Intervention de Claire Hédon

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Claire Hédon, défenseure des droits :

Mesdames et messieurs les députés, Madame la présidente, Madame la rapporteure, vous concevrez que je suis sensible, tant par mon histoire personnelle que professionnelle, aux propos qui viennent d'être tenus. Je partage l'idée selon laquelle des débats apaisés apaiseraient aussi notre jeunesse.

Vous remerciant de votre invitation, je tiens à saluer l'initiative qui tend à évaluer les effets de la crise sanitaire et du confinement sur les enfants et les jeunes. L'ampleur des bouleversements liés à cette situation rend indispensable la conduite de telles évaluations. Les résultats en apparaissent d'autant plus utiles qu'un deuxième confinement est entré en vigueur.

Après votre audition de Mme Geneviève Avenard, vous n'ignorez pas que le défenseur des droits s'est inquiété dès le début de la crise sanitaire des effets qu'elle produirait sur la vie des enfants, sur leur développement, leur bien-être et leur sécurité. Avant d'évoquer les atteintes à leurs droits que la conjoncture a pu entraîner, je souhaite préciser ce qu'était l'activité de notre institution durant la période du confinement.

Cette institution, je le rappelle, est garante du respect des droits de l'enfant et de son intérêt supérieur. Quoique selon des modalités adaptées, le défenseur des droits a maintenu son activité pendant toute la durée du confinement. Les services centraux et le réseau territorial ont poursuivi le traitement des réclamations. Celles-ci leur parviennent par voie postale, par la messagerie électronique ou par téléphone. Sur le site en ligne de l'institution, l'ajout d'un onglet a mis en évidence les numéros et structures à joindre en cas de violences.

Tous sujets confondus, le nombre de dossiers traités a diminué de moitié pendant le confinement. Au sein du pôle défense des droits de l'enfant, ce total est passé de 102 en mars 2020 à 52 le mois suivant. Depuis la rentrée, nous retrouvons un rythme d'activité habituel, soit une centaine de saisines par mois. Je ne dispose pas encore des données relatives au reconfinement de novembre.

L'activité du défenseur des droits pendant le premier confinement ne se résume pas au traitement des saisines. L'institution s'est montrée réactive face aux menaces d'atteintes aux droits des enfants. Outre la teneur des alertes présentes dans les saisines, elle a porté une grande attention aux préoccupations dont lui ont fait part les associations membres de ses comités d'entente.

Importants par leur rôle, les comités d'entente permettent au défenseur des droits de nourrir un dialogue avec le monde associatif. Ils constituent un moyen de prendre connaissance de dysfonctionnements et d'atteintes flagrantes aux droits. Après avoir adressé dès le 25 mars 2020 leurs constats et recommandations à M. Adrien Taquet, secrétaire d'État en charge de la protection de l'enfance, le défenseur des droits et la défenseure des enfants ont entretenu avec ces comités des liens très réguliers.

À titre d'exemple, je citerai deux avancées que le défenseur des droits a obtenues.

La première a trait à une situation que vous avez évoquée, Madame la présidente, dans votre propos liminaire. Elle concerne le refus d'accès à des supermarchés opposé à des enfants qui accompagnaient leurs parents. À la suite de notre alerte, le Gouvernement a rappelé la loi à l'ensemble des enseignes de la grande distribution et mis en place un dispositif de réclamation.

La seconde répond au constat d'un manque de coordination et d'accessibilité des dispositifs de soutien à la parentalité. Le défenseur des droits a recommandé au Gouvernement la création d'une plateforme de ressources afin de centraliser l'ensemble des initiatives et coordonner l'action des divers interlocuteurs. Ainsi, destinée aux parents et aux professionnels de l'enfance, la plateforme Enfance et covid est active depuis le 1er avril 2020.

Vigie des droits, notamment de ceux des enfants, le défenseur des droits a constaté des atteintes à leur encontre pendant le confinement.

En premier lieu, les écoles étant fermées, les structures de protection de l'enfance ont dû prendre en charge les enfants en permanence et assurer leur scolarité.

S'agissant des mineurs non accompagnés, l'accueil dans les hôtels a de nouveau montré ses limites : absence d'éducateurs, difficultés d'approvisionnement en nourriture, en linge de lit ou de bain, manque d'ordinateurs et parfois du réseau nécessaire à la poursuite à distance de la scolarité. À ce jour, l'accueil de ces mineurs a repris. Il n'en connaît pas moins toujours de régulières difficultés, que la crise sanitaire accentue.

À l'issue du premier confinement, l'engorgement des services publics rend complexe les démarches auprès des préfectures ou des services de scolarisation. Le mois dernier, nous avons par exemple reçu une saisine relative à la difficulté d'inscription en ligne, depuis la fin du premier confinement, de mineurs non accompagnés au test de positionnement du centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV) de l'académie de Paris. Selon les indications du collectif inter-associatif qui accompagne ces mineurs, aucun ne serait parvenu à s'inscrire depuis le 25 août 2020.

Quant aux jeunes majeurs, l'article 18 de la loi du 23 mars 2020 a écarté le risque d'une rupture de leur suivi pendant le confinement. Le guide ministériel de protection de l'enfance, mis à jour le 6 novembre dernier, précise que l'interdiction des sorties de l'aide sociale à l'enfance est maintenue pendant la durée de l'état d'urgence.

Le défenseur des droits s'est inquiété de la remise en cause du droit à être entendu lorsque sont prises des mesures de protection de l'enfance. L'ordonnance du 25 mars 2020 permettait en effet au juge, statuant en matière non pénale, de prendre des décisions, telles des suspensions du droit de visite ou d'hébergement, sans audience, c'est-à-dire sans que l'enfant ne puisse exprimer ses souhaits ni ses émotions.

Une autre atteinte observée concerne le maintien des liens familiaux. Si le décret du 11 mai 2020 prévoyait la réouverture de certains lieux recevant du public, une incertitude a perduré quant à la situation de près de 300 espaces de rencontre entre enfants et parents, qu'ils relèvent de structures publiques ou privées. Un manque de clarté a provoqué la diffusion de consignes contradictoires de la part de la Fédération française des espaces-rencontre (FFER), de la fédération nationale de la médiation familiale (FENAMEF) et des caisses d'allocations familiales. Elles ont compliqué l'accès des parents et de leurs enfants au droit de visite dans des espaces de rencontre, ordonné par le juge aux affaires familiales.

Le maintien des liens familiaux continue d'être entravé pour les mineurs en détention ou dont l'un des parents est détenu.

Pendant le premier confinement, le défenseur des droits a insisté pour que d'autres solutions que celle de l'incarcération soient mises en œuvre pour les 800 mineurs en détention. Plus de 80 % d'entre eux le sont à titre provisoire. Ils demeurent privés de scolarisation et de visites.

Les liens familiaux des enfants dont l'un des parents est détenu ont été profondément affectés depuis le mois de mars 2020. Dès le déconfinement, alerté par plusieurs saisines, le défenseur des droits a attiré l'attention de la direction pénitentiaire sur la nécessité de faciliter l'accès aux parloirs des familles et enfants de personnes détenues. En raison du reconfinement, l'activité des unités de vie familiale et des parloirs est de nouveau suspendue depuis le 30 octobre.

Enfin, une atteinte aux droits des enfants s'est manifestée par l'intermédiaire des outils numériques, avec une exposition accrue aux contenus pornographiques. Des associations ont signalé la mise à disposition gratuite en ligne de vidéos à caractère sexuel, notamment par la plateforme Pornhub. Nous avons attiré l'attention du secrétaire d'État en charge de la protection de l'enfance.

Ces diverses atteintes aux droits ont touché des enfants connaissant des situations personnelles elles-mêmes fort variées. Cependant, les enfants en grande vulnérabilité en ont subi les conséquences les plus lourdes.

La fermeture des écoles a certes porté atteinte au droit à l'éducation de l'ensemble des enfants ; dans les faits, elle a d'abord frappé les publics les plus vulnérables. Lors de l'annonce du déconfinement, le défenseur des droits s'est immédiatement prononcé en faveur du retour des enfants à l'école, seul à même de garantir le droit à l'éducation sans discrimination.

Fondé sur le volontariat, sans prise en compte de l'opinion des enfants, le retour à l'école a en définitive nui à ce droit. Les consignes que certains établissements ont transmises aux familles en application du protocole sanitaire se sont avérées, tant par leur contenu que par leur ton, source d'anxiété pour les parents et leurs enfants. Il apparaît que les publics les plus précaires sont généralement ceux qui ont le plus appréhendé un retour de leurs enfants dans les écoles. Ces mêmes publics se sont ensuite heurtés à des obstacles lorsqu'ils ont souhaité revenir sur leur décision initiale.

Nous avons observé un décrochage scolaire plus marqué dans les familles pauvres, sans ordinateur ni accès à l'internet, où les parents n'étaient pas en capacité d'assurer un soutien scolaire. Les dernières études disponibles sur les résultats scolaires montrent l'importance de ce décrochage dans le ressort géographique des établissements des réseaux d'éducation prioritaire (REP et REP+).

Un tel constat nous a conduits à engager une réflexion sur un droit à la connexion. La connexion à l'internet se révèle souvent indispensable, non seulement pour toute démarche administrative, mais également pour suivre une scolarité.

À l'occasion du déconfinement, l'attention du défenseur des droits a été attirée sur des difficultés de parents de la communauté tsigane à renvoyer leurs enfants à l'école. À certains égards peu adaptée à la situation des enfants, la scolarisation par le centre national d'enseignement à distance (Cned) n'a guère contribué à ce retour. Le monde associatif se voit contraint, à l'égard de la communauté tsigane, de reprendre ses actions de sensibilisation.

Une situation de mise en quarantaine d'un camp de Roms, après une suspicion de contagion d'un visiteur, a par ailleurs empêché les enfants de ce camp de participer à la rentrée scolaire.

L'institution du défenseur des droits se réjouit que le maintien de la scolarité paraisse désormais une priorité.

Toutefois, un manque d'anticipation a retardé l'équipement en masques de protection dits inclusifs des enfants handicapés et de leurs professeurs. D'une manière générale, nous déplorons l'insuffisante prise en compte de la situation particulière de ces enfants lors de l'application des consignes sanitaires.

Deux saisines récentes montrent qu'il en résulte un préjudice pour les intéressés.

Dans le premier cas, un jeune autiste a été exclu de l'atelier ébénisterie de son établissement car il ne supportait pas le port du masque de protection plus de vingt minutes d'affilée. Il ne peut plus suivre que deux cours par semaine.

Dans le second cas, un enfant handicapé s'est vu refuser l'accès à un centre de loisirs au motif que son handicap l'empêchait de respecter les gestes barrières.

Il est regrettable que des consignes dont l'objet consiste à protéger les plus vulnérables contre l'exposition au risque de contamination, conduisent en définitive à porter atteinte à leurs droits.

Au sujet de l'obligation du port du masque à partir de l'âge de six ans, le défenseur des droits rappelle la nécessité de veiller aux répercussions de la mesure sur la santé physique et psychique des enfants. Nous invitons de plus à tenir compte des difficultés propres à certains enfants, qu'elles soient liées à leur état de santé ou à leur handicap.

Conçus à l'origine pour les enfants handicapés, les masques inclusifs semblent devoir être utiles à l'ensemble des enfants. Il me paraît difficile que des enfants de cours préparatoire apprennent à lire et à écrire en présence d'un enseignant qui ne disposerait pas de ce type de masque. Dès la rentrée scolaire, l'équipement des enseignants en masques inclusifs aurait dû constituer une priorité, particulièrement en petite section et au cours préparatoire.

Avant la formulation de mes propositions, j'évoquerai un dernier point. Il concerne les situations de violences.

Lors du confinement, le risque de violence s'est aggravé, tant en milieu familial que dans les institutions. Concomitamment, les possibilités de repérage et de protection des enfants devenaient moins nombreuses, du fait notamment de la fermeture des écoles et de la rupture des suivis médicaux.

Dès le début du confinement, le défenseur des droits a rappelé sur son site en ligne l'importance de signaler au numéro d'appel 119 toute situation inquiétante qui impliquerait un enfant.

S'agissant des enfants confiés à l'aide sociale, nous avons été alertés sur la suppression presque généralisée des droits de visite et d'hébergement des parents. Dans certains départements, elle est intervenue sans décision judiciaire individuelle.

Le défenseur des droits se mobilise tout particulièrement contre les violences institutionnelles faites aux enfants. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à ce que M. Éric Delemare soit aujourd'hui présent à mes côtés. Le rapport annuel de 2019 sur les droits de l'enfant se consacre à ces violences.

Elles ont représenté un risque grave pendant le premier confinement. Plusieurs raisons expliquent ce constat. Je mentionnerai la baisse du nombre des intervenants professionnels, le recrutement de bénévoles sans possibilité de formation préalable, avec la mise en place d'un contrôle des antécédents judiciaires qui a pris du retard, la suspension des droits de visite et d'hébergement, l'absence de scolarisation et d'activités extérieures, la difficulté de maintenir les soins psychologiques des enfants qui en bénéficiaient.

Les violences institutionnelles demeurent difficiles à quantifier. D'après nos sources, le nombre des appels traités par le 119 a connu une forte hausse. Celui de ses informations préoccupantes a triplé.

Le confinement a par ailleurs mis en évidence le problème des logements exigus et des conditions de vie des familles. En elles-mêmes, ces conditions portent parfois atteinte aux droits des enfants. Je tenais à le rappeler.

Sur la base des constats dont je vous ai rendu compte, je conclurai mon propos en formulant plusieurs remarques et propositions pour l'avenir.

La crise sanitaire a souligné l'importance du rôle de coordination de l'État en matière de protection de l'enfance. M. Adrien Taquet mène actuellement des travaux sur la gouvernance de cette politique. Nous les suivons attentivement. Pour sa part, l'importance stratégique des services publics est apparue plus prégnante que jamais.

Il apparaît nécessaire d'évaluer les effets de la crise sanitaire sur les enfants, en s'appuyant sur le recueil de leur parole. De nombreuses initiatives vont en ce sens. Il conviendra de les réunir.

De son côté, le défenseur des droits prend le premier en compte la parole des enfants et entend la valoriser. Notre dernier rapport annuel paraît demain, 20 novembre 2020, à l'occasion de la journée mondiale des droits de l'enfant. Il porte sur la question de la participation. Deux exemples, ceux du harcèlement scolaire et de l'orientation scolaire, en démontrent le caractère essentiel.

Enfin, la crise a confirmé l'importance pour le défenseur des droits de se rapprocher des enfants et des jeunes. Leur accès au droit pâtit souvent de leur méconnaissance de ce droit. J'en ferai un axe central de mon mandat.

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