Intervention de Jean-Pierre Rosenczveig

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 10h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jean-Pierre Rosenczveig, président de la commission Enfances-Familles-Jeunesses de l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux :

J'aimerais répondre à la dernière question de Mme Marie-George Buffet, bien qu'elle aille au-delà du sujet qui nous occupe directement.

Le fait pour les services de police d'entendre, voire de retenir, des enfants de 8 ans, n'enfreint pas la loi. À vous, parlementaires, de vous emparer du sujet. Vous en aurez l'occasion à compter du 14 décembre 2020, lorsque vous examinerez le projet de réforme du code de justice pénale des mineurs.

Poser une seule présomption simple, et non irréfragable, de non-responsabilité avant l'âge de 13 ans maintiendra la possibilité de poursuivre des enfants plus jeunes, voire de les conduire dans un commissariat.

Quoique légale, la décision apparaît-elle pour autant opportune ? La réponse, bien évidemment, ne peut être que négative. Par le dialogue, il nous faut montrer à ces enfants l'interdit et expliciter son sens. Au-delà, le débat s'ouvre avec la jeunesse de France sur la République, ses valeurs et la hiérarchie des normes. Encore faut-il disposer sur le terrain d'intervenants qui se prêtent à ce travail. La responsabilité en revient aux éducateurs de la prévention spécialisée.

Ces enfants que nous évoquons ne sont nullement des terroristes. Je ne vous apprendrai pas qu'ils reflètent une influence qui peut être celle de la famille, du quartier ou des pairs. Il nous appartient de les en détourner.

La fermeture des parloirs dans les prisons représente certainement une régression. Il s'avère plus que jamais capital pour les jeunes détenus de nouer ou de renouer des relations avec leurs parents et proches.

Avant l'apparition de la pandémie, nous observions une augmentation notable de l'incarcération des mineurs, de l'ordre de 15 %. Le constat préoccupe la directrice de la PJJ, avec laquelle je m'entretenais récemment. Il retient également l'attention du ministre de la justice, qui entend développer d'autres réponses pénales que celle de l'incarcération. Déployées en milieu ouvert, ces réponses supposent des moyens nouveaux, particulièrement à l'adresse du secteur associatif. L'association Espoir-CFDJ (centres familiaux de jeunes), que je préside, ouvre des structures d'accueil destinées aux jeunes condamnés à des peines de travaux d'intérêt général (TIG). Jusqu'à présent, elle ne perçoit aucune aide pour la conduite de cette activité.

Sur le problème des données relatives aux effets de la crise sanitaire sur l'enfance et la jeunesse, je vous concède qu'il est surprenant qu'un pays comme la France ne possède aucun dispositif de recueil et de traitement de l'information qui satisfasse à nos attentes.

À titre d'illustration, nous entendons régulièrement que 170 000 enfants sont, non pas placés, mais accueillis par l'aide sociale à l'enfance et que 50 000 font l'objet d'un suivi à domicile. Ces données omettent la situation des enfants qui bénéficient d'aides financières et d'autres types de soutien. Les travaux du Conseil national de la protection de l'enfance visent à corriger les défaillances du dispositif actuel de recueil et de traitement de l'information dans le domaine qui nous intéresse. Avec l'appui de M. Adrien Taquet, ils pourraient aboutir à la création d'une agence nationale dédiée.

La question de la gouvernance nationale et territoriale est posée. Elle interroge le rôle de l'État, un double rôle d'acteur et de garant de l'action publique générale, c'est-à-dire de coordination. Il incombe effectivement à l'État de rendre compte de l'action nationale auprès des organisations internationales.

En pratique, l'État ne pourra assurer ce second rôle que si les intervenants des départements et du secteur associatif dont il entend coordonner l'action le jugent crédible. Dans la crise que nous analysons, manquant une occasion historique, il a failli à cette condition. Face à un enjeu national, il n'a par exemple pas imposé ses vues quant au versement de la prime covid.

L'erreur fondamentale date de la décentralisation. L'État n'a pas accompagné le transfert de responsabilités aux collectivités territoriales d'une volonté nette d'assumer ses propres compétences. Il a de plus excessivement réduit sa présence dans les territoires. Comment le préfet peut-il mettre en œuvre une politique territoriale en l'absence d'instructions nationales ? Politique, l'enjeu devient celui d'une reconquête par l'État de ses prérogatives. Les domaines de l'organisation générale et de la responsabilité parentale ressortissent à la loi. Sur un plan normatif, le Parlement est directement concerné.

Vous débattrez prochainement de l'opportunité de maintenir le Conseil national de la protection de l'enfance. Au sein de cette structure, L'État, les collectivités territoriales et le monde associatif examinent les faits, dégagent des objectifs et dressent le bilan des actions menées. Nous avons besoin de cet espace politique de réflexion. Il s'intéresse notamment au problème de la gouvernance.

La crise sanitaire emporte des conséquences qui lui sont propres. Elle sert également de révélateur quant à l'état général des mécanismes à l'œuvre en matière de protection de l'enfance et de la jeunesse.

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