Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Jeudi 19 novembre 2020
La séance est ouverte à neuf heures.
Présidence de Mme Sandrine Mörch, présidente
Mes chers collègues, nous entamons notre dernière journée d'auditions relatives aux conséquences de la crise sanitaire sur les enfants et la jeunesse. Nous recevons ce matin Mme Claire Hédon, défenseure des droits, ainsi que M. Éric Delemar, nouveau défenseur des enfants depuis quelques jours. Il succède à Mme Geneviève Avenard, que nous avions entendue le 29 octobre dernier.
Nous célébrons le trente-et-unième anniversaire, jour pour jour, de l'adoption de la convention internationale des droits de l'enfant (CIDE). La crise actuelle sert de révélateur. Elle donne aux jeunes leur pleine visibilité dans la société. Faisons en sorte, selon les propos de l'association SOS Villages d'Enfants, qu'elle serve également de détonateur et que les droits issus de la convention internationale passent enfin de la déclaration aux actes.
De nombreuses personnes que nous avons auditionnées, dont les plus jeunes, ont souligné combien nos politiques publiques ne prenaient pas suffisamment en compte les enfants et leurs droits, particulièrement à l'occasion de la crise sanitaire. L'absence de spécialiste de l'enfance au sein du conseil scientifique covid-19 en apporte une illustration frappante. Le défaut de communication spécifique et adaptée aux enfants pendant la crise en constitue une autre.
À l'aune d'une expérience personnelle de trente ans du métier de journaliste, j'ajouterai qu'il me semble que certains débats continus, emprunts de violence et de raccourcis, provoquent des ravages chez nos enfants. Ces débats ont par exemple trait à la contagion et à sa responsabilité, au racisme, à l'identité ou à la religion. Leur effet délétère, au moins équivalent à celui de nos débats politiques stériles et destructeurs, n'affecte pas les seuls enfants stigmatisés.
Madame, Monsieur, nous souhaiterions vous entendre sur la place de l'enfant et le respect de ses droits dans cette crise sanitaire majeure, sur les conséquences que celle-ci emporte pour les enfants et les adolescents, en particulier les plus vulnérables d'entre eux, qu'il s'agisse des enfants en situation de handicap, de ceux pris en charge par l'aide sociale à l'enfance ou des mineurs isolés.
Nous voudrions savoir de quelle façon le défenseur des droits a été saisi pendant la crise sanitaire, que ce soit par les familles, les associations, voire par les enfants eux-mêmes. Quelles sont les principales difficultés dont vous avez pris connaissance ? Quelles actions avez-vous préconisées pour y répondre ? À titre d'exemple, nous avons appris que des enfants accompagnant leurs parents s'étaient vu interdire l'accès à des supermarchés pendant le confinement. De tels constats révèlent la réalité du quotidien des enfants et des jeunes gens face à un virus avec lequel ils doivent vivre.
Le droit de l'enfant à émettre un avis sur toute question qui le concerne a également pu être mis à mal du fait des aménagements introduits dans la marche de la justice pendant la crise. Extrêmement bref, le temps imparti à la prise des décisions judiciaires n'était certes guère propice à la concertation. La situation doit cependant nous conduire à réfléchir à des solutions pour l'avenir.
Je vous céderai la parole pour une intervention qui précédera nos échanges. Avant toute chose, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Claire Hédon et M. Éric Delemar prêtent serment.)
Mesdames et messieurs les députés, Madame la présidente, Madame la rapporteure, vous concevrez que je suis sensible, tant par mon histoire personnelle que professionnelle, aux propos qui viennent d'être tenus. Je partage l'idée selon laquelle des débats apaisés apaiseraient aussi notre jeunesse.
Vous remerciant de votre invitation, je tiens à saluer l'initiative qui tend à évaluer les effets de la crise sanitaire et du confinement sur les enfants et les jeunes. L'ampleur des bouleversements liés à cette situation rend indispensable la conduite de telles évaluations. Les résultats en apparaissent d'autant plus utiles qu'un deuxième confinement est entré en vigueur.
Après votre audition de Mme Geneviève Avenard, vous n'ignorez pas que le défenseur des droits s'est inquiété dès le début de la crise sanitaire des effets qu'elle produirait sur la vie des enfants, sur leur développement, leur bien-être et leur sécurité. Avant d'évoquer les atteintes à leurs droits que la conjoncture a pu entraîner, je souhaite préciser ce qu'était l'activité de notre institution durant la période du confinement.
Cette institution, je le rappelle, est garante du respect des droits de l'enfant et de son intérêt supérieur. Quoique selon des modalités adaptées, le défenseur des droits a maintenu son activité pendant toute la durée du confinement. Les services centraux et le réseau territorial ont poursuivi le traitement des réclamations. Celles-ci leur parviennent par voie postale, par la messagerie électronique ou par téléphone. Sur le site en ligne de l'institution, l'ajout d'un onglet a mis en évidence les numéros et structures à joindre en cas de violences.
Tous sujets confondus, le nombre de dossiers traités a diminué de moitié pendant le confinement. Au sein du pôle défense des droits de l'enfant, ce total est passé de 102 en mars 2020 à 52 le mois suivant. Depuis la rentrée, nous retrouvons un rythme d'activité habituel, soit une centaine de saisines par mois. Je ne dispose pas encore des données relatives au reconfinement de novembre.
L'activité du défenseur des droits pendant le premier confinement ne se résume pas au traitement des saisines. L'institution s'est montrée réactive face aux menaces d'atteintes aux droits des enfants. Outre la teneur des alertes présentes dans les saisines, elle a porté une grande attention aux préoccupations dont lui ont fait part les associations membres de ses comités d'entente.
Importants par leur rôle, les comités d'entente permettent au défenseur des droits de nourrir un dialogue avec le monde associatif. Ils constituent un moyen de prendre connaissance de dysfonctionnements et d'atteintes flagrantes aux droits. Après avoir adressé dès le 25 mars 2020 leurs constats et recommandations à M. Adrien Taquet, secrétaire d'État en charge de la protection de l'enfance, le défenseur des droits et la défenseure des enfants ont entretenu avec ces comités des liens très réguliers.
À titre d'exemple, je citerai deux avancées que le défenseur des droits a obtenues.
La première a trait à une situation que vous avez évoquée, Madame la présidente, dans votre propos liminaire. Elle concerne le refus d'accès à des supermarchés opposé à des enfants qui accompagnaient leurs parents. À la suite de notre alerte, le Gouvernement a rappelé la loi à l'ensemble des enseignes de la grande distribution et mis en place un dispositif de réclamation.
La seconde répond au constat d'un manque de coordination et d'accessibilité des dispositifs de soutien à la parentalité. Le défenseur des droits a recommandé au Gouvernement la création d'une plateforme de ressources afin de centraliser l'ensemble des initiatives et coordonner l'action des divers interlocuteurs. Ainsi, destinée aux parents et aux professionnels de l'enfance, la plateforme Enfance et covid est active depuis le 1er avril 2020.
Vigie des droits, notamment de ceux des enfants, le défenseur des droits a constaté des atteintes à leur encontre pendant le confinement.
En premier lieu, les écoles étant fermées, les structures de protection de l'enfance ont dû prendre en charge les enfants en permanence et assurer leur scolarité.
S'agissant des mineurs non accompagnés, l'accueil dans les hôtels a de nouveau montré ses limites : absence d'éducateurs, difficultés d'approvisionnement en nourriture, en linge de lit ou de bain, manque d'ordinateurs et parfois du réseau nécessaire à la poursuite à distance de la scolarité. À ce jour, l'accueil de ces mineurs a repris. Il n'en connaît pas moins toujours de régulières difficultés, que la crise sanitaire accentue.
À l'issue du premier confinement, l'engorgement des services publics rend complexe les démarches auprès des préfectures ou des services de scolarisation. Le mois dernier, nous avons par exemple reçu une saisine relative à la difficulté d'inscription en ligne, depuis la fin du premier confinement, de mineurs non accompagnés au test de positionnement du centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV) de l'académie de Paris. Selon les indications du collectif inter-associatif qui accompagne ces mineurs, aucun ne serait parvenu à s'inscrire depuis le 25 août 2020.
Quant aux jeunes majeurs, l'article 18 de la loi du 23 mars 2020 a écarté le risque d'une rupture de leur suivi pendant le confinement. Le guide ministériel de protection de l'enfance, mis à jour le 6 novembre dernier, précise que l'interdiction des sorties de l'aide sociale à l'enfance est maintenue pendant la durée de l'état d'urgence.
Le défenseur des droits s'est inquiété de la remise en cause du droit à être entendu lorsque sont prises des mesures de protection de l'enfance. L'ordonnance du 25 mars 2020 permettait en effet au juge, statuant en matière non pénale, de prendre des décisions, telles des suspensions du droit de visite ou d'hébergement, sans audience, c'est-à-dire sans que l'enfant ne puisse exprimer ses souhaits ni ses émotions.
Une autre atteinte observée concerne le maintien des liens familiaux. Si le décret du 11 mai 2020 prévoyait la réouverture de certains lieux recevant du public, une incertitude a perduré quant à la situation de près de 300 espaces de rencontre entre enfants et parents, qu'ils relèvent de structures publiques ou privées. Un manque de clarté a provoqué la diffusion de consignes contradictoires de la part de la Fédération française des espaces-rencontre (FFER), de la fédération nationale de la médiation familiale (FENAMEF) et des caisses d'allocations familiales. Elles ont compliqué l'accès des parents et de leurs enfants au droit de visite dans des espaces de rencontre, ordonné par le juge aux affaires familiales.
Le maintien des liens familiaux continue d'être entravé pour les mineurs en détention ou dont l'un des parents est détenu.
Pendant le premier confinement, le défenseur des droits a insisté pour que d'autres solutions que celle de l'incarcération soient mises en œuvre pour les 800 mineurs en détention. Plus de 80 % d'entre eux le sont à titre provisoire. Ils demeurent privés de scolarisation et de visites.
Les liens familiaux des enfants dont l'un des parents est détenu ont été profondément affectés depuis le mois de mars 2020. Dès le déconfinement, alerté par plusieurs saisines, le défenseur des droits a attiré l'attention de la direction pénitentiaire sur la nécessité de faciliter l'accès aux parloirs des familles et enfants de personnes détenues. En raison du reconfinement, l'activité des unités de vie familiale et des parloirs est de nouveau suspendue depuis le 30 octobre.
Enfin, une atteinte aux droits des enfants s'est manifestée par l'intermédiaire des outils numériques, avec une exposition accrue aux contenus pornographiques. Des associations ont signalé la mise à disposition gratuite en ligne de vidéos à caractère sexuel, notamment par la plateforme Pornhub. Nous avons attiré l'attention du secrétaire d'État en charge de la protection de l'enfance.
Ces diverses atteintes aux droits ont touché des enfants connaissant des situations personnelles elles-mêmes fort variées. Cependant, les enfants en grande vulnérabilité en ont subi les conséquences les plus lourdes.
La fermeture des écoles a certes porté atteinte au droit à l'éducation de l'ensemble des enfants ; dans les faits, elle a d'abord frappé les publics les plus vulnérables. Lors de l'annonce du déconfinement, le défenseur des droits s'est immédiatement prononcé en faveur du retour des enfants à l'école, seul à même de garantir le droit à l'éducation sans discrimination.
Fondé sur le volontariat, sans prise en compte de l'opinion des enfants, le retour à l'école a en définitive nui à ce droit. Les consignes que certains établissements ont transmises aux familles en application du protocole sanitaire se sont avérées, tant par leur contenu que par leur ton, source d'anxiété pour les parents et leurs enfants. Il apparaît que les publics les plus précaires sont généralement ceux qui ont le plus appréhendé un retour de leurs enfants dans les écoles. Ces mêmes publics se sont ensuite heurtés à des obstacles lorsqu'ils ont souhaité revenir sur leur décision initiale.
Nous avons observé un décrochage scolaire plus marqué dans les familles pauvres, sans ordinateur ni accès à l'internet, où les parents n'étaient pas en capacité d'assurer un soutien scolaire. Les dernières études disponibles sur les résultats scolaires montrent l'importance de ce décrochage dans le ressort géographique des établissements des réseaux d'éducation prioritaire (REP et REP+).
Un tel constat nous a conduits à engager une réflexion sur un droit à la connexion. La connexion à l'internet se révèle souvent indispensable, non seulement pour toute démarche administrative, mais également pour suivre une scolarité.
À l'occasion du déconfinement, l'attention du défenseur des droits a été attirée sur des difficultés de parents de la communauté tsigane à renvoyer leurs enfants à l'école. À certains égards peu adaptée à la situation des enfants, la scolarisation par le centre national d'enseignement à distance (Cned) n'a guère contribué à ce retour. Le monde associatif se voit contraint, à l'égard de la communauté tsigane, de reprendre ses actions de sensibilisation.
Une situation de mise en quarantaine d'un camp de Roms, après une suspicion de contagion d'un visiteur, a par ailleurs empêché les enfants de ce camp de participer à la rentrée scolaire.
L'institution du défenseur des droits se réjouit que le maintien de la scolarité paraisse désormais une priorité.
Toutefois, un manque d'anticipation a retardé l'équipement en masques de protection dits inclusifs des enfants handicapés et de leurs professeurs. D'une manière générale, nous déplorons l'insuffisante prise en compte de la situation particulière de ces enfants lors de l'application des consignes sanitaires.
Deux saisines récentes montrent qu'il en résulte un préjudice pour les intéressés.
Dans le premier cas, un jeune autiste a été exclu de l'atelier ébénisterie de son établissement car il ne supportait pas le port du masque de protection plus de vingt minutes d'affilée. Il ne peut plus suivre que deux cours par semaine.
Dans le second cas, un enfant handicapé s'est vu refuser l'accès à un centre de loisirs au motif que son handicap l'empêchait de respecter les gestes barrières.
Il est regrettable que des consignes dont l'objet consiste à protéger les plus vulnérables contre l'exposition au risque de contamination, conduisent en définitive à porter atteinte à leurs droits.
Au sujet de l'obligation du port du masque à partir de l'âge de six ans, le défenseur des droits rappelle la nécessité de veiller aux répercussions de la mesure sur la santé physique et psychique des enfants. Nous invitons de plus à tenir compte des difficultés propres à certains enfants, qu'elles soient liées à leur état de santé ou à leur handicap.
Conçus à l'origine pour les enfants handicapés, les masques inclusifs semblent devoir être utiles à l'ensemble des enfants. Il me paraît difficile que des enfants de cours préparatoire apprennent à lire et à écrire en présence d'un enseignant qui ne disposerait pas de ce type de masque. Dès la rentrée scolaire, l'équipement des enseignants en masques inclusifs aurait dû constituer une priorité, particulièrement en petite section et au cours préparatoire.
Avant la formulation de mes propositions, j'évoquerai un dernier point. Il concerne les situations de violences.
Lors du confinement, le risque de violence s'est aggravé, tant en milieu familial que dans les institutions. Concomitamment, les possibilités de repérage et de protection des enfants devenaient moins nombreuses, du fait notamment de la fermeture des écoles et de la rupture des suivis médicaux.
Dès le début du confinement, le défenseur des droits a rappelé sur son site en ligne l'importance de signaler au numéro d'appel 119 toute situation inquiétante qui impliquerait un enfant.
S'agissant des enfants confiés à l'aide sociale, nous avons été alertés sur la suppression presque généralisée des droits de visite et d'hébergement des parents. Dans certains départements, elle est intervenue sans décision judiciaire individuelle.
Le défenseur des droits se mobilise tout particulièrement contre les violences institutionnelles faites aux enfants. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à ce que M. Éric Delemare soit aujourd'hui présent à mes côtés. Le rapport annuel de 2019 sur les droits de l'enfant se consacre à ces violences.
Elles ont représenté un risque grave pendant le premier confinement. Plusieurs raisons expliquent ce constat. Je mentionnerai la baisse du nombre des intervenants professionnels, le recrutement de bénévoles sans possibilité de formation préalable, avec la mise en place d'un contrôle des antécédents judiciaires qui a pris du retard, la suspension des droits de visite et d'hébergement, l'absence de scolarisation et d'activités extérieures, la difficulté de maintenir les soins psychologiques des enfants qui en bénéficiaient.
Les violences institutionnelles demeurent difficiles à quantifier. D'après nos sources, le nombre des appels traités par le 119 a connu une forte hausse. Celui de ses informations préoccupantes a triplé.
Le confinement a par ailleurs mis en évidence le problème des logements exigus et des conditions de vie des familles. En elles-mêmes, ces conditions portent parfois atteinte aux droits des enfants. Je tenais à le rappeler.
Sur la base des constats dont je vous ai rendu compte, je conclurai mon propos en formulant plusieurs remarques et propositions pour l'avenir.
La crise sanitaire a souligné l'importance du rôle de coordination de l'État en matière de protection de l'enfance. M. Adrien Taquet mène actuellement des travaux sur la gouvernance de cette politique. Nous les suivons attentivement. Pour sa part, l'importance stratégique des services publics est apparue plus prégnante que jamais.
Il apparaît nécessaire d'évaluer les effets de la crise sanitaire sur les enfants, en s'appuyant sur le recueil de leur parole. De nombreuses initiatives vont en ce sens. Il conviendra de les réunir.
De son côté, le défenseur des droits prend le premier en compte la parole des enfants et entend la valoriser. Notre dernier rapport annuel paraît demain, 20 novembre 2020, à l'occasion de la journée mondiale des droits de l'enfant. Il porte sur la question de la participation. Deux exemples, ceux du harcèlement scolaire et de l'orientation scolaire, en démontrent le caractère essentiel.
Enfin, la crise a confirmé l'importance pour le défenseur des droits de se rapprocher des enfants et des jeunes. Leur accès au droit pâtit souvent de leur méconnaissance de ce droit. J'en ferai un axe central de mon mandat.
Merci pour votre présentation. Je donne la parole à Mme Marie-George Buffet, qui est à l'origine de la création de la présente commission d'enquête.
Madame Hédon, vos propos recoupent les premiers enseignements que nous pouvons tirer des différentes auditions que nous avons menées sur la crise sanitaire.
Cette crise révèle le peu de place accordée aux droits de l'enfant dans les politiques publiques, de même que dans le débat politique.
Nous constatons ensuite l'absence de prise en compte de la parole des enfants et des jeunes. Nombre d'entre eux nous l'ont dit, ainsi que les associations et institutions que nous avons entendues. Par suite, nous manquons de données sur la réalité de ce qu'ils vivent et sur leurs attentes.
Vous proposez d'établir un droit à la connexion. J'en approuve l'idée. La continuité pédagogique a failli pour les enfants les plus vulnérables, précisément parce qu'ils ne disposaient pas des moyens numériques qui leur étaient indispensables. J'entends par « moyens numériques », non seulement les instruments de l'enseignement numérique, mais encore les méthodes qui les accompagnent.
La question s'avère capitale, au-delà de la seule période de crise. Pour s'en convaincre, il suffit de voir la place qu'occupe désormais le numérique dans la vie d'un enfant et d'un jeune, plus particulièrement dans leur instruction. L'éducation nationale devra s'en préoccuper.
Par ailleurs, vous avez soulevé le problème des conditions d'une meilleure coordination entre les différents services publics. Un comité d'entente vous permet de travailler de concert avec le monde associatif. Nous mesurons combien il est nécessaire que l'État, dans sa mission de protection et d'accompagnement de l'enfance, renforce son rôle de coordinateur entre les institutions qui interviennent, au premier rang desquelles les départements avec l'aide sociale à l'enfance (ASE). Des témoignages nous relatent la situation de jeunes qui, des mois durant, restent dans la précarité.
Vous avez mis en évidence la question de l'information à destination des enfants et des jeunes, afin de favoriser leur accès au droit. Avez-vous sous cet angle des propositions concrètes à formuler ? Le numéro d'appel 119 semble réservé aux situations d'urgence. Quel rôle l'éducation nationale peut-elle jouer dans ce domaine ?
Je pense que développer des lieux où les enfants puissent prendre la parole permettrait de mettre en lumière les problèmes spécifiques qui les affectent. Encourager chez les enfants l'habitude d'être entendus par les adultes renforcerait leur aptitude à dénoncer les violences dont ils sont victimes. À l'évidence, l'éducation nationale a un rôle à jouer dans l'organisation de la prise de parole et de l'écoute des enfants. Il suppose l'amélioration de la formation des enseignants sur la problématique que nous soulevons.
J'insisterai ensuite sur l'aspect de la prévention. Elle passe par le soutien à la parentalité. Je répète qu'à mon sens, les conditions de vie, et particulièrement de logement, de certaines familles génèrent des carences éducatives. La réflexion sur les violences envers les enfants et sur leur accès au droit ne saurait faire l'économie de ce problème.
Nous avons relevé au sein de l'éducation nationale une volonté patente des équipes pédagogiques de répondre aux défis que la crise sanitaire posait. Néanmoins, nous ne pouvons attendre des enseignants qu'ils traitent et résolvent seuls l'ensemble des questions.
Nous nous interrogeons sur la présence au sein de l'éducation nationale d'un personnel médico-social suffisamment nombreux et spécialisé.
Nos établissements manquent d'infirmières et de médecins scolaires. La carence ne facilite pas le repérage des situations anormales.
J'évoquerai la mission des jeunes ambassadeurs des droits auprès des enfants (JADE). Au titre du service civique, ils se rendent dans les écoles afin d'aborder avec les enfants leurs droits et les problèmes de discrimination.
Lors de la rédaction de notre précédent rapport, nous avions consulté quelque 2 400 enfants. Il ressortait de la consultation que nombre d'entre eux ignoraient leurs droits. Les porter à leur connaissance constitue une première étape.
L'audition de ce jour donne à M. Éric Delemar, récemment nommé défenseur des enfants, l'occasion de se présenter. Nous espérons travailler à l'avenir régulièrement avec lui.
Madame la présidente, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai vécu sur le terrain le confinement, le déconfinement, les vacances d'été, la reprise de l'école et le second confinement, un confinement partiel. Pendant cette période, les enfants ont tous été, sans exception, plus objets que sujets de droit.
La raison en tient à une volonté excessive de protection de la part des adultes, parfois à un manque de temps, le plus souvent à leur anxiété.
Pendant le premier confinement, les enfants les plus vulnérables ont vécu une augmentation des violences intrafamiliales, l'éloignement de la scolarité, la fermeture des cantines scolaires qui leur offrent dans bien des cas le seul repas équilibré de la journée, et le manque de continuité des services de l'aide sociale à l'enfance, notamment dans l'accès aux soins.
Le déconfinement s'est montré plus préjudiciable aux enfants qui jouissent d'un environnement familial favorable, et qui ont plutôt bien vécu le confinement. Sur la foi des promesses des adultes, ils ont d'abord cru qu'ils reprendraient la pratique des activités sportives et culturelles. Il n'en a rien été.
Durant la période estivale, un nombre d'enfants plus élevé qu'à l'accoutumée ne sont pas partis en vacances.
La rentrée scolaire a fait de nouveau naître l'espoir de reprendre les activités habituelles. Partiel, avec le maintien des enseignements, le nouveau confinement laisse encore planer des doutes sur la manière dont les enfants le vivent dans leur for intérieur.
Non sans raison peut-être, la protection de la santé des adultes a primé les considérations relatives aux enfants.
Au sujet de la formation et de la culture médico-sociale dans les établissements, il est indispensable que des professionnels spécialisés intègrent massivement les écoles. Ils devront y donner la priorité à la formation aux droits des enfants, à la prise de parole de l'enfant, à son écoute, à l'accueil et au recueil de sa parole.
La crise sanitaire pose aujourd'hui trois problèmes majeurs : l'augmentation des difficultés scolaires, les violences intrafamiliales et la santé psychique des enfants.
La première soulève, ainsi que vous l'avez remarqué, la question des inégalités sociales. Celles-ci se manifestent tout spécialement dans les domaines du logement et de l'accès au numérique.
La période que nous considérons n'a cependant pas manqué de susciter d'intéressantes initiatives. Ne les ignorons pas. Des éducateurs travaillant dans des équipes mobiles ont par exemple renforcé des équipes d'internats. Des instituteurs du secteur médico-social sont intervenus pour dispenser des cours à des jeunes relevant de la protection à l'enfance. À n'en pas douter, ces aspects positifs sont les moteurs du changement.
Je vous rejoins dans l'idée selon laquelle les aspects positifs permettent d'enclencher un mécanisme d'entraînement, y compris à l'égard de la jeunesse elle-même. La parole publique contribue à l'inciter à prendre son avenir en main. Il nous faudra aborder cette question, tandis que nous évoquons une troisième vague psychiatrique de la crise sanitaire.
Pour l'heure, je laisse à nos collègues le soin de réagir et de poser leurs questions.
Je voudrais revenir sur la situation des mineurs non accompagnés ou particulièrement vulnérables, ou ceux dont un des parents se trouve en détention. Quelles sont selon vous les mesures à prendre afin que ces mineurs exposés, en souffrance, reçoivent une aide qui supplée les carences éducatives qu'ils subissent, ainsi qu'un soutien pour renouer la relation de parentalité qui leur fait défaut ?
Nous savons que la crise a permis une plus grande stabilité de la situation des enfants qui bénéficient de l'aide sociale à l'enfance. Leurs éducateurs se montraient plus présents, les liens avec les parents étaient parfois rompus. En France, le maintien de ces liens constitue ordinairement un objectif primordial. Au vu de l'expérience du confinement, pensez-vous qu'il faille revoir cette politique de préservation en toutes circonstances des liens avec les parents ?
Par ailleurs, je m'inquiète du niveau scolaire des enfants, quels qu'ils soient. Je constate que depuis la dernière rentrée, leurs enseignements, en se concentrant sur leur remise à niveau, ne leur apportent aucun nouveau savoir.
Enfin, pour lutter contre les violences, j'encourage l'institution scolaire à mettre en place une éducation des enfants sur leurs droits en rapport avec leur corps. À l'âge de cinq ou six ans, un enfant ignore ce que les adultes ont l'interdiction de faire avec leur corps.
Après quatre mois d'attente, nous obtenons enfin la nomination d'un défenseur des enfants. Je félicite M. Éric Delemar pour sa désignation.
Le dispositif JADE me paraît des plus intéressants. La décision du Gouvernement d'ouvrir 100 000 services civiques supplémentaires offre une occasion de déployer plus avant ce dispositif en 2021.
Ma question concerne la cyber-pédocriminalité. Quelle que soit la conjoncture, les enfants demeurent les plus vulnérables et les plus exposés aux violences. D'après le Conseil de l'Europe, un enfant sur cinq est victime de violence sexuelle. Sur les réseaux sociaux, 22 % des français de moins de dix-huit ans ont déjà été victimes de cyberharcèlement. Le confinement des enfants en dehors de l'institution scolaire les expose à des risques accrus de cyber-pédocriminalité. Selon l'ONU, près de 750 000 prédateurs sont en permanence connectés à l'internet. Troisième pays hébergeur de contenus pédocriminels, la France n'échappe pas au phénomène. Organisations non gouvernementales (ONG) en tête, les acteurs qui luttent contre lui nous rappellent l'importance de la prévention, de l'accompagnement et de l'alerte. Comment le défenseur des droits accompagne-t-il parents, enfants, voire les ONG elles-mêmes, dans l'espace numérique, plus particulièrement dans la lutte contre la cyber-pédocriminalité ?
Je vous indique que j'attendais également avec impatience la nomination d'un nouveau défenseur des enfants.
Je vous exprimerai ensuite mes inquiétudes sur la situation des mineurs non accompagnés. Leur accueil et leur prise en charge ne suffisent pas toujours. Un réel suivi fait parfois défaut. Des difficultés existent. Nous relevons que des éducateurs ne sont pas assez nombreux, que des délais d'accès à l'école demeurent trop longs. Je remarque que la crise sanitaire a exacerbé des dysfonctionnements qui lui préexistaient. Le défenseur des droits les avait déjà dénoncés.
Pour l'ensemble des enfants, la crise induit certainement des souffrances d'ordre psychique. Je m'inquiète aussi de leur accès aux soins de santé. Pédopsychiatres et psychologues manquent dans les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP). Un accès gratuit aux soins n'est pas de règle.
Affirmer que les enfants maltraités qui n'entretiennent plus de liens avec leurs parents bénéficieraient d'une meilleure stabilité dans leur prise en charge mérite quelque approfondissement. J'ignore si une étude circonstanciée s'est intéressée à la question. En cas de maltraitance, la relation avec les parents apparaît tantôt essentielle, tantôt néfaste. Nous constatons que des parents sont empêchés de voir leurs enfants quand ce serait bénéfique et que des placements de longue durée pourraient être abrégés. Un soutien à la parentalité me semble préférable. Nous n'agissons pas assez dans le sens de la prévention.
Je souscris à la proposition relative à l'éducation des enfants à leur corps et à leurs droits. Il me semble en effet qu'il nous faut l'enseigner dans l'enceinte de l'école. Nos JADE y contribuent. Lorsque je l'ai rencontré, j'ai alerté M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, sur ces questions, en marquant leur caractère prioritaire. Un outil, le programme Educadroit, permet déjà aux enseignants, ainsi qu'à d'autres professionnels, de les aborder.
La lutte contre la cybercriminalité constitue l'une de mes priorités, un axe majeur de travail. Nous avons organisé un séminaire avec l'ensemble des directeurs et chefs de pôle en vue d'établir un programme d'action pour les années à venir. Nous y avons évoqué le sujet de l'éducation au corps. Je redoute que l'éducation à la sexualité ne s'effectue d'abord par les contenus en ligne de nature pornographique. Cette éducation s'avère trop peu présente au sein de l'école qui, selon les textes en vigueur, est pourtant tenue de l'assurer.
À l'ONU, le comité de suivi de la CIDE remettra prochainement ses observations sur les questions liées au numérique. À l'occasion de son travail, il nous a consultés. Nous avons insisté sur la nécessité de la lutte contre la cyber-pédocriminalité et sur celle d'une coopération des États dans le contrôle des sites en ligne.
Sur le point de savoir comment aider les enfants les plus vulnérables lors d'un confinement, je crois qu'il importe d'abord de renforcer la prévention. Cet effort ne suppose pas seulement des moyens, mais également une organisation. Nombre d'équipes mobiles interviennent déjà. Il leur faut pouvoir travailler le soir et en fin de semaine.
Seule, l'école ne peut pas tout. L'éducation populaire constitue le premier moyen de la prévention. Elle ne doit pas s'interrompre.
Le maintien des liens des enfants maltraités avec leurs parents appelle quelques nuances dans les propos. Aider ces parents revient à aider un nombre élevé d'enfants. Du fait du cloisonnement des institutions publiques, un véritable problème d'évaluation se pose. Chef de file, le département ne dispose finalement que de peu de moyens pour mobiliser d'autres acteurs.
À l'aide d'équipes éducatives en mesure de se rendre à tout moment dans les familles, des dispositifs montrent qu'ils se substituent avantageusement au placement. Ils offrent une solution intermédiaire entre le milieu ouvert et l'internat. Cependant, ils ne répondent qu'aux situations de carences, où les enfants encourent un danger, non à celles de danger imminent. Renforcer la pluridisciplinarité, la transversalité de l'évaluation des situations s'impose.
Cette évidence de la nécessité de regrouper en un même lieu les interlocuteurs de l'enfant est l'un des enseignements que nous tirons de la crise sanitaire.
Je reviens sur les lieux de parole dont Mme la défenseure des droits a fait état dans ses propos liminaires. Outre les JADE, infirmiers et médecins scolaires, je soulignerai l'importance des associations spécialisées dans l'écoute des enfants et dans la réponse aux questions de santé physique ou mentale. J'encourage à réfléchir sur la place à leur accorder au sein de l'école, maternelle et primaire, du collège et du lycée. Des permanences pourraient par exemple y être organisées, où les enfants auraient l'entière liberté de se rendre, sans obligation préalable de prendre rendez-vous.
Je partage entièrement votre point de vue sur le rôle des associations. La question se pose en effet de la place à leur accorder.
Par ailleurs, je juge qu'il importe de valoriser certaines initiatives. Pendant le confinement, celles d'enseignants de REP méritent par exemple que nous nous y arrêtons. Conscients que leurs élèves ne possédaient pas d'ordinateur ni d'accès à l'internet, ces enseignants envoyaient leurs leçons sur les téléphones portables, demandaient aux enfants de photographier leurs devoirs, qu'ils corrigeaient ensuite.
Depuis mon arrivée, l'ampleur des difficultés d'accès aux services publics que j'observe, ainsi que l'absence de réponse de ces services, ne laissent pas de me préoccuper. Le lien avec les droits de l'enfant sont évidents. Les enfants pâtissent immédiatement des conséquences des retards que les familles connaissent dans l'obtention d'une aide au logement ou de minimas sociaux. Nos délégués territoriaux, dont l'effectif dépasse 520, m'en avertissent régulièrement.
Je porte le souhait de donner une meilleure visibilité à la défense des droits des enfants. Ce travail, cet objectif, imprègnent l'institution du défenseur des droits. Forte d'une équipe de juristes, de ses délégués territoriaux, celle-ci dispose d'une réelle capacité d'action en la matière.
Nous relevons ce défi. En 1989, les responsables politiques s'étaient engagés à construire un monde digne des enfants. Ce que nous savons aujourd'hui de la vie de certains d'entre eux, dans des hôtels sociaux, dans des logements précaires ou à la rue, nous impose de réagir.
Il importe que nous définissions les conditions d'un travail conjoint régulier et transpartisan.
J'accueille très favorablement votre proposition d'échanges réguliers qui dépassent les préoccupations partisanes. Ils nous permettront de vous faire part des données qui nous parviennent.
De plus, je vous rejoins lorsque vous entendez mettre en avant les initiatives constructives et positives. Comptez sur notre appui dans ce domaine. Notre rapport ne manquera pas de les signaler. Vis-à-vis de la jeunesse, la parole politique doit être porteuse d'espoir, et non pas destructrice à l'imitation de celle des chaînes d'information en continu. La responsabilité nous en incombe. Pourquoi au demeurant ne pas concevoir une chaîne d'information à destination des enfants, rempart contre la dérive des amalgames contreproductifs ? Associer par exemple systématiquement les mineurs non accompagnés à la délinquance, en omettant le travail de prévention, me semble inacceptable.
J'aimerais que nous développions dans l'enceinte scolaire les moyens d'une écoute des enfants par des adultes bienveillants. Elle désamorcerait bien des tensions.
Notre tâche consiste encore à traduire ces exigences sous forme de décisions politiques concrètes. C'est pourquoi nous préconiserons la mise en place d'un comité de suivi des recommandations de la commission d'enquête. Surtout, nous demanderons la création, au sein de l'Assemblée nationale, d'une délégation aux droits de l'enfant. L'existence, depuis des années, d'une délégation aux droits des femmes a permis l'avancement de plusieurs dossiers. Je citerai l'exemple de la loi abolitionniste du 13 avril 2016 relative à la prostitution.
Dans le même temps, nous devons veiller à la question des budgets. Je suis d'accord avec la création d'une chaîne télévisée qui se destine aux enfants et à la jeunesse. Elle suppose cependant d'accorder des moyens supplémentaires à France Télévisions. Or, la société nationale de l'audiovisuel public subit plutôt des coupes budgétaires ces dernières années.
Enfin, il nous faut travailler en lien étroit avec l'éducation nationale à la préparation du recrutement d'un personnel formé à l'écoute et à l'information des enfants.
La séance est levée à dix heures cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse
Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 9 heures
Présents. – Mme Marie-George Buffet, Mme Danièle Cazarian, Mme Fabienne Colboc, Mme Béatrice Descamps, Mme Perrine Goulet, M. Régis Juanico, Mme Anissa Khedher, M. Philippe Meyer, Mme Sandrine Mörch, Mme Florence Provendier, M. Frédéric Reiss, Mme Sylvie Tolmont