Intervention de Aurélie Guitton

Réunion du jeudi 29 octobre 2020 à 15h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Aurélie Guitton, coordinatrice de l'association InfoMIE :

Je vous remercie pour cette invitation et je profite aussi de l'occasion pour excuser Madame Françoise Dumont, présidente d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), qui est souffrante et n'a pas pu se joindre à cette audition. La Ligue des droits de l'homme étant membre du conseil d'administration d'InfoMIE et madame Dumont en étant vice-présidente, nous avons pu échanger sur cette audition. Les éléments que je vais vous présenter recueillent donc l'accord de la LDH.

Dans ce propos liminaire, je tenterai de vous présenter les constats que nous avons réalisés sans revenir sur ce qui a été présenté précédemment. InfoMIE ne faisant que du droit, mon propos sera axé uniquement de la question de l'accès aux droits. Je vous présenterai les difficultés, les angles morts que nous avons pu identifier lors du premier confinement, donc lors de la mise en place de l'état d'urgence sanitaire. Ces derniers pourront être mis en parallèle avec ce qui va suivre, puisque nous identifions déjà quelques difficultés. Il est évident que lorsqu'InfoMIE est saisie, nous avons affaire à une situation dans laquelle l'accès aux droits des mineurs isolés et jeunes majeurs n'est pas respecté. Nous avons donc un biais certain dans notre approche. Cependant, loin de nous l'idée d'être négatif en vous présentant nos constats. Nous souhaitons nous inscrire dans une démarche constructive en identifiant ces points de difficulté pour anticiper les conséquences, dont certaines produisent encore des effets juridiques. Dans le cadre de nos activités, nous avons une permanence juridique nationale dématérialisée qui nous permet de suivre à l'instant T ce qui se passe sur tout le territoire national, y compris en outre-mer, et aux différentes étapes du parcours des mineurs isolés étrangers. Cette permanence juridique est sollicitée de manière accrue pendant le confinement et l'état d'urgence sanitaire, à la fois par les travailleurs sociaux de départements, d'associations gestionnaires, par les professionnels de protection de l'enfance, par les associations d'accès au droit, par les avocats et par les mineurs et jeunes majeurs eux-mêmes. Je prends le temps de préciser cela pour vous puissiez comprendre la suite de mes propos et d'où nous viennent toutes ces informations. Dans mon propos liminaire, je vais essayer de suivre le parcours des jeunes pour vous indiquer à chaque étape les difficultés que nous avons identifiées, et celles que nous voyons poindre.

La première étape, évidemment, est la question de l'entrée en protection de l'enfance des mineurs isolés. Je parle volontairement d'« entrée en protection de l'enfance » et de « détermination de la minorité », ce qui va comprendre plusieurs étapes. Mesdames Rolland et Torre ont beaucoup insisté sur la question de l'évaluation de minorité, je ne m'y attarderai donc pas. Néanmoins, la première étape du parcours est bien le RPU, conformément à l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, qui constitue la première mesure de protection de l'enfance pour tout enfant en danger en France et qui normalement doit être mise en place dès le repérage d'un mineur en danger, notamment d'un mineur isolé. Pendant le confinement, dès que l'état d'urgence sanitaire a été déclaré, nous avons déjà identifié des difficultés à ce niveau. Certains départements ont permis une continuité de service - donc la procédure n'a pas été modifiée - mais très vite, dans d'autres, la porte d'entrée pour accéder à l'accueil provisoire d'urgence a soit été fermée (par exemple dans les Bouches-du-Rhône), soit été momentanément suspendue (cela a été le cas à Paris), ou alors la procédure a été modifiée. Par exemple, dans le Nord, l'entrée se fait normalement via la préfecture pour accéder à l'accueil provisoire d'urgence (APU). Les préfectures ayant fermé le 17 mars 2020, une procédure spécifique a été mise en place pour orienter par téléphone auprès des services du département. InfoMIE s'est donc heurté à une première difficulté pour orienter les mineurs qui se déclaraient isolés sur le territoire et ne faisaient pas l'objet d'une mise à l'abri. La deuxième difficulté a consisté à comprendre, département par département, ce qui était mis en place pour l'accueil provisoire d'urgence.

Ensuite, après l'APU, la première étape de la détermination de minorité intervient. Il s'agit de l'évaluation de minorité réalisée par les départements. Là encore, dans le cadre du premier confinement et de l'état d'urgence sanitaire, nous avons fait plusieurs constats, correspondant à différentes situations : dans certains départements, l'évaluation de minorité est gelée, ce qui est à corréler avec la fermeture des préfectures. En ce cas, l'accès au fichier d'appui à l'évaluation de minorité (AEM) étant rendu impossible, les évaluations en cours ont été gelées et aucune n'a été entamée pendant la durée du confinement. D'autres, en revanche, choisissent de réaliser des évaluations en mode dégradé, notamment par visioconférence, comme j'ai pu le voir dans les Alpes-Maritimes, mais celles-ci ne permettent pas de prendre en compte correctement la question de la santé. Les interventions en mode dégradé prennent aussi la forme d'évaluations réalisées sur les lieux de mise à l'abri, et donc dans un contexte d'hébergement collectif ou en hôtel ; ce sont les évaluateurs qui se rendent sur place, mettant d'ailleurs en difficulté les animateurs comme les mineurs isolés.

Après l'évaluation de minorité, lorsque le département a prononcé la décision administrative de refus d'accès à la protection de l'enfance, se pose déjà en temps normal la question de la poursuite de la prise en charge. À ce titre, Mesdames et Messieurs les députés, je tenais vraiment à attirer votre attention sur les dernières décisions du Comité des droits de l'enfant contre l'État espagnol, rendues en 2019 et 2020 : il s'agit de quatorze décisions qui le condamnent pour son système d'évaluation de minorité et d'isolement, système peu ou prou similaire au nôtre. Il est notamment condamné sur la question de la présomption de minorité, c'est à dire, selon la définition du comité, le fait d'être traité comme un enfant jusqu'à la fin du processus de détermination de la minorité, et donc jusqu'à l'intervention d'une décision de justice ayant l'autorité de la chose jugée. Le Comité énonce cela clairement et, surtout, condamne l'État espagnol pour violation de l'article 8 de la Convention internationale des droits de l'enfant, relatif au droit à l'état civil. La question de l'analyse documentaire a été largement abordée au cours des précédentes auditions. On pourrait évidemment développer davantage mais, au stade de l'évaluation de minorité réalisée par les départements, les documents d'état civil présentés par les mineurs ne sont pas toujours pris en compte. Pendant le Covid, les pratiques n'ont pas évolué en la matière mais le secrétaire d'État avait invité les départements à ne pas remettre à la rue les jeunes évalués « non mineurs » et à attendre la fin du confinement. Malheureusement, cette invitation n'a pas été entendue, malgré l'alerte d'un groupe d'associations, dont Médecins du Monde, Médecins sans frontières et Unicef France. La situation d'un jeune remis à la rue après évaluation de minorité, en plein confinement, est remontée à la Cour européenne des droits de l'homme qui, en application de l'article 39 de son règlement, a ordonné à la France de prendre à son égard des mesures provisoires de mise à l'abri. Un autre cas emblématique se situe dans le Morbihan où on a assisté à une sortie de mineur, confié sur décision de justice à un département, après réévaluation de sa situation en plein confinement. Ces pratiques, dont on a connaissance déjà en temps normal, se sont manifestées de façon singulière pendant cette période de Covid-19 où les mineurs isolés ont été exposés à des risques sanitaires accrus.

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