Intervention de Adrien Taquet

Réunion du vendredi 6 novembre 2020 à 15h30
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles :

J'ai pris connaissance du programme de vos auditions, qui montrent la richesse et la pluridisciplinarité des problématiques qui nous rassemblent aujourd'hui. Je crois à la grande utilité de cette commission qui, comme l'a évoqué Mme la présidente, s'inscrit dans un temps réel, avec des travaux pratiques. Nous sommes dans la seconde vague et nous nous inscrivons désormais, nous en avons conscience, dans un temps long. Tous les enseignements que l'on peut tirer de cette première phase de confinement nous sont utiles collectivement, mais je le dis aussi d'un point de vue personnel.

Il est important de rappeler deux éléments du contexte dans lequel nous évoluions à l'époque. Il est nécessaire de revenir six mois en arrière pour se souvenir de l'effet de sidération qui a saisi tous les acteurs de la protection de l'enfance. Nous nous sommes tous retrouvés dans une situation totalement inédite, face à des décisions à prendre complètement nouvelles, avec une part d'incertitude, d'inconnu. Je prendrai un seul exemple : souvenez-vous ce que l'on disait il y a six mois sur les enfants et le virus. Je l'ai regretté à l'époque, cela a changé depuis fort heureusement, mais les enfants ont été stigmatisés au début, parce que nous connaissions mal ce qu'étaient le virus et les phénomènes de transmission. Les enfants ont été qualifiés de « bombes virales ». Il est important de garder en tête ce contexte précis.

Le deuxième élément de contexte est l'urgence d'assurer la continuité de service, en protection de l'enfance particulièrement. À cette époque, nous avons constamment navigué et cherché un équilibre entre l'impératif sanitaire collectif et la nécessité de protéger les enfants. À l'époque, nous ignorions à quel point ce virus était dangereux pour les enfants. Rappelez-vous l'épisode de la maladie de Kawasaki, il existait encore un grand flou. Fort heureusement, nous avons pu être rassurés assez rapidement.

J'évoquerai trois champs dont vous avez parlé, Mme la présidente : la protection de l'enfance au sens institutionnel, c'est-à-dire l'aide sociale à l'enfance ; la lutte contre les violences, en particulier les violences intrafamiliales ; et le champ de l'accompagnement à la parentalité. En effet, sont apparues assez rapidement des inquiétudes sur l'essoufflement parental, qui peut conduire à des situations de maltraitance dans le cercle familial.

Je n'aborderai pas dans ce propos liminaire les aspects relatifs à la toute petite enfant, puisque tout ce qui a trait aux assistantes maternelles et aux crèches relevait de Christelle Dubos. Je serai néanmoins en mesure de répondre à vos questions sur ce sujet.

S'agissant de l'aide sociale à l'enfance, j'ai eu trois obsessions au moment du confinement. La première était la nécessité d'assurer la continuité des services de protection de l'enfance. Le confinement a été mis en œuvre le 17 mars 2020. Dès le 19 mars, nous avons diffusé à l'ensemble des acteurs (associations gestionnaires, départements, etc.) un plan de continuité de l'activité de l'aide sociale à l'enfance, pour rappeler :

- la nécessité de la continuité de fonctionnement des cellules de recueil d'informations préoccupantes (CRIP), en coordination avec le Groupement d'intérêt public Enfance en Danger (GIPED), le 119, qui est en lien avec les CRIP ;

- la nécessité de maintenir les interventions à domicile pour les enfants. Je reviendrai sur ce point, car nous avons dû gérer un sujet complexe ;

- la nécessité de mettre systématiquement à l'abri les jeunes qui se présentaient mineurs, notamment les mineurs non accompagnés. Même quand les systèmes d'évaluation des mineurs étaient perturbés, la consigne était de les mettre à l'abri quoiqu'il advienne en cette période de confinement ;

- la nécessité de mettre en place des permanences téléphoniques pour les départements.

Toutes ces dispositions du plan de continuité de l'activité ont été transmises aux départements. Dès le 20 mars, j'ai écrit un courrier à l'ensemble des présidents des Conseils départementaux afin qu'ils mettent en place ces dispositions pour assurer une continuité de service.

Permettez-moi de vous donner deux exemples de mesures que nous avons mises en place, qui éclairent ce que nous avons vécu et les enseignements que nous pouvons en tirer. Toutes les écoles étaient fermées, y compris pour les enfants des travailleurs sociaux de la protection de l'enfance. À partir du confinement et de la fermeture des écoles, les différents acteurs de la protection de l'enfance dans les départements, dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) et dans les associations ont connu du jour au lendemain une chute de 20 à 25 % de leurs effectifs. En effet, ils devaient garder leurs propres enfants qui ne pouvaient pas aller à l'école. C'est pourquoi nous avons fait en sorte, avec Jean-Michel Blanquer, de pouvoir ouvrir l'école aux enfants des travailleurs sociaux de la protection de l'enfance au sens large, c'est-à-dire les services du département, des PMI et de l'ASE. Sans cette mesure et en dépit de l'engagement très fort des professionnels qu'il convient de saluer ici une fois encore, nous n'aurions pas réussi à faire tenir le système.

Un autre point éclairant au sujet de la continuité de service, qui a fait l'objet à l'époque de discussions et d'inquiétudes, concerne les droits de visite et d'hébergement. Dans un premier temps, en l'état des connaissances et de l'urgence sanitaire de l'époque, nous avons suggéré, dans les différents documents que nous avons envoyés, de suspendre les droits de visite et d'hébergement, avec deux conditions : que cela s'effectue sous le contrôle du juge et que soit mis en place des systèmes de priorisation en fonction des situations et des systèmes de substitution avec le recours au numérique, au téléphone. Cela illustre les difficultés qu'il fallait prendre en compte à l'époque. En effet, le maintien des droits de visite et d'hébergement en l'état des connaissances de l'époque aurait pu conduire à des droits de retrait de professionnels, inquiets pour leur propre santé et leur sécurité. Nous avons donc mis en place ce système sous le contrôle du juge et un traitement prioritaire en fonction de la connaissance des situations (cela vaut également pour les visites à domicile). Dès que nous avons su que les enfants étaient moins porteurs, moins vecteurs, nous avons incité les acteurs à progressivement réinstituer les droits de visite et d'hébergement, qui sont fondamentaux pour les enfants. Dès la sortie du confinement, nous avons insisté de nouveau sur la nécessité de réinstaurer totalement ces droits.

Le deuxième point qui est également porteur d'enseignements pour la période actuelle est la question de la coordination des acteurs. Elle est absolument fondamentale, car beaucoup d'acteurs interviennent autour de l'enfant : l'État, les départements, et au sein des services de l'État, plusieurs ministères différents : la Justice, l'Éducation nationale, la Santé. La coordination est donc nécessaire, et encore davantage en temps de crise.

Au niveau de l'État, nous avons mis en place dès le début du confinement des visioconférences hebdomadaires avec l'ensemble des acteurs. J'organisais ainsi chaque semaine une visioconférence avec les acteurs de la protection de l'enfance – associations, établissements, etc. – pour effectuer un point sur la situation et faire remonter les difficultés rencontrées. Nous avons basculé de l'élaboration de politiques publiques à de la gestion de crise et de la résolution de problèmes concrets. Nous opérons de la même façon aujourd'hui, en organisant chaque semaine une réunion avec les acteurs pour nous assurer que les décisions prises au niveau national trouvent une traduction concrète et pour évoquer les difficultés opérationnelles auxquelles les acteurs sont confrontés.

Nous avons également mis en place des visioconférences hebdomadaires spécifiquement dédiées aux assistantes familiales. En effet, ces dernières faisaient face à des problématiques particulières, notamment en raison de la fermeture des IME et des ITEP – qui était une grande difficulté du premier confinement. Nous avons été particulièrement vigilants, avec Sophie Cluzel, pour que la continuité de service puisse être assurée par les établissements, et pour que, pour ce deuxième confinement, IME et ITEP restent ouverts. Les assistantes familiales qui s'occupent d'enfants en situation de handicap se sont senties, pour certaines d'entre elles, assez isolées face à ces situations.

À l'inverse, nous avons étaient témoins de situations contre-intuitives. En effet, certaines assistantes familiales nous ont signalé que le retour à la maison de certains enfants, sans plus d'école, d'établissement, de déplacements pour les soins, s'était déroulé dans le calme et s'était mieux passé que ce que l'on pouvait craindre.

Je salue au passage le travail de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pendant cette période, et la relation continue avec l'ensemble des acteurs. Les protocoles sanitaires que nous avons mis en place pour les établissements, pour les assistantes familiales, dans le cadre de l'accueil familial, et sur les mineurs non accompagnés (MNA) dans un second temps, ont été élaborés avec les acteurs en amont. Ils étaient pertinents, car ils étaient issus des difficultés et des problématiques rencontrées par les acteurs de terrain. Cette méthode a été plutôt appréciée et est mise en œuvre de nouveau aujourd'hui. J'étais en lien permanent avec l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'ensemble des présidents de département.

La coordination au niveau territorial était également importante. Se sont mises en place des cellules interinstitutionnelles. Elles seront réactivées dans le cadre du deuxième confinement. Les coopérations existaient déjà, mais ce n'était pas le cas dans tous les territoires. La crise a contraint les acteurs à se parler, à se mettre autour de la table et à se coordonner. Cette coopération devra se pérenniser. Le fait que les assistantes familiales soient proches des PMI, que le département, la justice, l'Agence régionale de santé (ARS) et le rectorat dialoguent entre eux devrait être la norme. Il nous revient de nous coordonner autour de l'enfant et de sa trajectoire de vie. Ceci est un des axes de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance que je mène par ailleurs. Ces cellules interinstitutionnelles ont été très utiles, ont permis aux personnes de se sentir moins seules et de remonter les difficultés auxquelles elles étaient confrontées – notamment les difficultés financières pour un certain nombre de gestionnaires d'établissement.

Ma dernière obsession était de protéger les enfants à tout prix, avec la diffusion de règles sanitaires, de gestes barrières, la mise en place de procédures de quarantaine si nécessaire. Une fiche spécifique sur les mineurs non accompagnés est sortie dès le 3 avril pour rappeler la priorité absolue de mise à l'abri malgré le mauvais fonctionnement des dispositifs d'évaluation, ainsi que l'interdiction des transferts entre départements pour les mineurs non accompagnés pendant la période de confinement. Enfin, il est nécessaire de porter une attention particulière au suivi éducatif des jeunes qui sont souvent dans des dispositifs d'autonomie, ou de semi-autonomie, voire à l'hôtel. Des parlementaires nous ont fait remarquer que ce suivi renforcé n'était pas toujours à l'œuvre. Nous avons contacté les départements pour remédier à ces problèmes.

S'agissant de la scolarité, la fermeture des écoles a aggravé les difficultés scolaires d'un certain nombre d'élèves et a révélé la problématique de la fracture numérique. Les foyers de l'aide sociale à l'enfance ne comptaient que quelques ordinateurs pour les activités ludiques, mais pas pour la scolarité. De même, certaines assistantes familiales n'étaient pas dotées de matériel informatique. Dès le 27 mars, avec Cédric O, un certain nombre de bonnes volontés, et avec deux associations ( Break Poverty et Emmaüs Connect ), nous avons lancé l'opération « Des ordis pour nos enfants ». Nous avons demandé aux principales associations et têtes de réseaux (Uniopss, Croix rouge, etc.) de nous remonter leurs besoins informatiques. Nous les avons mis en relation avec des personnes qui disposaient de matériel. Nous avons ainsi pu fournir 17 000 ordinateurs, dont 10 000 dans des foyers d'aide sociale à l'enfance et chez des assistantes familiales et 500 box 4G. Cette opération, qui s'appelle désormais « Réussite connectée », menée encore une fois avec les deux associations Break Poverty et Emmaüs Connect, a été relancée, d'autant plus que les adaptations mises en place dans l'organisation des lycées pourraient poser problème pour nos publics. J'ai transmis ce matin même l'information à l'ensemble des acteurs de la protection de l'enfance. Ils doivent faire remonter leurs besoins d'ici vendredi prochain. Nous pourrons fournir ordinateurs et connexions grâce à nos partenaires.

Par ailleurs, l'article 18 de la loi du 23 mars 2020 fait état de l'interdiction, pendant l'état d'urgence sanitaire, de faire sortir un enfant qui devient majeur pendant le confinement du système de l'aide sociale à l'enfance, sauf s'il le souhaite. À la fin de l'état d'urgence sanitaire, vous avez voté dans la loi de finance rectificative 3 de juillet 2020 une dotation, qui a été introduite par amendement, de 50 millions d'euros pour accompagner les départements dans le suivi des jeunes majeurs. Avec la réactivation depuis le 17 octobre dernier de l'état d'urgence sanitaire, plus aucun jeune ne peut sortir du système de l'aide sociale à l'enfance, et ce jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire. J'ai rappelé cette disposition aux départements, en précisant que l'État était financièrement à leurs côtés.

Je vous ai présenté les dispositifs que nous avons mis en place et les enseignements que nous avons pu en tirer pour la période dans laquelle nous entrons. Comme l'ont fait remarquer les professionnels, cette période a mis au défi nos pratiques professionnelles, nos façons de travailler, nos réflexions sur l'utilisation du numérique, qui s'est révélé être un outil complémentaire très utile dans la relation de l'enfant avec ses parents, etc., sur les temps de l'enfant.

Je fais le lien avec le sujet suivant des violences intrafamiliales. Je craignais que les violences n'explosent dans les familles, mais aussi dans les foyers de l'aide sociale à l'enfance. La situation n'a pas été idéale partout, nous avons été confrontés à des difficultés. Cependant, nous avons constaté certaines situations contre-intuitives. Les professionnels de terrain ont signalé une baisse du nombre de fugues, ainsi que des violences entre enfants et entre enfants et éducateurs. Les travailleurs sociaux évoquent trois raisons majeures. La première est un recentrage des travailleurs sociaux sur l'enfant. Étant donné le contexte, les travailleurs sociaux ne consacraient pas leurs journées à la rédaction de rapports ou à la conduite des enfants chez le juge, à l'école, aux soins. Le temps effectif disponible pour l'enfant était donc plus important. Les uns et les autres se sont redécouverts. La relation entre l'éducateur, le travailleur social et l'enfant s'en est trouvée renouvelée, plus riche et plus féconde. Dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance, j'ai saisi le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) pour réfléchir aux taux d'encadrement et aux normes. En effet, le champ de l'aide sociale à l'enfance est l'un des derniers où il n'existe aucune norme et aucun taux d'encadrement. Je leur ai demandé d'intégrer ces données dans leurs réflexions.

Deuxièmement, pour un certain nombre de ces enfants, l'école est synonyme d'échec et de stigmatisation. Le fait que l'école soit revenue dans un lieu connu, au sein du foyer, a été un élément de stabilisation.

Enfin, la troisième raison évoquée était l'aspect stabilisant pour certains enfants de ne pas voir leur famille. Il ne s'agit évidemment pas de généraliser, mais nous savons qu'il existe dans certains cas des relations toxiques avec la famille ; des enfants peuvent revenir perturbés de leur visite.

Par ailleurs, un certain nombre de professionnels ont évoqué un sentiment d'égalité face à cette situation. Les enfants se sont retrouvés au même niveau que les éducateurs face à ce virus menaçant, inconnu.

J'ai demandé au Conseil national de la protection de l'enfance de faire un bilan du confinement au sein de l'aide sociale à l'enfance. Ce bilan devrait m'être remis à la fin du mois de novembre. Il sera intéressant de partager avec vous ces éléments.

J'étais également préoccupé par les violences intrafamiliales. En effet, 80 % des violences envers les enfants ont lieu dans le cercle familial. Le fait de renvoyer tous les enfants dans leur famille représentait un risque pour un certain nombre d'entre eux. De plus, en fermant les écoles, nous perdions notre premier pourvoyeur d'informations préoccupantes.

Nous avons mené deux types d'actions. Nous avons essayé de mobiliser la société tout entière. D'ailleurs, au-delà du confinement, j'estime que tant que ce sujet ne sera pas considéré comme un sujet de société, nous ne parviendrons pas à le résoudre. Nous avons beaucoup communiqué autour de ce sujet pour promouvoir le 119, qui est le numéro de l'enfance en danger. L'idée était d'actionner tous les leviers. La question de la parole de l'enfant était encore plus problématique qu'en temps normal, car cette parole était confinée. Nous avons suscité de nombreux reportages dans les médias pour sensibiliser sur ce sujet. Nous avons lancé des campagnes de communication sur le 119 dès le 30 mars en télévision, en radio. Il convient de saluer l'ensemble des acteurs audiovisuels – le service public, mais pas uniquement –, qui ont mis énormément de moyens à notre disposition, avec l'équivalent de plus de 2 millions d'euros d'espaces publicitaires gratuits sur les radios, les télévisions, les sites internet. Le service public a été très actif. Je tiens à saluer Delphine Ernotte, qui a été très impliquée sur le sujet, et avec qui nous préparons la suite. De même, de nombreux éditos dans les différents magazines d'information ont été consacrés aux violences faites aux enfants, au 119.

Les réseaux sociaux et les plateformes ont également fait preuve d'engagement. Facebook, Twitter se sont mobilisés et ont fait passer des messages. Par exemple, Twitter a mis le sujet en top trend une journée. Nous avons aussi travaillé avec TikTok, à l'aide de petites vidéos, afin d'atteindre les enfants. Effectivement, il fallait à la fois sensibiliser la société, les adultes, les voisins, mais aussi les enfants, qui ont souvent leurs parents à côté, et qui ne peuvent pas forcément appeler le 119. C'est pourquoi nous avons demandé au 119 de proposer un formulaire en ligne pour signaler une situation de danger.

L'Enfant bleu a pris une initiative assez incroyable avec le jeu vidéo Fortnite, en créant un personnage au sein du jeu, l'Ange bleu, auquel les enfants pouvaient s'adresser sur des sujets de violences. Les messages étaient ensuite transmis à l'association. L'idée est d'aller dans l'espace d'expression des enfants pour mieux les sensibiliser.

J'ai pour ma part mobilisé mes anciens réseaux professionnels, en créant une petite vidéo de promotion du 119 avec des sportifs – champions du monde de football, rugbymen, joueurs de e-sport, youtubeurs… – qui a été diffusée sur les réseaux sociaux de ces personnes, qui sont très suivies par les enfants.

Par ailleurs, avec Julien Denormandie, nous avons mené une action en direction des bailleurs sociaux pour que des affiches soient placardées dans tous les halls d'immeubles. De même, des opérations ont été mises en place dans la grande distribution, indépendamment du dispositif mis en place pour les violences conjugales. Le 119 était également embarqué dans le dispositif s'appuyant sur les pharmacies. Il en était de même pour le 114.

Nous avons essayé de faire feu de tout bois. En revanche, nous avons été quelque peu en retrait en milieu rural, où l'isolement est plus important. Nous nous sommes interrogés sur la façon d'alerter et de sensibiliser à cette problématique. Nous avons pensé que les personnes qui pouvaient éventuellement avoir connaissance des situations compliquées de certaines familles étaient les maires. En effet, ces derniers savent généralement ce qu'il se passe et ce qu'il se dit dans leur commune. Nous avions commencé à mener une réflexion sur ce point à la fin du premier confinement, via l'Association des maires ruraux de France. Il conviendra de le faire cette fois-ci plus précocement.

Globalement, sur la période du confinement, les appels au 119 ont augmenté de 50 % par rapport aux années précédentes, et de 89 % sur la semaine du 13 au 19 avril. Cela s'explique probablement par une hausse des violences. Des études en cours de finalisation semblent confirmer une hausse des violences, avec un effet retard : les professionnels voient revenir depuis la fin du confinement des enfants victimes. Il semblerait en revanche que le nombre d'enfants morts sous les coups de leurs parents ait diminué – et il est en moyenne d'un mort tous les quatre jours. Il existe ici aussi un possible effet retard. Nous ne pouvons évidemment pas nous satisfaire de ces chiffres. L'augmentation des appels au 119 révèle également une hausse de la vigilance. Les personnes semblaient plus enclines à joindre le 119, avec un accroissement des appels par les mineurs et par les camarades de plus de 40 % sur la période. Nous avons constaté une augmentation du même ordre dans les appels des voisins (entre 36 et 40 %). Le 119 a transmis plus de 30 % d'informations préoccupantes au CRIP pendant cette période.

Il fallait très rapidement faire en sorte que le 119 puisse absorber tous ces appels, parallèlement aux campagnes menées. Dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants de novembre dernier, les moyens du 119 avaient été augmentés de 200 000 euros de la part de l'État et 200 000 euros de la part des départements. Ces 400 000 euros avaient permis, avant le confinement, de disposer d'équipes et d'écoutants supplémentaires, de mettre en place le formulaire et donc d'absorber les appels.

En parallèle, l'articulation avec les associations a été renforcée pour appuyer le 119, à la fois quantitativement, en termes de nombre d'écoutants, et qualitativement, au regard de la nature des appels, avec la Voix de l'enfant et l'Enfant bleu. Ces derniers sont venus en appui du 119 pour prendre des appels et réaliser de l'accompagnement sur des questions juridiques. L'Enfant bleu gère par exemple les sujets juridiques et en assure le suivi.

L'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) a réalisé un bilan provisoire de cette période de confinement le 5 mai 2020. Il a évoqué une période difficile et a signalé que la continuité de la mission de protection des enfants confiés, avec le souci permanent de leur bien-être, a fortement mobilisé l'ensemble des équipes et des professionnels. Certains départements ont été plus prompts à s'adapter et à se mobiliser. Cela n'est pas une surprise, et s'explique de deux façons : la qualité des partenariats préexistants, établis notamment avec les services de la justice, et la question assez sommaire, mais fondamentale, de l'équipement informatique et technique. Toutes les CRIP ont maintenu leur activité, mais dans un certain nombre, il n'était pas possible de mettre à disposition des travailleurs en télétravail du matériel informatique. Ceux-ci ne pouvaient accéder à un serveur central et recevaient les informations dans une boîte mail via un PDF. Ainsi, le faible niveau d'équipement informatique a dégradé dans certains cas la continuité du service. Il convient de tenir compte de ces éléments. Nous savons que la question des systèmes d'information est un sujet dans la relation entre les collectivités locales et l'État. Il est toujours difficile de faire remonter les informations et de disposer d'une vision claire de la réalité des enfants sur les territoires, que ce soit en période de crise ou non.

Il convient d'aborder ensuite l'accompagnement à la parentalité. Nous nous sommes retrouvés avec des parents devant également être professeurs, salariés, et d'autres choses encore, en même temps, dans un même lieu, avec leurs enfants. Un essoufflement parental est apparu. Nous avons essayé de l'anticiper au maximum, en donnant des informations et de la réassurance sur la pandémie – les parents étant effectivement très inquiets pour leurs enfants, en partageant des idées pour s'occuper des enfants pendant la journée et des idées pour l'accompagnement à la scolarité.

Nous avons mis en place deux grands types d'action. Nous avons beaucoup travaillé avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui a été très active en mettant un certain nombre d'outils à disposition, notamment l'accueil de loisirs à la maison sur le site monenfant.fr qui proposait des activités aux parents quotidiennement. De notre côté, nous avons lancé un appel à projets avec un fonds de 500 000 euros pour accompagner les projets associatifs de soutien à la parentalité. Par exemple, « Les Pâtes au Beurre », association créée par Sophie Marinopoulos à Nantes il y a une vingtaine d'années, qui a mis en place une ligne d'écoute pour les parents ayant besoin de conseils et de soutien à la parentalité. Nous les avons accompagnés financièrement pour leur permettre de recruter des écoutants et de mettre en place un service téléphonique.

Tout cela transitait par le 0800 130 000, le numéro Covid. Ce numéro était utilisé au début pour répondre aux questions sur le virus, mais s'est mué progressivement en un dispositif assez global d'accompagnement des Français sur les conséquences du Covid. Les parents en difficulté psychologique qui appelaient le 0800 130 000 étaient orientés vers des psychologues. Ceux qui demandaient un accompagnement à la parentalité étaient envoyés vers des associations du type « Les Pâtes au Beurre ». Ainsi, le 0800 130 000 était un numéro d'entrée. Les appelants étaient ensuite réorientés en fonction des problématiques. Ce numéro a obtenu plus d'un million d'appels pendant le confinement. Il faudra probablement le réactiver et le promouvoir. Ce dispositif ne dépend pas que de nous, mais nous y contribuons.

Pour conclure, je souhaite partager avec vous une préoccupation : la question des conséquences psychiques du confinement sur nos enfants. Nous sentons nous-mêmes, en tant qu'adultes, que le confinement a des conséquences sur notre moral et notre psychisme. Même si les enfants s'adaptent facilement, ils en subissent les effets également.

Il convient de distinguer trois catégories. La première concerne les tout petits (0 à 2 ans). Vous savez à quel point il est important pour ces tout petits de voir le visage des personnes en face d'eux pour le développement, la construction, l'apprentissage de la communication. Il est nécessaire de mener une réflexion sur le port du masque des professionnels et de déterminer s'il est possible de faciliter le recours au masque transparent pour les professionnels de la petite enfance. La question de la production de ces masques s'est posée dans un premier temps. Il a fallu les labelliser. Il existe désormais 5 modèles labellisés. Les entreprises le produisent à grande échelle, ce qui a permis une baisse des prix. Il est maintenant nécessaire d'aider les collectivités locales – les communes pour la petite enfance et les départements pour les pouponnières de l'aide sociale à l'enfance – afin qu'elles puissent se procurer ces masques.

Cette période peut également impacter les jeunes enfants. Indépendamment du fait que les plus de 6 ans doivent porter un masque depuis la semaine dernière, il s'agit d'un sujet de préoccupation. Pendant le premier confinement, le service de pédopsychiatrie de l'Hôpital Robert-Debré, avec Richard Delorme, a mis en place un questionnaire assez simple permettant aux professionnels de santé de déceler un mal-être lié au confinement chez les enfants. Nous l'avons récupéré au moment de la reprise de l'école en juin et transmis, via Jean-Michel Blanquer et les outils de l'Éducation nationale, à l'ensemble de la communauté éducative afin que les professeurs, les médecins scolaires et les psychologues puissent disposer d'un outil simple, leur permettant de déceler le mal-être des enfants et de les réorienter vers des ressources professionnelles spécialisées pertinentes. Nous actionnerons à nouveau ce dispositif pour ce deuxième confinement.

Nous avons également travaillé avec l'hôpital Robert-Debré pour traduire ce questionnaire aux parents, afin qu'ils disposent de quelques repères clés pour rassurer leur enfant et déceler un éventuel mal-être. Nous avons diffusé ce questionnaire via la CNAF. Nous prévoyons de renouveler et intensifier cette action.

Le Conseil économique, social et environnemental s'est saisi de la question. Un certain nombre d'études cliniques sont en cours. Pour l'instant, rien n'est stabilisé, mais il conviendra d'anticiper. Nous devons être attentifs, même si rien n'est objectivé pour le moment. Nous avons demandé à Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale, de se pencher sur la question de la santé mentale des adolescents. Avant la crise sanitaire, les professionnels faisaient part d'une certaine préoccupation quant à la santé mentale des adolescents. Au ministère, nous souhaitions consacrer de l'énergie et du temps à ce sujet. La crise sanitaire ne fait pas évoluer cette problématique dans le bon sens. Nous devons demeurer très attentifs, même si les écoles restent ouvertes. Nous suivrons de près un certain nombre d'indicateurs, comme le nombre de tentatives de suicide, pour déceler les tendances et élaborer un plan d'action.

Enfin, il est à signaler que même si les écoles restent ouvertes, ce qui est fondamental, car nous récupérons notre faculté d'observation et les enfants ne sont plus enfermés chez eux, il peut demeurer des violences exacerbées. En effet, les enfants sont davantage à la maison. De plus, arrive une dégradation de la situation économique et sociale, ce qui peut créer des tensions au sein des familles et conduire à des comportements violents envers les enfants. Nous relancerons dès le début de la semaine prochaine des campagnes de communication autour du 119 et réactiverons les différents dispositifs.

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