Intervention de Adrien Taquet

Réunion du vendredi 6 novembre 2020 à 15h30
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles :

Sur la question du cyberharcèlement, je pense très sincèrement que l'on peut mieux faire. Fort heureusement les associations, comme e-Enfance, Point de contact, Open ne nous attendent pas pour agir et agissent. Elles gèrent à la fois les dispositifs d'alerte et accompagnent les parents sur la parentalité numérique. Le harcèlement scolaire a chuté de manière mécanique pendant le confinement, mais le cyberharcèlement s'est accru, puisque les enfants étaient beaucoup plus actifs sur leurs mobiles et tablettes. L'association e-Enfance doit me remettre un bilan sur les chiffres du confinement. Lors d'une précédente visioconférence, elle a évoqué une augmentation de 30 % des signalements pendant la période.

En plus du cyberharcèlement, il existe d'autres menaces sur internet, comme les comptes « fisha », l'exposition à la pornographie. Les plateformes de contenu pornographique ont vu leur trafic augmenter de 35 % pendant le confinement, avec probablement des enfants dans le lot. Par ailleurs, les enfants sont davantage soumis à la menace de pédocriminels dont on sait qu'internet est l'un des leviers.

Il convient de porter une attention plus poussée sur ce sujet, sous toutes ses formes, dans la phase dans laquelle nous entrons. C'est la raison pour laquelle le 12 novembre prochain, je serai en réunion avec l'ensemble de ces acteurs : Point de contact, e-Enfance, Open, Génération du net, pour évoquer ces sujets avec le cabinet de Cédric O afin d'identifier les moyens de prévenir et de lutter contre tous ces phénomènes liés au numérique. Pendant le deuxième confinement, les enfants seront un peu moins chez eux et donc un peu moins sur leurs tablettes et téléphones. Cependant, le sujet doit être pris en charge encore davantage que lors du premier confinement. Cet aspect fait partie des points que nous voulons améliorer par rapport au premier confinement.

Il est demandé aux enfants de plus de 6 ans de porter des masques sur la base des recommandations de la Société française de pédiatrie. Même s'il n'y a pas de pédopsychiatres et de pédiatres au sein du Conseil scientifique, nous nous appuyons très régulièrement sur les avis de la Société française de pédiatrie. Cette dernière a émis une recommandation assez claire sur ce sujet, expliquant que tous les résultats des études qui commencent à arriver de Pologne, d'Australie, des États-Unis, ainsi que des études en cours de finalisation en France, viennent confirmer que les enfants sont effectivement beaucoup moins porteurs et moins vecteurs que le reste de la population. Moins de 1 % des enfants ont été hospitalisés, très peu ont été admis en réanimation et le nombre de décès est minime et concernait exclusivement des cas de comorbidité. Par ailleurs, les études montrent qu'en cas de clusters familiaux, les enfants ne sont pas à l'origine de la circulation du virus au sein de la famille.

Néanmoins, le virus circule de façon massive et amplifiée en population générale. Par conséquent, mécaniquement, les enfants risquent d'être plus atteints et plus vecteurs qu'il y a quelques semaines. Ainsi, pour participer à la protection des enfants et limiter la circulation du virus, il a été décidé d'appliquer le port du masque à l'école, et uniquement à l'école.

Je ne connais pas encore les conséquences d'une telle décision, mais nous y sommes attentifs. Dans certains pays, asiatiques notamment, les enfants portent des masques depuis leur plus jeune âge, ce qui ne semble pas avoir de conséquences au point de vue psychologique. Cependant, il s'agit d'une habitude plus ancrée culturellement et qui existe depuis plusieurs générations. J'ai conscience que la situation n'est pas exactement la même en France. Nous sommes attentifs au sujet, même au-delà des masques. Il est effectivement important de prendre en considération cet aspect.

Nous sommes tous au fait de la situation de la pédopsychiatrie dans notre pays, et de la psychiatrie, qui est le « parent pauvre » de la santé, pour reprendre la formule d'Agnès Buzyn, depuis 20 ans au moins en France. Je ne rejette pas la faute sur les autres, mais nous héritons aujourd'hui d'une situation où la psychiatrie adulte est en difficulté, la santé mentale dans les prisons est une catastrophe et la pédopsychiatrie est en mauvais état.

J'ai effectué une cinquantaine de déplacements dans les départements, dans les territoires depuis ma nomination il y a un peu moins de deux ans. À chaque fois, les problèmes de la pédopsychiatrie ont été soulevés par les associations et les départements. Ce sujet est toujours évoqué. J'ai été vite convaincu que nous devions nous consacrer pleinement à cette question. En effet, il convient de régler ce problème auquel sont confrontés les enfants, car il crée du surhandicap. Nous nous retrouvons avec des enfants en situation de crise non gérées, qui mettent potentiellement en danger leurs camarades et les professionnels, ce qui engendre un certain nombre d'autres problématiques. Toutefois, le problème ne concerne pas uniquement les moyens, mais aussi les hommes. Agnès Buzyn a identifié cette difficulté dès 2008 dans la feuille de route de santé mentale.

Des moyens ont été dédiés pour parer à la situation d'urgence, avec, dans le cadre de la feuille de route pour la santé mentale, 80 millions d'euros dédiés à la pédopsychiatrie devant servir à créer des places en accueil de jour, des équipes mobiles pouvant intervenir dans des situations de crise – par exemple dans les foyers de l'ASE, auprès d'assistantes familiales. Nous retrouvons ces éléments dans le cadre de la contractualisation que je mène avec les départements. Au-delà de ces 80 millions d'euros, il existe deux autres fonds : le fonds d'innovation psychiatrie et le fonds psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Ces fonds sont aux mains des ARS et fonctionnent avec des appels à projets qui permettent de financer les actions sur les territoires. Ces dispositifs ont été mis en place pour parer à l'urgence.

En parallèle, de façon plus structurelle, nous avons ajouté sur ces deux dernières années deux fois dix postes de chefs de clinique pour recréer une filière. Cela mettra six à sept ans, mais il est essentiel d'agir en ce sens puisqu'aujourd'hui il manque des pédopsychiatres.

De même, à chaque déplacement que j'effectue, on me signale que les délais d'attente sont d'un an dans les CMP, ce qui est inadmissible. Dans le cadre du Ségur, des moyens ont été alloués aux CMP pour essayer de résorber la situation.

Par ailleurs, il existe en France cinq centres de psychotraumas. Dans le plan de lutte contre les violences faites aux enfants de novembre dernier, j'ai annoncé la création de ces cinq centres supplémentaires pour progressivement mailler le territoire. L'objectif est que chaque région compte au moins un de ces centres d'ici 2022.

S'agissant de la psychiatrie périnatale, je connais l'engagement de votre prédécesseur et du professeur Dugnat avec lesquels nous avons beaucoup travaillé. Je vous recommande de vous rapprocher de Frank Bellivier pour évoquer ces sujets, notamment sur les questions des besoins nécessaires dans les établissements. Il pourra vous fournir des réponses plus précises.

Dans le cadre du projet des 1 000 premiers jours, j'ai annoncé – et vous l'avez voté dans les crédits du projet de loi de financement de la sécurité sociale – la création de cinq unités mères-enfants. Il s'agit d'unités de consultation et d'hospitalisation qui sont raccrochées à des hôpitaux pour permettre d'accompagner des mères en souffrance psychique pendant et après la grossesse, sans séparer la mère et l'enfant. Par ailleurs, nous finançons également la création de vingt équipes mobiles en psychiatrie périnatale. Lorsque la PMI décèlera une mère ou des parents en souffrance psychique, ces équipes mobiles pourront intervenir.

L'idée est que nous soyons plus actifs sur la prévention. Le budget de la protection de l'enfance est d'environ 8 milliards d'euros. Aujourd'hui, 6 milliards d'euros sont consacrés à la protection. Il est effectivement important d'améliorer notre système de protection. Cependant, il est essentiel de remettre l'accent sur la prévention. Je ne sais pas si vous vous rappelez la très belle campagne publicitaire à l'époque pour le journal L'Humanité qui disait « Dans un monde idéal, L'Humanité n'existerait pas ». Dans un monde idéal, l'aide sociale à l'enfance n'existerait pas. Si nous sommes plus performants en prévention et si nous opérons un changement culturel, si nous décelons plus précocement de nombreuses situations de fragilité et que nous empêchons leur dégradation, nous pourrons éviter d'arriver à des décisions plus traumatiques, comme le retrait d'un enfant de sa famille.

Le rapport de l'IGAS est en réalité une conférence de consensus qui intervient, dans la continuité de la première conférence de consensus qui avait porté sur l'intérêt supérieur de l'enfant, dont Laurence Rossignol était à l'initiative. J'ai demandé à Geneviève Gueydan, inspectrice à l'IGAS, de mener cette conférence de consensus sur les interventions à domicile. Il n'est pas correct d'affirmer qu'une majorité des décisions judiciaires débouchent sur des interventions à domicile. En réalité, seules 18 % des mesures relèvent de l'aide à domicile. Le reste concerne des placements.

Effectivement, il existe des problématiques de financement. Nous devons continuer d'avancer sur le sujet. Il est nécessaire de faire connaître et de remettre à l'honneur toutes les mesures, dans leur diversité, d'intervention à domicile : les actions éducatives en milieu ouvert (AEMO), le placement à domicile… Il s'agit de mesures de prévention. Cependant, permettez-moi de caricaturer un peu : nous renvoyons de nombreux enfants placés dans leur famille sans préparation, ce qui se solde par un échec. Les interventions à domicile doivent servir de sas d'accompagnement pour le retour des enfants dans leur famille. Il est essentiel d'éviter ces ruptures, qui sont les pires.

Il convient que les juges, les travailleurs sociaux s'emparent de nouveau des mesures existantes. De notre côté, nous devons lever des barrières administratives, telles que le financement ou la possibilité de mettre en place des doubles mesures, c'est-à-dire permettre des allers-retours entre le placement à domicile, l'AEMO sans avoir à repasser devant le juge à chaque fois. Il faut créer davantage de fluidité pour que les outils soient bien utilisés et que les travailleurs sociaux puissent s'adapter au plus vite à la situation dans laquelle se trouvent l'enfant et la famille. Souvent, pendant que l'on passe devant le juge, que l'on respecte toutes les procédures, les situations se dégradent ou évoluent et les décisions ne sont plus forcément pertinentes. Nous pouvons agir sur ces aspects. Au-delà de la question du financement, qui est importante, nous devons travailler à la notoriété de ces mesures. La conférence de consensus y contribue. Les départements commencent à se l'approprier. Il convient de poursuivre en ce sens.

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