprendre, aller à l'école, être protégés. Mais une fois qu'ils sont arrivés sur le territoire, tout est fait pour qu'ils soient déclarés majeurs. La complexité de leur parcours en France est telle qu'on les plonge dans une grande précarité et, sans l'action des associations, la situation serait encore plus dramatique qu'elle ne l'est déjà.

Pour en revenir au Covid -19, nous avons été un acteur actif pendant la première vague à Paris, en particulier pour les précaires. Nous avons fait partie des rares acteurs encore disponibles pour intervenir. Cela a été très difficile pour tout le monde en raison du confinement : des acteurs médicaux ont dû s'arrêter, ainsi que des associations qui reposaient en grande partie sur le travail de bénévoles âgés, à risque. Nous sommes intervenus en clinique mobile pour les personnes à la rue, dans les centres d'hébergement d'urgence et pour les mineurs non accompagnés que nous hébergeons, selon un dispositif d'urgence, dans des hôtels. À Paris, nous avons hébergé plus de 96 mineurs, et ce dès le mois de décembre. Nous voulions en fait dénoncer, dès la sortie de la trêve hivernale, la déficience de l'État dans sa mission consistant à garantir un hébergement inconditionnel pour tous, a minima pendant la trêve hivernale. Ces mineurs n'avaient pas été mis à l'abri par l'État. Avec l'arrivée du confinement, en mars, nous avons été contraints de prolonger l'accueil de ces jeunes jusqu'à fin juin. Nous l'avons fait à Marseille, à Montpellier, à Bordeaux et à Paris. Les mineurs qui n'ont pas été pris en charge pendant le Covid-19 sont ceux qui l'étaient déjà par les associations ou par les familles d'accueil suite à la carence de l'État. Nous nous sommes donc retrouvés à devoir accompagner ces jeunes durant le confinement, qu'ils ont traversé dans des chambres d'hôtel à un ou deux. Certains sont d'ailleurs tombés malades. Leur orientation vers un centre de desserrement a été très complexe en raison du débat persistant sur leur minorité. Cette situation est déplorable : il s'agissait avant tout de jeunes en grande précarité, qui avaient besoin de soins.

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