Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du vendredi 6 novembre 2020 à 15h30

Résumé de la réunion

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  • confinement
  • enfance

La réunion

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Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Vendredi 6 novembre 2020

La séance est ouverte à quinze heures trente.

Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous poursuivons nos auditions sur les conséquences de la crise sanitaire pour les enfants et la jeunesse, en recevant aujourd'hui M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles. Votre audition était évidemment incontournable dans le cadre de nos travaux, tant au titre de vos fonctions de ministre chargé de la protection de l'enfance au début de la crise sanitaire, qu'à celui des fonctions que vous occupez depuis juillet dernier, avec votre portefeuille élargi à l'enfance et aux familles.

La quasi-totalité de nos interlocuteurs ont fait part, à chaque audition, de l'insuffisante prise en considération des enfants et de leurs droits dans l'élaboration de nos politiques publiques, de façon générale, et dans la gestion de la crise sanitaire que nous traversons, plus spécifiquement. Votre position sur ce constat et sur les moyens d'y remédier nous intéresserait. Hier, le directeur d'Unicef France évoquait un pourcentage absolument éloquent : sur les sommes investies pour combattre la crise et qui représenteraient 10 % du PIB mondial pour les pays développés, 2,6 % seulement seraient consacrés aux enfants et à la famille.

Nous souhaiterions vous entendre sur plusieurs sujets, en premier lieu, sur celui de la protection de l'enfance, pour laquelle vous mettez en œuvre depuis octobre 2019 une nouvelle stratégie. Nous aimerions savoir quels enseignements ont été tirés sur l'accueil et l'accompagnement des enfants protégés pendant le confinement du printemps, dans les établissements et chez les assistants familiaux, et quelles ont été les difficultés rencontrées à la fois en termes d'effectif de professionnels, de continuité pédagogique pour les enfants, mais aussi en termes de droits de visite, d'accès aux instituts médico-éducatifs (IME) et aux instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP). Nous aimerions également savoir quelles ont pu être les heureuses surprises, comme l'investissement sans compter des travailleurs sociaux, dont ni l'éthique, ni la vocation n'ont été confinées.

Les modalités du second confinement, bien différentes du premier, grâce au maintien de la scolarité pour tous les enfants, mais aussi des droits de visite et des interventions à domicile pour les enfants protégés, s'appuient-elles des connaissances du premier confinement et dans quelle mesure ?

Nous souhaiterions également obtenir votre éclairage sur la prévention des violences faites aux enfants, sujet sur lequel vous vous êtes fortement mobilisé dès le premier confinement, avec l'appui apporté au numéro 119 et le lancement de campagnes de sensibilisation. Quels sont les enseignements retirés du premier confinement, qui pourraient s'avérer utiles dans le cadre de celui que nous connaissons aujourd'hui ? Nous vivons quasiment des travaux pratiques grandeur nature en cette période.

Nous sommes également désireux de vous entendre sur les actions entreprises pour soutenir les familles, dont nombre d'entre elles risquent, ou sont déjà en train, de basculer dans la précarité, et sur l'accompagnement de la parentalité, dont l'importance a été évoquée à plusieurs reprises au cours de nos travaux, avec également de très bonnes surprises sur ce sujet.

Il me semblerait également souhaitable de réfléchir au renforcement du soutien apporté aux familles monoparentales, dont les difficultés ont été exacerbées pendant la crise sanitaire.

N'hésitez pas à évoquer les conséquences positives qu'a eues la crise dans certains domaines. Parmi les enfants que nous avons auditionnés jusqu'à présent, notamment sur le terrain, une très grande majorité nous ont dit avoir été heureux de retrouver une vraie vie de famille. A également émergé un ensemble de questions sur la reprise en main des rôles de parent, d'enseignant, d'éducateur, etc.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment et de dire la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Adrien Taquet prête serment.)

Permalien
Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles

J'ai pris connaissance du programme de vos auditions, qui montrent la richesse et la pluridisciplinarité des problématiques qui nous rassemblent aujourd'hui. Je crois à la grande utilité de cette commission qui, comme l'a évoqué Mme la présidente, s'inscrit dans un temps réel, avec des travaux pratiques. Nous sommes dans la seconde vague et nous nous inscrivons désormais, nous en avons conscience, dans un temps long. Tous les enseignements que l'on peut tirer de cette première phase de confinement nous sont utiles collectivement, mais je le dis aussi d'un point de vue personnel.

Il est important de rappeler deux éléments du contexte dans lequel nous évoluions à l'époque. Il est nécessaire de revenir six mois en arrière pour se souvenir de l'effet de sidération qui a saisi tous les acteurs de la protection de l'enfance. Nous nous sommes tous retrouvés dans une situation totalement inédite, face à des décisions à prendre complètement nouvelles, avec une part d'incertitude, d'inconnu. Je prendrai un seul exemple : souvenez-vous ce que l'on disait il y a six mois sur les enfants et le virus. Je l'ai regretté à l'époque, cela a changé depuis fort heureusement, mais les enfants ont été stigmatisés au début, parce que nous connaissions mal ce qu'étaient le virus et les phénomènes de transmission. Les enfants ont été qualifiés de « bombes virales ». Il est important de garder en tête ce contexte précis.

Le deuxième élément de contexte est l'urgence d'assurer la continuité de service, en protection de l'enfance particulièrement. À cette époque, nous avons constamment navigué et cherché un équilibre entre l'impératif sanitaire collectif et la nécessité de protéger les enfants. À l'époque, nous ignorions à quel point ce virus était dangereux pour les enfants. Rappelez-vous l'épisode de la maladie de Kawasaki, il existait encore un grand flou. Fort heureusement, nous avons pu être rassurés assez rapidement.

J'évoquerai trois champs dont vous avez parlé, Mme la présidente : la protection de l'enfance au sens institutionnel, c'est-à-dire l'aide sociale à l'enfance ; la lutte contre les violences, en particulier les violences intrafamiliales ; et le champ de l'accompagnement à la parentalité. En effet, sont apparues assez rapidement des inquiétudes sur l'essoufflement parental, qui peut conduire à des situations de maltraitance dans le cercle familial.

Je n'aborderai pas dans ce propos liminaire les aspects relatifs à la toute petite enfant, puisque tout ce qui a trait aux assistantes maternelles et aux crèches relevait de Christelle Dubos. Je serai néanmoins en mesure de répondre à vos questions sur ce sujet.

S'agissant de l'aide sociale à l'enfance, j'ai eu trois obsessions au moment du confinement. La première était la nécessité d'assurer la continuité des services de protection de l'enfance. Le confinement a été mis en œuvre le 17 mars 2020. Dès le 19 mars, nous avons diffusé à l'ensemble des acteurs (associations gestionnaires, départements, etc.) un plan de continuité de l'activité de l'aide sociale à l'enfance, pour rappeler :

- la nécessité de la continuité de fonctionnement des cellules de recueil d'informations préoccupantes (CRIP), en coordination avec le Groupement d'intérêt public Enfance en Danger (GIPED), le 119, qui est en lien avec les CRIP ;

- la nécessité de maintenir les interventions à domicile pour les enfants. Je reviendrai sur ce point, car nous avons dû gérer un sujet complexe ;

- la nécessité de mettre systématiquement à l'abri les jeunes qui se présentaient mineurs, notamment les mineurs non accompagnés. Même quand les systèmes d'évaluation des mineurs étaient perturbés, la consigne était de les mettre à l'abri quoiqu'il advienne en cette période de confinement ;

- la nécessité de mettre en place des permanences téléphoniques pour les départements.

Toutes ces dispositions du plan de continuité de l'activité ont été transmises aux départements. Dès le 20 mars, j'ai écrit un courrier à l'ensemble des présidents des Conseils départementaux afin qu'ils mettent en place ces dispositions pour assurer une continuité de service.

Permettez-moi de vous donner deux exemples de mesures que nous avons mises en place, qui éclairent ce que nous avons vécu et les enseignements que nous pouvons en tirer. Toutes les écoles étaient fermées, y compris pour les enfants des travailleurs sociaux de la protection de l'enfance. À partir du confinement et de la fermeture des écoles, les différents acteurs de la protection de l'enfance dans les départements, dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) et dans les associations ont connu du jour au lendemain une chute de 20 à 25 % de leurs effectifs. En effet, ils devaient garder leurs propres enfants qui ne pouvaient pas aller à l'école. C'est pourquoi nous avons fait en sorte, avec Jean-Michel Blanquer, de pouvoir ouvrir l'école aux enfants des travailleurs sociaux de la protection de l'enfance au sens large, c'est-à-dire les services du département, des PMI et de l'ASE. Sans cette mesure et en dépit de l'engagement très fort des professionnels qu'il convient de saluer ici une fois encore, nous n'aurions pas réussi à faire tenir le système.

Un autre point éclairant au sujet de la continuité de service, qui a fait l'objet à l'époque de discussions et d'inquiétudes, concerne les droits de visite et d'hébergement. Dans un premier temps, en l'état des connaissances et de l'urgence sanitaire de l'époque, nous avons suggéré, dans les différents documents que nous avons envoyés, de suspendre les droits de visite et d'hébergement, avec deux conditions : que cela s'effectue sous le contrôle du juge et que soit mis en place des systèmes de priorisation en fonction des situations et des systèmes de substitution avec le recours au numérique, au téléphone. Cela illustre les difficultés qu'il fallait prendre en compte à l'époque. En effet, le maintien des droits de visite et d'hébergement en l'état des connaissances de l'époque aurait pu conduire à des droits de retrait de professionnels, inquiets pour leur propre santé et leur sécurité. Nous avons donc mis en place ce système sous le contrôle du juge et un traitement prioritaire en fonction de la connaissance des situations (cela vaut également pour les visites à domicile). Dès que nous avons su que les enfants étaient moins porteurs, moins vecteurs, nous avons incité les acteurs à progressivement réinstituer les droits de visite et d'hébergement, qui sont fondamentaux pour les enfants. Dès la sortie du confinement, nous avons insisté de nouveau sur la nécessité de réinstaurer totalement ces droits.

Le deuxième point qui est également porteur d'enseignements pour la période actuelle est la question de la coordination des acteurs. Elle est absolument fondamentale, car beaucoup d'acteurs interviennent autour de l'enfant : l'État, les départements, et au sein des services de l'État, plusieurs ministères différents : la Justice, l'Éducation nationale, la Santé. La coordination est donc nécessaire, et encore davantage en temps de crise.

Au niveau de l'État, nous avons mis en place dès le début du confinement des visioconférences hebdomadaires avec l'ensemble des acteurs. J'organisais ainsi chaque semaine une visioconférence avec les acteurs de la protection de l'enfance – associations, établissements, etc. – pour effectuer un point sur la situation et faire remonter les difficultés rencontrées. Nous avons basculé de l'élaboration de politiques publiques à de la gestion de crise et de la résolution de problèmes concrets. Nous opérons de la même façon aujourd'hui, en organisant chaque semaine une réunion avec les acteurs pour nous assurer que les décisions prises au niveau national trouvent une traduction concrète et pour évoquer les difficultés opérationnelles auxquelles les acteurs sont confrontés.

Nous avons également mis en place des visioconférences hebdomadaires spécifiquement dédiées aux assistantes familiales. En effet, ces dernières faisaient face à des problématiques particulières, notamment en raison de la fermeture des IME et des ITEP – qui était une grande difficulté du premier confinement. Nous avons été particulièrement vigilants, avec Sophie Cluzel, pour que la continuité de service puisse être assurée par les établissements, et pour que, pour ce deuxième confinement, IME et ITEP restent ouverts. Les assistantes familiales qui s'occupent d'enfants en situation de handicap se sont senties, pour certaines d'entre elles, assez isolées face à ces situations.

À l'inverse, nous avons étaient témoins de situations contre-intuitives. En effet, certaines assistantes familiales nous ont signalé que le retour à la maison de certains enfants, sans plus d'école, d'établissement, de déplacements pour les soins, s'était déroulé dans le calme et s'était mieux passé que ce que l'on pouvait craindre.

Je salue au passage le travail de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pendant cette période, et la relation continue avec l'ensemble des acteurs. Les protocoles sanitaires que nous avons mis en place pour les établissements, pour les assistantes familiales, dans le cadre de l'accueil familial, et sur les mineurs non accompagnés (MNA) dans un second temps, ont été élaborés avec les acteurs en amont. Ils étaient pertinents, car ils étaient issus des difficultés et des problématiques rencontrées par les acteurs de terrain. Cette méthode a été plutôt appréciée et est mise en œuvre de nouveau aujourd'hui. J'étais en lien permanent avec l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'ensemble des présidents de département.

La coordination au niveau territorial était également importante. Se sont mises en place des cellules interinstitutionnelles. Elles seront réactivées dans le cadre du deuxième confinement. Les coopérations existaient déjà, mais ce n'était pas le cas dans tous les territoires. La crise a contraint les acteurs à se parler, à se mettre autour de la table et à se coordonner. Cette coopération devra se pérenniser. Le fait que les assistantes familiales soient proches des PMI, que le département, la justice, l'Agence régionale de santé (ARS) et le rectorat dialoguent entre eux devrait être la norme. Il nous revient de nous coordonner autour de l'enfant et de sa trajectoire de vie. Ceci est un des axes de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance que je mène par ailleurs. Ces cellules interinstitutionnelles ont été très utiles, ont permis aux personnes de se sentir moins seules et de remonter les difficultés auxquelles elles étaient confrontées – notamment les difficultés financières pour un certain nombre de gestionnaires d'établissement.

Ma dernière obsession était de protéger les enfants à tout prix, avec la diffusion de règles sanitaires, de gestes barrières, la mise en place de procédures de quarantaine si nécessaire. Une fiche spécifique sur les mineurs non accompagnés est sortie dès le 3 avril pour rappeler la priorité absolue de mise à l'abri malgré le mauvais fonctionnement des dispositifs d'évaluation, ainsi que l'interdiction des transferts entre départements pour les mineurs non accompagnés pendant la période de confinement. Enfin, il est nécessaire de porter une attention particulière au suivi éducatif des jeunes qui sont souvent dans des dispositifs d'autonomie, ou de semi-autonomie, voire à l'hôtel. Des parlementaires nous ont fait remarquer que ce suivi renforcé n'était pas toujours à l'œuvre. Nous avons contacté les départements pour remédier à ces problèmes.

S'agissant de la scolarité, la fermeture des écoles a aggravé les difficultés scolaires d'un certain nombre d'élèves et a révélé la problématique de la fracture numérique. Les foyers de l'aide sociale à l'enfance ne comptaient que quelques ordinateurs pour les activités ludiques, mais pas pour la scolarité. De même, certaines assistantes familiales n'étaient pas dotées de matériel informatique. Dès le 27 mars, avec Cédric O, un certain nombre de bonnes volontés, et avec deux associations ( Break Poverty et Emmaüs Connect ), nous avons lancé l'opération « Des ordis pour nos enfants ». Nous avons demandé aux principales associations et têtes de réseaux (Uniopss, Croix rouge, etc.) de nous remonter leurs besoins informatiques. Nous les avons mis en relation avec des personnes qui disposaient de matériel. Nous avons ainsi pu fournir 17 000 ordinateurs, dont 10 000 dans des foyers d'aide sociale à l'enfance et chez des assistantes familiales et 500 box 4G. Cette opération, qui s'appelle désormais « Réussite connectée », menée encore une fois avec les deux associations Break Poverty et Emmaüs Connect, a été relancée, d'autant plus que les adaptations mises en place dans l'organisation des lycées pourraient poser problème pour nos publics. J'ai transmis ce matin même l'information à l'ensemble des acteurs de la protection de l'enfance. Ils doivent faire remonter leurs besoins d'ici vendredi prochain. Nous pourrons fournir ordinateurs et connexions grâce à nos partenaires.

Par ailleurs, l'article 18 de la loi du 23 mars 2020 fait état de l'interdiction, pendant l'état d'urgence sanitaire, de faire sortir un enfant qui devient majeur pendant le confinement du système de l'aide sociale à l'enfance, sauf s'il le souhaite. À la fin de l'état d'urgence sanitaire, vous avez voté dans la loi de finance rectificative 3 de juillet 2020 une dotation, qui a été introduite par amendement, de 50 millions d'euros pour accompagner les départements dans le suivi des jeunes majeurs. Avec la réactivation depuis le 17 octobre dernier de l'état d'urgence sanitaire, plus aucun jeune ne peut sortir du système de l'aide sociale à l'enfance, et ce jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire. J'ai rappelé cette disposition aux départements, en précisant que l'État était financièrement à leurs côtés.

Je vous ai présenté les dispositifs que nous avons mis en place et les enseignements que nous avons pu en tirer pour la période dans laquelle nous entrons. Comme l'ont fait remarquer les professionnels, cette période a mis au défi nos pratiques professionnelles, nos façons de travailler, nos réflexions sur l'utilisation du numérique, qui s'est révélé être un outil complémentaire très utile dans la relation de l'enfant avec ses parents, etc., sur les temps de l'enfant.

Je fais le lien avec le sujet suivant des violences intrafamiliales. Je craignais que les violences n'explosent dans les familles, mais aussi dans les foyers de l'aide sociale à l'enfance. La situation n'a pas été idéale partout, nous avons été confrontés à des difficultés. Cependant, nous avons constaté certaines situations contre-intuitives. Les professionnels de terrain ont signalé une baisse du nombre de fugues, ainsi que des violences entre enfants et entre enfants et éducateurs. Les travailleurs sociaux évoquent trois raisons majeures. La première est un recentrage des travailleurs sociaux sur l'enfant. Étant donné le contexte, les travailleurs sociaux ne consacraient pas leurs journées à la rédaction de rapports ou à la conduite des enfants chez le juge, à l'école, aux soins. Le temps effectif disponible pour l'enfant était donc plus important. Les uns et les autres se sont redécouverts. La relation entre l'éducateur, le travailleur social et l'enfant s'en est trouvée renouvelée, plus riche et plus féconde. Dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance, j'ai saisi le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) pour réfléchir aux taux d'encadrement et aux normes. En effet, le champ de l'aide sociale à l'enfance est l'un des derniers où il n'existe aucune norme et aucun taux d'encadrement. Je leur ai demandé d'intégrer ces données dans leurs réflexions.

Deuxièmement, pour un certain nombre de ces enfants, l'école est synonyme d'échec et de stigmatisation. Le fait que l'école soit revenue dans un lieu connu, au sein du foyer, a été un élément de stabilisation.

Enfin, la troisième raison évoquée était l'aspect stabilisant pour certains enfants de ne pas voir leur famille. Il ne s'agit évidemment pas de généraliser, mais nous savons qu'il existe dans certains cas des relations toxiques avec la famille ; des enfants peuvent revenir perturbés de leur visite.

Par ailleurs, un certain nombre de professionnels ont évoqué un sentiment d'égalité face à cette situation. Les enfants se sont retrouvés au même niveau que les éducateurs face à ce virus menaçant, inconnu.

J'ai demandé au Conseil national de la protection de l'enfance de faire un bilan du confinement au sein de l'aide sociale à l'enfance. Ce bilan devrait m'être remis à la fin du mois de novembre. Il sera intéressant de partager avec vous ces éléments.

J'étais également préoccupé par les violences intrafamiliales. En effet, 80 % des violences envers les enfants ont lieu dans le cercle familial. Le fait de renvoyer tous les enfants dans leur famille représentait un risque pour un certain nombre d'entre eux. De plus, en fermant les écoles, nous perdions notre premier pourvoyeur d'informations préoccupantes.

Nous avons mené deux types d'actions. Nous avons essayé de mobiliser la société tout entière. D'ailleurs, au-delà du confinement, j'estime que tant que ce sujet ne sera pas considéré comme un sujet de société, nous ne parviendrons pas à le résoudre. Nous avons beaucoup communiqué autour de ce sujet pour promouvoir le 119, qui est le numéro de l'enfance en danger. L'idée était d'actionner tous les leviers. La question de la parole de l'enfant était encore plus problématique qu'en temps normal, car cette parole était confinée. Nous avons suscité de nombreux reportages dans les médias pour sensibiliser sur ce sujet. Nous avons lancé des campagnes de communication sur le 119 dès le 30 mars en télévision, en radio. Il convient de saluer l'ensemble des acteurs audiovisuels – le service public, mais pas uniquement –, qui ont mis énormément de moyens à notre disposition, avec l'équivalent de plus de 2 millions d'euros d'espaces publicitaires gratuits sur les radios, les télévisions, les sites internet. Le service public a été très actif. Je tiens à saluer Delphine Ernotte, qui a été très impliquée sur le sujet, et avec qui nous préparons la suite. De même, de nombreux éditos dans les différents magazines d'information ont été consacrés aux violences faites aux enfants, au 119.

Les réseaux sociaux et les plateformes ont également fait preuve d'engagement. Facebook, Twitter se sont mobilisés et ont fait passer des messages. Par exemple, Twitter a mis le sujet en top trend une journée. Nous avons aussi travaillé avec TikTok, à l'aide de petites vidéos, afin d'atteindre les enfants. Effectivement, il fallait à la fois sensibiliser la société, les adultes, les voisins, mais aussi les enfants, qui ont souvent leurs parents à côté, et qui ne peuvent pas forcément appeler le 119. C'est pourquoi nous avons demandé au 119 de proposer un formulaire en ligne pour signaler une situation de danger.

L'Enfant bleu a pris une initiative assez incroyable avec le jeu vidéo Fortnite, en créant un personnage au sein du jeu, l'Ange bleu, auquel les enfants pouvaient s'adresser sur des sujets de violences. Les messages étaient ensuite transmis à l'association. L'idée est d'aller dans l'espace d'expression des enfants pour mieux les sensibiliser.

J'ai pour ma part mobilisé mes anciens réseaux professionnels, en créant une petite vidéo de promotion du 119 avec des sportifs – champions du monde de football, rugbymen, joueurs de e-sport, youtubeurs… – qui a été diffusée sur les réseaux sociaux de ces personnes, qui sont très suivies par les enfants.

Par ailleurs, avec Julien Denormandie, nous avons mené une action en direction des bailleurs sociaux pour que des affiches soient placardées dans tous les halls d'immeubles. De même, des opérations ont été mises en place dans la grande distribution, indépendamment du dispositif mis en place pour les violences conjugales. Le 119 était également embarqué dans le dispositif s'appuyant sur les pharmacies. Il en était de même pour le 114.

Nous avons essayé de faire feu de tout bois. En revanche, nous avons été quelque peu en retrait en milieu rural, où l'isolement est plus important. Nous nous sommes interrogés sur la façon d'alerter et de sensibiliser à cette problématique. Nous avons pensé que les personnes qui pouvaient éventuellement avoir connaissance des situations compliquées de certaines familles étaient les maires. En effet, ces derniers savent généralement ce qu'il se passe et ce qu'il se dit dans leur commune. Nous avions commencé à mener une réflexion sur ce point à la fin du premier confinement, via l'Association des maires ruraux de France. Il conviendra de le faire cette fois-ci plus précocement.

Globalement, sur la période du confinement, les appels au 119 ont augmenté de 50 % par rapport aux années précédentes, et de 89 % sur la semaine du 13 au 19 avril. Cela s'explique probablement par une hausse des violences. Des études en cours de finalisation semblent confirmer une hausse des violences, avec un effet retard : les professionnels voient revenir depuis la fin du confinement des enfants victimes. Il semblerait en revanche que le nombre d'enfants morts sous les coups de leurs parents ait diminué – et il est en moyenne d'un mort tous les quatre jours. Il existe ici aussi un possible effet retard. Nous ne pouvons évidemment pas nous satisfaire de ces chiffres. L'augmentation des appels au 119 révèle également une hausse de la vigilance. Les personnes semblaient plus enclines à joindre le 119, avec un accroissement des appels par les mineurs et par les camarades de plus de 40 % sur la période. Nous avons constaté une augmentation du même ordre dans les appels des voisins (entre 36 et 40 %). Le 119 a transmis plus de 30 % d'informations préoccupantes au CRIP pendant cette période.

Il fallait très rapidement faire en sorte que le 119 puisse absorber tous ces appels, parallèlement aux campagnes menées. Dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants de novembre dernier, les moyens du 119 avaient été augmentés de 200 000 euros de la part de l'État et 200 000 euros de la part des départements. Ces 400 000 euros avaient permis, avant le confinement, de disposer d'équipes et d'écoutants supplémentaires, de mettre en place le formulaire et donc d'absorber les appels.

En parallèle, l'articulation avec les associations a été renforcée pour appuyer le 119, à la fois quantitativement, en termes de nombre d'écoutants, et qualitativement, au regard de la nature des appels, avec la Voix de l'enfant et l'Enfant bleu. Ces derniers sont venus en appui du 119 pour prendre des appels et réaliser de l'accompagnement sur des questions juridiques. L'Enfant bleu gère par exemple les sujets juridiques et en assure le suivi.

L'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) a réalisé un bilan provisoire de cette période de confinement le 5 mai 2020. Il a évoqué une période difficile et a signalé que la continuité de la mission de protection des enfants confiés, avec le souci permanent de leur bien-être, a fortement mobilisé l'ensemble des équipes et des professionnels. Certains départements ont été plus prompts à s'adapter et à se mobiliser. Cela n'est pas une surprise, et s'explique de deux façons : la qualité des partenariats préexistants, établis notamment avec les services de la justice, et la question assez sommaire, mais fondamentale, de l'équipement informatique et technique. Toutes les CRIP ont maintenu leur activité, mais dans un certain nombre, il n'était pas possible de mettre à disposition des travailleurs en télétravail du matériel informatique. Ceux-ci ne pouvaient accéder à un serveur central et recevaient les informations dans une boîte mail via un PDF. Ainsi, le faible niveau d'équipement informatique a dégradé dans certains cas la continuité du service. Il convient de tenir compte de ces éléments. Nous savons que la question des systèmes d'information est un sujet dans la relation entre les collectivités locales et l'État. Il est toujours difficile de faire remonter les informations et de disposer d'une vision claire de la réalité des enfants sur les territoires, que ce soit en période de crise ou non.

Il convient d'aborder ensuite l'accompagnement à la parentalité. Nous nous sommes retrouvés avec des parents devant également être professeurs, salariés, et d'autres choses encore, en même temps, dans un même lieu, avec leurs enfants. Un essoufflement parental est apparu. Nous avons essayé de l'anticiper au maximum, en donnant des informations et de la réassurance sur la pandémie – les parents étant effectivement très inquiets pour leurs enfants, en partageant des idées pour s'occuper des enfants pendant la journée et des idées pour l'accompagnement à la scolarité.

Nous avons mis en place deux grands types d'action. Nous avons beaucoup travaillé avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui a été très active en mettant un certain nombre d'outils à disposition, notamment l'accueil de loisirs à la maison sur le site monenfant.fr qui proposait des activités aux parents quotidiennement. De notre côté, nous avons lancé un appel à projets avec un fonds de 500 000 euros pour accompagner les projets associatifs de soutien à la parentalité. Par exemple, « Les Pâtes au Beurre », association créée par Sophie Marinopoulos à Nantes il y a une vingtaine d'années, qui a mis en place une ligne d'écoute pour les parents ayant besoin de conseils et de soutien à la parentalité. Nous les avons accompagnés financièrement pour leur permettre de recruter des écoutants et de mettre en place un service téléphonique.

Tout cela transitait par le 0800 130 000, le numéro Covid. Ce numéro était utilisé au début pour répondre aux questions sur le virus, mais s'est mué progressivement en un dispositif assez global d'accompagnement des Français sur les conséquences du Covid. Les parents en difficulté psychologique qui appelaient le 0800 130 000 étaient orientés vers des psychologues. Ceux qui demandaient un accompagnement à la parentalité étaient envoyés vers des associations du type « Les Pâtes au Beurre ». Ainsi, le 0800 130 000 était un numéro d'entrée. Les appelants étaient ensuite réorientés en fonction des problématiques. Ce numéro a obtenu plus d'un million d'appels pendant le confinement. Il faudra probablement le réactiver et le promouvoir. Ce dispositif ne dépend pas que de nous, mais nous y contribuons.

Pour conclure, je souhaite partager avec vous une préoccupation : la question des conséquences psychiques du confinement sur nos enfants. Nous sentons nous-mêmes, en tant qu'adultes, que le confinement a des conséquences sur notre moral et notre psychisme. Même si les enfants s'adaptent facilement, ils en subissent les effets également.

Il convient de distinguer trois catégories. La première concerne les tout petits (0 à 2 ans). Vous savez à quel point il est important pour ces tout petits de voir le visage des personnes en face d'eux pour le développement, la construction, l'apprentissage de la communication. Il est nécessaire de mener une réflexion sur le port du masque des professionnels et de déterminer s'il est possible de faciliter le recours au masque transparent pour les professionnels de la petite enfance. La question de la production de ces masques s'est posée dans un premier temps. Il a fallu les labelliser. Il existe désormais 5 modèles labellisés. Les entreprises le produisent à grande échelle, ce qui a permis une baisse des prix. Il est maintenant nécessaire d'aider les collectivités locales – les communes pour la petite enfance et les départements pour les pouponnières de l'aide sociale à l'enfance – afin qu'elles puissent se procurer ces masques.

Cette période peut également impacter les jeunes enfants. Indépendamment du fait que les plus de 6 ans doivent porter un masque depuis la semaine dernière, il s'agit d'un sujet de préoccupation. Pendant le premier confinement, le service de pédopsychiatrie de l'Hôpital Robert-Debré, avec Richard Delorme, a mis en place un questionnaire assez simple permettant aux professionnels de santé de déceler un mal-être lié au confinement chez les enfants. Nous l'avons récupéré au moment de la reprise de l'école en juin et transmis, via Jean-Michel Blanquer et les outils de l'Éducation nationale, à l'ensemble de la communauté éducative afin que les professeurs, les médecins scolaires et les psychologues puissent disposer d'un outil simple, leur permettant de déceler le mal-être des enfants et de les réorienter vers des ressources professionnelles spécialisées pertinentes. Nous actionnerons à nouveau ce dispositif pour ce deuxième confinement.

Nous avons également travaillé avec l'hôpital Robert-Debré pour traduire ce questionnaire aux parents, afin qu'ils disposent de quelques repères clés pour rassurer leur enfant et déceler un éventuel mal-être. Nous avons diffusé ce questionnaire via la CNAF. Nous prévoyons de renouveler et intensifier cette action.

Le Conseil économique, social et environnemental s'est saisi de la question. Un certain nombre d'études cliniques sont en cours. Pour l'instant, rien n'est stabilisé, mais il conviendra d'anticiper. Nous devons être attentifs, même si rien n'est objectivé pour le moment. Nous avons demandé à Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale, de se pencher sur la question de la santé mentale des adolescents. Avant la crise sanitaire, les professionnels faisaient part d'une certaine préoccupation quant à la santé mentale des adolescents. Au ministère, nous souhaitions consacrer de l'énergie et du temps à ce sujet. La crise sanitaire ne fait pas évoluer cette problématique dans le bon sens. Nous devons demeurer très attentifs, même si les écoles restent ouvertes. Nous suivrons de près un certain nombre d'indicateurs, comme le nombre de tentatives de suicide, pour déceler les tendances et élaborer un plan d'action.

Enfin, il est à signaler que même si les écoles restent ouvertes, ce qui est fondamental, car nous récupérons notre faculté d'observation et les enfants ne sont plus enfermés chez eux, il peut demeurer des violences exacerbées. En effet, les enfants sont davantage à la maison. De plus, arrive une dégradation de la situation économique et sociale, ce qui peut créer des tensions au sein des familles et conduire à des comportements violents envers les enfants. Nous relancerons dès le début de la semaine prochaine des campagnes de communication autour du 119 et réactiverons les différents dispositifs.

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Je tiens à saluer votre réactivité et celle de tous les services qui ont contribué à ce travail. Il convient effectivement de tirer les enseignements de ce que nous avons été capables de mettre en place en période de confinement, notamment le travail en commun entre les différentes institutions, que ce soit au plan horizontal avec les ministères de l'Éducation nationale, de la Justice, de la Santé, le vôtre, mais aussi au plan vertical entre les départements et votre ministère.

Vous avez également fait part des réflexions issues de cette période de confinement sur le temps de l'enfant, sur l'utilisation du numérique, et sur le professionnalisme des encadrants.

Ma première question concerne le rapport entre l'État et les conseils départementaux. Je pense que le rôle de l'État doit être encore plus important, et que la place de l'enfant dans les politiques publiques doit s'intensifier. Lorsque nous avons auditionné les conseils départementaux, nous avons senti leur crainte vis-à-vis de l'implication renforcée de l'État sur le sujet. Quelles sont les formes de coopération possibles entre les conseils départementaux et l'État, qui permettraient à ce dernier de jouer encore plus pleinement son rôle sur la protection de l'enfance ?

Par ailleurs, nous recommanderons que le numéro 119 soit indiqué dans tous les cahiers de liaison scolaire. Quel est le profil des enfants qui ont appelé ce numéro ? Des catégories spécifiques se dégagent-elles, par sexe, par âge ?

Comment les départements ont-ils appliqué votre invitation à empêcher toute sortie sèche de la protection de l'enfance à 18 ans ?

La question de la prostitution des mineurs et des très jeunes mineurs nous préoccupe. Quelles sont vos informations sur ce sujet ?

Je souhaiterais en savoir davantage sur l'alerte relative à la santé psychologique des adolescents. Disposez-vous de données plus précises ? Nous avons beaucoup d'inquiétudes pour les jeunes n'ayant pas pu passer le baccalauréat de façon ordinaire et qui, une fois rentrés à l'université, voient leurs portes se fermer. Certains d'entre eux sont fragilisés au niveau psychologique.

Enfin, les pédopsychiatres et les pédiatres nous ont signalé que leurs professions n'étaient pas représentées dans le Conseil scientifique. Qu'en pensez-vous ?

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Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles

Le premier sujet très large, mais fondamental, est celui qui concerne la relation entre l'État et les départements et la réflexion autour d'une meilleure coordination, d'une meilleure coopération. La stratégie de prévention et de protection de l'enfance présentée le 14 octobre 2019 était le fruit de trois mois de concertation avec l'ensemble des acteurs. Mon discours vis-à-vis des départements est très clair. J'espère qu'il est compris et accepté. J'ai toujours affirmé que la protection de l'enfance n'est pas une compétence décentralisée, mais une compétence partagée. Il est utile d'être exigeant avec les départements. Toutefois, être exigeant avec les autres nécessite d'être exigeant avec soi-même. Les défaillances constatées dans la protection de l'enfance depuis quelques années sont probablement dues aux insuffisances d'un certain nombre de départements, mais aussi de l'État. Il est indispensable que l'État se réinvestisse dans ce sujet, non pas pour reprendre la main sur la protection de l'enfance, qui reste la responsabilité des départements, mais parce que la vie d'un enfant n'a pas à subir l'organisation administrative et politique.

Même si le système n'a pas été pensé de cette façon, 80 % des décisions de placement sont des décisions judiciaires. La question du droit à l'éducation est du ressort de l'État. Le droit à la santé, même si les PMI relèvent du département et ont un rôle important à jouer, dépend également de l'État. De même, le droit à la protection et à la sécurité est une compétence générale du préfet. Chacun doit prendre sa part. La création de ce secrétariat d'État en tant que tel et l'investissement et l'énergie que l'on y met traduisent cela. Je pense que cette vision peut être assez largement partagée sans porter atteinte à des principes constitutionnels.

Il est essentiel d'élaborer ensemble cette politique. La stratégie de prévention et de protection de l'enfance correspond à un certain nombre de projets nationaux, qui concernent tout le monde. J'ai abordé plus tôt la nécessité de créer des taux d'encadrement et des normes. Il faut aussi citer le travail actuellement réalisé par la Haute Autorité de Santé sur la saisine d'Agnès Buzyn il y a deux ans, avec la mise en place d'un référentiel national d'évaluation des situations de danger. Aujourd'hui, un enfant n'est pas en danger de la même façon à Lille et à Marseille.

Il convient de renforcer le pilotage national et territorial de cette politique, ainsi que l'articulation entre les deux. C'est ce qu'il ressort des rapports de l'IGAS et de la Cour des comptes parus ces dernières années. L'État doit jouer son rôle d'État stratège, en définissant les grandes orientations, en contrôlant qu'elles soient bien respectées. Leur mise en œuvre reste de la responsabilité et de la compétence des départements.

Une réforme de la gouvernance est en cours. Elle concernera le GIPED, le 119, l'ONPE, l'Agence française de l'adoption, que je souhaite ancrer dans la protection de l'enfance, et le Conseil national de la protection de l'enfance institué par Laurence Rossignol ; ce dernier est utile, mais ne dispose pas de suffisamment de moyens, notamment en termes de définition des missions, pour véritablement exprimer son plein potentiel. Nous travaillons également avec la Commission nationale d'accès aux origines personnelles (CNAOP). Une mission de préfiguration a été confiée à l'IGAS. Ce projet devrait être présenté au Parlement au premier trimestre 2021. L'objectif est de renforcer le pilotage de la protection de l'enfance, sur le même modèle que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) pour le handicap, avec l'idée de réunir autour de la table l'État, les départements, les associations, et les anciens enfants protégés pour élaborer ensemble la politique, mettre en place des référentiels nationaux pour essayer de faire converger l'accompagnement des enfants et leur protection sur le territoire.

Il existe également le levier de la contractualisation, sur le modèle du plan de lutte contre la pauvreté. L'État contractualise avec les départements – 30 départements dans un premier temps, 40 départements en 2021 et les 30 derniers en 2022 –, et apporte des financements à hauteur de 80 millions d'euros en 2020, de 200 millions d'euros la deuxième année et de 280 millions d'euros la troisième année. Lorsque l'on additionne ces chiffres à ceux de la pédopsychiatrie – à travers le fonds d'innovation en psychiatrie, la feuille de route de santé mentale, etc. –, nous contribuerons à hauteur de près de 1 milliard d'euros en trois ou quatre ans.

La contractualisation est un moyen d'exercer un effet levier pour faire en sorte que la protection de l'enfance redevienne une politique prioritaire dans les départements. Cela fonctionne. Des dynamiques, que j'espère profondes et durables, s'enclenchent. L'État finance des projets concrets avec deux points de passage obligés pour les départements. Le premier est qu'il doit exister des projets de réinvestissement dans la PMI. En effet, elle est au cœur de la stratégie de prévention. Sur trois ans, l'État apportera 100 millions d'euros sur les PMI, pour compenser la somme ayant été « perdue » ces dix dernières années comme en atteste le rapport de Michèle Peyron.

Par ailleurs, il sera nécessaire que les départements proposent des solutions pour la prise en charge des enfants en situation de handicap. 20 à 25 % des enfants de l'ASE ont une reconnaissance MDPH, mais nous les prenons mal en charge.

Les enfants ayant appelé le numéro 119 étaient majoritairement des garçons dans la tranche 6-10 ans. La proportion des filles était plus élevée dans la tranche d'âge des 11-17 ans. Il s'agissait pour la plupart d'enfants déjà repérés.

Sur l'application de l'interdiction des sorties sèches par les départements, quelques difficultés nous ont été remontées. L'UNIOPSS nous a signalé des situations où les enfants étaient sortis entre le 17 octobre et aujourd'hui. Je précise que cette interdiction est rétroactive au 17 octobre. Nous avons contacté les départements pour essayer de régler les situations qui nous ont été signalées. Je ne peux pas aujourd'hui affirmer que la totalité des difficultés ont été résolues, mais les quelques remontées reçues par les associations de parlementaires ont été traitées. Cependant, il convient de rester vigilant.

S'agissant de la prostitution des mineurs, le confinement a permis de ralentir l'activité. Ce sujet est abordé dans la mesure numéro 22 du plan de lutte contre les violences, que j'ai présenté le 20 novembre 2019. J'aurais voulu à l'époque présenter un plan de lutte contre la prostitution des mineurs, mais nous, c'est-à-dire les pouvoirs publics, n'étions pas prêts.

La police, la gendarmerie et la justice y sont confrontées depuis un certain nombre d'années et sont plus avancées sur l'appréhension du phénomène et sur les voies et moyens pour y remédier. Toutefois, nous sommes tous assez dépourvus face à cette prostitution aux visages multiples, qui ne reprend pas les codes de la prostitution traditionnelle, et dans laquelle les victimes ne se considèrent pas comme victimes et les proxénètes, du même âge que les victimes, se considèrent à peine comme des proxénètes. Même les associations spécialisées telles qu'Agir contre la Prostitution des Enfants (ACPE) ou les associations généralistes comme le Mouvement du nid sont dépourvues face à ce phénomène. Il y a deux ans, le chiffre de 3 000 ou 4 000 mineurs concernés était avancé, alors qu'il est aujourd'hui estimé à 8 000 à 10 000.

En général, les associations exposent la situation aux politiques, les moyens d'y remédier et leur demandent d'agir. En l'occurrence, elles sont moins définitives et assertives. Nous sommes tous en difficulté. La prostitution des mineurs regroupe à la fois le « michetonnage », le phénomène des loverboy, la question de l'ASE – avec des Ubers qui viennent à la sortie de certains foyers de l'aide sociale à l'enfance pour emmener les filles –, la prostitution de cités, mais aussi de classe moyenne. Je vous conseille la lecture du livre « Papa, viens me chercher », dans lequel le père d'une famille provinciale de classe moyenne raconte la façon dont il a été confronté à ce phénomène.

Je ne nous sentais pas prêts à élaborer une politique publique sur ce sujet complexe. En novembre dernier, j'ai annoncé le lancement d'un groupe de travail avec l'objectif de bâtir en trois à six mois une politique publique. Ce groupe de travail a été lancé il y a un mois. Nous avons pris un peu de retard en raison de la crise sanitaire. Mme Catherine Champrenault, procureure générale auprès de la Cour d'appel de Paris, qui connaît très bien le sujet et qui a mis en place des mesures qui fonctionnent sur l'agglomération parisienne, mène ce groupe de travail. Elle va travailler jusqu'en février prochain avec les associations, les services de police, les services de la justice et de l'éducation nationale. Il est indispensable que ces derniers soient impliqués dans la réflexion.

Le phénomène est méconnu. Il existe très peu de recherches universitaires sur le sujet. Nous avons donc décidé de financer trois chercheuses qui mèneront une recherche-action en parallèle, en essayant de nourrir le groupe de travail, même si elles s'inscrivent dans un temps plus long. L'objectif est de développer la recherche sur la question de la prostitution des enfants.

Ce sujet majeur est lié à un autre point important : l'accès des mineurs à la pornographie. En effet, derrière le phénomène de prostitution infantile, on retrouve l'effet « Zahia », l'effet télé-réalité, la banalisation de l'acte sexuel, qui sont alimentés par une baisse rapide de l'âge du premier accès à la pornographie. Nous menons un travail avec Cédric O et avec l'ensemble des acteurs – les plateformes, les opérateurs téléphoniques, les fabricants de téléphones, les associations… – pour essayer de limiter l'accès des enfants à la pornographie. Aujourd'hui, l'âge moyen est de 11-12 ans pour la première exposition. Au-delà de l'impact psychologique sur le cerveau d'un enfant qui n'est pas prêt à accueillir cette violence, il convient de prendre en compte les effets sur la construction du rapport à l'autre, à la sexualité, à la soumission, au consentement. Nous essayons de systématiser davantage le contrôle parental. Cela ne résoudra pas tout, mais c'est au moins un levier.

Je ne dispose pas de données sur la santé psychique des adolescents. J'ai quelques informations, mais il ne serait pas sérieux de les partager ici dans la mesure où elles sont très parcellaires. Notez néanmoins que nous avons demandé à Frank Bellivier de creuser le sujet des adolescents au travers d'études qui existent sur la santé mentale des Français, et d'effectuer un tour d'horizon des services de pédopsychiatrie à Robert-Debré, au sein des hôpitaux de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et ailleurs, afin d'observer les tendances. Une étude parue ce matin fait état d'une santé mentale des Français en dégradation. Il serait logique que nous constations le même phénomène chez les plus jeunes.

Enfin, je prends note de la remarque sur l'absence de pédopsychiatres et de pédiatres au sein du Conseil scientifique. Je ferai remonter ce point.

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Dans la continuité de ce que vous venez d'aborder concernant l'accès à la pornographie sur internet, je souhaiterais évoquer le cyberharcèlement. Le confinement a été marqué par un nouveau déploiement massif du numérique. Même si certains foyers demeurent non équipés, des études montrent qu'en un an, le cyberharcèlement a très fortement augmenté. Plusieurs actions sont mises en place actuellement avec le Club des parents connectés ou l'association e-Enfance. J'aimerais connaître votre sentiment sur le sujet.

Je souhaite également revenir sur le port du masque chez les enfants entre 6 et 11 ans, qui représente une nouveauté par rapport au premier confinement. Nous sommes alertés par des médecins qui évoquent des effets secondaires délétères. Il serait intéressant d'envisager le port des masques transparents dans les écoles, et pas uniquement pour les tout-petits. J'espère que nous disposerons rapidement des réponses au questionnaire de Robert-Debré. En effet, des médecins affirment que l'ensemble du psychisme de l'enfant risque d'être mis à mal, le décodage des émotions et des affects passant par l'expression du visage.

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La pandémie a fait exploser les besoins en santé mentale. Le deuil, l'isolement, la perte de revenus, la peur entraînent ou aggravent des pathologies. Sachant que nous devons prendre en charge 2 millions de patients suivis par les secteurs psychiatriques, la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie a estimé que 10 % des malades avaient été perdus de vue lors du premier confinement, dont de nombreux jeunes.

Les réponses apportées aux problèmes psychiques et aux troubles psychiatriques, en particulier en période périnatale, ont été considérées comme insuffisantes. En temps de crise, il nous faut repenser tout un écosystème allant du bien-être parental à l'hospitalisation des parents souffrant de troubles psychiques sévères, en prenant en considération les conséquences sur le développement de l'enfant que cela peut engendrer jusqu'à la fin de sa transition à l'âge adulte et son départ du domicile familial.

Jean-François Cesarini, qui a été mon prédécesseur, l'avait très bien identifié. Nous manquons de visibilité, de données, d'échanges de bonnes pratiques, alors que les professionnels rivalisent d'inventivité pour déployer une réponse efficace dans nos territoires. Afin de mener ce projet à bien, il semble nécessaire de s'appuyer sur une évaluation précise de l'existant, de l'état des besoins et des perspectives d'avenir en santé mentale pour développer un dispositif complet de soins gradués en santé mentale, coordonné, intégré, réactif. Cette opportunité est-elle à l'étude dans votre ministère, notamment au regard des retours que vous avez pu obtenir concernant la dégradation de la santé mentale des jeunes et des très jeunes depuis le premier confinement ?

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Le cyberharcèlement est un phénomène d'ampleur. J'ai rencontré le collectif « Stop Fisha » qui nous a alertés pendant le premier confinement sur la recrudescence des actes de cyberharcèlement. J'aimerais connaître les mesures prises contre le harcèlement en ligne, pour protéger les jeunes. Des moyens renforcés ont-ils été attribués à l'association e-Enfance qui gère la plateforme de lutte contre le cyberharcèlement de Net écoute ?

La prostitution de mineurs est en effet un phénomène très méconnu. Il est très intéressant de lancer une task force sur le sujet, car nous manquons d'éléments. J'ai rencontré plusieurs acteurs, et notamment le Mouvement du nid, qui est effectivement perdu. Finançons la recherche. Il convient de mettre en place des mesures fortes pour nos jeunes.

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Une grande partie des jugements concernant la protection de l'enfance aboutissent à une mesure éducative en milieu ouvert, à une intervention à domicile. J'aimerais savoir si des avancées ont été réalisées sur le financement de ces interventions à domicile, comme cela été recommandé dans le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de décembre 2019. Il s'agirait de revoir le financement de ces visites à domicile qui souffrent d'une très grande disparité sur le territoire, et qui ont, d'après le rapport, une incidence directe sur la file active des référents éducatifs, et donc à terme, sur les délais et la qualité de prise en charge.

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Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles

Sur la question du cyberharcèlement, je pense très sincèrement que l'on peut mieux faire. Fort heureusement les associations, comme e-Enfance, Point de contact, Open ne nous attendent pas pour agir et agissent. Elles gèrent à la fois les dispositifs d'alerte et accompagnent les parents sur la parentalité numérique. Le harcèlement scolaire a chuté de manière mécanique pendant le confinement, mais le cyberharcèlement s'est accru, puisque les enfants étaient beaucoup plus actifs sur leurs mobiles et tablettes. L'association e-Enfance doit me remettre un bilan sur les chiffres du confinement. Lors d'une précédente visioconférence, elle a évoqué une augmentation de 30 % des signalements pendant la période.

En plus du cyberharcèlement, il existe d'autres menaces sur internet, comme les comptes « fisha », l'exposition à la pornographie. Les plateformes de contenu pornographique ont vu leur trafic augmenter de 35 % pendant le confinement, avec probablement des enfants dans le lot. Par ailleurs, les enfants sont davantage soumis à la menace de pédocriminels dont on sait qu'internet est l'un des leviers.

Il convient de porter une attention plus poussée sur ce sujet, sous toutes ses formes, dans la phase dans laquelle nous entrons. C'est la raison pour laquelle le 12 novembre prochain, je serai en réunion avec l'ensemble de ces acteurs : Point de contact, e-Enfance, Open, Génération du net, pour évoquer ces sujets avec le cabinet de Cédric O afin d'identifier les moyens de prévenir et de lutter contre tous ces phénomènes liés au numérique. Pendant le deuxième confinement, les enfants seront un peu moins chez eux et donc un peu moins sur leurs tablettes et téléphones. Cependant, le sujet doit être pris en charge encore davantage que lors du premier confinement. Cet aspect fait partie des points que nous voulons améliorer par rapport au premier confinement.

Il est demandé aux enfants de plus de 6 ans de porter des masques sur la base des recommandations de la Société française de pédiatrie. Même s'il n'y a pas de pédopsychiatres et de pédiatres au sein du Conseil scientifique, nous nous appuyons très régulièrement sur les avis de la Société française de pédiatrie. Cette dernière a émis une recommandation assez claire sur ce sujet, expliquant que tous les résultats des études qui commencent à arriver de Pologne, d'Australie, des États-Unis, ainsi que des études en cours de finalisation en France, viennent confirmer que les enfants sont effectivement beaucoup moins porteurs et moins vecteurs que le reste de la population. Moins de 1 % des enfants ont été hospitalisés, très peu ont été admis en réanimation et le nombre de décès est minime et concernait exclusivement des cas de comorbidité. Par ailleurs, les études montrent qu'en cas de clusters familiaux, les enfants ne sont pas à l'origine de la circulation du virus au sein de la famille.

Néanmoins, le virus circule de façon massive et amplifiée en population générale. Par conséquent, mécaniquement, les enfants risquent d'être plus atteints et plus vecteurs qu'il y a quelques semaines. Ainsi, pour participer à la protection des enfants et limiter la circulation du virus, il a été décidé d'appliquer le port du masque à l'école, et uniquement à l'école.

Je ne connais pas encore les conséquences d'une telle décision, mais nous y sommes attentifs. Dans certains pays, asiatiques notamment, les enfants portent des masques depuis leur plus jeune âge, ce qui ne semble pas avoir de conséquences au point de vue psychologique. Cependant, il s'agit d'une habitude plus ancrée culturellement et qui existe depuis plusieurs générations. J'ai conscience que la situation n'est pas exactement la même en France. Nous sommes attentifs au sujet, même au-delà des masques. Il est effectivement important de prendre en considération cet aspect.

Nous sommes tous au fait de la situation de la pédopsychiatrie dans notre pays, et de la psychiatrie, qui est le « parent pauvre » de la santé, pour reprendre la formule d'Agnès Buzyn, depuis 20 ans au moins en France. Je ne rejette pas la faute sur les autres, mais nous héritons aujourd'hui d'une situation où la psychiatrie adulte est en difficulté, la santé mentale dans les prisons est une catastrophe et la pédopsychiatrie est en mauvais état.

J'ai effectué une cinquantaine de déplacements dans les départements, dans les territoires depuis ma nomination il y a un peu moins de deux ans. À chaque fois, les problèmes de la pédopsychiatrie ont été soulevés par les associations et les départements. Ce sujet est toujours évoqué. J'ai été vite convaincu que nous devions nous consacrer pleinement à cette question. En effet, il convient de régler ce problème auquel sont confrontés les enfants, car il crée du surhandicap. Nous nous retrouvons avec des enfants en situation de crise non gérées, qui mettent potentiellement en danger leurs camarades et les professionnels, ce qui engendre un certain nombre d'autres problématiques. Toutefois, le problème ne concerne pas uniquement les moyens, mais aussi les hommes. Agnès Buzyn a identifié cette difficulté dès 2008 dans la feuille de route de santé mentale.

Des moyens ont été dédiés pour parer à la situation d'urgence, avec, dans le cadre de la feuille de route pour la santé mentale, 80 millions d'euros dédiés à la pédopsychiatrie devant servir à créer des places en accueil de jour, des équipes mobiles pouvant intervenir dans des situations de crise – par exemple dans les foyers de l'ASE, auprès d'assistantes familiales. Nous retrouvons ces éléments dans le cadre de la contractualisation que je mène avec les départements. Au-delà de ces 80 millions d'euros, il existe deux autres fonds : le fonds d'innovation psychiatrie et le fonds psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Ces fonds sont aux mains des ARS et fonctionnent avec des appels à projets qui permettent de financer les actions sur les territoires. Ces dispositifs ont été mis en place pour parer à l'urgence.

En parallèle, de façon plus structurelle, nous avons ajouté sur ces deux dernières années deux fois dix postes de chefs de clinique pour recréer une filière. Cela mettra six à sept ans, mais il est essentiel d'agir en ce sens puisqu'aujourd'hui il manque des pédopsychiatres.

De même, à chaque déplacement que j'effectue, on me signale que les délais d'attente sont d'un an dans les CMP, ce qui est inadmissible. Dans le cadre du Ségur, des moyens ont été alloués aux CMP pour essayer de résorber la situation.

Par ailleurs, il existe en France cinq centres de psychotraumas. Dans le plan de lutte contre les violences faites aux enfants de novembre dernier, j'ai annoncé la création de ces cinq centres supplémentaires pour progressivement mailler le territoire. L'objectif est que chaque région compte au moins un de ces centres d'ici 2022.

S'agissant de la psychiatrie périnatale, je connais l'engagement de votre prédécesseur et du professeur Dugnat avec lesquels nous avons beaucoup travaillé. Je vous recommande de vous rapprocher de Frank Bellivier pour évoquer ces sujets, notamment sur les questions des besoins nécessaires dans les établissements. Il pourra vous fournir des réponses plus précises.

Dans le cadre du projet des 1 000 premiers jours, j'ai annoncé – et vous l'avez voté dans les crédits du projet de loi de financement de la sécurité sociale – la création de cinq unités mères-enfants. Il s'agit d'unités de consultation et d'hospitalisation qui sont raccrochées à des hôpitaux pour permettre d'accompagner des mères en souffrance psychique pendant et après la grossesse, sans séparer la mère et l'enfant. Par ailleurs, nous finançons également la création de vingt équipes mobiles en psychiatrie périnatale. Lorsque la PMI décèlera une mère ou des parents en souffrance psychique, ces équipes mobiles pourront intervenir.

L'idée est que nous soyons plus actifs sur la prévention. Le budget de la protection de l'enfance est d'environ 8 milliards d'euros. Aujourd'hui, 6 milliards d'euros sont consacrés à la protection. Il est effectivement important d'améliorer notre système de protection. Cependant, il est essentiel de remettre l'accent sur la prévention. Je ne sais pas si vous vous rappelez la très belle campagne publicitaire à l'époque pour le journal L'Humanité qui disait « Dans un monde idéal, L'Humanité n'existerait pas ». Dans un monde idéal, l'aide sociale à l'enfance n'existerait pas. Si nous sommes plus performants en prévention et si nous opérons un changement culturel, si nous décelons plus précocement de nombreuses situations de fragilité et que nous empêchons leur dégradation, nous pourrons éviter d'arriver à des décisions plus traumatiques, comme le retrait d'un enfant de sa famille.

Le rapport de l'IGAS est en réalité une conférence de consensus qui intervient, dans la continuité de la première conférence de consensus qui avait porté sur l'intérêt supérieur de l'enfant, dont Laurence Rossignol était à l'initiative. J'ai demandé à Geneviève Gueydan, inspectrice à l'IGAS, de mener cette conférence de consensus sur les interventions à domicile. Il n'est pas correct d'affirmer qu'une majorité des décisions judiciaires débouchent sur des interventions à domicile. En réalité, seules 18 % des mesures relèvent de l'aide à domicile. Le reste concerne des placements.

Effectivement, il existe des problématiques de financement. Nous devons continuer d'avancer sur le sujet. Il est nécessaire de faire connaître et de remettre à l'honneur toutes les mesures, dans leur diversité, d'intervention à domicile : les actions éducatives en milieu ouvert (AEMO), le placement à domicile… Il s'agit de mesures de prévention. Cependant, permettez-moi de caricaturer un peu : nous renvoyons de nombreux enfants placés dans leur famille sans préparation, ce qui se solde par un échec. Les interventions à domicile doivent servir de sas d'accompagnement pour le retour des enfants dans leur famille. Il est essentiel d'éviter ces ruptures, qui sont les pires.

Il convient que les juges, les travailleurs sociaux s'emparent de nouveau des mesures existantes. De notre côté, nous devons lever des barrières administratives, telles que le financement ou la possibilité de mettre en place des doubles mesures, c'est-à-dire permettre des allers-retours entre le placement à domicile, l'AEMO sans avoir à repasser devant le juge à chaque fois. Il faut créer davantage de fluidité pour que les outils soient bien utilisés et que les travailleurs sociaux puissent s'adapter au plus vite à la situation dans laquelle se trouvent l'enfant et la famille. Souvent, pendant que l'on passe devant le juge, que l'on respecte toutes les procédures, les situations se dégradent ou évoluent et les décisions ne sont plus forcément pertinentes. Nous pouvons agir sur ces aspects. Au-delà de la question du financement, qui est importante, nous devons travailler à la notoriété de ces mesures. La conférence de consensus y contribue. Les départements commencent à se l'approprier. Il convient de poursuivre en ce sens.

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Avant d'être députée, j'ai travaillé en pédopsychiatrie. Vous venez de l'exprimer, il est essentiel de fluidifier les mesures, pour faciliter le travail des acteurs sur le terrain.

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Je m'interroge sur ce qu'il advient de ces enfants qui ne relèvent ni de l'aide sociale à l'enfance ni des violences conjugales ou intrafamiliales, mais qui sont les enfants de parents divorcés ou en instance de divorce et qui sont très nombreux. Quel effet a eu le confinement sur ces enfants ? Comment pourrions-nous connaître l'état psychique de tous ces jeunes qui se sont retrouvés pris en étau sans pouvoir s'extirper d'une situation familiale souvent très tendue ? Ces enfants subissent effectivement le divorce de leurs parents. Ils sont nombreux et leur situation est plus sournoise.

Je voudrais également alerter sur les problématiques filles/garçons. Il semblerait qu'il existe une telle distinction, nous l'avons perçue en discutant avec les collégiens que nous recevons. Les filles sont plus anxieuses. Elles sont plus harcelées que les garçons. Ce n'est pas seulement le michetonnage. Cela se produit dans les transports. Nous ignorons si c'est en lien direct avec la crise, mais les filles signalent de nombreuses situations, comme des regards, des interpellations. Elles sont davantage confinées « d'office » par les parents, alors que les garçons déclarent se ficher de la situation, ne pas être anxieux et en profiter pour jouer au football. Je caricature quelque peu. Cependant, nous avons reçu hier l'Unicef, qui nous a communiqué des chiffres inquiétants, notamment à l'international. Les filles sont de nouveau mises au travail, elles font de nouveau l'objet de mariages précoces, etc. Il convient d'être attentif à ces signaux, qui restent faibles pour l'instant, mais qui s'accélèrent.

Il est nécessaire de souligner l'importance vitale de tous les adultes relais, notamment les surveillants dans les cours de récréation, auprès desquels les enfants se confient. Ces adultes sont les seuls auprès desquels les enfants se racontent et se défoulent psychiquement. Pour l'instant, l'école, le collège et le lycée sont toujours ouverts. Si le périscolaire s'arrête, la situation sera très compliquée. Les enfants ont besoin de ces soupapes de décompression.

Je voulais savoir si vous aviez d'autres appels d'offres de projets de soutien à la parentalité. Ce sujet est extrêmement intéressant et si la porte s'est entrouverte, il faut l'enfoncer. Avez-vous reçu des retours positifs de la reprise par les parents d'un rôle d'éducateur ? Comment pouvons-nous les accompagner dans cette reprise en main de l'autorité ?

Il est essentiel de travailler de manière de plus en plus transversale entre tous les ministères. Cependant, comment faire pour nous y retrouver ? Pour travailler efficacement et pour que nous soyons des relais actifs sur le terrain, il nous faudrait disposer d'une boîte à outils.

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Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles

S'agissant des enfants du divorce, nous avons été confrontés à des difficultés pendant le confinement, notamment au début, en raison des craintes sanitaires. En effet, certains parents divorcés ne voulaient pas donner l'enfant dans le cadre du droit de visite, car ils ignoraient ce que l'enfant ferait chez l'autre parent, et ils craignaient les transmissions, etc. Je ne dispose pas de données particulières sur les conséquences pour ces enfants. Ils pourraient constituer un « sous-échantillon » dans les études que nous menons.

Pendant ce deuxième confinement, les espaces de rencontres resteront ouverts. Il s'agit de lieux neutres, où un tiers peut être présent dans le cadre de relations conflictuelles entre des parents. Nous avons insisté sur la nécessité de garder ces lieux ouverts. Cela n'avait pas été le cas au début du premier confinement. Notez que nous soutenons et développons ces espaces de rencontres. L'objectif est de les multiplier. Dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, une augmentation des moyens au bénéfice de ces espaces de rencontres a été décidée. Les financements viendront à la fois de la CNAF et de la justice.

J'étais la semaine dernière à Mayotte pendant trois jours et à la Réunion pendant trois jours. Je n'évoquerai pas Mayotte ici, car il faudrait probablement organiser une autre visioconférence de deux heures pour échanger sur l'enfance à Mayotte. À la Réunion, il était intéressant d'observer les relations institutionnelles et la façon dont les acteurs se connaissaient et travaillaient très bien ensemble – entre le département et l'État, entre les différents services de l'État. Typiquement, sur ces questions de la médiation familiale, la justice et la CAF sont deux acteurs qui collaborent énormément en créant des dispositifs communs. Peut-être que Vincent Mazauric, le directeur général de la CNAF, nous dira que cette situation est assez normale, mais je n'avais pour ma part jamais observé une telle coopération. J'ai trouvé cela très intéressant et très performant. Il est ici question de prévention.

Le harcèlement des jeunes filles par rapport aux jeunes garçons est effectivement une réalité. Vous avez participé à la mise en place d'un certain nombre de dispositifs afin de lutter contre ces phénomènes : le harcèlement de rue est devenu une infraction, une plateforme contre les violences sexistes et sexuelles a été mise en place.

De notre côté, nous agissons sur le volet préventif dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants de novembre dernier. Une des premières mesures consiste à établir un audit des cours d'éducation à la sexualité dispensés dans les écoles auprès des jeunes enfants. Il s'agit de trois cours dans l'année pendant lesquels les enfants sont sensibilisés aux questions de genre, de respect de l'autre, aux questions liées à l'homophobie, etc. Nous travaillons également sur le sujet plus global de sensibilisation des enfants à la violence, à toutes les formes de violences (violence sexuelle, harcèlement scolaire et cyberharcèlement, pornographie). L'objectif est de se rapprocher de ce qui existe au Canada où a été développé un programme dans le cadre duquel les enfants sont sensibilisés année par année en fonction de leur âge, et ce dès la dernière année d'école maternelle, aux différentes formes de violences auxquelles ils peuvent être exposés. En parallèle, avec Jean-Michel Blanquer et Élisabeth Moreno, nous nous apprêtons à lancer les inspections pour effectuer un bilan sur la mise en œuvre et le contenu de ces cours d'éducation à la sexualité. À partir de la photographie précise dont nous disposerons, nous pourrons bâtir un programme peut-être plus ambitieux encore.

Sur le soutien à la parentalité, un appel à projets a effectivement été lancé le 6 novembre. Le montant est de 135 000 euros. L'idée est de mettre en place des plateformes et des lignes téléphoniques d'accompagnement à la parentalité, de soutenir les associations et de mieux coordonner les actions.

Pendant le premier confinement, j'ai régulièrement réuni les députés et les sénateurs des commissions des affaires sociales et du groupe d'étude enfance à l'Assemblée nationale. Nous réactiverons ces réunions autant que nécessaire pendant ce deuxième confinement. Nous nous retrouvons lundi avec les députés de la commission des affaires sociales et du groupe d'étude de l'enfance. Je rencontrerai les sénateurs ensuite. Nous pourrons actualiser les informations. Je partagerai à cette occasion les difficultés que les professionnels rencontrent dans cette nouvelle phase de confinement, qui a déjà connu quelques adaptations depuis sa proclamation et qui en connaîtra peut-être d'autres en fonction de l'évolution de la situation sanitaire.

L'audition s'achève à dix-sept heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Réunion du vendredi 6 novembre 2020 à 15 heures 30

Présents. – Mme Marie-George Buffet, Mme Albane Gaillot, Mme Perrine Goulet, M. Régis Juanico, Mme Anissa Khedher, Mme Sandrine Mörch, Mme Florence Provendier, M. Frédéric Reiss, Mme Souad Zitouni